DIXIEME LIVRE DE VITRUVE, TRAICTANT DES ENGINS ET MACHINES.
[LO] LON dict que les Antiques de la Cité d'Ephese, noble et ample
entre celles de Grece, feirent jadiz une loy de condition assez dure,
toutesfois non illicite ny desraisonnable, asavoir que quand un
Architecte prendroit la charge de quelque bastiment publique, il
diroit avant la main combien cela pourroit couster, et l'estimation
faicte ses biens seroient obligez aux Gouverneurs jusques a ce que
l'ouvrage feust acomply. adonc si la despence convenoit a son dire, il
(oultre son payement) estoit remuneré d'honneurs a ce decernez.
Encores si elle ne se montoit sinon a une quarte partie d'avantage, on
l'adjoustoit liberalement a son taux, et se levoit sur les deniers
communs, si qu'il n'en estoit de rien tenu. mais ou elle venoit a
exceder ceste quarte partie, l'argent pour achever se prenoit sur ses
biens.
Pleust aux Dieux immortelz que ceste ordonnance feust admise par le
Peuple de Rome, non seulement a l'endroit des Edifices publiques, mais
aussi bien pour les particuliers: car s'il estoit ainsi, les ignorans
ne pilleroient le monde sans punition condigne, ains les prudentz et
advisez par souveraine sublimité de doctrines, feroient tous seulz
profession d'Architecture, dont adviendroit que les Peres de famille
ne desbourceroient ordinairement une infinité de mises superflues, qui
les despouillent maintesfois de tous biens: et fauldroit que les
hardiz entrepreneurs craignans encourir la peyne de la loy, dissent
plus a la verité qu'ilz ne font, le sommaire des fraiz convenables, si
que les bastisseurs pourroient achever leurs maisons pour l'Argent par
eulx preparé, ou un peu plus. Qu'il soit vray, si quelq'un met a part
Quatre cens pour employer en un bastiment, et on luy dict durant le
maneuvre qu'il en fault encores Cent seulement pour la derniere main,
il ne fera gueres marry de ceste nouvelle, et prendra pour le moins
esperance de veoir bien tost son logis achevé. Mais si on le charge
d'un surcroys de moytié, ou autre somme plus excessive, il se prend a
fascher, ne faict plus compte d'y entendre, rompt l'Attelier, perd le
courage, et est contrainct de quiter tout lá.
Sans point de doubte ceste faulte n'advient seulement en matiere de
maisonnages, ains aussi bien aux structures qui se font par les
Magistratz pour donner resjouyssance au Peuple, comme sont Lices ou
Campz cloz dressez en plain Marché pour faire combatre des joueurs
d'Espee, ou quelzques Theatres de Scenes: car en ces cas il n'y a
point d'attente, mais sont les conducteurs contrainctz (veuillent ou
non) d'avoir faict et perfaict en certain jour prefix, tant les
Eschauffaulx necessaires, que les sieges ordonnez pour telz
spectacles, avec aussi couvertures de Voyles pour deffendre les
assistans de la Pluye et du Soleil, ensemble toutes autres
particularitez d'Engins et Machines qui s'y doyvent appliquer pour la
decoration du Jeu, suyvant le subgect dequoy il peult traicter.
A ceste cause une prudente diligence est singulierement requise en
cest endroit, et par especial la fantasie industrieuse d'un Esprit
vigilant et bien exercité, consideré qu'il ne se faict jamais rien de
bon sans un sage discours, avant le coup premedité en la pensee, ny
sans la vertu de l'experience acquise par divers effectz de practique.
Puis donc que ceste Loy fut antiquement establye en Ephese,
il ne me semble hors de propos de dire a ceste heure, qu'avant qu'n
ouvrage se commence, la raison veult que lon face curieusement et a
cautele un petit Bourdereau de la mise, pour se garder d'estre abuzé.
Mais pource que nous n'avons Loy ny Coustume qui puisse contraindre
les Architectes a ce que dict est, nonobstant que les Preteurs et
Ediles, c'estadire Juges et Voyers ou Maistres d'oeuvres et
reparations, doyvent tenir main a faire expedier iceulx Eschauffaux et
Engins, il m'a semble (Sire) qu'apres avoir exposé en mes Livres
precedens, toutes les raisons des Edifices, mon devoir est de traicter
en cestuy cy (auquel consiste l'entiere perfection du corps
d'Architecture) quelz ont esté les commencemens des Machines, donnant
par mes escritz les moyens pour les faire et s'en servir en toutes
occurrences.
QUELE CHOSE EST MACHINE, ET DE LA DIFference
qu'il y a entre Organe et elle, mesmes de son commencement, inventé
par necessité. Chap. I.
