Le travail que nous présentons est le résultat d'une année de recherches dans le domaine de l'informatisation des dictionnaires anciens, plus particulièrement du Dictionnaire Universel de Furetière revu par Basnage de Bauval 1702 (désormais DU2), recherches qui ont été menées essentiellement grâce à une subvention allouée par la Délégation à la Langue Française.
Une version développée de cette présentation est à paraître chez Champion. En conséquence, nous ne détaillerons pas les raisons qui nous ont amenées à choisir le Basnage 1702 (désormais DU2) et le Trévoux 1704. On peut simplement rappeler, avant d'entrer dans le vif de l'informatisation, que ces deux dictionnaires, de type encyclopédique, ont fait l'histoire lexicographique du XVIIIe siècle, et ont aidé l'Encyclopédie Diderot-D'Alembert à naître. Nous consacrons la suite de notre article à la présentation rapide du mode de balisage (2), puis à l'analyse et au balisage de l'article, en particulier du champ grammatical (3).
Le mode d'informatisation choisi dans notre projet est le balisage, technique qui consiste à isoler les parties logiques d'un document (par exemple, l'entrée, la partie grammaticale, la définition, etc.) à l'aide de jalons (appelés balises) sans modifier le contenu ou l'ordonnancement des parties textuelles.
Dans cette section, nous présentons brièvement les principes qui ont présidé à la première phase d'informatisation du DU2. Dans la première phase d'analyse que nous voulons effectuer (350 articles), notre entreprise est assez ambitieuse puisque nous souhaitons réaliser autant que possible un balisage fin et détaillé. Une évaluation à l'issue de ce premier travail nous permettra d'estimer dans quelle mesure un tel traitement apparaît raisonnablement applicable à l'ensemble de l'ouvrage.
L'informatisation du DU2 est une entreprise lourde et coûteuse. La saisie des données est une opération fastidieuse qui ne peut être automatisée, puisque la reconnaissance optique de caractères est exclue, le mauvais état des originaux et la présence des ligatures rendant difficile la reconnaissance des caractères individuels. La vérification des graphies ne peut pas non plus être automatisée, puisque l'orthographe n'est pas normalisée dans les textes qui nous intéressent. Les extraits du DU2 ont été saisis par deux étudiantes vacataires [1] de l'Université de Lille 3 et de nombreuses vérifications ont dû être effectuées. Par ailleurs, le balisage des articles est un traitement intellectuel requérant une expertise à la fois sur le plan informatique et sur le plan métalexicographique. Il semblait essentiel que le texte soit diffusé sur Internet et qu'il soit encodé à l'aide de normes et de standards [2] en usage dans la communauté universitaire. Dans cette perspective, nous avons préféré le langage de balisage SGML (Standard Generalized Markup Language) à des balisages « propriétaires », c'est-à-dire propres au système choisi, langage qui nous a aussi paru plus intéressant sur le plan formel du fait de la rigueur qu'il impose.
Par ailleurs, nous avons essayé d'adapter les recommandations de balisage proposées par la « Text Encoding Initiative » (Sperberg-McQueen & Burnard 1994), initiative soutenue par de nombreuses associations [3] qui essaient de promouvoir des formats communs d'encodage afin de faciliter l'échange et l'exploitation des corpus électroniques. Ces recommandations se traduisent par un ensemble de DTD SGML permettant de traiter différents types de textes (prose, textes versifiés, pièces de théâtre, corpus oraux, etc.). Nous nous sommes bien entendu intéressées aux recommandations proposées pour les dictionnaires « papier » (Ide & Véronis 1995) et nous les avons adaptées à notre objectif. Il va sans dire que de nombreux éléments spécifiques ont dû être ajoutés pour rendre compte de la structure des dictionnaires ancien.
Notre entreprise d'informatisation s'appuie sur une grille d'analyse systématique pour un sous-ensemble des champs. Nous faisons l'hypothèse d'une microstructure régulière pour l'article type, analyse qui s'appuie essentiellement sur des éléments formels : la typographie, la distribution des éléments et les indicateurs métalinguistiques. Cette analyse peut se traduire techniquement par l'élaboration d'une DTD (Description du Type de Document) en SGML, une « grammaire type » de l'article utilisant non seulement des éléments (des balises caractérisant des parties textuelles), mais aussi des attributs [4] permettant de systématiser le codage et faciliter les requêtes. L'analyse effectuée devrait permettre de proposer un texte informatisé qui répondra à la fois aux besoins du métalexicographe et à ceux de l'historien de la langue.
L'informatisation que nous proposons n'altère pas le texte d'origine, hormis quelques modifications que nous considérons comme mineures. Ainsi, pour le texte balisé, nous n'avons pas conservé la mise en page en colonnes et les césures. Il serait sans doute souhaitable de renvoyer l'utilisateur à une image du texte original à partir du texte balisé [5], mais cette solution sera peut-être lourde à mettre en uvre. Le texte original étant conservé, il sera donc toujours possible à l'utilisateur d'interroger les formes textuelles sans exploiter les balises. Le balisage doit être compris comme une proposition d'analyse du texte, mais d'autres accès au texte original resteront toujours possibles.
