Actes des Journées "Dictionnaires électroniques des XVIe-XVIIe s.",
Clermont-Ferrand, 14-15 juin 1996
J.-M. Messiaen, "Réseau lexical et conception d'un dictionnaire électronique"

3. Vers un «dictionnaire-réseau»

C'est au cours de notre étude lexicographique de feindre qu'est apparue la nécessité de mener l'examen par réseau lexical plutôt que par ordre alphabétique, si l'on souhaite privilégier la dimension diachronique. L'étude du réseau lexical de fable, que nous menons actuellement, conforte cette hypothèse non seulement quant à sa portée méthodologique, mais aussi quant à sa pertinence descriptive, c'est-à-dire éminemment lexicographique. Il s'agirait en effet de rendre compte des interrelations au sein du système que constitue une lexie, ce que la lexicographie parvient à faire, notamment depuis le TLF, mais de prendre en considération également les interrelations entre lexies. Certes la typologie des interrelations lexicales reste à venir... en l'absence notamment de matériaux! L'étude de «champs» s'est trop souvent fondée sur le «dictionnaire-livre» où, du fait de strictes contraintes éditoriales, le lexicographe ne pouvait faire état que d'une partie de ses observations[12].

L'évolution des techniques électroniques permet d'envisager un dictionnaire en grande partie libéré de telles contraintes. Comme il ne s'agit pas encore de constituer un DFPC, à tout le moins proposerons-nous quelques suggestions pour le prototype d'une base de données lexicographiques électronique et interactive, en réseau. Cette esquisse comportera deux aspects: la «fiche lexicographique» et le réseau lexicographique.

3.1. La fiche lexicographique

Pour le «consultant» comme pour le contributeur, et afin de ménager la continuité avec l'usage des dictionnaires-livres, il paraît judicieux de garder, au moins dans un premier temps, la structure de l'article lexicographique[13], mais en la complétant par des «liens» à tous les niveaux.

L'interrogation, pour une lexie donnée, se fera en entrant la forme graphique (ou en sélectionnant un «signifiant-maître», cf. infra), et, soit directement soit en réponse à la question de l'automate, la catégorie grammaticale. Ainsi, en simplifiant beaucoup, le consultant qui interroge à partir de feinte, aura à préciser s'il s'agit du substantif, de l'adjectif ou d'une forme composée du verbe. Et ce, quelle que soit la graphie qu'il a observée: feinte/feincte/fainte/faincte. À ce niveau, il convient d'élaborer plusieurs liens:

L'utilisateur sera renvoyé au «signifiant-maître» à partir de la forme qu'il aura introduite. À la différence de l'entrée lexicographique du dictionnaire-livre, le «signifiant-maître» sera, pour un paradigme donné, celui qui a connu la plus grande diffusion écrite en français préclassique. En attendant que la base de données textuelles soit suffisamment représentative, on peut considérer comme signifiant-maître celui que le Dictionnaire de l'Académie a retenu (dans son édition de 1694), ou celui qui apparaît dans Nicot, ... Pour les termes de spécialité écartés par Ac94, la constitution de glossaires sera d'un grand secours. La tradition lexicographique consistant à prendre pour entrée la forme non marquée d'un paradigme morphologique peut être maintenue (sachant qu'il sera possible de se référer à ce paradigme).

La constitution de la base étant progressive, les liens seront réactualisés régulièrement.

Si nous ne développons guère ce dernier aspect, dont le Robert donne un exemple à améliorer en distinguant les types de relations, il reste surtout que la fiche lexicographique apparaît comme la fédération de nombre de liens divers, au même titre que la lexie considérée entretient nombre d'interrelations diverses avec d'autres lexies.

Le prototype du DFPC devrait aussi comporter des connexions externes avec:

Ces quelques propositions sont loin d'être exhaustives. Il s'agit surtout d'esquisser la variété des liens qui permettront à l'utilisateur de «naviguer», à partir d'une lexie, dans l'ensemble des données informatisées, qu'elles relèvent du signifiant, des interrelations sémantiques, voire de la bibliographie: c'est une véritable base de données philologique qui pourra s'établir, en liant entre eux les résultats des travaux de plusieurs équipes, quels que soient la localisation ou le projet de ces équipes.