[LO] MAchine est une ferme conjonction {coionction} ou assemblage de
pieces de Charpenterie, {Charpeterie} ayant une singuliere et
merveilleuse force a l'endroit du mouvement des fardeaux.
Ceste la se conduit par roulemens de choses circulaires artistement
mises en oeuvre, et les Grecz nomment cela Ciclyce cinesis.
Or en est il une espece propre a monter, laquelle se dict entre
iceulx Grecz Acrouatique.
Plus il s'en veoit une autre spirituele, c'estadire faisant ses
effectz par l'Air ou Vent qui s'entonne dedans, et en leur langue
s'appelle Pneumatique. Et si en avons encores une troysieme pour
tirer, qu'ilz expliquent par Vanausos.
La propre a monter est quand on a dressé l'Estamperche avec ses
Arboutans, et qu'on les a joinctz par traversans entez dedans les
Mortaises, si que les ouvriers peuvent sans peril se guinder amont
pour faire les appareilz de Jeu.
La spirituele est tout instrument qui faict entendre certaines
resonnances organiques, au moyen des attractions et expressions de
l'air, contrainct a entrer et sortir de son corps.
Et la commode a tirer est tout Engin par qui les fardeaux se peuvent
transporter de lieu en autre, mesmes asseoir hault ou il en est
besoing, apres les avoir mis en l'air.
Au regard donc de la Machine propre a monter, elle ne se peult
attribuer gloire de grand artifice, mais seulement audace, consideré
que son tout est contenu en assemblages de membrures, entretoyses,
tortillemens de cordages, et soustenemens par contrefors.
Mais l'instrument qui acquiert vigueur par l'Esprit de l'air entrant
en sa concavité, faict veoir de beaux effectz de soy, causez par
subtilitez d'industrie.
Toutesfois encores est ce que la Machine destinee a tirer, rend des
commoditez plus grandes, plus profitables, et plus estimables de
magnificence, pourautant qu'elle a plusieurs merveilleuses vertuz,
quand lon en fait user avec prudence.
Aucuns de ces Engins se meuvent mechaniquement, c'estadire avec
ingeniosité d'Art, et les autres organiquement, ou par contrainctes
d'air entonné comme dict est.
Or entre les Machines et Organes est difference tele, que
lesdictes Machines sont contrainctes de monstrer leurs effectz par
plusieurs actes d'ouvrage accompagnez d'une grande force, comme il se
veoit a tendre les grosses Arbalestes ou Bricoles, ou a tourner les
Viz des Pressoers par dedans leurs Escroues.
Et les Organes font ce qui est proposé, avec une seule besongne, et
par un manyement subtil, comme quand ce vient a monter les Scorpions
ou Bacules, et a faire tourner les Anisocycles, qui sont mouvemens de
Rouages allans de tous costez sans gueres de peyne.
Ces Organes donc et les Machines sont necessaires a noz usages, car
sans le secours qui nous en vient, il n'y a chose qui ne nous donnast
beaucoup d'empeschement. Parquoy je dy que tous Engins ont esté
premierement creez par la Nature, et exprimez par le tournoyement du
Ciel, qui nous y a servy de Precepteur et Maistre, comme ainsi soit
que les hommes en premier lieu contemplerent le cours du Soleil, de la
Lune, et des Cinq Estoilles errantes, desquelles si les mouvemens ne
se faisoient par artifice trop industrieux, nous n'aurions point de
lumiere sur la Terre, et jamais ne perviendroient les fruictz a la
maturité requise.
A ceste cause noz premiers Peres voyans que la Nature faisoit ainsi
ces ouvrages, prindrent exemple a elle, et en cherchant d'imiter ses
circuitions, stimulez (comme il est a croire) de quelque Esprit divin,
inventerent plusieurs utilitez pour nostre vie, trouvans moyen de
rendre maintes choses aysees par Machines, et quelzques autres par
Organes: puis leurs suyvans furent curieux d'augmenter de degré en
degré par estudes, artz, institutions, et doctrines, ce qu'ilz
congneurent estre necessaire pour le bien de noz usages, par especial
comme les Vestemens de Laine, qui furent premierement inventez de la
necessité, et les toiles qui se tyssirent et ourdirent sur Mestiers
Organiques par entrelassemens de filetz, non seulement pour couvrir
les corps des personnes raisonnables, et les deffendre des injures du
Temps, mais qui plus est, pour adjouster honnesteté aux accoustremens
ordinaires.
Aussi nous n'eussions jamais eu abondance de Vivres, sans
l'invention d'accoupler soubz le joug Beufz, Chevaulx, et autres
bestes domestiques, pour leur faire trainer la Charue.
