[O] Premier livre d'Architecture de
MARC VITRUVE POLLION, A CESAR
AUGUSTE.
PROEME DE L'AUTHEUR.
[LO] COnsiderant que vostre divine conduicte et majesté, o Cesar
Empereur alloit soubzmettant a sa puissance l'Empire universel du
Monde, et que par vostre vertu invincible {inuicible} subjugant
plusieurs ennemys, les Citoyens de Rome se glorifioient en voz
triumphes et victoires, mesmes que toutes nations surmontées au moyen
de voz louables conseilz et ouvertures, estoient promptes d'obeyr a
voz commandemens: je n'avoye pas la hardiesse entre tant d'occupations
de mettre en lumiere ces miens livres d'Architecture, a grand labeur
composez et mis en ordre, doubtant que par interrompre voz negoces, et
ne choisir le temps propice, j'offensasse vostre majesté. Mais apres
avoir advisé qu'elle n'a seulement le soing de la vie de chacun
Citoien, ensemble de l'administration de la Republique, ains aussi
bien de la commodité des Edifices publiques, pour faire que la Cité ne
soit, sans plus, par vostre pourchas amplifiée de pays et provinces,
mais avec ce, que la dignite de l'Empire puisse avoir souveraine
louenge {louuenge} en ses bastimens: j'ay pensé qu'il ne seroit
honneste de differer plus longuement a vous manifester ceste science,
a raison que par son moyen j'en fu premierement congneu de vostre
Pere: la vertu duquel me rendit plus affectionné pour luy en faire
profit et service. Dont a ceste heure que par le decret des Dieux il
est colloqué aux sieges d'immortalité, et son domaine escheu entre voz
mains: ceste mienne affection enracinée en sa memoire, a faict que je
me suis entierement dedié au service d'icelle vostre majesté, laquelle
me commanda prendre garde avec Marc Aurele, Publius Numidicus, et
Gneus Cornelius, a l'appareil des Arbalestes ou Bricoles, ensemble des
Scorpions ou Bacules, et au renouvellement des autres machines de
Guerre: a quoy je me suis tousjours rendu prompt et obeyssant: de
sorte que j'ay ordinairement, aussi bien comme ilz ont, esté payé de
mon estat. Et la premiere foys que vostre dicte majesté me le feit
delivrer, elle eut souvenance de la recommendation que sa Seur luy
avoit faicte en faveur de moy. A ceste cause congnoissant combien je
vous suis obligé pour une liberalité si grande, qui me rend asseuré de
n'avoir jamais povreté: je commenceay a vous escrire ces livres,
jugeant en mon esprit, qu'encores que vous ayez basty beaucoup de
maisons de belle marque, et en bastissez de present, mesmes que vous
aurez le soing de faire qu'il soit par cy apres memoire des Edifices
tant particuliers que publiques a l'occasion de {dé} leur grande
magnificence: je vous ay d'avantage pourtraict les figures perfectes,
afin qu'en les voyant puissiez quelque fois considerer voz oeuvres
premieres, et discerner en vostre sens, comment vous devrez gouverner
en celles que pourrez edifier a l'advenir: car je declaire en ces
volumes toutes les raisons et doctrines qui concernent cest art de
bien bastir.
PREMIER LIVRE
QUE C'EST QU'ARCHITECTURE, ET QUELE
doit estre l'institution des Architectes.
Chapitre premier.
[LO] ARCHITECTURE est une science qui doit estre ornée de plusieurs
disciplines, et diverses eruditions: car par le jugement de ceste la
sont examinez les ouvrages qui se font par tous Artisans, aussi elle
provient de fabrique, et discours, ou communication que les ouvriers
ont aucunesfois ensemble.
Fabrique, n'est autre chose que commune et continuele meditation de
l'usage: et ceste la se faict manuelement de toutes especes de matiere
qu'il est besoing de mettre en oeuvre: pour venir au poinct de la
formation. Discours est le moyen par lequel on peult monstrer et
donner a entendre comment les choses se doivent faire par industrie,
en gardant bonnes proportions.
Les Architectes donc qui se sont vouluz exerciter aux oeuvres
manueles, sans avoir congnoissance des lettres, n'ont sceu tant faire
par leurs labeurs, qu'ilz ayent acquis grande reputation: ny les
autres aussi qui se sont arrestez aux lettres seules, ou
demonstrations par paroles: car ilz ont (ce semble) suyvy l'umbre et
non le neu de la besongne. Mais ceulx qui ont eu l'un et l'autre,
comme gens garniz de toutes armes, sont plustost, et avec plus grande
reputation, parvenuz au but de leur entente: a raison qu'en toutes
choses, et par especial en Architecture, il y a deux poinctz
principaulx et necessaires, asavoir ce qui est signifié, et la matiere
qui signifie. Or ce qui est signifie, est la chose proposée dequoy
l'on parle: et ce qui signifie, est une demonstration expliquee par
bonnes doctrines. A ceste cause il semble que celuy qui veult faire
profession d'Architecture, doit estre exercité en chacune de ces
parties: et pourtant est requis qu'il soit de bon entendement, et
docile en toutes disciplines: d'autant que l'entendement sans
doctrine, et la doctrine sans bon jugement, ne sauroient faire un
perfect Architecte.
Il est doncques besoing qu'il soit lettré, expert en pourtraicture,
savant en Geometrie, non ignorant de Perspective, bien instruict en
Arithmetique, ayant congnoissance de plusieurs Histoires, diligent en
la lecture des Philosophes, exercité en Musique, practiq en Medecine,
et aux traditions des Jurisconsultes, puis tant usité en Astrologie,
qu'il ayt intelligence du cours et mouvement des Cieulx.
Les causes qui me meuvent a luy desirer ces particularitez, sont,
qu'il fault avant toute oeuvre, qu'il ayt des lettres, afin que par
lire souvent les bonnes choses, il puisse rendre sa memoire plus
ferme.
Il est besoing qu'il sache bien pourtraire, {poutraire} a ce que par
ces deseingz ou figures, luy soit loisible de representer toute forme
d'ouvrage a ceulx que bon luy semblera.
Au regard de la Geometrie, elle fait plusieurs grans secours en cest
endroict: car par la bonne disposition des lignes, elle apprend
l'usage du compas, au moyen duquel sont plus a l'ayse expediées les
descriptions des Edifices sur les terrasses ou plattes formes: et s'en
font plus justement les conduictes et directions des traictz, pour les
reduire a Regle et a Nyveau.
Par la Perspective l'Architecte entendra comment il fault avec bonne
raison donner le jour a ses edifices, et le faire venir de certaines
parties du Ciel.
Et au moyen de l'Arithmetique saura dresser le compte de tous les
fraiz d'un bastiment: puis avec les methodes ou brieves
narrations de Geometrie, pourra exposer la raison des mesures,
ensemble les questions difficiles concernantes les symmetries.
Mais ce qu'il fault qu'il sache beaucoup d'histoires, est pource que
souventesfois les Architectes designent plusieurs enrichissemens en
leurs oeuvres, dont ilz doivent rendre raison quand on leur demande
qui les a meuz de ce faire: Comme si quelq'un en lieu de colonnes,
mettoit des statues de marbre portant representation de femmes
vestues, que lon nomme Caryatides, et posoit sur leurs testes des
Modillons et Cornices: si lon luy demandoit qui le meut, il pourroit
respondre en ceste sorte:
Carya ville de Peloponnese, ou selon aucuns de la Moree region
d'Asie la mineur, feit jadiz alliance avec les Persans communs ennemys
de la Grece: parquoy les Grecz estans retournez victorieux de ceste
entreprise, et a leur singulier honneur delivrez de ce grand danger,
d'un commun accord denoncerent la guerre aux Caryens: puis leur ville
prise a force d'armes, les hommes meurdriz sans aucune mercy, et la
ville entierement razee, les vainqueurs emmenerent femmes et filles en
servitude, et ne leur voulurent permettre de despouiller leurs habitz
de dames, afin qu'elles ne feussent menees en un seul triumphe, ains
pour eternel exemple de captivité, estant chargees d'injures et
opprobres, feussent veues porter la peine de leurs parens, alliez, et
mariz. A l'occasion de quoy, ceulx qui pour le temps d'adonc estoient
Architectes, meirent en leurs edifices publiques les images de ces
dames comme destinees a supporter le faix, afin que la punition du
forfaict des Caryens, feust congneue, et serveist d'exemple a toute la
posterité.
