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PRÉFACE
DU DICTIONNAIRE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
SEPTIÈME ÉDITION (1877).
L'Académie française comptait
déjà deux siècles d'existence lorsqu'elle fit
paraître, en 1835, la dernière édition de son
dictionnaire. En effet, les lettres patentes qui l'instituent et lui donnent
la forme qu'elle a encore aujourd'hui, signées de Louis XIII et
visiblement dictées par le cardinal de Richelieu, sont du mois de
janvier 1635. Le parlement, il est vrai, par des motifs peu dignes de sa
gravité, en différa la vérification et l'enregistrement
de deux années, malgré les ordres du roi et les pressantes
instances du cardinal. L'arrêt d'enregistrement est du 10 juillet
1637, avec cette jalouse et un peu puérile restriction: que ceux
de ladite Académie ne connoîtront que de l'ornement,
embellissement et augmentation de la langue françoise et des livres
qui seront par eux faits, ou par autres personnes qui le désireront
et voudront. Mais déjà l'Académie se
réunissait régulièrement, et, parmi les travaux que lui
avait prescrits le cardinal, s'occupait, avant tout, d'un dictionnaire de
la langue française: Vaugelas en fut le premier rédacteur.
Six éditions de ce dictionnaire ont
paru dans cet espace de deux cents ans, la plus féconde et la plus
glorieuse époque de notre littérature, toutes successivement
corrigées, remaniées, refondues même quelquefois
après de longues et mûres délibérations, par des
travailleurs d'un mérite souvent modeste, mais riches
d'expérience et fins connaisseurs en fait de langue, auxquels
s'adjoignaient plus fréquemment qu'on ne le pense, outre la Fontaine,
le plus assidu des académiciens, un Corneille, un Boileau, un Racine,
un Bossuet, et plus tard, les grands écrivains et les penseurs du
dix-huitième siècle, Voltaire en tête, qui, de Ferney,
avait toujours l'oeil sur l'Académie.
La première édition
s'était fait longtemps attendre, puisqu'elle ne fut publiée
que cinquante-neuf ans après la fondation de l'Académie, en
1694. Le public s'impatientait un
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peu de ce long retard; les envieux et les médisants affectaient de
répandre que ce fameux dictionnaire ne paraîtrait jamais, ou,
pour le moins, qu'une génération s'éteindrait encore
avant qu'on en vît le premier exemplaire. Furetière, exclu de
l'Académie pour avoir enrichi son propre dictionnaire de ce qu'il
avait pu dérober à celui de ses confrères, ne manquait
pas de propager ce bruit, et supputait malignement ce que coûtait
déjà au roi en jetons, ou comme nous dirions maintenant, en
droits de présence, chacune des lettres ébauchées. Dans
l'Académie même quelques-uns semblaient douter que l'oeuvre
arrivât jamais à un point de perfection qui permît d'en
faire jouir le public. Plusieurs fois, en effet, le travail commencé,
et déjà même imprimé en partie, avait
été suspendu, puis repris et soumis à de nombreuses
revisions: ceux-là seuls s'en étonneront qui ne savent pas ce
qu'exige d'attention scrupuleuse, d'analyses fines et délicates, une
pareille oeuvre, la première fois surtout qu'on l'entreprend, et
qu'un dictionnaire n'est pas autre chose qu'un exact et minutieux inventaire
de toutes les idées ou nuances d'idées que représentent
les mots dans leur emploi simple ou dans leur emploi composé, dans
leur sens naturel ou dans le sens figuré, et que souvent, pour
découvrir la signification précise du terme en apparence le
plus ordinaire, il faut creuser l'esprit humain jusque dans ses
dernières profondeurs.
L'édition de 1694, si elle ne ferma pas
la bouche aux envieux et aux médisants (car quel est le dictionnaire
qui ne donne pas prise par quelque côté à la critique,
et même à une très juste critique?), reçut
pourtant du public le plus favorable accueil. Dédiée au roi
Louis XIV, précédée d'une préface d'un style
grave et simple, dans laquelle l'Académie expose brièvement
les principes qu'elle a suivis, imprimée magnifiquement, mais dans
le format in-folio, peu commode pour l'usage, elle prit immédiatement
dans toutes les bibliothèques une place qu'elle n'a pas encore
entièrement perdue, malgré tant d'éditions nouvelles.
Les mots, au lieu de s'y succéder alphabétiquement et
détachés les uns des autres, y sont rangés par racines;
disposition plus savante, plus agréable au lecteur curieux de
connaître l'histoire généalogique des mots, et d'en
suivre jusqu'à nos jours les générations successives,
celle peut-être qu'il aurait fallu garder, si les dictionnaires
avaient ce qui s'appelle des lecteurs, mais trop gênante
malheureusement pour le commun du public, qui se fâche, en ouvrant le
dictionnaire, s'il ne tombe pas tout de suite sur le mot qu'il cherche.