Pareillement si ce n'estoit la preparation des Sucules ou Moulinetz
pour lever quelzques choses de pesant, ensemble des Pressoers a Viz
qui se serrent a force de Barres, nous n'aurions pas la liqueur de
l'Huyle si claire comme nous l'avons, ny les fruictz de la Vigne
causans toute joyeuseté, tant purifiez comme ilz se voyent.
Davantage on ne les sauroit transporter de lieu en autre par la
Terre sans le moyen du Charroy, ny par Eau si ce n'estoit avec Navires
ou Bateaux. Encores l'invention des Balances et Traineaux a plommee,
avec les pois dequoy lon pese en gros et en menu, gardent plusieurs
gens d'estre abuzez, qui le pourroient estre par l'iniquité et meurs
depravees de plusieurs hommes.
Il y a certes innumerables sortes de telz Engins, dont ne me semble
estre besoing de faire mention, pource qu'ilz sont trop communes, et
tous les jours entre noz mains, comme Roues, Souffletz de Forgerons,
Chariotz, Charrettes, Moulinetz, Treuilz, et autres telz instrumens
profitables a noz manieres de vivre. Parquoy maintenant je parleray de
ceulx qui ne s'employent si souvent, afin de les rendre manifestes aux
personnages qui auront envie de congnoistre que c'est.
DES MACHINES TRACTOIRES, OU PROpres
a tirer groz fardeaux, tant pour maisons sacrees, que pour autres
ouvrages publiques. Chap. II.
[LO] EN premier lieu je depescheray les Engins necessairement faictz
pour s'en servir en bastimens de Temples, et autres communs Edifices,
en deduysant par le menu toutes leurs particularitez.
Lon prend trois fustz de Merrien, autant groz et puissans que
requiert la pesanteur du fardeau que lon en veult lever, puis on les
dresse de sorte qu'ilz sont joinctz et serrez par le bout d'enhault
avec une cheville, et par embas elargiz en triangle: mesmes afin de
les faire tenir droit et ferme, lon passe un Chable atravers icelluy
bout d'enhault, et des Escharpes de cordage qui en partent tirantes
contrebas, et ordonnees environ les jambages pour les tenir plus
fermement debout. Apres on pend contre sa sommité une Moufle,
qu'aucuns de nous appellent Trochlea, et les autres Rechamus, en
laquelle sont mises deux Poulyes tournantes a leur ayse au moyen des
Goujons qui les traversent. Par une de celles d'enhault passe
premierement la corde conductrice de toute la besongne, et de la s'en
revient a une de celles de bas: apres retourne encores a l'autre de
hault, d'ou elle vient reprendre la deuxieme de bas: puis on passe
l'un de ses boutz par un trou faict atravers de Moulinet, et le reste
pend entre les jambages de l'Engin qu'on appelle une Chevre. Cela
faict, sur le devant de l'espoysseur des Arboutans, droit au mylieu
par ou ilz s'eslargissent, lon y fiche des Ammares,
[FIGURE]
Auches, ou Boystes, que nous disons Cheloniae, autrement Tortues,
a cause qu'elles sont faictes ala facon de ces bestes lá: et atravers
d'icelles Ammares passe ledict Moulinet, autrement Fuzee, aussi nommé
entre nous Sucula, signifiant Truyette, pource qu'il est plus gros par
le mylieu que par ses extremitez, comme lon veoit que sont
ordinairement les Truyes. Ce Moulinet a aussi en ses deux boutz qui
passent oultre, deux Mortaises en quoy lon met des Barres ou Leviers
pour en faire tourner l'Engin plus aysement: et au bout d'embas de la
susdicte Moufle on lye une Louve de fer, dont les dentz entrent dedans
les creusures des pierres faictes en bizeau: puis se serrent tant d'un
costé que d'autre, avec des coingz de ce metal. Ainsi par avoir
ladicte corde un de ses boutz lyé a ce Moulinet, quand on le
faict tourner avec les barres mises atravers ses mortaises, icelle
corde en tortillant se roydit, et faict soubzlever les fardeaux
jusques a la haulteur des lieux ou lon pretend les appliquer en
ouvrage.
DE DIVERS NOMS PROPRES AUX MAchines,
et la practique de les affuster pour s'en servir. Chap. III.
[LO] L'Engin qui a trois Poulies en sa Moufle, al'entour desquelles
se va la corde environnant, est dict par les Grecz Trispastos.
Mais quand il y en a deux au bout d'embas contre trois amont, alors
ilz le nomment Pentaspaston.
Si donc il fault faire des Machines expresses pour les grans et
excessifz fardeaux, la raison veult que lon se serve de Merrien gros
et long a l'equipollent de la charge qu'ilz auront a porter.