Colonnes Caryatides.
[FIGURE]
CHAP. II.
[LO] LE peuple de Lacedemone n'en feit moins aux Persans: consideré
qu'apres que son capitaine Pausanias natif d'Agesipoli, aiant en la
campagne de Platea mis en route une infinité d'iceulx Persans avec
petit nombre de Grecz, et qu'il en eut triumphé en grande louenge de
victoire: ces Lacedemoniens dresserent dans le portique, gallerie, ou
promenoer nommé Persique, un trophee des despouilles de leurs ennemys,
pour exalter la vertu de leurs citoiens, et donner congnoissance de
tele victoire a ceulx qui viendroient apres eulx. A ceste cause ilz y
meirent les remembrances des vaincuz ornees et pompeuses
d'accoustremens barbares: et pour mieux donner a entendre que
l'orgueuil pernicieux estoit puny de peine convenable, les ordonnerent
a soustenir les couvertures des maisons: voulans que le reste des
ennemys ainsi chastiez, eussent horreur des forces de Lacedemone: et
que les habitans du pays voyans l'exemple de si grande vertu, feussent
elevez en gloire, et tousjours appareillez a defendre leur liberté.
Voyla d'ou est venu que plusieurs Architectes ont mis des statues
Persanes a soustenir les epistyles, c'est a dire architraves et autres
ornemens d'edifices: et de cela ont esté augmentees plusieurs belles
diversitez dans les ouvrages, dont fault necessairement que
l'Architecte ayt congnoissance pour son devoir.
Colonnes Persanes.
[FIGURE]
CHAP. III.
[LO] AU regard de la philosophie, elle rend l'Architecte plus
consommé, de hault courage, mais non pas arrogant, ains traictable et
modeste, juste, loyal, et sans tache d'avarice, qui est un poinct
singulier entre les autres: car (a la verité) nul ne sauroit faire un
oeuvre en perfection, s'il n'est fidele, et pur de conscience.
IL ne fault point aussi qu'il soit ambitieux, ny ententif a recevoir
presens, mais qu'avec une meure gravité il contregarde sa reputation,
et cherche d'acquerir bonne renommee. Voyla que veult philosophie:
laquelle oultre toutes ces particularitez luy fait entendre la nature
des choses, que les Grecz nomment physiologie, et qu'il est force a un
tel homme de savoir, pource qu'elle fait souldre plusieurs et diverses
questions natureles, qui surviennent aucunesfois de la conduicte des
eaux, qui en leurs cours tiennent des voyes toutes contraires les unes
aux autres, veu qu'elles coulent autrement par les plaines qu'a
travers les pays montueux. Chose qui vient seulement par les
impulsions des espritz naturelz, aux violences desquelz nul ne sauroit
mettre remede, s'il n'a par la philosophie congneu les principes des
choses. Et qui liroit les livres de Thesbias, Archimedes, et autres
qui ont escript de matieres semblables, il ne sauroit accorder avec
eulx, s'il n'est preallablement institué en ces speculations au moyen
de la philosophie.
IL fault aussi que l'Architecte entende la Musique, afin qu'il
congnoisse la raison reguliere et la valeur des quantitez, telement
qu'il en puisse faire bien et adroit les temperatures des Arbalestes
ou Bricoles, Fondes, Bacules, et autres instrumens de traict: car en
leurs boutz a dextre et a senestre sont les pertuys ou coches a
semitons, par ou les cordages de nerfz entortillez sont bandes a leurs
chevilles, et ne les arreste lon aucunement jusques a ce qu'on les ayt
tant montez, qu'ilz rendent certains sons egaux, aggreables aux
oreilles de l'enginier. adonc les braz ou branches de leurs arcz qui
se cambrent quand on les tend, doivent en un mesme instant et tout
ensemble jetter le traict quand on les delasche. et s'ilz n'estoient
tirez aussi fort l'un que l'autre, jamais ne pousseroient leur charge
ainsi droict comme il est necessaire. Pareillement fault que les
vaisseaux d'arain qui se mettent aux chambrettes voultees soubz les
degrez des Theatres, y soient assiz par raison de Mathematique, a ce
que les differences des tons (que les Grecz nomment Echeia) soient
accordantes aux harmonies et doulx accens de Chantres, et que le
Diatessaron, Diapente, et Diapason, soyent divisez justement au
compas, si que la voix s'espandant par la Scene, puisse resonner en
dispositions convenables, de sorte qu'en rencontrant ses objectz, elle
s'accroisse et amplifie, se rendant neantmoins plus claire et plus
doulce en entrant dedans les oreilles des assistans.
Un ouvrier ne sauroit semblablement faire des machines hydrauliques,
c'est a dire engins mouvans et resonans en l'eau, ny autres semblables
a leurs organes, s'il ne scait les raisons de Musique.
Il fault davantage qu'il congnoisse quelque chose en Medecine, a ce
qu'il sache discerner les regions du ciel, que les Grecz appellent
climatz, et par especial le bon ou mauvais air des contrees, pour
juger lequel est salutaire ou dangereux: et que par une mesme voye il
discerne de queles eaux les habitans devront user ou non: car s'il n'a
toutes ces particularitez en soy, jamais ne pourra ordonner
bastiment ou il face bon demourer.
Oultre plus est de necessité qu'il ayt quelque intelligence des
loix, pour savoir decider comment il fault bastir les murailles des
edifices qui sont communes ou moytoyennes: aussi pour asseoir les
gouttieres, ordonner les receptoires des immundices, et bien percer
les fenestrages. Avec ce il est besoing qu'il entende le cours des
eaux, et toutes les choses concernantes ceste practique, afin qu'avant
commencer a bastir, il prenne garde a ne mettre les voysins en proces
quand sa besongne sera toute achevee: mesmes que par la prudence des
loix il garde d'entrer en debat le proprietaire et son locatif. chose
qui sera facile a faire, pourveu que les conventions d'entr'eux soient
si loyalement escrites, que l'un ne puisse estre trompé ny circumvenu
de l'autre.
Par les canons d'Astrologie l'Architecte congnoistra l'Orient,
l'Occident, le Septentrion, le Mydi, les mouvemens du Ciel,
l'Equinocce, le Solstice, et les cours des Estoilles. Et s'il estoit
ignorant de ces choses, jamais ne sauroit avenir a justifier les
Quadrans et Horloges.
Puis donc qu'il fault que ceste Architecture soit ornee de tant
d'eruditions si diverses, je ne me sauroye persuader qu'a bon droit un
homme se puisse nommer Architecte en peu de temps, si ce n'est que des
son enfance il soit allé montant l'un apres l'autre, par les degrez de
ces disciplines, acquerant l'intelligence de plusieurs sciences et
artz, si bien, qu'il ayt peu parvenir au souverain temple
d'Architecture.
Mais (a mon advis) il pourra sembler estrange et merveilleux aux
gens peu experimentez, qu'un homme naturel puisse aprendre et retenir
en sa memoire un si grand nombre de doctrines. Toutesfois quand ilz
viendront a considerer que tous les artz ont certaine affinité et
communication parensemble, lors pourront facilement croire que cela
est faisable et possible, veu mesmement que l'Encyclopedie (ou
doctrine circulaire) est ne plus ne moins comme un corps composé de
tous ses membres: et de la vient que ceulx qui sont de leur jeune aage
instruictz en sciences diverses, congnoissent par mesmes characteres
les elemens de toutes les doctrines, et par ce poinct viennent plus
aisement a l'intelligence des choses. A ceste cause entre les vieulx
Architectes Pythius, qui en la ville de Priene edifia magnifiquement
le temple de la deesse Minerve, dict en ses commentaires, qu'il fault
que l'Architecte puisse plus faire en toutes disciplines, que ceulx
qui par leurs exercitations et industries ont amene les choses une a
une a la lumiere ou lon les voit de present. Ce neantmoins je ne veuil
dire qui l'Architecte doive ou puisse estre aussi perfect Grammarien,
que jadis fut Aristarchus: mais pour le moins qu'il ne soit sans
Grammaire. Je ne preten aussi qu'il soit tel Musicien comme
Aristoxenus, ains qu'il entende la Musique. Et ne requier pas en luy
qu'il soit autant excellent en paincture, que jadis estoit Apelles:
mais qu'il saiche assez bien pourtraire. Je ne desire semblablement
qu'il besongne aussi bien de stuc ou incrustature, que Myron ou
Polycletus: mais qu'il en congnoisse passablement la practique. De
rechef je ne cherche pas qu'il soit fondé en medecine autant que fut
jadis Hippocrates, ains qu'il en tienne les principes. Et ne quier
pour conclusion qu'il soit en toutes les doctrines homme excellent, ou
singulier sur tous autres, mais que du moins il y entende quelque
chose: pource qu'il n'est creature vivante, qui en tant et si grandes
diversitez puisse attaindre a la perfection, consideré mesmement qu'il
ne tumbe en puissance humaine de povoir congnoistre et percevoir
seulement leurs termes et propos communs. Dont ne fault dire que
les Architectes seulz entre les mortelz ne peuvent en toutes choses
parvenir au souverain degré: car ceulx la mesmes qui separement font
profession d'un art, si bien qu'ilz en practiquent les proprietez, ne
peuvent tant faire qu'ilz puissent parvenir a en avoir louenge unique.