Aussi la première réforme que l'Académie fit
elle-même à son dictionnaire, dès la seconde
édition, pour obéir sans doute à une réclamation
générale, fut-elle de substituer à l'ordre par racines
l'ordre purement alphabétique, qu'elle n'a jamais abandonné
depuis.
Cette seconde édition, qui ne parut
qu'en 1718, vingt-quatre ans après celle de 1694, on peut dire que
l'Académie y avait mis courageusement la main au moment même
où elle venait d'achever et de publier la première. A la
vérité, le privilège excessif qu'elle avait obtenu de
jouir seule pendant vingt ans du droit de publier, sous telle forme que bon
lui semblerait, un dictionnaire de la langue française, lui
faisait-il un devoir de se presser, et de ne pas faire attendre trop
longtemps au public une édition plus complète et plus commode
de ce dictionnaire, auquel on prétendait le réduire. A cet
égard Furetière, il faut l'avouer, avait pleinement raison
contre l'Académie dans ses spirituels et satiriques factums. Tout
monopole est odieux, mais queue singulière idée que celle de
mettre en
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les mots d'une langue pour en faire une branche de commerce au profit
exclusif d'un libraire chargé de faire imprimer et de vendre le
dictionnaire officiel! Les mots d'une langue étant la
propriété commune de ceux qui s'en servent, à leur
fantaisie, pour parler ou pour écrire, le droit de recueillir ces
mots et d'en former des dictionnaires est aussi le droit de tous, à
la seule condition de ne pas prendre le travail d'autrui. Encore est-ce le
cas d'appliquer cette sage maxime de Cicéron, qu'il ne faut pas
être trop âpre à défendre son droit, et qu'il est
souvent bon d'en abandonner quelque chose. Quel est l'auteur de dictionnaire
qui ne se soit pas servi du dictionnaire de l'Académie
française, et, par un juste retour, combien de fois l'Académie
française, pour approcher le plus près possible de la
perfection, n'a-t-elle pas fait son profit, sans plagiat de tout ce qu'elle
trouvait, dans les autres dictionnaires, de corrections indiquées,
d'oublis réparés, de leçons précieuses? Parmi
ces dictionnaires qui lui ont été si utiles, l'Académie
se plaît à nommer ici celui d'un savant confrère, M.
Littré. Elle avait trop souvent consulté et mis à
contribution cet immense et unique travail pour ne pas en appeler l'auteur
dans son sein.
Deux éditions suivirent d'assez
près, dans le dix-huitième siècle, l'édition de
1718, avec peu de changements, il est vrai, tant cette dernière
édition, sans rien innover quant aux principes, avait
amélioré et complété l'oeuvre des premiers
académiciens, soit par l'addition de beaucoup de mots nouveaux et de
locutions nouvelles, soit par un plus grand nombre d'exemples mieux choisis
et mieux appropriés aux nuances d'idée qu'il s'agissait de
faire sentir, soit enfin par des définitions plus exactes et plus
claires. Déjà aussi dans la préface de cette
édition de 1718, commencent à poindre les premiers signes d'un
esprit nouveau. Le style en est plus spirituel, plus dégagé.
Adressée au roi Louis XV, encore enfant, la dédicace,
gracieuse et touchante dans sa forme, ne respire qu'amour de la paix et que
sentiments d'humanité; on croirait y entendre comme un écho
affaibli de la voix de Fénelon dans le
Télémaque, ou de Massillon dans le Petit
Carême.
Les deux éditions qui parurent
successivement après celle-ci, à vingt ans environ l'une de
l'autre, les éditions de 1740 et de 1762, se bornent à
reproduire à peu près textuellement la préface de 1718,
et les deux dictionnaires ne se distinguent guère eux-mêmes du
précédent que par un nombre toujours croissant de locutions
et de mots empruntés aux sciences, et devenus trop familiers,
peut-être, aux écrivains, qui affectaient d'en surcharger leur
style, aux hommes bien élevés et aux femmes du monde qui les
introduisaient jusque dans le langage commun de la conversation. Corneille
et Pascal, Racine et Bossuet, la Fontaine, Molière, Fénelon,
avaient porté la langue française à sa perfection.
Montesquieu, Buffon, J.-J. Rousseau, Voltaire, sans en altérer le
fond, en avaient tiré mille formes nouvelles et heureuses; l'heure
était venue peut-être, l'heure fatale, où l'on voudrait
pouvoir dire au mouvement qui emporte et change tout, même en fait de
langue: C'est assez.
De 1762 à l'époque où les
Académies disparurent, avec la monarchie qui les avait
fondées, sous la main implacable de la révolution,
l'Académie française, fidèle à sa pacifique
mission, n'avait pas cessé de préparer une cinquième
édition de ce dictionnaire, toujours libéralement ouvert aux
variations de l'usage, quoique toujours le même quant à
l'esprit
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et aux principes. Le travail était prêt et n'attendait plus que
la main de l'imprimeur lorsque l'Académie succomba. Chose bien digne
de remarque! la Convention, qui, elle aussi, représentait alors la
France et pouvait dire: l'État, c'est moi! devait faire pour le vieux
dictionnaire de l'Académie ce que Louis XIV avait fait pour le
dictionnaire naissant. Par une loi du premier jour complémentaire de
l'an III (17 septembre 1795), la Convention aussitôt que le retour
d'un peu d'ordre et de calme lui permit de penser à ces choses, en
ordonna la réimpression avec les additions et corrections
préparées.