Toutesfois il s'entend tousjours qu'il y ait une Moufle pendue au bout
d'enhault, et un Moulinet assiz entre les jambages, ainsi comme j'ay
desja dict, puis estant ces choses ordonnees, les Escharpes qui
devront ayder a lever et soustenir la Machine en pied, soyent
premierement tendues assez lasches, et certaines autres disposees
environ ses espaules, afin de la tenir plus ferme. Mais s'il ne se
trouvoit point de murailles ou autres choses commodes pour y attacher
icelles Escharpes, soient fichez en la Terre quelzques Pieux courbes
ou a teste de Crosse, serrez de bon pilotiz entassé a coups de Belier,
Hye, ou maillet ferré, si qu'ilz tiennent en sorte que lon y puisse
arrester les boutz des Escharpes. adonc de la Moufle lyee avec une
puissante corde contre la sommité de cest Engin, en parte une autre
declinante devers les Pieux courbes, semblablement garniz de Moufles,
par les Poulies desquelz ceste la passera, puis remontera droit a
celle d'enhault, et de la se viendra nouer au Singe assiz pres du pied
de la Machine, lequel estant tourné a force de Barres ou Leviers
passans pardedans ses mortaises, fera dresser les affustz par eulx
mesmes, et sans peril. alors les Escharpes traversantes et tendues
contrebas, soyent roydies pour tenir l'Engin droit sur ses piedz sans
gauchir de costé ne d'autre: et par ce moyen les Moufles et cordages
propres a guinder quelque besongne, se trouveront bien appliquez pour
en tirer service.
D'UNE MACHINE PAREILLE A LA PRECEdente,
mais a qui lon peult plus seurement fyer des charges Colossicoteres, nonobstant
qu'il n'y ait de changé sinon le Moulinet a un Tympan ou
Treuil. Chap. IIII.
[LO] S'Il advient qu'il faille lever en l'ouvrage des
Colossicoteres, qui sont fardeaux plus grans que d'ordinaire, et de
plus excessive pesanteur, il ne sera pas seur de les fyer a un
Moulinet, mais ne plus ne moins qu'il est soustenu sur des Auches,
Boytes, ou Ammares, ainsi fauldra il faire passer pardedans les
Arboutans ou jambages de l'Engin, un aysseau de forte matiere, puis
l'environner d'un Tympan, ou Treuil, nomme par aucuns grande Roue,
mais par certains Grecz Amphireusis, et par les autres Peritrochos. Si
est il encores a noter que les Moufles de ces Machines ne sont teles
que celles des dessusdictes Chevres, car il y a tant en hault comme en
bas doubles ordres de Poulyes, et la corde menant le mouvement
passe par le trou d'embas de la Moufle, en sorte que ses deux boutz
sont egaulx quand elle est estendue. apres elle est lyee fort et ferme
au dessoubz d'icelle Moufle, avec un petit cordeau, sibien que ses
deux parties ne peuvent plus varier deca ny dela, a droit ny a gauche.
Cela faict, ses deux boutz se reportent aux Poulyes de dessus, par
dehors, et les faict on revenir a celles debas aussi par dehors, puis
se reportent derechef aux deux autres Poulyes superieures, mais adonc
c'est par dedans, d'ou ilz viennent s'attacher au Treuil, l'un par le
costé dextre, l'autre par le senestre: et oultre tout cela encores y a
il une autre corde attachee a ce Treuil, qui s'en va environner le
Singe, lequel venant a estre tourné, faict que les boutz de la corde
environnée a l'entour d'icelluy Treuil, se tendent egalement tant
d'une part que d'autre, et par ce moyen font lever les fardeaux avec
peu de peyne et sans peril. Ce nonobstant s'il y avoit une grande Roue
soubz le mylieu de l'Engin, ou a l'un des costez, laquelle aucun
manouvrier peust faire tourner en cheminant dedans, sans que lon
s'amusast a tordre les bras du Singe, les effectz de l'ouvrage en
seroient bien plus legierement depeschez.
[FIGURE]
D'UNE AUTRE ESPECE DE MACHINE TRActoire,
ou pour tirer fardeaux amont. Chap. V.
[LO] IL est encores une autre espece d'Engin assez artificiele, et
qui depesche bien tost matiere, mais il n'y a que les ouvriers
industrieux qui s'en sachent ayder: car ce n'est seulement qu'ne piece
de Boys que lon dresse debout, et la faict on tenir en pied par quatre
Escharpes mises aux quatre costez, contre deux desquelz on
fiche des Ammares, Auches, ou Boystes, et s'y attache avec bon cordage
une Moufle soubz quoy lon assiet une Tringle portant environ deux
piedz en longueur, six poulces de large, et quatre doytz d'espois.