A ceste cause si aux doctrines separees les artistes qui s'y
emploient, non pas tous, mais certain petit nombre, peuvent par le
cours de leurs vies a grand peine acquerir le bruyt de bons ouvriers:
comment pourroit un Architecte, qui doit estre meslé de beaucoup de
sciences, se faire grand et admirable en toutes, si bien qu'il n'y ait
que redire, ains surmonte tous autres artisans, encores qu'ilz ayent
continuelement employé leurs estudes en doctrines distinctes, et mis
une extreme diligence a en savoir ce qu'il en fault? Il est maintenant
bon a voir que Pythius a failly en sa tradition, pource qu'il n'a bien
regardé que tous les artz sont composez de deux choses, asavoir de
l'oeuvre, et de son discours: desquelles fault necessairement que
l'une soit propre a ceulx qui s'exercitent en une seule science: et
cela est ou l'effect de l'ouvrage, ou l'autre, qui est commune a tous
hommes doctes, que j'ay desja dicte, discours: comme seroit entre les
Medecins et les Musiciens, quand les uns parlent du poulx des veines,
et les autres des temps de leurs mesures. Ce neantmoins s'il fault
medeciner une playe, ou tirer un patient de peril, le Musicien n'en
fera pas l'office, pource que c'est le propre du Medecin: lequel en
semblable pour donner plaisir aux oreilles par la doulceur de ses
chansons, ne rendra pas melodie de sa voix, mais sera le Musicien.
Pareillement il y a dispute commune entre les Astrologues et iceulx
Musiciens, fondee sur la sympathie ou convenance des estoilles, et la
symphonie ou modulation des accens, en quadratz, trigones,
diatessaron, et diapente. Puis encores y a controverse entre les
Geometriens et les dessus nommez Astrologues sur le poinct de la veue,
qui est dict par les Grecz Opticos, c'est adire Perspective. et ainsi
en tous autres savoirs: car toutes choses, ou la pluspart, sont
communes seulement en termes de dispute: mais les principes des
ouvrages qui par l'artifice de la main ou ordonnances de l'ouvrier
doivent parvenir au poinct de beaulté, sont propres et particuliers a
ceulx qui sont instituez en l'art, si bien qu'ilz savent par ou en
venir a bout. Cestuy la donques semble avoir assez faict, qui a
moyenne congnoissance des doctrines, chacune en son endroit, ensemble
de leurs raisons et parties, specialement de celles qui sont requises
pour l'Architecture, afin que s'il est besoing de juger ou prouver
quelques choses qui concernent cela, il ne faille comme ignorant: car
ceulx a qui nature a tant donné d'industrie, vivacité d'esprit, et
fertilité de memoire, qu'ilz peuvent avoir perfecte congnoissance de
Geometrie, Astrologie, Musique, et toutes autres disciplines, telz
certainement passent le but d'Architectes, et deviennent
Mathematiciens: de sorte qu'il leur est loysible de disputer a
l'encontre des sciences, pource qu'ilz sont armez et bien garniz de
plusieurs bastons pour offendre et defendre. Mais lon en treuve peu de
ce qualibre, a tout le moins qui soient semblables a Aristarchus de
Samos, a Philolaus et Archytas de Tarente, a Apollonius de Pergame, a
Eratosthenes de Cyrene, a Archimedes et Scopinas de Syracuse, et
autres grans personnages qui ont laissé a la posterite plusieurs
instrumens organiques et gnomoniques inventez par force de nombres, et
depuis expliquez par raisons natureles. Puis donc que telz entendemens
ne sont par la nature concedez ordinairement a tous hommes, mais
seulement a peu de gens, et que l'office de l'Architecte est d'estre
moyennement exercité en toutes especes de disciplines, mesmes
que pour l'amplitude et grandeur de la chose, raison ne veult que
l'homme s'efforce d'attaindre a la sublimité des artz, ains se
contente d'y tenir le moyen: je vous requier, o Cesar, et tous autres
qui lirez ces miens livres, qu'il me soit pardonné si lon y treuve
quelques choses non distinctement declarees suyvant les reigles de
Grammaire: car je ne me suis mis a les escrire comme Grammarien
exercité, ny ainsi que grand Philosophe, ou Rhetoricien bien emparlé,
mais comme Architecte enrozé seulement de ces doctrines. Toutesfois je
prometz par ces volumes de faire entendre non seulement a ceulx qui
bastiront, mais aussi bien a tous hommes de savoir, quele est la force
de ceste practique, et en quelz termes on en doit proprement parler,
esperant que je donneray a mes escriptz asses force et authorité par
raisons et demonstrances infallibles.
De queles choses est composee Architecture.
Chap. IIII.
[LO] ARchitecture donc est composee d'ordonnance, que les Grecz
appellent Taxis: de disposition aussi par eulx nommee Diathesis:
d'Eurythmie, c'est a dire bonne convenance des parties d'un bastiment:
de Symmetrie, qui signifie proportion et mesure: puis de decoration et
distribution, laquelle semblablement parmy ces Grecz est dicte
Oeconomie.
Or n'est ordonnance autre chose fors une commodité des membres de
l'ouvrage, et un gect ou modelle faict apart correspondant en
symmetrie a toute la masse du bastiment: et cela se compose de
quantité, que les Grecz disent Posotis.
[FIGURE]
Quantité est un effect convenant a la grandeur et largeur de
tout le corps de l'oeuvre, et a toutes les particularitez des membres.
Disposition est une bonne et raisonnable collocation d'iceulx
membres, et un moyen qui donne grace a toute qualité d'ouvrage. Les
especes de ceste disposition, qui sont dictes en Grec Idées, sont
celles dont les noms ensuyvent, Ichnographie, Orthographie,
Scenographie.
Ichnographie donques est l'usage ou practicque de la regle et du
compas, par laquelle on faict sur le plan ou terrasse les descriptions
et lineamens des plattes formes.
[FIGURE]
Ortographie est la representation de la figure ou relief du
bastiment, pour demonstrer quel et comment il doit estre.
[FIGURE]
Puis Scenographie est l'adumbration ou renfondrement avec la
racourcissure du front et des costez d'un Edifice, faicte par lignes
qui respondent toutes a un Centre et cela se nomme communement
Perspective.
Toutes ces especes naissent de la vertu Imaginative, et de
l'invention de l'homme.
Or est imagination un soing esmeu par desir affectionné, qui
apres avoir bien exercite la pensée et l'industrie, acquiert souverain
contentement, si l'effect de la chose proposée s'en peult ensuyvir
ainsi que lon desire.
Mais invention est laisclaircissement des difficultez obscures, et
raison manifeste de la chose nouvellement trouvée par la vigueur de
l'Ame mouvante. Voyla que les sont les fins de ces dispositions. Puis
pour determiner les autres.
Eurythmie est une belle espece et commode representation de la
structure des membres: et ceste la se faict quand les particularitez
correspondent a toute la masse, par especial la haulteur a la largeur,
et la largeur a la longueur, comme lors que toutes choses conviennent
en bonne proportion.
Symmetrie {Symmetiere} est un consentement et concordance des
membres particuliers de l'oeuvre, et pour mieulx dire, correspondance
d'iceulx, distinguez d'avec la totalité de la masse: comme lon voit au
corps de l'homme, que le bras, le pied, la main, les doys, et toutes
les autres parties ont leurs offices chacune a part, dont elles
s'entr'aident pour le bien et service de la personne. Cela pour vray
s'appelle Symmetrie, {Symmetiere} laquelle doit estre gardée en la
perfection des oeuvres, mais specialement en la fabrique des Temples
sacrez, ou il fault prendre garde a la convenable grosseur des
colonnes, au Triglyphe, a l'Embater, ou trou de l'Arbaleste, que les
Grecz appellent Peritriton, et qui dans les Navires est par noz Latins
appellé Interscalmium, et par les Grecz dipichaice, qui signifie la
juste distance laissée entre les avirons: et ainsi en tous les autres
membres par lesquelz se treuve la raison de la Symmetrie.
