Actes des Journées "Dictionnaires électroniques des XVIe-XVIIe s.", Clermont-Ferrand, 14-15 juin 1996 | É. Brunet, "Les dictionnaires électroniques des temps modernes" |
Cela répond à une nécessité ergonomique, vu l'étroitesse de l'écran qui n'offre pas la même surface déployée qu'un livre ouvert de grand format (sans compter une définition très inférieure à celle des photocomposeuses). Le lecteur du Grand Robert bénéficie d'une vision globale et panoramique qui contraste avec la myopie inhérente aux écrans ordinaires[1]. Le CD-ROM ne présente en effet qu'une colonne, qui est souvent incomplète et qu'on doit faire défiler.
2.2. Mais quand un dictionnaire préexiste à son traitement informatique (c'est la situation commune au Robert, au TLF et à bien d'autres), il y a chance que la structure hiérarchique n'y montre pas la cohérence et la constance qu'on exige d'une base de données. En particulier les citations sont disséminées tout au long de l'article, et c'est par un artifice un peu brutal qu'on peut les rassembler dans la même fenêtre en sollicitant le menu Citations au bas de l'écran (Figure 7). Il est cependant possible de lire la citation in situ en sollicitant le renvoi numérique qui apparaît entre crochets dans le texte de la définition. Ce lien est analogue à celui qui rattache traditionnellement la note à l'appel de note. Sa mise en oeuvre dans un produit informatique se traduit par une fenêtre superposée à l'endroit exact où la citation a sa place dans le texte d'origine. L'effet est celui d'une sorte de zoom qui explicite et développe le signal convenu. Cette technique de l'ancre a été généralisée dans les écrans générés par WEB et gouvernés par le langage HTML, comme on verra plus loin.
2.3. Ces liens, internes à l'article, n'ont qu'une portée restreinte. À l'échelle du dictionnaire, il existe un ordonnancement alphabétique des entrées, qui relie chacune à la précédente et à la suivante dans la séquence. L'esprit humain est habitué à cet ordre qui remonte à l'origine de l'écriture et que la machine reproduit sans problème dans ses index. La manipulation de tels index permet en outre de neutraliser le début ou la fin des mots, ou telle portion du mot que l'on voudra. Le rôle des jokers est ainsi d'isoler un préfixe, un radical, un suffixe ou une chaîne de caractères quelconque. Si Cyrano improvisant la fameuse ballade du duel avait pu consulter le Robert électronique tout en ferraillant, il ne lui aurait pas manqué la quatrième rime en eutre dont il avait besoin. Voir le haut de la Figure 8. Dans le cas des verbes le lien paradigmatique est établi entre le radical et les désinences canoniques. Voir Figure 8, en bas.
En réalité ces ressources de filtrage, de masquage ou de conjugaison sont communes à la plupart des systèmes documentaires et on les retrouve par exemple dans FRANTEXT. Sans constituer le moins du monde une innovation, cette facilité offerte par le Robert électronique n'en représente pas moins un progrès par rapport à la version papier.
2.4. Un autre progrès, plus décisif, est apporté par les liens de croisement (en anglais cross reference), qui permettent, à la faveur d'un mot présent sur l'écran, de se détourner de l'entrée affichée pour rejoindre une autre. Cette possibilité de bifurcation est généralisée à tous les mots affichés, qui sont tous accessibles au curseur et à la sélection, qu'ils appartiennent à la définition, à la citation ou aux champs analogiques ou dérivationnels. Si on se laisse distraire, le parcours discontinu peut se prolonger à l'infini et, à l'occasion, mettre en lumière la fameuse circularité des définitions lexicographiques. L'exemple architectural de la Figure 9 montre le bénéfice qu'on peut attendre de cette circulation rapide à l'intérieur du dictionnaire, le sens d'une entrée se précisant en présence d'une seconde entrée associée. Ainsi la seconde acception du mot abaque s'éclaire au contact de l'architrave. Cette pratique de la consultation en cascade n'est pas étrangère au dictionnaire-papier et combien de voyages imaginaires n'y a-t-on pas faits parmi les mots et les choses, jusqu'à oublier parfois le point de départ. Mais la manipulation de tomes différents est lourde et décourageante, au lieu que l'invite du CD-ROM est alerte et séduisante.
Celle du Robert électronique est même trop séduisante, en ce sens qu'elle peut égarer l'usager et lui faire perdre sa route. Il manque en effet à la consultation du Robert un espion électronique qui repère les lieux parcourus et permette le retour en arrière. Ces liens historiques, qui relient les étapes d'un parcours, font partie intégrante de tout voyage sur l'Internet. En particulier la consultation du WEB par Mosaic ou Netscape imite la démarche du petit Poucet, et dépose des cailloux à chaque détour du chemin. Le saut de l'un à l'autre, en avant ou en arrière, se fait instantanément comme si l'on disposait de bottes de sept lieues.
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Notes
1. Les écrans d'information ont la même étroitesse dans Internet, et plus encore dans le Minitel, et l'habitude s'est créée chez les producteurs de fragmenter le contenu en morceaux de la taille d'un écran et d'annoncer l'ensemble dans un sommaire initial, pourvu de fléchages hiérarchiques.