C'est en exécution de cette loi que
parut, en 1798, la cinquième édition du dictionnaire,
précédée comme d'habitude d'une préface, mais
d'une préface fortement empreinte de l'esprit du temps, pleine de
prétention à la philosophie et à la profondeur,
curieuse pourtant et encore bonne à lire, précisément
parce qu'elle n'a rien de bien neuf ni de bien profond, et qu'elle ne
reproduit guère, en ce qu'elle a de juste et de vrai, que les
principes plus simplement exposés par les académiciens de 1694
et de 1718. N'ayant pu, d'ailleurs, passer sous les yeux de
l'Académie, qui n'existait plus, et être soumise à son
approbation, elle reste l'oeuvre toute personnelle de celui qui l'a faite.
La critique en serait ici superflue. Si l'auteur reproche, en style du
temps, à l'ancienne Académie ce qu'il appelle ses
complaisances et ses flatteries pour les rois, on le lui pardonne d'autant
plus aisément qu'il ne ménage pas les siennes à la
république d'alors, et que, sous ce couvert, cette concession faite
aux circonstances, reprenant un ton qui semble lui être plus naturel,
il comble d'éloges cette même Académie, et va
jusqu'à lui attribuer une part principale dans la fondation des
institutions républicaines et démocratiques. L'important est
que, littérairement parlant, l'auteur demeure fidèle à
l'esprit de l'ancien dictionnaire et ne rompt pas, sous ce rapport, avec la
tradition. Révolutionnaire par le tour un peu déclamatoire de
ses phrases, il ne l'est pas par le fond de ses idées sur la langue,
et il faut lui en savoir gré. Pas de pires révolutions que
celles qui renversent le langage et pervertissent jusqu'au sens naturel des
mots! Il y a déjà bien des siècles qu'un ancien en a
fait la remarque et l'a dit éloquemment (1). On
trouve seulement, à la fin de cette édition du dictionnaire,
un court appendice, qui appartient encore à l'auteur de la
préface, et dans lequel on a réuni ou relégué
quelques mots et quelques façons de parler issus de la
révolution, et dont beaucoup n'étaient pas destinés
à lui survivre.
L'édition de 1835, la dernière
qui ait paru jusqu'ici, est encore dans les mains du public, qui s'en sert
depuis quarante-deux ans. Plusieurs des membres de l'Académie
actuelle sont les successeurs immédiats de ceux auxquels on la doit.
Tout le monde sait que la savante et ingénieuse préface qui
ouvre le dictionnaire, est l'oeuvre de l'homme illustre que
l'Académie avait alors pour secrétaire perpétuel, M.
Villemain. L'Académie ne pouvait manquer de la reproduire à
la tête de cette nouvelle édition. Qui aurait pu, en effet, se
flatter de faire mieux, ou à quoi bon répéter, sous une
forme moins agréable et moins parfaite, ce qui avait
été si bien dit? Cette pensée conduisait naturellement
à une autre. Pourquoi ne pas joindre à la préface de
M. Villemain toutes les préfaces antérieures, et former de cet
ensemble un curieux monument littéraire, une sorte d'histoire
progressive de ce
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dictionnaire, toujours refait et jamais achevé tant que la langue
française sera une langue vivante?
Mais en se décidant, après
examen, à cette réimpression, l'Académie y a vu quelque
chose de plus encore qu'une simple satisfaction de curiosité. A
travers les variations de goût, d'esprit et de langage que
l'Académie, dans le cours de deux siècles, a dû
constater, recueillir, quelquefois subir, et dont la trace reste
nécessairement empreinte dans un dictionnaire qui se renouvelle et
ne finit jamais, il y a un point sur lequel l'Académie n'a pas
varié: l'idée que, dès l'origine, elle s'était
faite du dictionnaire, l'objet qu'elle se proposait d'atteindre en le
composant, les limites dans lesquelles elle entendait le renfermer, les
principes, en un mot, règle fondamentale de son oeuvre, et comme le
moule dans lequel devait être jeté un travail destiné,
à mesure qu'il se prolongerait, à être toujours nouveau
quant aux détails, toujours le même quant à l'esprit et
au but. Après deux siècles d'expérience on est en droit
de l'affirmer aujourd'hui: C'est bien toujours le vieux dictionnaire de
l'Académie qui se continue d'époque en époque, et sous
toutes les dates, de Bossuet et de Racine à Voltaire, de Voltaire
à Chateaubriand, de Richelieu à Louis XIV, de Louis XIV
à la Convention, de la Convention jusqu'à nous; et lorsqu'on
voit un corps qui a compté dans son sein, pendant le cours de deux
cents ans, tant d'hommes de mérite et tant d'hommes illustres,
s'attacher à la même tradition, persévérer dans
les mêmes principes, n'est-il pas d'une certitude à peu
près absolue que ces principes sont les plus sages et les meilleurs
possibles, et que c'est par leur constante et religieuse application qu'il
a été permis de considérer le dictionnaire de
l'Académie comme le répertoire authentique de la langue
française?