Decoration est la belle apparence de l'oeuvre, composée de choses
bien approuvées, et avec bonne authorité. Ceste decoration se faict en
eslisant la situation d'un lieu que les Grecz disent Thematismos, ou
par coustume, ou par Nature. Et pour donner exemple de ceste
situation, c'est quand les Edifices pour Jupiter, pour son Fouldre,
pour le ciel, pour le Soleil, ou pour la Lune, sont bastiz a
descouvert et a l'air, a raison qu'en ce Monde inferieur nous voyons
les especes et effectz de ces Dieux, manifestement et a veue d'oeueil.
Mais quand lon edifie a la facon Dorique pour Minerve, Mars, ou
Hercules, il fault que ce soit sans mignotize: autrement cela
repugneroit a la force et vertu de leurs divinitez. Si c'est pour
Venus, Flora, Proserpine, ou quelques Nymphes de Fontaines, qu'il
faille edifier des Temples, ilz requierent la mode Corinthienne,
d'autant qu'elle en ses proprietez est garnie des delices convenables
a ces Deesses, veu mesmement que pour exprimer leurs natures
delicates, on fait toutes ses parties plus simples et moins fortes que
les precedentes, et d'avantage lon les orne de fleurs, feuillages,
volutes ou tortillemens, en quoy la grace et juste decoration est
observée. Si c'est a Juno, a Diane, a Bacchus, et autres semblables,
lon leur fera des temples Ioniques, afin de tenir le moyen: car
l'ordre Ionique temperera aucunement la severité du Dorique, et la
mignardise de celuy de Corinthe: et par ainsi sera entretenue bonne et
vraye proprieté. Mais ou il fault accommoder le bastiment a l'usage:
la decoration se faict quand les parties interieures sont magnifiques
et les avantportailz convenables, monstrans une belle apparence: car
si le dedans du logis estoit triumphant, et l'entrée povre ou mal
honneste, il n'y auroit point de decoration. Pareillement si dedans
les Architraves Doriques, specialement en leurs Cornices, l'ouvrier
mettoit des Modillons ou Dentilles: ou bien si dedans les chapiteaux
Ioniques pulvinez, autrement garniz de coyssins, ou dedans leurs
Architraves, il entailloit des Triglyphes, transferant sans raison les
proprietez d'un ouvrage a l'autre, la veue en seroit offensee,
et diroit on qu'il vouldroit amener des coustumes toutes nouvelles.
Quant a la decoration naturele, elle sera bien poursuyvie, si en la
situation de tous temples on prend garde que les regions soient
salutaires, et qu'il y ait des fontaines d'eau vive: principalement si
c'est pour Esculapius, pour la Santé, et autres puissances par la
vertu desquelles on voit guerir plusieurs maladies: car quand ce vient
a transporter les personnes attainctes de perplexitez, d'un lieu
infect en un air salutaire, mesmes ou lon a grand usage de bonne eau
de fontaines courantes, il n'y a point de doubte que les langoreux en
retournent plustost en convalescence: qui fait que ces Deitez
augmentent par la nature du lieu, les opinions du populaire, telement
qu'on les en tient en beaucoup plus grande reverence, que lon ne
feroit autrement.
Ce sera davantage la decoration de Nature, si pour Chambres et pour
Estudes on recoit le jour de la part d'Orient: pour les Estuves, et
demeures d'yver, de l'Occident: pour Garderobes, et autres places ou
est requise une lumiere egale, du Septentrion, a cause que celle
partie du Ciel n'est jamais plus claire ny plus obscure par le cours
du Soleil, mais demeure certaine et immuable, gardant tousjours sa
lumiere en mesme estat, sans varier.
Au reste, distribution est une certaine administration tant du lieu
que de la matiere, et une temperance modeste a l'endroict des fraiz de
l'ouvrage. Ceste la sera bien conduitte, si l'Architecte ne demande
les choses que lon ne peult recouvrer, ou qui coustent trop a mettre
en oeuvre: car il ne se treuve par tout de l'Arene de fosse, du
Cyment, de l'Avet, du Sapin, ny du Marbre en abondance, mais une chose
en un pays, et l'autre en l'autre: qui fait que les fraiz en sont
excessifz, et encores n'en a lon pas a son aise. Parquoy en default
d'Arene de fosse lon peult user de Sable de Riviere, ou de Greve
marine, pourveu qu'elle soit diligemment lavee: et ou lon n'auroit de
l'Avet, ou du Sapin, prendre du Cypres, du Pouplier, de l'Orme, du
Pin, ou semblables, et s'en aider a son affaire. Encores sera ce un
autre degré de distribution, si on elieve les edifices des peres de
famille autant seulement que leur argent se peult estendre, et non
plus, y gardant une majesté d'ouvrage conjoincte avec belle apparence:
car il fault autrement bastir les simples maisons de ville, que celles
de ceulx qui ont rentes de leurs possessions champestres: et ne fault
pas que celles des Publicains, Changeurs, et autres qui prestent a
usure, soient comme les logiz des Gentilzhommes, et autres personnages
vivans en delices. Mais pour les principaux du peuple, par le conseil
et ordonnance desquelz la Republique est gouvernee, lon bastira selon
qu'il est requis a leurs qualitez: prenant sur toutes choses garde a
ce que les distributions soient bien commodes a toutes manieres de
personnes.
DES PARTIES D'ARCHITECTURE EN LA DISTRIBUTION
des bastimens publiques et privez: puis de la raison Gnomonique, c'estadire
reguliere ou demonstrative, ensemble de la manifacture. Chap. V.
[LO] IL est trois parties d'Architecture, asavoir Edification,
Regularité, et Manifacture.
L'edification est divisee en deux pars, dont l'une concerne la
collocation des murailles et des oeuvres communes qui se bastissent en
lieux publiques.
L'autre dicte Gnomonique ou reguliere, est l'ordonnance des
edifices particuliers. Mais ou il est question des publiques,
necessairement fault qu'il y ait trois distributions, dont la premiere
est pour la defense de la ville, la seconde pour les Eglises et
maisons de Religion, et la tierce pour la commodité des habitans.
Celle qui est pour la defence, consiste en la bonne collocation des
murailles, ensemble des tours et des portes. Ceste la fut inventee
pour repousser les assaultz et impetuositez des ennemys.
L'autre appartenante a la Religion, est celle qui comprend les
contours des edifices ou temples dediez aux Dieux immortelz, avec les
autres maisons sacrees.
Puis la troysieme servant a l'usage du Commun, est la disposition ou
bonne ordonnance de tous les lieux publiques, comme sont portz,
halles, portiques ou places a se promener, baingz, estuves, theatres,
et autres semblables, qui pour appartenir a l'utilité du populaire,
sont destinez en lieux communs. Ceulx lá se doivent faire en sorte
qu'ilz soient fermes, durables, et plaisans a la veue. Sans point de
faulte ilz ne sauroient estre que bien solides, si lon cave les
fondemens jusques au tuf, ou lict de terre ferme, et si lon fait bonne
et curieuse election {electiom} de la matiere que lon y devra mettre,
sans l'espargner par avarice.
Ilz seront utiles et durables, si leur disposition ou assiette est
si sagement ordonnee, qu'ilz n'empeschent aux autres places qui sont
en usage, et si leur distribution est tele, que chacun d'eulx soit mis
en quartier ou region propre a sa qualité.
Pareillement ilz se monstreront beaux, si la facon de leur ouvrage
est agreable aux regardans, et que la mesure des membres ait ses
justes raisons de symmetrie.
DE L'ELECTION DES LIEUX SALUTAIRES. QUE
les choses nuysent a la santé, et de queles parties du Ciel fault recevoir
dans les maisons la lumiere du jour.
Chap. VI.