Ceste Moufle a en sa largeur trois ordres de Poulyes. Puis lon attache
au hault de la Machine trois cordes conductrices, qui se raportent a
la Moufle du bout d'embas, et remontent pardedans jusques a ses
haultes Poulyes, d'ou elles s'en vont trouver la Moufle superieure,
pardessus les Poulyes de laquelle toutes passent pardehors, mais elles
viennent retrouver les plus basses en passant pardedans, et de la s'en
vont pardessus le second ordre aussi par la partie exterieure, d'ou
elles se raportent aux secondes Poulyes de hault, et apres estre
passees retournent au bas, et de bas en hault, ou en passant pardessus
les Poulyes revienent au fons de l'Engin, et lá rencontrent encores
une autre tierce Moufle, que les Grecz nomment Epagon, et les nostres
Artemon. Ceste la se lye au pied de la Machine, et a trois Poulyes,
par lesquelles estant les cordes passees, elles se baillent en mains
des manouvriers pour les tirer, et en ceste maniere trois compagnyes
d'iceulx manouvriers lievent sans Singe, tost et facilement une chose
pesante.
[FIGURE]
Tele sorte de Machine s'appelle entre les Grecz
Polyspastos, pource que par trois circuytions de Poulyes elle preste
grande facilité et promptitude. Or la constitution de ceste seule
piece de boys, est tant utile de sa nature, qu'elle peult porter son
fardeau en avant, en arriere, a droit, ou bien a gauche, ainsi comme
lon veult, d'autant qu'elle se peult pencher de toutes pars, en
laschant les Escharpes qui la soustiennent.
Tous ces Engins dessus escriptz ne servent sans plus aux choses que
je vien de dire, mais pareillement a charger et descharger Navires:
pour aquoy donner ordre, fault aucunesfois les lever toutes droittes,
et d'autres prendre leurs Moufles cy devant specifiees, puis les
attacher au bout du Mast ou il y a des Poulies atout quoy lon tire le
grand Voyle amont, et lá les fault laisser pendre contrebas.
D'avantage lon en peult en plaine Terre, avec ceste mesme industrie,
sans dresser boys debout, mais seulement par accoustrer les cordages
des Moufles, enlever lesdictz Navires hors de l'Eau, et les mettre a
sec pour y r'abiller ce qui est necessaire.
INGENIEUSE INVENTION DE CTESIPHON
pour trainer groz fardeaux par Terre. Chap. VI.
[LO] IL ne sera (ce me semble) que bon de declarer maintenant un
industrieux secret de Ctesiphon. parquoy entendez ce que je vous en
diray.
Ce bon esprit voulant apporter au Temple de Diane en Ephese
quelzques tiges de Colonnes qui avoient esté taillees en la Carriere,
considerant la pesanteur du fardeau, et la mollesse de la Terre par ou
les convenoit passer, jugea qu'il n'estoit expedient de se fyer au
Charroy, dont il craignoit que les Roues enfondrassent trop avant:
parquoy feit son effort de trouver ceste practique.
Il print quatre fustz de Merrien espois de quatre bons poulces en
quarré, deux desquelz estoient aussi longz que la tige d'une Colonne,
et les deux du travers un peu plus grans que sa grosseur par chacun
bout, et feit passer ceulx la par emboystures faictes en queue
d'Arondelle, oultre les deux longz, puis ficha et plomba dedans les
extremitez de la Colonne, des chevilles de Fer a grosse teste, qui
sortoient parmy les traversans, ou il y avoit des anneaux de ce Metal
pour environner les chevilles joignant leurs testes. Apres il enta
quelzques pieces de boys aux deux boutz des fustz longz, et là feit
attacher les cordes ou les Beufz se devoient atteller. Mais il fault
entendre que les chevilles passantes atravers les anneaux, faisoient
avoir un mouvement libre a la colonne, si que quand iceulx Beufz la
trainoient, sa rondeur povoit rouler sans difficulté.
[FIGURE]
Quand les ouvriers donques eurent charié toutes leurs Colonnes
en la ville par ceste voye, et advenant le besoing qu'il y falloit par
voyture transporter les Architraves, Metagenes filz du susdict
Ctesiphon, usant de l'invention de son pere a l'endroit des susdictes
Colonnes, s'en servit pour les Architraves, car il feit faire des
Roues d'environ douze piedz de diametre, par le Moyeu desquelles
voulut que passassent aussi des chevilles fichees aux extremitez
d'iceulx Architraves, et environnees d'anneaux comme celles des
susdictes Colonnes: et ainsi estant cest Engin trainé par les Beufz,
ces chevilles encloses dedans les anneaux feirent tourner les Roues,
au moyen dequoy iceulx Architraves leur servans comme d'aysseaux,
furent incontinent portez au lieu ou il les falloit mettre en oeuvre.