En tant que clé d'accès au texte, la typographie est bien entendu essentielle. Elle sera donc systématiquement codifiée, puisqu'elle ne peut pas être associée de façon systématique, comme dans certains dictionnaires récents, aux champs informationnels.
Proposer une « grammaire type » des articles du DU2 peut passer pour une gageure. Au regard des dictionnaires contemporains, ces ouvrages peuvent paraître fort peu structurés, mais une fréquentation régulière du texte nous a fait entrevoir dans de nombreux champs une certaine régularité. Bien entendu, des styles ne peuvent être associés de manière systématique aux champs informationnels, mais la typographie demeure dans de nombreux cas (entrée principale, sous-entrée, par exemple) un indice fiable. La distribution de certains champs peut apparaître irrégulière, mais des champs comme l'entrée, le renvoi ou la partie grammaticale semblent avoir des positions stables dans l'article. Les indicateurs métalinguistiques, s'ils ne présentent pas la systématicité qui caractérise les dictionnaires contemporains, se présentent sous des formes relativement codifiées. Ces considérations nous conduisent à penser qu'il est possible de constituer une grammaire type des articles du DU2, grammaire qui devra cependant présenter une très grande souplesse.
En outre, nous pensons qu'élaborer une telle grammaire est non seulement possible, mais souhaitable. Le recours à une structure de ce type permettra à notre avis de mettre en évidence des irrégularités qui n'auraient pu être révélées par une analyse moins méthodique. Par exemple, sur l'échantillon que nous avons étudié, nous remarquons que près de 99% des articles standard comportent un champ grammatical (c'est-à-dire, 330 sur 334 articles standard, 16 articles de renvoi ayant été exclus; cf. plus loin en 3). Nous considérons ce champ comme obligatoire dans notre structure type et les articles dans lesquels cette information n'est pas présente comporteront une balise vide. Nous voyons un exemple de ce traitement dans la figure 1. Une balise <Gramgrp> pour la partie grammaticale) est introduite pour l'article DECISIF alors que cette information n'est pas disponible dans l'article, contrairement au sous-article DEBARASSÉ.
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Fig. 1. Un exemple de balisage de la partie grammaticale
Ce traitement permettra au spécialiste des dictionnaires d'effectuer des études statistiques sur l'absence de certains champs, phénomène qui est en soi une information d'importance.
Par ailleurs, l'utilisation d'une structure type nous permet de régulariser certaines informations, comme les marques grammaticales qui présentent une certaine variété de forme. Ainsi, la marque indiquant le substantif se présente sous plusieurs formes : « s. », « subst », « S. », « substantif » (cf. plus loin en 3.3). Il faut donc être un véritable spécialiste du dictionnaire pour effectuer une interrogation pertinente sur ce champ, n'engendrant ni bruit (parmi les réponses, certaines ne sont pas pertinentes), ni silence (des informations pertinentes n'ont pas été sélectionnées par la requête). Pour systématiser les informations, nous avons utilisé des attributs qui, associés aux éléments permettent non seulement de normaliser une information qui se présente sous plusieurs formes, mais aussi de coder explicitement une information implicite ou absente. Par exemple, nous avons introduit pour l'article DECISIF non seulement une balise <Gramgrp>, mais aussi une balise vide <Pos> (pour la partie du discours). À cette dernière, on associe un attribut Type qui prend la valeur « adj ». Cela permet d'effectuer une interrogation sur cet article à partir de la partie du discours (requête qui pourra intéresser l'historien de la langue), bien que cette information ne soit pas explicitement présente. Ce type de codage à l'aide d'attributs peut paraître à juste raison un peu redondant puisque dans la grande majorité des cas, l'information grammaticale est déjà fournie par le texte d'origine, mais comme il sera effectué semi-automatiquement à l'aide de transducteurs comme on le verra plus loin en 3.3, il ne sera pas trop lourd à effectuer. Nous préférons ce type de balisage aux « mots-clés métalinguistiques » proposés par T.R. Wooldridge et I. Leroy Turcan (Wooldridge & Leroy-Turcan 1996) [6] dans la mesure où cette méthode ne permet pas de repérer l'information implicite.
S'appuyer sur des indices formels permet de mettre au point des méthodes d'analyse rigoureuses et reproductibles d'une personne à l'autre. De nombreux champs informationnels (la typographie, la distribution des éléments dans l'article et les marques métalinguistiques) apparaissent suffisamment réguliers pour que l'on envisage d'automatiser partiellement le balisage en associant un ensemble de balises à des patrons prédéfinis. Le recours à des modèles informatiques de ce type présente de nombreux avantages. Il permet en effet :
Le modèle informatique que nous utilisons sont les automates finis. Ceux-ci peuvent être schématiquement définis comme des graphes qui décrivent des parcours possibles d'un état initial à des états finals.