[LO] AVant que commencer les murailles, premierement est
besoing d'elire un lieu propre et salutaire. Mais pour le mieux
specifier, je dy qu'il le fault un petit relevé, comme sur un tertre,
non en gros air, ny subgect a bruynes, mais regardant les regions du
ciel non trop chauldes, ny trop froides, ains temperees: semblablement
non voysin de maraiz: car quand les petitz ventz du matin, qui se
lievent avec le Soleil, parviendront jusques a la ville, et les nuees
yssues des Vapeurs, se seront joinctes avec eulx, mesmes que les
alaines infectes des bestes marecageuses, meslees avec ces nuages,
viendront a rencontrer les corps des habitans, elles les rendront
subgectz a grieves maladies. Pareillement si lesdictz murs sont situez
au long de la marine, et qu'ilz regardent vers Mydi ou Occident, ilz
ne seront point salutaires, a cause que durant l'esté, la partie
meridienne du Ciel se commence a eschauffer des que le Soleil se
lieve, et brule environ le Mydi. Mais celle qui regarde a l'Occident,
se faict tiede au lever du Soleil, s'eschauffe sur le Mydi, et brule
presque sur le vespre. Ainsi par les mutations de chaleur et froidure,
les corps residens en ces lieux, sont molestez et corrompuz. Cela
peult on asses congnoistre par les choses inanimees: car aux celliers
ou caves ou lon garde le vin, il n'y a personne qui face les
souspiraux ou conduictz des lumieres, du costé de Mydi, ny d'Occident,
mais de Septentrion, pource que ceste partie du Ciel n'est jamais
subjecte a mutations (comme dict est) ains tousjours immuable, et en
un mesme estat. Aussi les greniers qui regardent au cours du Soleil,
changent soudain leur bonté. Mesmes les fruictz et viandes qui sont
mises en la region du Ciel opposite au cours dudict Soleil, ne se
gardent gueres longuement, a raison que toutes et quantes fois que la
chaleur est en force, elle diminue la vigueur des choses aeriennes de
nature: et dessechant les vapeurs chauldes (qui sont leurs vertuz
natureles) fait qu'elles viennent a se dissouldre et consumer. puis
quand elles se mollifient, peu a peu se rendent imbecilles, et en fin
de nulle valeur: comme lon peult veoir par le fer: car non obstant
qu'il soit dur de nature, s'il est chauffé dedans une fournaise, il
deviendra si malleable par la vapeur penetrante du feu, que lon le
pourra facilement forger en toutes formes pendant qu'il sera mol et
ardant. mais si lon le laisse refroidir, ou qu'on le trempe dans l'eau
froide, il se rendurcira, et retournera incontinent en sa premiere
proprieté. Lon peult aussi congnoistre qu'en la saison d'Esté toutes
creatures sont par le chault rendues lasches et debiles, non seulement
aux lieux mal sains, mais aux salutaires, et de bonne temperature: et
en yver les contrees dangereuses et subjectes a maladies, se font
saines, et de bonne habitation, pour autant qu'elles sont restrainctes
et consolidees par le froid. A ceste cause les corps qui se
transportent de pays froidz en regions chaudes, n'y peuvent durer,
mais y fondent et diminuent peu a peu: ou ceulx qui vont des chaudes
aux froides et Septentrionales, non seulement ne sont malades par le
changement de l'air, ains en deviennent plus sains et plus gaillardz.
Qui vouldra donc convenablement faire son assiette de murailles, il se
devra garder sur toutes choses de les mettre en lieux qui peuvent
battre les habitans de vapeurs chaleureuses, a raison que estant les
corps des hommes composez de chaleur, humidité, terre, et air, que les
Grecz en un seul mot appellent Stoicheia, c'est adire commencemens de
tout, et que par ces mixtions avec temperature naturele sont toutes
qualitez d'animaux formees en ce monde, chacune selon son espece:
quand par fois la chaleur est excessive en aucun de ces corps, elle
tue la creature, dissolvant et annichilant par sa vehemence toutes les
autres parties de la premiere composition. Or est il que le Ciel
extremement chault en aucunes contrees, est cause efficiente de ce
mal: car il penetre par les pores, autrement ouvertures des veines,
plus qu'il ne seroit convenable, et dissipe les mixtions faictes par
temperature naturele. Pareillement si l'humeur trop abondant vient a
occuper les concavitez des veines, tant qu'il les rende enflees et mal
pareilles, tous les autres commencemens sont suffoquez et noyez par la
corruption de ceste liqueur excessive, en sorte que les vertuz de la
composition sont dissoultes et confondues. Aussi (certes) advient il
beaucoup d'inconveniens aux personnes tant par les refroidissemens des
humeurs, que par les changemens ou du vent, ou de l'air: et par mesme
voye, quand les compositions aerienne et terrestre se viennent a
augmenter ou diminuer en un corps naturel, car cela debilite tous les
autres principes, asavoir la terrestre par la repletion des viandes,
et l'aerienne par une trop pesante disposition du Ciel.
Si donc quelq'un se delecte a considerer plus subtilement ces
choses, Je suis d'avis qu'il examine la nature des poissons, oyseaux,
et bestes vivantes en la terre: et en ce faisant il verra les
differences des temperatures, mesmes que l'espece des oyseaux a sa
mixtion propre, celle des poissons la sienne, et les bestes terrestres
une autre toute differente. Qu'il soit vray, les oyseaux en leur
composition ont beaucoup d'air, peu de terre, moins d'humidité, et de
la chaleur temperement: qui fait que le voler leur est facile parmy
l'impetuosité de l'air, comme estant composez de subtilz et legiers
principes. Les poissons ont une chaleur temperee, beaucoup d'air,
beaucoup de terre, et bien petite portion d'humeur. Ainsi d'autant
qu'ilz en ont moins, d'autant durent ilz plus aisement en l'eau: et de
la vient que quand on les attire a terre, ilz perdent la vie quant et
l'humidité. Mais pour dire des bestes terrestres, leurs principes sont
temperez d'air et de chaleur. Elles ont peu de terre, et force
humidité: qui est cause qu'elles ne peuvent gueres vivre en l'eau. Or
puis que ces choses sont teles comme nous les avons ja deduittes, et
que les corps des animaux se treuvent composez des principes que leur
avons assignez, si bien qu'ilz souffrent merveilleusement, voire
jusques a dissolution, quand ilz ont faulte ou trop grande abondance
d'aucune de ces parties: je ne doubte point qu'il ne faille chercher a
toute diligence d'habiter en lieux qui ayent le Ciel bien temperé,
aumoins si nous voulons demourer sains dedans l'enclos de noz
murailles. Et pour ce faire, fault tascher a revoquer la raison des
antiques, lesquelz apres avoir sacrifié des bestes qui pasturoient aux
lieux ou ilz vouloient fonder leurs demourances, ou asseoir pour
quelque temps leurs Tentes et Pavillons en passant pays, ilz
regardoient les entrailles de ces bestes: et si les premieres se
monstroient comme meurdries ou corrompues, incontinent en sacrifioient
d'autres, pource qu'ilz ne savoient a la verité si les foyes et
intestins estoient interessez par maladie, ou vice du pasturage. Ainsi
apres avoir faict plusieurs de ces espreuves, s'ilz venoient a trouver
la disposition d'icelles entrailles saine, et non corrompue par l'eau,
ny par le pasturage, ilz faisoient lá leurs stations. Mais si par
indice apparent ilz les trouvoient gastees, s'en alloient chercher
autre demeure, jugeans qu'il en pourroit autant advenir aux corps
humains par la mauvaise nature des eaux et pasturages norrissans les
bestes dont ilz auroient a prendre leur substance. Voyla qui les
faisoit changer contrees, pource que sur toutes choses ilz desiroient
a vivre en bonne santé. Or que lon puisse juger de la proprieté de la
terre par les pastures et viandes qui en proviennent, cela se preuve
par aucunes campagnes de Crete, voysines du fleuve Pothere, lequel
passe entre deux citez, asavoir Gnosos, et Cortyne: car d'une part et
d'autre de ce fleuve plusieurs troupeaux de bestes y pasturent: et
celles qui sont du costé de Gnosos, ont bien de la rate en leurs
entrailles: mais les autres de la part de Cortyne, n'en ont ne peu ne
point, au moins qui apparoisse. A ceste cause les Medecins enquerans
du motif de cest effect, trouverent une herbe en ce lieu, laquelle
estant mangee par les bestes, leur faisoit diminuer la rate: et de
ceste herbe qui fut nommee Asplenion par les habitans de l'isle,
iceulx Medecins garissoient les personnes molestees du mal de la rate.
Cela peult donner a congnoistre que les proprietez des lieux sont
naturelement dangereuses ou saines par le boire et manger qu'elles
produisent.