3.2. Quelques suggestions pour le fonctionnement du «dictionnaire-réseau»

Les suggestions qui suivent ne sont pas celles d'un informaticien, ou d'un spécialiste des réseaux, mais correspondent au premier schéma de ce que nous voudrions mettre en place dès 1997, à moyens presque constants, les crédits ayant tendance à se restreindre. Le prototype de DFPC en réseau que nous espérons mettre en place comportera au départ une douzaine de lexies, nombre qui s'accroîtra en fonction des contributions.

La fiche lexicographique (l'article lexicographique) sera en effet signée de son auteur, qui pourra en faire mention dans sa propre bibliographie, et qui aura priorité pour l'améliorer, la développer, en reprendre la structure. Il faudra cependant, pour figurer dans la base -- à titre définitif -- qu'elle ait reçu l'agrément de deux membres au moins du Comité scientifique (dont le nom apparaîtra au bas de la fiche, après celui de l'auteur). Nous proposons que dans un premier temps le Comité scientifique se compose des membres volontaires du Comité de lecture du Français Préclassique. Le Comité scientifique pourra s'adjoindre ensuite d'autres personnalités, à la condition qu'elles soient agréées par un tiers au moins de ses membres. Il serait plus efficace de prévoir également, pour une question ou un domaine spécifiques, un Comité ou une Commission spécialisés, sous l'égide de quelques membres du Comité scientifique, mais regroupant, le temps d'une mission, d'autres personnalités.

L'utilisation du courrier électronique (relayé par des formes de communication différente pour ceux qui n'ont pas accès aux réseaux électroniques) ouvre des perspectives multiples. Pour les utilisateurs, qui peuvent adresser des questions, demander des renseignements, voire faire part de leur avis ou de leurs suggestions. Pour les contributeurs, qui peuvent soumettre leurs propositions d'articles lexicographiques, leurs suggestions de liens avec telle ou telle base, ... Pour le Comité scientifique qui peut, quelle que soit sa «dispersion géographique», travailler en réseau et veiller à la cohérence des informations de la base DFPC.

L'actualisation et la maintenance impliqueront sans doute, à terme, qu'une équipe se constitue qui veille prioritairement à ce dernier aspect de la base DFPC. Cette équipe pourrait aussi se charger d'aiguiller les flux d'informations: par exemple, adresser les questions des utilisateurs à qui de droit.

Qui sait si la création d'un forum (ou newsgroup) DFPC ne serait pas nécessaire, afin d'alléger le courrier électronique des questions les plus fréquentes?

Quoi qu'il en soit, le principe de la plus grande transparence possible doit présider à la constitution du DFPC-réseau. Le premier moyen en est la mention systématique du nom des contributeurs et des «relecteurs», voire des «réviseurs» s'il y a lieu. De la sorte, les droits de chacun seront respectés[15], la responsabilité de chacun étant engagée. Le second en est la mention systématique des dates de mise à jour, de modification,... soit par l'auteur, soit par l'équipe de maintenance. Mais il reste entendu que ces propositions sont et seront sujettes à modification.

Enfin, le principe d'interactivité devrait être suivi scrupuleusement, notamment par la prise en compte régulière des interrogations récurrentes des consultants.

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Notes

12. Même dans le Robert, les interrelations se réduisent au renvoi à d'autres entrées, sans plus d'indication.

13. Il s'agira surtout d'une «mise en forme» ou d'un «masque de présentation» des données.

14. «Table Ronde autour du Huguet» organisée par l'INaLF, le 18 mars 1996 (compte-rendu à paraitre dans Le Français Préclassique, n° 5, 1996).

15. La question du copyright nécessitera la consultation de services juridiques, les législations différant nettement selon le pays.