Or, ces règles et ces principes
essentiels, il est facile de les résumer en quelques lignes, sans
vouloir d'ailleurs en faire un code dont l'observation serait imposée
aux dictionnaires de tous les genres, tous bons, tous utiles, et qui, ayant
leur objet propre, peuvent très bien aussi avoir leurs lois
particulières. Quelque libre, grâce au ciel, que soit
aujourd'hui la concurrence en cette matière, le dictionnaire de
l'Académie a toujours eu, néanmoins, et aura toujours une
sorte de caractère officiel qui le distingue des autres et qu'il
fallait, par cela même, définir dès le commencement, et
restreindre dans ses justes bornes, de peur qu'un simple droit de patronage
officieux ne prît, aux yeux du public, l'apparence d'une tyrannie
ridicule.
Jamais donc l'Académie
française, pas même celle qui était la fille directe du
cardinal de Richelieu et la protégée de Louis XIV, n'a
prétendu exercer sur la langue un droit de souveraineté et
d'empire; jamais elle ne s'est arrogé un vain pouvoir
législatif sur les mots qu'elle reçoit tout faits du public
qui parle bien et des auteurs qui écrivent purement. Elle n'en
crée pas de nouveaux à sa fantaisie; elle n'en bannit aucun
de ceux qu'un usage reconnu et constant autorise: ce sont les propres termes
de la préface de 1694. Il y a, il est vrai, un bon et un mauvais
usage: c'est un fait que personne ne conteste. Les uns parlent et
écrivent bien, les autres écrivent et parlent mal. Chaque
profession a son jargon, chaque famille, et presque chaque individu, ce
qu'avec un peu d'exagération on pourrait appeler son patois. En
réalité, le bon usage est l'usage véritable puisque le
mauvais n'est que la corruption de celui qui est bon. C'est donc au bon
usage que s'arrête l'Académie,
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soit qu'elle l'observe et le saisisse dans les conversations et dans le
commerce ordinaire de la vie, soit qu'elle le constate et le prenne dans les
livres: familier, populaire même, dans le premier cas; propre à
tous les genres de style, depuis le plus élevé jusqu'au plus
simple, dans le second.
A cette distinction fondamentale en
succède une autre. L'Académie ne recueille et n'enregistre que
les mots de la langue ordinaire et commune, de celle que tout le monde, ou
presque tout le monde, entend, parle, écrit. Les mots qui
appartiennent aux connaissances spéciales, quelles qu'elles soient,
l'Académie les renvoie aux dictionnaires spéciaux. Son
dictionnaire n'est ni un dictionnaire de science, d'art, et de
métier; ni un dictionnaire de géographie, d'histoire, de
mythologie. Les mots que l'Académie puise à ces sources sont
ceux qu'un usage plus fréquent a introduits dans le langage commun,
et dont le nombre augmente naturellement à mesure que les
connaissances elles-mêmes se propagent et entrent dans le patrimoine
de tous. La mythologie, l'histoire, en fournissent beaucoup de ce genre,
quelques-uns déjà de vieille date. Ainsi on dit un
Hercule pour désigner un homme très fort: à ce
titre, le mot Hercule entrera dans le dictionnaire. On dit tomber de
Charybde en Scylla pour exprimer l'accident assez commun de ceux qui,
voulant éviter un mal qui les menace, tombent dans un mal pire.
Charybde et Scylla passeront des dictionnaires de mythologie dans le
dictionnaire de l'Académie française. Un Caton est
devenu le surnom commun de tous les hommes d'une vertu rigide, un
César celui de tous les grands capitaines; César et Caton
sont ainsi devenus des mots de la langue commune.
En ce qui concerne les termes propres aux
sciences et aux diverses branches des arts et métiers, la question
était plus délicate, ou semblait l'être. Quels termes
ont plus besoin d'être expliqués et définis que
ceux-là? Furetière, qui en avait fait la richesse
particulière de son dictionnaire universel, reprochait vivement
à l'Académie de ne leur avoir pas donné une
entrée de droit dans le sien; ils n'y figuraient effectivement, et
ne figurent encore dans les éditions plus récentes,
qu'après avoir reçu de l'usage commun leurs lettres de
bourgeoisie. L'Académie de 1694 avait-elle eu tort de s'imposer cette
limite? Le temps s'est chargé de la justifier, car ce sont
précisément ces termes de science, tombés promptement
en désuétude avec la science même d'alors, qui ont
entraîné dans leur chute le dictionnaire de Furetière,
tandis que, grâce à la prudente réserve de
l'Académie, son dictionnaire, avec bien peu de changements, a pu
suivre les progrès incessants de la science, et rester ouvert aux
termes nouveaux qu'une science, qui ne s'arrête jamais, enfante et
popularise tous les jours. Critique à part, qui ne sait combien la
langue des sciences a changé de fois depuis deux cents ans, et
combien elle change et varie encore au gré presque de tous ceux qui
la parlent ou qui l'écrivent?