Semblablement si les murailles sont edifiees en lieux marescageux,
et que lesdictz maraiz soient situez aupres de la marine regardans
vers Septentrion, ou entre Septentrion et Orient, mesmes que ces Paluz
soient plus haultz que la rive de la Mer, lon pourra dire que
lesdictes murailles seront lá situees avec bonne raison: car il ne
fault que faire des trenchees pour escouler les eaux en la Mer:
laquelle venant a enfler par aucuns orages et tempestes, ses
regorgemens esmeuvent l'eau residente aux Paluz, et la mixtion de
l'amertume sallee empesche qu'il n'y peult provenir des bestes
marescageuses: et que celles qui en nageant y arrivent des lieux
superieurs, sont incontinent suffoquees par l'inaccoustumance de la
salure: chose dont les paluz de Gaule nous peuvent donner bonne
preuve, au moins ceulx qui sont aupres d'Altin au territoire de
Venise, de Ravenne, d'Aquilee, et autres villes assizes en ces lieux,
prochaines des paluz et marescages, pource que a ceste occasion elles
sont salutaires au possible. Mais celles ou les estangz cropissent, et
qui n'ont aucunes yssues pour s'escouler, ny en fosses, ny en
rivieres, comme en la region de Pont, soudainement viennent a se
pourrir, et evaporer en ces lieux des humeurs pestilentes et
dangereuses. Pareillement au pays de l'Apulia pres d'une ville fort
antique nommee Salapia, que Diomedes bastit en retournant de Troie, ou
(selon que d'autres escrivent) un certain Elphias Rhodien: les
habitans qui ne failloient point d'estre tous les ans malades,
vindrent quelquefois en l'obeyssance de Marcus Hostilius, auquel
publiquement requirent que son plaisir feust leur elire un lieu pour
restablir de nouveau leur habitation. a quoy ce gentil Capitaine
voulant bien donner ordre, chercha par grand prudence place convenable
a ce faire: et trouva sur la coste de la marine une possession en lieu
fort sain, qu'il achapta pour tel effect. puis demanda licence au
Senat et peuple de Rome de pouvoir transferer ceste ville: ce qu'il
obtint: et apres designa l'enclos des murailles, divisa les portions
des habitans, a chacun desquelz imposa un denier sesterce de censive:
et apres feit par des trenchees tumber le Lac jusques dedans la Mer:
et de ce Lac feit le port de la ville: telement que les Salapiniens
estant montez de quatre mille plus hault que leur vieille cité,
habitent maintenant en lieu salutaire et bien disposé.
Des fondemens des murailles. Chap. VII.
[LO] PUis que par les raisons susdictes lon cognoist qu'il
fault meurement pourvoir a la situation des murailles, si lon desire
la santé des habitans, je dy en oultre, que la region ou contree doit
estre abondante en fruictz et victuailles pour la norriture du peuple,
et que les voyes ou grans chemins, commoditez de rivieres, et cours de
la marine, doivent estre faciles, pour y pouvoir apporter toutes
provisions; et encores en poursuyvant matiere, je diray par quel art
se pourront faire les fondemens des tours et des murailles. C'est que
lon les creuse jusques a la terre ferme, s'il est possible la trouver,
et sur ceste fermeté lon les face de largeur tele que le besoing de
l'oeuvre le requiert, asavoir plus ample que pour la muraille qui doit
estre levee sur terre: et l'ouverture soit remplie de bon moylon,
bloccage, ou pierre dure. Au regard des tours, il les fault getter en
dehors, afin que quand l'ennemy vouldroit impetueusement venir jusques
a la muraille, il en puisse estre chassé a coups de traict par les
costez d'icelles tours ouvertz autant a droict qu'a gauche. Et fault
sur toutes choses adviser a ce que lon ne puisse facilement venir a
forcer la dicte muraille, ains doit on tout a l'entour caver des grans
fossez, et lieux ruineux, mesmes donner ordre que les entrees des
portes ne soient droictes, ains gauches ou tortues: car si lon faict
ainsi, le costé droict de l'assaillant qui ne sera couvert de sa
rondelle, se trouvera prochain de la muraille dont il pourra estre
offensé. Il ne fault aussi faire les assiettes des villes en quarré,
ny d'angles trop saillans en dehors, mais tournoians, afin que de
plusieurs endroictz lon puisse choisir l'ennemy. Et a la verite celles
qui sont d'angles trop estenduz, sont mal aysees a defendre, pource
que le coing sert plus a l'ennemy qu'il ne fait au citoyen.
[FIGURE]
Je suis d'opinion que lon face la grosseur du mur tant
espoisse, que les gens de guerre allans et venans par dessus, puissent
passer sans empeschement les uns des autres: et que dedans ceste
espoisseur y ait pres a pres des barres d'Olivier brulees, et
entr'enclavees a fiches du mesme boys, afin que les deux frontz de la
muraille lyez et estrainctz l'un a l'autre comme par ranguillons de
boucles, puissent avoir fermeté perpetuele: car tempeste, moysissure,
ny vieillesse ne peuvent endommager tele matiere, ains soit ou
couverte de terre, ou plantee en l'eau, elle demeure a jamais sans
empirer. parquoy non seulement tel mur, mais aussi ses fondemens, ou
autres parois que lon vouldroit faire de mesme grosseur, ne seront de
long temps ruynees si lon les fait lyer en ceste sorte.
Au regard des intervalles ou distances des tours, elles se doivent
disposer par tel ordre, que l'une ne soit assize a plus d'un gect
d'arc de l'autre, afin que si l'une estoit assaillye, les ennemys
peussent estre repoussez a coupz de traict, et autres machines gettees
des tours qui seront a droict et a gauche. Et la partie de chacune
tour regardante devers la ville ou forteresse, doit avoir aussi grande
espace, que porte la ligne de son diametre. Et pour passer de l'une a
l'autre, fault qu'il y ait seulement des pontz volans, ou planches non
clouees ny attachees, a ce que si ledict ennemy occupoit quelque costé
de la muraille, ceulx qui luy resisteront, la puissent regaigner en
combatant. Et a la verite s'ilz y donnent bon et brief ordre, jamais
ne permettront qu'il enfonse dedans les autres parties des tours et de
la muraille, s'il ne se vouloit d'avanture getter luymesme du hault en
bas.
Il fault donc faire ces tours rondes, ou de plusieurs faces: car si
elles sont quarrees, les machines offensives les en ruineront
beaucoup plustost, pource que par force de heurter les Beliers
demolissent les angles. mais quand elles sont en rondeur, ilz n'y
peuvent faire gueres de mal, ains seulement chassent les pierres
devers le centre, comme un maillet pousse des coingz. Pareillement les
defenses des tours et des murailles conjoinctes aux rampars, en sont
beaucoup plus fortes, et mieux asseurees, par ce que ny Beliers ne
Mines, ny autres sortes de machinations ne les peuvent grever.
Toutesfois il ne fault pas se mettre en peine de faire des rampars
en tous endroictz, ains seulement a ceulx ou lon peult de quelque lieu
hault par dehors la forteresse arriver de plain pied pour forcer la
muraille. A ceste cause en lieux de tele qualité fault preallablement
faire des trenchees fort larges et profondes, puis encores caver
dedans le fondement du mur, et le faire de tele espoisseur, que l'amas
de terre mis dessus pour Boulevert, soit facilement soustenu.
Davantage le costé de ce fondement qui regardera devers la ville, doit
avoir beaucoup plus grande saillye que celluy de dehors, afin que les
gens de guerre mis en bataille puissent demourer a la defense sur
ceste largeur.
Quand les fondemens auront esté ainsi edifiez, et de la distance ou
espace que dict est, encores y fauldra il enclaver des Arboutans
traversans et conjoinctz a la masse principale tant par dedans que par
dehors, et les ordonner ainsi que dentz de pignes ou de syes: car
quand cela sera bien faict, la grande charge de la terre estant
distribuee en petites parties, et toutes les choses pesantes que lon
pourra mettre dessus, ne sauront tant presser le fondement, qu'elles
(en aucune maniere que ce soit) puissent faire dementir ou ebouler la
lyaison de ladicte muraille.