Pour automatiser le balisage, nous décrivons les micro-langages qui apparaissent dans les articles : langage de l'entrée et des sous-entrées, langage de la zone grammaticale, langage de la zone décrivant le domaine, etc. Pour formaliser les automates décrivant les champs informationnels de l'article, nous utilisons l'outil INTEX qui a été élaboré au LADL par Max Silberztein (Silberztein 1993). Ce logiciel permet de reconnaître des automates finis et de manipuler des transducteurs (automates qui associent aux entrées des sorties) adaptés au langage naturel grâce à de très gros dictionnaires du français [7] (dictionnaires DELAS et DELAF du LADL [8]). Grosso modo, le logiciel permet de reconnaître des suites comportant des mots (fléchis ou non) et/ou des catégories grammaticales et d'assigner à ces « patrons » des étiquettes. C'est un produit facilement manipulable et très puissant.
Dans la figure 2, nous présentons un exemple de graphe permettant de reconnaître les parties grammaticales des entrées substantivales. Ce graphe est plus précisément un transducteur, c'est-à-dire un automate qui associe au parcours de chaque état une « sortie ». Le nud initial de l'automate est soit une esperluette, soit une virgule, soit un point. Le nud suivant est vide et produit sur sa gauche la chaîne « <GramGrp > » (la sortie). Ensuite, dès que la chaîne « s. », « subst. » ou « substantif » est rencontrée, la balise « <Pos Type=s> » est produite, quelle que soit la forme de surface. Puis, apparaît l'information sur le genre, d'ailleurs répétable, qui sera aussi normalisée à l'aide d'un attribut. Une information sur le nombre, principalement sur les pluralia tantum, peut aussi apparaître. Le transducteur fonctionne s'il a pu atteindre l'état final d'une façon ou d'une autre [9]. Dans cet exemple, comme on peut le voir Fig. 3, des chaînes comme « & s.m. » ou « substantif masculin pluriel. » seront reconnues, mais des chaînes comme « & s masculin » ou « .s .pl.» ne seront pas analysées par l'automate (dans le premier cas, il manquera un point ; dans le second cas, il manquera l'information sur le genre).
Fig 2 : Un exemple de transducteur pour les parties grammaticales des vedettes substantivales
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Fig 3 : Quelques exemples d'analyses à l'aide du transducteur de la Fig. 2
Dans l'état de nos travaux, des transducteurs ont été élaborés pour les entrées principales et les sous-entrées, la partie grammaticale et un sous-ensemble des marques de domaine. Nous envisageons d'étendre cette technique à d'autres champs informationnels tels que les citations, les renvois et les marques d'usage.
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Notes
1. Estelle Bultez, titulaire du Diplôme Européen de Lexicographie, et Anne-Lise Teneul, actuellement en maîtrise des Sciences du Langage à l'Université Lille 3.
2. On distinguera les normes, qui sont « un ensemble de règles d'usage, de presciptions techniques, relatives aux caractéristiques d'un produit ou d'une méthode, édictées dans le but de standardiser et de garantir les modes de fonctionnement, la sécurité et les nuisances » (Nouveau Petit Robert, 1993), des standards qui sont des conventions adoptées par une communauté, sans qu'un comité de normalisation ait présidé à leur conception. SGML est une norme internationale ISO, mais les recommandations de la « Text Encoding Initiative » ne constituent pas une norme.
3. La « Text Encoding Initiative » a été subventionnée par les associations et organismes suivants : Association for Computers and the Humanities, Association for Computational Linguistics, Association for Literary and Linguistics Computing, U.S. Endowment for the Humanities, Commission des communautés européennes (CEC/DGXII), the Andrew W. Mellon Foundation, the Social Science and Humanities Research Council of Canada.
4. Les attributs sont associés aux éléments et permettent d'affiner la description de ceux-ci. Par exemple, dans <Form Type=phrase><Orth>D'ABORD</Orth></Form>, <Form> et <Orth> sont des éléments qui isolent les parties textuelles, alors que Type=phrase (composé) est un attribut qui permet d'affiner l'information concernant les éléments.
5. Cet accès à une copie du texte original est prévu dans la base échantillon Académie (http://www.chass.utoronto.ca/~wulfric/academie/) et dans la base échantillon Nicot (http://www.chass.utoronto.ca/~wulfric/nicot/).
6. Les mots-clés métalinguistiques sont des marques conventionnelles correspondant à des listes de marques métalinguistiques apparaissant dans les dictionnaires. Ces éléments peuvent générer du bruit (des informations non pertinentes peuvent être extraites, par exemple, substantif qui peut renvoyer à une information qui ne concerne pas directement l'information grammaticale) et du silence (l'information qui n'est pas codée explicitement ne peut pas être repérée).
7. Les dictionnaires utilisés par INTEX sont adaptables à la langue et au lexique du XVIIIème. Ce travail peut être envisagé dans une seconde étape.
8. « Voir Les dictionnaires électroniques »,
Langue Française, Larousse, n°87, 1990.
9. Le symbole <E> permet
d'analyser des chaînes vides.