Mais pour donner exemple de cecy, je ne sauroye mieulx acomparer cest
Engin qu'a des Cylindres ou Bloutroers, avec lesquelz on met a l'uny
les aires des Palestres, et dont les laboureurs au temps present
applanyent leurs terres en pays plat quand semailles sont faictes.
Toutesfois je vous veuil bien advertir que ces inventions n'eussent
pas succeder si la Carriere n'eust esté pres de la Ville: et aussi
(certes) il n'y avoit que Huict mille pas de distance jusques au
Temple de Diane, et d'avantage ne s'y trouvoit montaigne ny vallee,
ains une campagne entierement egale.
[FIGURE]
[LO] MAis de nostre memoire venant la base d'Apollo Colossique,
c'est a dire beaucoup plus grande que le naturel, a se rompre et
esclater par vieillesse, les Prestres qui en avoient la charge,
craignans que l'image tumbast, et se meist en pieces, marchanderent a
tailler une autre base dedans la mesme Carriere, d'ou Ctesiphon et
Metagenes avoient tiré leurs Colonnes et Architraves: et de faict un
certain Paconius convint de pris avecques eulx. Or avoit ceste base
douze piedz de long, huict de large, et six de hault: parquoy advenant
le temps requis a la transporter, ce Paconius enflé de vaine gloire,
ne la daigna charier comme les precedens, ains proposa de faire une
autre invention pour mesme effect. A ceste cause il ordonna des Roues
d'environ quinze piedz de diametre, aux moyeux desquelles feit
emboyster les extremitez de ceste grosse pierre: et apres asseit des
fuzeaux ou regles de boys portantes deux poulces d'espoysseur, depuis
l'une des Roues jusques a l'autre, et les feit enter sur leurs
courbes, de sorte qu'elles se rengeoyent au compas tout a l'entour de
la pierre: et n'y avoit plus d'un pied d'espace entre deux. Cela
faict, il tortilla une corde environ ces fuzeaux, si que quand les
Beufz furent acouplez a son engin, ceste corde se devidoit a chacun
tour de Roue: mais elle n'estoit pas assez ferme pour conduire le faix
en ligne droitte, ains luy estoit force de gauchir d'une part ou
d'autre: si qu'il falloit necessairement a tous coupz reculler les
Roues pour les remettre en sentier droit, et de rien ne s'avancoit la
besongne: Parquoy le povre maladvisé consuma tous ses deniers a tirer
avant, et reculler arriere, de sorte qu'il ne se trouva plus solvable
pour achever ce qu'il avoit entrepris.
DE L'INVENTION DE LA CARRIERE DONT
fut basty le temple de Diane en Ephese. Chap. VII.
[LO] JE sortiray maintenant hors de propos, pour donner a entendre
comment ceste Carriere fut trouvée.
Un pasteur nommé Pixodare frequentoit environ ce lieu la, pendant
que les Citoyens d'Ephese entreprenoient a faire de Marbre icelluy
temple de Diane: et se deliberoient d'en envoyer querir a Paro l'une
des isles Cyclades, a Proconesse, isle de Propontide, a Heraclée ville
de Bithynie, ou a Thase, pareillement isle de la mer Egée aupres de
Thrace.
Advint que ce pasteur mena ses bestes pasturer en la propre campagne
ou la Carriere estoit, dont dessus est faicte mention. et que deux de
ses Belliers se voulans entreheurter, feirent d'avanture leurs cource
sans s'attaindre: toutesfois l'un rencontra de ses cornes une roche,
dont il abbatit un petit eclat, qui se trouva de couleur
merveilleusement blanche. quoy voyant Pixodare, laissa la tout son
troupeau, et s'en courut porter ceste pierre a la ville ou lon
consultoit le moyen plus expedient pour recouvrer du Marbre: parquoy
les magistratz luy decernerent des honneurs venerables: et entre
autres choses luy changerent son nom, voulans qu'en lieu de Pixodare
il feust appellé Evangelos, c'est a dire bon messager: et encores
jusques a ce jourdhuy lesdictz seigneurs vont tous les moys en la
place qu'il leur enseigna, et luy font un sacrifice solennel,
autrement ilz encourroient en une peine dicte et accordée des ce temps
la.
DES INSTRUMENS APPELLEZ PORRECTUM,
c'est a dire poussant avant, et rotondation ou roulement circulaire,
propres a mouvoir gros fardeaux. Chap. VIII.
[LO] J'Ay en peu de paroles exposé ce qui m'a semblé necessaire a
l'endroit des machines pour tirer: parquoy maintenant je parleray des
Engins dont les mouvemens et vertuz font des choses differentes en
soy, les rendant si convenables qu'il en vient deux perfections,
asavoir une que nous disons Porrectum, et les Grecz Eutheia: et
l'autre que {quae} nous appellons Rotondation, ou roulement, et iceulx
Grecz la disent Cycloten.