[FIGURE]
Il ne fault pas determiner en cest endroict de quele
matiere on la pourra bastir, pource que ne pouvons recouvrer en tous
pays ce que nous desirerions bien: parquoy se fauldra servir et
accommoder de pierres dures esquarries, de caillou, de bloccage, de
brique, de gazeau, de motes, et autres choses semblables selon que
produira la nature aux lieux ou nous edifierons: car on ne fait pas
par tout comme en Babylone des murailles de brique, massonnees de
Betum ou Cyment liquide, mais en son lieu lon use de chaulx et de
sable avec de la tuyle broyee. Ainsi toutes regions et pays peuvent
selon leurs proprietez natureles avoir tant de commoditez faisantes un
mesme effect, que chacune a moyen de bastir des clostures bonnes et
vallables, qui durent a perpetuité, ou pour le moins beaucoup
d'annees.
DE LA DIVISION DES OEUVRES QUI SONT DEdans
l'enclos de la muraille, et de leur disposition pour eviter les mauvais
soufflemens des Ventz.
CHAP. VIII.
[LO] EStant faict l'enclos des murailles ainsi comme il est
ordonné, fault venir a la division des maisons pour les habitans, aux
places, rues, carrefours, et a leur assiette convenable selon les
regions du Ciel.
Or seront elles proprement ordonnees, si les Ventz sont par bon
advis et prudence destournez des voyes et chemins publiques, pource
que s'ilz sont froidz, ilz blessent. s'ilz sont chaultz, ilz
corrompent: et s'ilz sont humides, ilz nuysent grandement. A ceste
cause semble qu'il est bien raisonnable d'eviter ces inconveniens, et
qu'il fault prendre garde a ne suyvre ce que lon fait coustumierement
en plusieurs villes, par especial comme a Mitylene, qui est
magnifiquement et en grande sumptuosité bastie en l'isle de Lesbos,
mais inconsiderement situee: car quand le vent Auster y souffle, les
habitans en sont malades. quand c'est Corus, ilz toussent: et quand
c'est le Septentrion, ilz retournent en convalescence, et neantmoins
ilz ne sauroient demourer ny aux rues, ny aux places communes, a cause
de la grande impetuosité du froid. Aussi (sans point de doubte) le
Vent n'est autre chose fors une undee d'air coulant, menee par
incertaine redondance de mouvement. et cest esprit s'engendre quand la
chaleur rencontre l'humidité, et que la violence d'icelle chaleur
contrainct et chasse la force dudict esprit soufflant. Lon peult juger
ceste chose estre vraye par les Aeolipiles d'arain, autrement boules a
souffler feu, par lesquelles, et autres inventions artistes, lon peult
comprendre les occultes raisons du Ciel, voire a peu pres dire et
exprimer quele peult estre l'essence divine. Qu'il soit ainsi, lon
fait ces boules d'arain creuses, qui ont un petit trou fort estroit,
par lequel on les emplit d'eau, puis les met on devant le feu: et
avant qu'elles s'eschauffent, n'en sort aucun vent ny alene: mais
aussi tost que le chault les penetre, elles font un soufflement
impetueux et puissant a merveilles.
[FIGURE]
Voyla comment par une petite experience lon peult juger des
grandes et excessives raisons du Ciel, ensemble des Ventz, et de la
Nature. Si donc iceulx Ventz sont destournez, cela ne rendra seulement
un lieu salutaire aux creatures qui l'habiteront, mais davantage s'il
y a quelzques maladies qui par autres inconveniens y soyent
engendrees, et qui en autres lieux salutaires sont curables par
medecines contraires: lá, pour la temperature, et destournement des
Ventz, elles seront plustost gueryes. Or les maladies de difficile
curation aux pays dessus specifiez, sont, Pesanteur de teste, Goutte
arthretique, Toux, Pleuresie, Phtisique, Crachement de sang, et autres
qui ne se guerissent par diminutions purgeantes, mais par
remplissemens et restaurations aux corps des personnes affligees. Et
ce qui rend ces maladies de difficile guerison, est premierement parce
qu'elles sont engendrees de froid: puis que les forces des malades
estant diminuees par l'aspreté de la douleur, encores l'air qui est
batu de l'agitation des Ventz, vient a s'en rendre plus subtil, de
sorte qu'il attire la substance des corps pleins de mauvaise humeur:
et parainsi les fait plus maigres. Mais au contraire l'air doulx et un
petit grosset, qui n'est gueres batu des Ventz, et n'a pas beaucoup de
redondances, norrit et refait les personnes extenuees de ces maladies,
et vient a augmenter les membres par le moyen de sa stabilité non
subjecte a mutation. Quelzques autheurs ont voulu dire qu'il n'y a
sinon quatre Ventz, asavoir en l'Orient equinoctial, Solanus: a Mydi,
Auster: en l'Occident equinoctial, Favonius: et en la partie
Septentrionale, celluy qui est nommé Septentrion. Mais d'autres qui
ont plus curieusement cherché, afferment qu'il y en a huict, entre
lesquelz principalement est Andronicus Cyrrhestes: lequel pour en
donner exemple, feit en Athenes une tour de marbre octogone, ou de
huict faces: en chacune desquelles estoit taillee de relief la figure
d'un Vent, et posee du costé dont ce soufflement venoit. puis au
dessus de la tour feit aussi de marbre un pignon poinctu, sur lequel
asseit un Triton d'arain, tenant en sa main une verge: mais l'artifice
en estoit tel, qu'il se mouvoit avec le Vent, et tousjours avoit le
visage tourné contre celluy qui lors souffloit: dessus la teste duquel
il tenoit sa verge, pour servir de monstre aux regardans.
[FIGURE]
Ceulx la donc qui mettent huict Ventz, assignent Eurus
du costé d'orient d'yver, entre Solanus et Auster. Puis de la part de
l'occident d'yver logent Aphricus, entre Auster et Favonius. Apres
boutent Caurus, que plusieurs appellent Corus, entre Favonius et
Septentrion. Consequemment assyeent Aquilon entre Septentrion et
Solanus. qui me semble expression suffisante du nombre, des noms, et
des contrees d'ou les Ventz procedent.
Maintenant pour trouver leurs regions et naissances, il y fauldra
practiquer par ceste voye: Soit mise sur quelque perron, ou autre
chose que lon vouldra, une table de marbre bien applaniee a la reigle
et au nyveau: ou bien faictes ce perron tant egal, que n'ayez aucun
besoing de table de marbre. puis au centre mettez y un gnomon ou
ayguille d'arain propre a monstrer les umbres. Ceste ayguille est
entre les Grecz appellee Sciatheras. Lors environ la cinqieme heure de
devant Mydi, merquez d'un poinct le fin bout de l'umbre de vostre
ayguille. apres mettez une des jambes du Compas sur le centre ou pose
l'ayguille, et l'autre sur le poinct de son umbre: et de cela faictes
un rond pour enclorre la longueur de l'umbre. Ce faict, observez apres
Mydi l'accroissement de l'umbre d'icelle ayguille: et quand vous la
verrez toucher jusques a la circumference, de sorte qu'elle sera
l'umbre d'apres Mydi pareille a celle du devant, vous merquerez lá un
autre poinct: et apres diviserez ce rond en parties egales mesurees
avec le Compas, et tirerez une ligne droicte de l'un de ces poinctz
jusques a l'autre, en passant par dessus le centre, afin de cognoistre
les regions de Mydi et de Septentrion: puis prendrez la sezieme partie
de toute la circumference, et mettrez le centre en la ligne de Mydi
qui touche la rondeur du cercle, et merquerez sur ceste lá des poinctz
a dextre et a senestre: et autant au Mydi et au Septentrion. puis de
ces quatre poinctz vous tirerez des lignes correspondantes d'une
extremité jusques a l'autre, en passant par dessus le centre: et par
ce moyen vous aurez la huictieme partie de la designation qui doit
estre entre Auster et Septentrion. et pour accomplir les parties
restantes, vous en distribuerez egalement trois a droict, et trois a
gauche, en sorte que la division des huict Ventz principaux soit
justement designee en la description. puis vous verrez comment devront
estre conduictes et menees les exhalations d'iceulx Ventz par les
angles estans entre deux de leurs situations. Et par ceste division
ainsi raisonnablement faicte, la force ennuyeuse de ces Ventz sera
destournee des maisons et des rues: car quand les places de la ville
seroient droittement tournees au soufflement impetueux, recommenceant
souventesfois, et procedant de la spacieuse concavité du Ciel, s'il se
trouvoit clos dans les destroictz des rues, il pousseroit de beaucoup
plus grande vivacité. Parquoy fault tourner les entrees et yssues de
ces rues a l'encontre de la venue de ces Ventz, afin que leurs
violences soient repoussees et aneanties par les coingz des maisons
insulaires, c'est a dire qui ne touchent en rien aux autres.