Les mots admis, la question était de
les définir, ou d'en déterminer avec le plus de
précision et de clarté possible la signification et la valeur,
en les suivant depuis leur sens propre et naturel jusque dans leurs
acceptions les plus variées; tâche de toutes la plus difficile
et la plus ingrate, car de pareilles définitions, soit qu'on essaye
de les faire avec de simples synonymes, c'est-à-dire avec des
à peu près, soit qu'on les enferme dans de courtes phrases,
demeurent toujours incomplètes par la force même des choses,
quelque
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soin qu'on y apporte. Il n'y a pas de synonymes à proprement parler;
un terme n'est jamais l'équivalent absolu d'un autre terme:
l'Académie en a constamment averti le public; et le sens des mots
reçoit des mille emplois qu'on en fait, quelquefois de la
manière seule dont on les prononce, tant de nuances
différentes, qu'aucune définition ne saurait parvenir à
les embrasser toutes.
C'est par des exemples nombreux et bien
choisis que l'Académie, depuis qu'elle s'occupe du dictionnaire,
s'est efforcée de remédier à cette nécessaire
insuffisance des définitions. Les exemples, en plaçant
successivement un mot sous tous ses jours, corrigent et rectifient ce que
la définition a d'incertain et de trop vague dans ses termes
généraux, et conduisent, en quelque sorte, naturellement
l'esprit d'un sens au sens voisin par une gradation insensible. À un
coup d'oeil superficiel, on serait tenté de croire peut-être
que l'Académie multiplie trop les exemples, tant ils semblent
quelquefois différer peu les uns des autres; un examen plus attentif
fait revenir vite de cette erreur. Les exemples sont la vraie richesse et
la partie la plus utile du dictionnaire. C'est là qu'avec un peu de
patience le lecteur est toujours sûr de trouver ce qu'il cherche, soit
qu'il ait des doutes sur la justesse et la propriété d'un
terme, soit que le sens même d'une expression lui échappe.
Cette question en amenait une autre sur
laquelle les premiers académiciens avaient à se décider
immédiatement, et qu'ils ont en effet résolue une fois pour
toutes. L'Académie, ayant besoin de tant et de si divers exemples,
devait-elle les imaginer et les faire elle-même, ou se contenter de
les choisir et de les prendre dans les meilleurs auteurs et dans les livres
les plus répandus? L'Académie de 1694 s'est
arrêtée au premier parti, qu'ont toujours suivi ses
successeurs, considérant, d'une part, que s'il fallait tirer les
exemples des livres les plus en renom, les académiciens seraient
souvent obligés de se citer eux-mêmes, ce qui serait
contraire à la modestie: Corneille, Boileau, Racine et Bossuet
étaient alors de l'Académie! et, de l'autre, qu'en faisant
eux-mêmes les exemples, les rédacteurs du dictionnaire,
uniquement préoccupés du soin de faire bien sentir la
signification du mot, seraient plus sûrs de le placer à
l'endroit où ce sens particulier se distinguerait le mieux.
Deux grandes difficultés restaient
encore: l'une de déterminer quelle règle on observerait pour
l'orthographe, question déjà très contestée en
1694 entre les novateurs d'alors et les rigides défenseurs des
vieilles formes; l'autre de savoir si l'on essayerait d'indiquer la bonne
prononciation des mots comme on en indiquait le bon choix et le bon
usage.
Sur ces deux points encore la vieille
Académie a posé, dès le commencement, des principes qui
ont fait loi pour ses successeurs.
On n'apprend pas la prononciation dans un
dictionnaire; on ne l'y apprendrait que mal, quelque peine qu'on se
donnât pour la représenter aux yeux. Les signes propres
manquent ordinairement pour l'exprimer, et les signes qu'on inventerait pour
les remplacer seraient le plus souvent trompeurs. La bonne prononciation,
c'est dans la compagnie des gens bien élevés, des
honnêtes gens, comme on disait autrefois, qu'il faut s'y
façonner et s'en faire une habitude. Quant aux étrangers, ils
ne l'apprendront qu'en parlant
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la langue dont ils veulent se rendre l'usage familier avec ceux qui la
parlent de naissance et qui la parlent bien.
On a souvent proposé, il est vrai, et
on proposait déjà en 1694, de régler l'orthographe sur
la prononciation, tout au moins de la rapprocher de la prononciation le plus
possible, d'en faire une sorte de prononciation sensible à l'oeil.