A la verité le mouvement du Porrectum ne se sauroit faire sans
Rotondation: ny au contraire celluy de la seconde se seroit rien sans
le premier: et ne pourroient l'un sans l'autre causer l'enlievement
des gros fardeaux. Mais a fin que lon entende mieulx ce que j'en veuil
presentement dire, mon exposition sera tele: Lon met en des poulyes
certains goujons qui servent de Centre: puis elles s'appliquent en
leurs moufles. apres estant une corde passée a l'entour de leurs
feuilleures, par circunvolutions {circuuolutions} convenables, et
attachée au Moulinet ou Fuzée, quand on vient a tourner cela, il faict
lever les fardeaux a mont, pource que les extremitez d'icelluy
Moulinet, estans en lieu de Centres sur les Ammares, Auches, ou
Boystes, et tournées en rond par les brassieres passées a travers ses
mortaises, sont cause de l'elevation du pois.
[FIGURE]
Pareillement un pied de Chevre ou Pinse de fer, mise contre
quelque charge q'une multitude de mains d'hommes ne peult mouvoir,
quand elle a un centre ou appuy, que les Grecz appellent Hypomochlion,
et communement orgueuil suppose a soy, mesmes que son bizeau peult
entrer soubz le faix, incontinent qu'n homme vient a peser sur l'autre
bout, cela fait bien tost, et avec grande facilité lever la charge: et
ce pour cause que la partie du devant de la Pinse plus courte que
l'autre, et qui tient lieu de centre, se met soubz le fardeau qui
s'esmeust par le poisement de l'homme sur le bout plus long, et plus
esloigné du bizeau: en quoy faisant, il en advient un mouvement
circulaire, ou en rondeur, lequel contrainct un grand pois a
s'esbranler par peu de peine. Mais si ledict bizeau est mis dessoubz
le pois que lon veult faire mouvoir, et que son autre bout ne soit
pressé contre bas, ains elevé en amont, son centre s'appuyera sur la
Terre, qui luy sera en lieu de charge: et le coing du fardeau fera
l'effect d'un appuyement d'hommes: toutesfois il ne se levera pas avec
telle aisance que quand un Bloc ou orgueuil seroit jetté soubz le
travers de la Pinse: et neantmoins la pesanteur du faix pourroit estre
aucunement ebranlée. Et si la plus grande partie d'icelle Pinse entre
dessoubz la charge, encores qu'elle soit appuyée sur quelque
hypomochlion ou orgueuil, son contrebout estant trop pres du centre,
ne pourra faire mouvoir ce qui est pretendu, non obstant qu'on foule
et enfonce le manche autant que lon pourra, si ce n'est (comme je vien
de dire) que son bizeau cause de l'ebranlement, ne morde gueres
dessoubz, et que son autre bout soit convenablement esloigné du
centre, a fin que l'enfoncement ne se face trop pres de la charge.
Ceste chose se peult considerer par un Fleau de traineau a plommée,
que noz latins appellent Trutine ou Statere: car quand ce que lon
veult peser, est mis en la balance pendante pres l'une de ses
extremitez, et que lon va petit a petit adjoustant les pois sur les
oches merquées au long du Fleau, en tirant deca ou dela, tant plus on
le met en arriere, plus faict il congnoistre, non obstant sa
foyblesse, de quelle pesanteur est la masse, consideré qu'encores
qu'elle soit beaucoup plus ample, si se rend il egal a elle, et tout
par chercher sur ce Fleau a le reculler du centre autant loing comme
il est requis. Voyla comment une petite force de pois, faict en un
moment esbranler un puissant fardeau, et le contrainct sans violence a
monter doulcement de bas en hault.
En cas pareil un gouverneur de quelque grand Navire manyant son
Timon ou Gouvernail, que les Grecz nomment Oiax, faict par ceste
raison Centrique en moins de rien, et avec une seule main exercitée en
l'art de naviguer, aller son vaisseau la part ou il l'adresse, non
obstant qu'il soit chargé de merveilleuse abondance de marchandise, et
de vivres necessaires a l'equipage. Aussi quand les voyles sont abatuz
a demy mast, possible n'est q'un Navire puisse legierement voguer:
mais quand on les a tirez tout a mont, il trenche l'eau avec grande
promptitude, pource qu'ilz ne sont prochains du pied d'icelluy mast
qui tient le lieu de Centre: ains estenduz jusques au bout au
plus loing qu'ilz en peuvent estre, au moyen de quoy cueuillent du
vent autant comme il en est besoing.
