5. Archaïsmes, néologismes, fréquence
Quand le FEW dit qu'un mot est attesté entre telle date et telle date, cette
information peut être interprêtée, selon la fiabilité des dates et des
sources données, comme une indication d'un statut néologique (la première
date) et d'un statut archaïque du mot (la seconde date). Ainsi, dissolutif (cf. supra)
aurait été un néologisme au XIVe siècle et un archaïsme
à la fin du XVIIIe. À l'occasion, le FEW ajoute une marque d'usage vieux
ou vieilli fournie par une source métalinguistique:
FEW (s.v. MONACHUS 6, III, 68b): « mfr.
moineau "tourelle qui sert à la défense des places fortes; bastion
plat bâti au milieu d'une courtine" (1519-D'Aubigné; 'vieux' dp. Stoer
1625) »
L'item du GDFL, source de la remarque relevée par le FEW, est le suivant:
Marquis 1609: « Moineaux, vieux mot de fortification. »
« Stoer 1625 » est en fait une réimpression genevoise faite pour
le compte de Jacob Stoer du Grand dictionaire françois-latin de Pierre de Brosses,
paru d'abord en 1614, lequel constitue une réédition du GDFL de Pierre
Marquis.
Pour le mot tempre, le FEW note l'indication « vieilli »
donnée par Widerhold 1669 (13, I, 189b) plutôt que celle qui se trouve chez
Marquis/de Brosses, laquelle vient remplacer la croix renversée[12]
de l'item de Stoer 1599:
Stoer 1599: « ¡ Tempre, Cit•. »
Marquis 1609: « [...] Qui tempre vient a son hostel, mieux luy en est à
son souper, tempre, vieux mot françois prins du latin, tempore »
À notre connaissance, le FEW ne note pas dans ses items les marques d'usage
néologique, les jugeant sans doute superflues puisqu'une date de première
attestation est toujours plus significative qu'une date de dernière attestation, surtout lorsque
ces dates correspondent à des sources métalinguistiques. Marquis donne quelques
indications de ce type:
Marquis 1609: « Tomber [...] Quelquefois neutralement, comme tomber de
l'eau, pour vriner. Phrase dont se sert Montagne, & l'auteur des serées, comme
de leur creu »[13]
Plusieurs des termes signalés par Marquis comme créations d'auteur ne trouvent
pas place dans le FEW, vraisembablement parce que celui-ci ne les a pas
repérés.
Marquis 1609: « Rebell'endurcy mot Introduict en prose par vigenere, auec
plusieurs autres de mesme composition. vostre rebell'endurcie contumacité vig.
ch. »
Marquis 1609: « Quant. Tant plus est grande la concorde, de quant plus,
&c. Vig. ch. nouè dixit »
Marquis 1609: « Flot reflottant, Vig. Im. du flo-reflottant ocean,
epithete bien hardy pour vn prosateur »
La source principale du FEW pour ce genre de créations est Cotgrave 1611. Aussi
les deux items suivants, enregistrés par Poille:
Poille 1609: « Floflotante. Rons. // Flo-flotement de la mer.
Bellay. »
et, sans indication de source, par Cotgrave (s.v. FLOFLOTER, FLOFLOTEMENT), sont signalés par le FEW (3,639b) avec la
notation chronologique « 16e s.-Cotgr 1611 » ou « Cotgr
1611 ». Comme Cotgrave n'avait pas dépouillé Vigenere et que le
FEW exploite très inégalement « Stoer 1625 »,[14] le FEW n'a pas accès au vocabulaire de Vigenere.[15]
Les mots en aime- offrent une autre illustration de la façon de procéder du
FEW. D'une part, Marquis et Poille relèvent quelques composés en
aime- chez Du Bartas et Ronsard:
Pourtant c'est la nomenclature de Cotgrave -- on y trouve, sans indication de source,
aime-bal, aime-carnage, aime-esbats, aime-humains, aime-loix,
aime-lyre, aime-maistre, aime-mars, aime-noise,
aime-noveauté, aime-paix, aime-pleurs, aime-silence et
aime-tout -- qui donne lieu à l'item global du FEW:
FEW (s.v. AMARE 24, 388a): « mfr.
aime-bal, aime-carnage, etc. "qui aime le bal, le carnage, etc." (16e
s.; Cotgr 1611) »
La fréquence relative d'un emploi n'est pas indiquée par le FEW, sauf
quelques précisions occasionnelles fournies par ses sources, ainsi « 'plus rare
que le plur.' Ac 1718 - Lar 1949 » au sujet de represaille (10, 275b). Marquis
fait plusieurs remarques de ce type:
Marquis 1609 s.v. AVOIR: « Vous qui auez de retourner
de rechef au monde Vig. imag. / Phrase assez rare en
François. »
Marquis 1609: « Delicateté, Quand on fait les labeurs, fascheries
& ennuis, Mollities, siue Mollitia animi. on dict plus souuent
delicatesse. »[16]
Marquis 1609: « Pante, & pantiere signifie la mesme chose, & sont
indifferemment en vsage Bellay, traduit du 4. de l'eneid. & Belleau,
Berger. »[17]
Chez Stoer, la marque d'usage non courant et la marque d'usage vieilli vont parfois de pair:
Stoer 1599 s.v. ALLICHER: « ¡ [...] Allecher est
plus vsité que Allicher. »
Stoer 1599 s.v. BERNAGE: « ¡ [...] Mais vsez
du mot Compaignie, Bagage, Equippage, plus vsitez: combien que cest ancien soit
retenu d'aucuns. »
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Notes
12. « [...] en la presente Impression i'ay remarqué les mots françois
surannez, abolis par le temps, & hors d'vsage, par ceste marque ¡ »
(Stoer 1599, Advertissement aux lecteurs). Nous avons compté 175 items marqués
d'une croix renversée dans Stoer. [Note sur la version en ligne: la croix renversée
est représentée ici par le point d'exclamation renversé.]
13. C'est-à-dire Montaigne, Essais (1580) et Bouchet, Serées
(à partir de 1584). Voir aussi Marquis s.v. VEHICULE (cf.
Wooldridge, « Le lexique français de la Renaissance dans
les textes et dans les dictionnaires »).
14. Si de Brosses 1614 supprime rebell'endurcy, il garde flot reflottant /
flo-reflottant et de quant plus. Il faut ajouter que le FEW se sert de
« Stoer 1625 » avant tout comme terminus ad quem des items
stéphaniens (Dictionarium latinogallicum, Dictionaire francoislatin) -- cf.
T.R. Wooldridge in Revue de linguistique romane, 50 et id. in Travaux de
linguistique et de philologie, 28.
15. S'il signale liquabilité chez Vigenere, c'est qu'il a trouvé cette indication
dans Delboulle: « 1587, Vigenère Traicté des Chiffres 171 v°,
Delboulle; 1611 » (5, 370b).
16. La forme delicatesse serait devenue plus courante depuis que Thierry avait mis
« Pasquier dit Delicatesse. » en 1564.
17. Cf. embarrasser (supra) et engrosser/engrossir (infra).