Rien de plus séduisant au premier aspect qu'une pareille idée;
rien de plus chimérique à un sérieux examen. Cette
réforme radicale de l'orthographe, qui donc aurait le droit de
l'imposer à tous, ou assez de crédit pour la faire
universellement adopter? qui oserait se croire autorisé à
porter un pareil trouble dans les habitudes de ceux qui lisent et qui
écrivent? L'orthographe et la prononciation sont deux choses
essentiellement distinctes; elles n'ont ni la même origine ni le
même but. L'orthographe est pour les yeux, la prononciation pour
l'oreille. L'orthographe est la forme visible et durable des mots; la
prononciation n'en est que l'expression articulée, que l'accent qui
varie selon les temps, les lieux et les personnes. L'orthographe conserve
toujours un caractère et une physionomie de famille qui rattachent
les mots à leur origine et les rappellent à leur vrai sens,
que la prononciation ne tend que trop souvent à dénaturer et
à corrompre. Une révolution d'orthographe serait toute une
révolution littéraire; nos plus grands écrivains n'y
survivraient pas. C'est Bossuet qui l'a dit dans une note qu'il adressait
à l'Académie précisément sur ce sujet de petite
apparence, et de grande conséquence en réalité; note
précieuse qu'un savant chercheur (1) a
récemment retrouvée et publiée, et qui tranche en
quelques mots la question. « Il ne faut pas souffrir, dit Bossuet,
une fausse règle qu'on a voulu introduire d'écrire comme on
prononce, parce qu'en voulant instruire les étrangers et leur
faciliter la prononciation de notre langue, on la fait
méconnaître aux Français mêmes.... On ne lit point
lettre à lettre, mais la figure entière du mot fait son
impression tout ensemble sur l'oeil et sur l'esprit, de sorte que, quand
cette figure est changée considérablement tout à coup,
les mots ont perdu les traits qui les rendent reconnaissables à la
vue, et les yeux ne sont pas contents. »
Que faire donc? S'obstiner immuablement dans
la vieille orthographe, n'y admettre aucun changement, écrire,
malgré tout le monde, une debte, un debvoir? autre
excès que ne repousse pas moins le bon sens de Bossuet. Ici encore
l'usage fera la loi, l'usage qui tend toujours à simplifier, et
auquel il faut céder, mais lentement et comme à regret.
Suivre l'usage constant de ceux qui savent écrire, telle est
la règle que propose Bossuet; et c'est conformément à
cette règle que l'orthographe s'est modifiée peu à peu
dans les éditions successives du dictionnaire, et que de nouvelles
mais rares modifications ont encore été introduites dans celle
qui parait aujourd'hui.
Le dictionnaire de 1835, quoique soumis dans
ses détails à une savante et complète revision, n'avait
rien changé à l'ensemble des principes dont on vient de
retracer le tableau; le dictionnaire de 1877 n'y change rien non plus.
L'Académie le déclare expressément: ce n'est pas un
nouveau dictionnaire qu'elle a entendu faire et qu'elle publie, mais une
nouvelle édition du dictionnaire traditionnel, avec toutes les
corrections, il est
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vrai, toutes les additions qu'elle a jugées nécessaires, ou
qu'elle a crues bonnes et utiles. Un dictionnaire, on ne saurait trop le
redire, n'est jamais une oeuvre parfaite. Des oublis et des omissions, il
y en a toujours. On en avait relevé dans le dictionnaire de 1835, on
en relèvera dans celui-ci. Les moeurs et les habitudes se modifient;
les arts et les sciences ont leurs glorieuses révolutions, la
politique aussi a les siennes; depuis 1835 combien la face du monde
n'a-t-elle pas changé sous l'influence de ces causes diverses, et
comment la langue, à son tour, n'en aurait-elle pas été
modifiée! Que de mots nouveaux ont dû être introduits
pour exprimer tant de choses nouvelles!
Aussi dès l'année 1862, une
proposition était-elle faite dans le sein de l'Académie pour
mettre à l'étude une septième édition du
dictionnaire de l'usage. Ajournée d'abord, reprise et ajournée
plusieurs fois, l'Académie l'adoptait enfin en 1867. Une commission
était nommée pour préparer le travail, et M.
Prevost-Paradol, douloureux souvenir! était choisi pour être
le rapporteur de cette commission. Au mois de janvier 1868,
l'Académie ouvrait la discussion sur les épreuves de la
première feuille; elle donnait le bon à tirer de la
dernière au mois de mars 1877: c'est donc un travail de neuf ans que
l'Académie présente au public; un travail qui a fixé
toute son attention pendant cet espace de temps, et occupé de longues
séances au milieu même des cruelles émotions de la
guerre de 1870 et du siège de Paris.