[FIGURE]
Paravanture ceulx qui cognoissent plus grand nombre de
ventz, s'esmerveilleront de ce que je ne parle que de huict: mais
quand ilz viendront a considerer qu'Eratosthenes Cyrenien a trouvé par
le cours du Soleil, umbres de l'ayguille equinoctiale, inclination du
Ciel, raisons de Mathematique, et Methodes de Geometrie, que la
circuition de la terre n'a sinon deux cens cinquante et deux mille
stades, qui font trois cens fois quinze cens mille pas, ilz ne se
devront esbahir si un vent vagant par si grand espace, fait en ses
revolutions tant de diversitez de soufflemens: car environ Auster a
droict et a gauche, ont accoustume de venter Leuconotus et Altanus.
environ Aphricus, Lobonotus et Subvesperus. environ Favonius,
Argestes, et en certaines saisons les Etesies. A costé de Caurus,
Circius et Corus. environ Septentrion, Thrascias et Gallicus. A la
part droite et gauche d'Aquilon, Supernas et Boreas. environ Solanus,
Carbas: et en certain temps les Ornithies. aussi aux costez d'Eurus,
qui est en l'extremité de l'Orient d'yver, Cecias et Vulturnus. Il y a
davantage plusieurs autres ventz qui prennent leurs noms de divers
lieux, comme de Fleuves, Cavernes, et montagnes. Et qui plus est, il y
a les respirations du matin, que le Soleil quand il vient de dessoubz
terre, fait sortir de l'humidité de l'air, en les poussant de sa
vigueur, sibien qu'il esmeut les soufflemens qui sourdent avant l'aube
du jour: lesquelz s'ilz durent apres son lever, tiennent le reng du
vent Eurus, qui pour estre aussi engendré des vapeurs du matin, est
nommé des Grecz Euros, comme la matinee suyvant le soir, est entr'eulx
dicte Aurion, a cause des fraicheurs qui l'accompagnent. Je scay bien
qu'aucuns nyent qu'Eratosthenes ait peu colliger la juste mesure de la
terre. Mais quoy qu'il {qui'l} en soit, ceste mienne escriture ne
peult estre taxee de ne bailler les deues limites des regions dont les
ventz procedent. et s'il est ainsi, la certitude ou incertitude de la
mesure d'icelle terre, ne fait autre chose en cest endroit, sinon que
les portees des ventz en sont plus ou moins longues ou courtes. Et
pourautant que ceste matiere est par moy brievement exposee, afin que
lon la puisse mieulx entendre, j'en feray a la fin de mon livre deux
figures, l'une en tele sorte, que lon pourra congnoistre d'ou sortent
certaines bouffees de vent: et l'autre pour monstrer par quele maniere
lon peult eviter par opposites directions de rues et places, leurs
soufflemens dangereux. Mais pour en donner la practique, Sur une table
bien unie soit faict un centre merqué par A, et l'umbre de l'ayguille
de devant Mydi, par B. puis du centre A, en compassant jusques au
signe de l'umbre, tirez une ligne ronde, apres remettez vostre
ayguille ou elle estoit, et attendez jusques a ce que l'umbre
descroisse, et face en croyssant derechief l'umbre d'apres Mydi
semblable a celle de devant, si qu'elle touche la ligne du rond, et lá
merquerez le C. adonc depuis les signes B, et C, faictes avec le
compas en forme de X, un poinct signe par D. apres de ce poinct
marquez de nouveau en forme de X, l'autre costé du cercle, et tirez de
ces deux poinctz une ligne a plomb passant pardessus le centre,
laquelle cetterez en ses deux extremitez par E, et F. et ceste ligne
monstrera les regions du mydi et Septentrion. Apres prenez avec le
compas la sezieme partie de la rondeur: puis en mettez l'une des
jambes sur la ligne de mydi ou est la lettre E. et signez a droict et
a gauche G. H. Plus en la partie de Septentrion posez aussi le compas
sur la ligne ronde, ou est la lettre F, et notez a droit et a gauche I
et K. lors depuis G jusques a k, et depuis H jusques a I tirez des
lignes traversantes en passant atravers le centre. Ce faict, l'espace
qui demourra entre G et H, sera la region du vent Auster, et la partie
de Mydi. puis l'autre qui se trouvera entre le I. et le K, sera pour
le Septentrion. Les autres parties, trois a dextre, et trois a
senestre, se doivent diviser egalement: et celles du costé d'orient,
estre merquees L, et M. puis les autres de la part d'Occident,
designees par N et O, tirant des lignes croysantes depuis M jusques a
O, et autant depuis L jusques a N. Voyla comment vous trouverez
egalement l'espace des huict ventz en vostre circuition. Et quand vous
les aurez ainsi constituez, adonc vous recommencerez en chacun
des angles de l'octogone, ou cercle a huict faces. Entre Eurus et
Auster sera la lettre G. entre Auster et Aphricus H. entre Aphricus et
Favonius N. entre Favonius et Caurus O. entre Caurus et Septentrion K.
entre Septentrion et Aquilon I. entre Aquilon et Solanus L. entre
Solanus et Eurus M. Cela faict, vous mettrez l'ayguille au parmy des
angles de vostre octogone: puis suyvant ceste doctrine, distribuerez
les douze partitions des places et rues de la ville.
DE L'ELECTION DES LIEUX POUR LE
commun usage des habitans. Chap. {Cap.} IX.
[LO] APres les rues divisees, et les places constituees, il
fault traicter de la distribution du parterre pour la commodité et
usage tant du commun peuple, que des Temples, maisons de Religion,
Halles, Marchez, et autres lieux publiques. Si les Murs donc sont du
long de la marine, il fault elire aupres du Port une place pour faire
le Marché. Mais si la ville est mediterranee, c'est a dire loing de la
Mer, il fault que ce Marché soit tout au beau mylieu. Puis les Temples
et maisons sacrees, qui sont dediees aux Dieux protecteurs de la Cité,
comme Jupiter, Juno, et Minerve, doivent estre au plus hault endroit,
telement que lon puisse de lá veoir la plus grande partie des
murailles. Si c'est pour Mercure, en plain Marché: ou comme a Isis et
a Serapis, au lieu qu'on peult nommer la Bourse, ou les Marchans font
leurs traffiques. Si c'est pour Apollo et pour Bacchus, fault bastir
au pres du Theatre. Mais si c'estoit pour Hercules, et qu'en la ville
n'y eust point de lieux d'exercices ny d'Amphitheatres, fault eriger
son temple au Cirque, ou place destinee aux jeux. Si c'est pour Mars,
le sien doit estre hors la ville, pourveu qu'il y ait quelque beau
champ. Si c'est pour Venus, a la Porte: d'autant qu'elle luy est
dediee par la discipline des Aruspices Hetruriens, qui veulent que ces
deitez, asavoir Venus, Vulcan, et Mars, soient reverees hors l'enclos
des murailles, afin que les jeunes enfans et meres de famille ne
s'accoustument aux voluptez luxurieuses, et que par la force de Vulcan
icelles voluptez soient interdictes ou mises arriere du pourpris de la
Religion, et des sacrifices, si que les edifices semblent estre
delivrez de la crainte et danger du feu. Semblablement que si la deité
de Mars est servie hors la ceincture des Murs, lon estime qu'il ne
sourdra aucune mutinerie ou dissension entre les Citoiens: mais que sa
puissance leur servira de Boulevert contre les assaultz des ennemys,
et si les pourra delivrer du peril de la guerre. Si c'est pour Ceres,
son vray lieu est hors la ville, a raison que les hommes n'ont jamais
besoing d'aller a son temple si ce n'est pour sacrifier. Aussi doit il
estre maintenu par religion en toute purité, et coustumes louables.
Finablement pour tous les autres Dieux il fault faire des edifices en
places commodes a la proprieté de leurs cerimonies. Mais quant a ce
qui concerne les logis de gens de Religion, ensemble la division de
leurs places, j'en rendray raison en mes tiers et quatrieme livres,
pource qu'en mon second il me semble qu'il fault traicter de la
diversité des matieres propres a bastir, et dire leurs natures et
vertuz: puis poursuyvre les mesures et ordres des maisons, sans
oublier aucunes especes de symmetries, les exposant livre apres autre.
FIN DU PREMIER DE VITRUVE.
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