Peu de mots suffiront pour faire
connaître les avantages de cette septième édition. Comme
pour l'édition précédente, l'impression en a
été confiée à cette maison Didot,
héritière des savantes traditions des Estienne, des Vascosan,
des Plantin, et l'honneur de l'imprimerie française. C'est assez
répondre de la correction du texte. Le nombre des pages semble
à peu près le même dans l'édition de 1835 et dans
celle-ci, ce qui n'empêche pas, si l'on veut compter les lignes, que
la nouvelle édition n'en contienne vingt-huit mille de plus, et
davantage peut-être, à raison de la hauteur plus
considérable des pages. On est arrivé ainsi à une
augmentation de cent trente pages environ, vaste espace ouvert, comme on le
voit, aux additions de tous genres que l'Académie n'a pas
marchandées à l'usage actuel, toutes les fois que cet usage
lui a paru fondé en raison et destiné à survivre aux
circonstances du moment. Le champ reste libre d'ailleurs, est-il
nécessaire de le dire? aux créations du génie et du
talent. La porte n'est jamais fermée aux expressions neuves et aux
tours hardis qu'une inspiration heureuse peut tout à coup faire
naître sous une main habile et savante. Tous les jours les mots
anciens eux-mêmes reçoivent de l'art qui les combine et qui les
rapproche une lumière ou une énergie nouvelle. On
multiplierait à l'infini les dictionnaires, qu'une infinie
liberté d'inventer et de produire n'en resterait pas moins à
la chaleur de la composition et de la parole.
L'Académie, il est peut-être bon
encore d'en prévenir le public, en prenant l'usage pour règle,
n'entend pas le restreindre à l'usage du jour actuel, de l'heure
présente, comme pouvaient le faire les contemporains de nos premiers
classiques, lorsque la langue et la littérature ne faisaient que
commencer à prendre une forme fixe. L'usage n'avait pas alors un
passé solide; il en a un aujourd'hui dont il faut tenir compte. Un
mot n'est pas mort parce que nous ne l'employons plus, s'il vit dans les
oeuvres d'un Molière, d'un la Fontaine, d'un Pascal, dans les lettres
d'une madame de Sévigné, ou dans les mémoires
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d'un Saint-Simon. Montesquieu, J.-J. Rousseau, Voltaire lui-même, en
offrent que nous avons délaissés, mais qui n'en font pas moins
partie des meilleures et des plus durables richesses de notre langue.
L'usage, en un mot, tel que le comprend l'Académie, embrasse les
trois grands siècles qui ont marqué notre littérature
d'une si forte empreinte, le dix-septième, le dix-huitième et
le nôtre. Combien de fois, depuis quelques années surtout,
a-t-on vu un mot que l'on croyait vieilli et presque éteint,
renaître plus jeune! On ne parlait plus guère, il y a soixante
ans, que la langue de Voltaire. De nos jours, la langue du
dix-septième siècle a repris une juste faveur; ceux
mêmes qui ne l'écrivent pas, l'admirent. Dans beaucoup de cas
l'injurieuse mention, il a vieilli, a été rayée
dans le dictionnaire nouveau par justice et non par un puéril
goût d'archaïsme.
Bien loin, d'ailleurs, de faire un mauvais
accueil aux mots de création nouvelle, l'Académie leur a
ouvert les portes toutes grandes, vérification faite de leurs titres,
et n'en a pas introduit moins de deux mille deux cents dans son
dictionnaire: mots de toute sorte, les uns appartenant à l'usage
ordinaire et dont plusieurs n'ont été omis, sans doute, dans
le dictionnaire de 1835 que par oubli, inconvenance, par exemple; les
autres qui sont des termes nouveaux de philosophie, d'archéologie,
de philologie, ou des expressions empruntées à
l'économie politique, à l'industrie, à l'agriculture.
La liste de ces mots, qu'une étude plus approfondie ou une
connaissance plus généralement répandue des choses
qu'ils expriment a fait passer dans le langage commun, serait longue. La
politique aussi, on le pense bien, en a fourni beaucoup: absolutisme,
décentralisation, égalitaire,
émeutier, fédéralisme,
fédéraliste, humanitaire, socialisme, et
tant d'autres auxquels, non sans scrupule quelquefois, il a fallu
reconnaître le droit au dictionnaire. Naturellement la part des
sciences et des inventions nouvelles a été grande dans les
deux mille mots ajoutés. Les chemins de fer, la navigation à
vapeur, le télégraphe électrique ont fait irruption
dans notre bon vieux français, avec leurs dénomination d'une
forme souvent bizarre ou étrangère; force a été
d'admettre: un télégramme, un steamer, un
tunnel, des tramways: l'ombre de nos prédécesseurs
a dû plus d'une fois en frémir. L'Académie a pris un
soin tout particulier des mots de science, et s'est attachée à
en donner des définitions aussi exactes que claires. Si elle y a
réussi, comme elle a lieu de l'espérer, le mérite en
reviendra à ceux de ses membres qu'elle a pris à son illustre
soeur, l'Académie des sciences, laquelle sans doute voudra bien se
reconnaître elle-même dans la rédaction de ces articles
et n'y trouvera plus rien à redire.
L'Académie, il le fallait bien, a eu
aussi ses sévérités. Parmi les mots de formation
récente elle a exclu sans pitié ceux qui lui ont paru mal
composés, contraires à l'analogie et au génie de la
langue. Trop souvent on ne forge un mot nouveau que pour ne pas se donner
la peine de chercher le mot ancien qui valait mieux. On ne crée un
terme général et vague, qui s'applique à toutes les
nuances d'une idée, que pour ne pas démêler la nuance
dont il s'agit et lui appliquer le mot propre: c'est le cas,
l'Académie l'a cru du moins, de ce terme qu'un fréquent et
déjà long usage n'a pu cependant lui faire adopter, celui
d'actualité. Peut-on dire un vapeur pour un bateau
à vapeur? L'Académie ne l'a pas pensé. Si l'usage
persiste, ce sera à l'Académie du siècle qui vient
à voir ce qu'elle aura à faire. Il n'est pas probable qu'un
tableau réussi trouve jamais grâce devant une
Académie française:
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la faute de français blesse trop la grammaire et l'oreille;
réussir n'a jamais été qu'un verbe neutre. On
voit à peu près, par ces exemples, quel esprit a dirigé
l'Académie dans le discernement qu'elle a fait du bon et du mauvais
usage.
Outre les additions de mots nouveaux et de
locutions nouvelles, mille changements ont été faits dans
l'intérieur même des articles qu'il serait impossible
d'énumérer ici. Des articles entiers ont été
remaniés d'un bout à l'autre, les articles relatifs, par
exemple, aux prépositions A et De. L'Académie,
au contraire, a été très sobre de retranchements; trois
cents mots, environ, ont disparu, et un nombre, il est vrai, plus grand de
locutions tout à fait vieillies, de proverbes passés d'usage
et qu'un tour spirituel et fin ne recommandait pas à l'indulgence des
juges.
Peu de changements ont été
apportés dans l'orthographe. S'il y a un point sur lequel
l'Académie ait cru devoir garder une grande réserve, c'est
celui-là. Les innovations qu'elle s'est permises se bornent, en
général, aux retranchements de quelques lettres doubles,
consonnance, par exemple, qu'elle écrit par une seule
n, consonance. Dans les mots tirés du grec, elle
supprime presque toujours une des lettres étymologiques quand cette
lettre ne se prononce pas; elle écrit: phtisie, rythme,
et non phthisie, rhythme. L'accent aigu est remplacé
par l'accent grave dans les mots: piège, siège,
collège, et dans les mots analogues. L'accent grave prend
aussi la place de l'ancien tréma dans les mots poème,
poète, etc. Dans beaucoup de mots composés de deux
autres que l'usage a réunis, le trait d'union a été
supprimé comme désormais inutile.
La prononciation a peu occupé
l'Académie. On ne la trouvera indiquée que dans un petit
nombre de cas. L'Académie persiste à croire, avec ses
prédécesseurs, que le seul moyen d'apprendre la bonne
prononciation est d'écouter ceux qui prononcent bien et de s'habituer
à prononcer comme eux.
On n'est entré dans ces détails,
un peu longs peut-être, que pour faire voir combien l'Académie
a eu à coeur de remplir dignement, à son tour, la mission que
depuis deux siècles se sont passée de main en main ses
illustres prédécesseurs, et au-dessus de laquelle ne se sont
jamais crus les plus fameux d'entre eux! Ce n'est pourtant pas une oeuvre
bien glorieuse qu'un dictionnaire, surtout un dictionnaire fait en commun;
c'est une oeuvre éminemment utile, et d'autant plus méritoire
sans doute qu'aucune gloire personnelle n'y est attachée. Tout ce que
le dictionnaire de l'Académie pouvait faire de bien il l'a fait. Il
n'a pas, il est vrai, fixé la langue; fixer une langue, c'est
impossible! Il l'a contenue, modérée, réglée
dans ses changements. Il ne l'a pas polie dans le sens un peu despotique que
le cardinal de Richelieu attachait à ce mot; les langues ne se
polissent pas par contrainte et de vive force. De bonnes leçons et
de bons exemples, c'est tout ce que l'on pouvait raisonnablement demander
à l'Académie, et ce que l'Académie n'a jamais
refusé. Il ne lui appartenait pas de traiter la langue en sujette;
contre une pareille prétention la révolte eût
été générale. L'Académie n'a fait qu'un
dictionnaire, et un dictionnaire est le moins impérieux des
maîtres; s'y soumet qui veut. S'il se fait obéir c'est en
obéissant tout le premier, quoique avec mesure et discrétion.
Il n'invente pas, il choisit; il cède beaucoup au public pour que le
public lui cède quelque chose. Sans doute c'est à ce juste
tempérament entre une complaisance qui livrerait tout à la
fureur d'innover et une résistance
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aveugle qui n'accorderait rien au cours inévitable des choses, que
le dictionnaire de l'Académie a dû cette autorité,
déjà vieille de deux siècles, qu'on ne lui conteste
plus et qu'il conservera, on peut le croire, tant que l'Académie
elle-même, la seule de nos anciennes institutions qui demeure debout
au milieu de tant de ruines, ne changera pas de méthode et d'esprit.
Avant de finir, l'Académie se fait un
plaisir de consigner ici les remerciements qu'elle doit au
zélé et savant auxiliaire qui a tant aidé la commission
du dictionnaire dans ses travaux préparatoires, M. Léo
Joubert.
[Page IV] (1) Thucydide.
[Page VIII] (1) M. Marty-Laveaux.
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