Parainsi donc quand une Pinse est mise soubz un fardeau, si on
l'enfonce par le mylieu de sa branche, la charge se treuve tant
rebelle, qu'on ne la peult bonnement esmouvoir: mais si tost que lon
vient a peser sur l'autre bout esloigné de son Centre, le faix
s'enlieve facilement.
Ne plus ne moins est il des Voyles: car quand ilz sont abatuz a demy
(comme j'ay dict) leur puissance en est de beaucoup moindre: mais
quand on les a tirez a mont jusques au coupeau du Mast, pource qu'ilz
par ce moyen s'esloignent dudict Centre, encores que le vent ne se
renforce, ains demeure en un mesme estat, si est ce que par
l'oppression de la partie haulte, le Navire est contrainct a voguer
beaucoup plus legierement, qu'il ne feroit.
Mesmes quand les Avirons liez de cordage contre les costez du
Navire, sont mis en l'eau, et agitez a force de bras, leurs extremes
parties estant plongées dedans les vagues, font aller le corps du
Navire avant, avec beaucoup plus grande impetuosité, que sans leur
impulsion, joinct que la Proue va couppant la subtilité des undes sur
lesquelles il est porté.
Pareillement quand aucunes grandes et pesantes charges sont levées
sur les espaules de quelzques Portefaix, que nous disons Phalangarii,
s'ilz sont hexaphores ou tetraphores, c'est a dire six ou quatre en
nombre, ilz soupesent le faix avant marcher, et ce par les centres du
mylieu des Tinelz, a fin que chacun d'eux en porte une egale portion,
non obstant qu'il ne se puisse diviser: mais cela se conduit par le
moyen de certaine raison distributive, laquelle se faict sentir en
cest instant: et a ceste occasion sont au mylieu desdictz Tinelz
fichez aucuns crochetz de fer ou s'attachent les cordeaux des
Tetraphores, a fin que la charge ne voyse coulant avant ou arriere:
car s'il advenoit ainsi, elle presseroit par trop les espaules de
celluy dont elle approcheroit plus pres: comme vous voyez qu'ilz se
faict au fleau du Traineau, quand sa plomée se meyne d'une oche en
autre.
Ceste mesme raison faict entendre, que si aucuns chevaulx sont
attellez soubz un joug tant bien distribué sur son mylieu qu'il n'y
ait que redire, adonc tirent ces bestes esgalement: mais ou la
distribution n'est pareille, celluy des chevaulx qui a plus davantage,
foule grievement son compaignon: parquoy en ce cas fault dénouer leur
longe, et r'adresser l'un des costez du joug. Ce faisant, le plus
foible sera telement soulagé, qu'il pourra tirer autant que le plus
fort.
A la verité il en prend ainsi aux Portefaix comme a ces chevaulx
attellez, j'enten quand leurs cordeaux ne sont au mylieu des Tinelz,
et que la charge abandonnant le Centre, rend l'une des parties plus
longue que l'autre. Qu'il soit vray, Si estant constitué le Centre au
lieu ou pour lors le cordeau se treuve, puis que lon vienne a
compasser deux rondz de ses deux boutz: l'un regardant la plus courte
partie du Tinel, et l'autre la plus longue, il n'y a point de doubte,
que la plus estendue donnera sa circunference plus ample que la
moindre, qui fera la sienne d'autant plus petite.
Aussi comme les Roues de peu de tour sont de mouvement plus dur et
difficile, ainsi les jougz et Tinelz sur les endroitz ou leurs espaces
sont moindres depuis le centre jusques a l'extremité, pesent plus sur
les espaules, ou colletz des hommes, ou des bestes. mais ceulx qui ont
d'un mesme centre les distances assez longues, sentent alleger
les fardeaux, soit en tirant, ou en portant: et ce pour la
raison que telles choses longues ou rondes prennent leur mouvement du
centre: comme en pareil font Chariotz, Charettes, Tympans, Treuilz,
Roues, Viz, Escroues, Scorpions, Arbalestes, Presses, et autres telz
engins, qui par semblable occasion de longueur, centre, ou roulement
circulaire, font les effectz a quoy on les applique.
DES ESPECES ET GENRES D'ORGANES PROPRES
a puyser eau: et premierement du Tympan. Chap. IX.
[LO] JE commenceray maintenant a traicter des organes inventez de
long temps pour puyser eau, et en monstreray de diverses manieres:
mais le Tympan tiendra le premier lieu.
Cestuy la ne faict monter l'eau gueres hault: toutesfois il en puyse
en peu de temps une abondance merveilleuse. Parquoy a fin d'en
specifier les particularitez, je dy que lon faict tourner un arbre sur
le Tour, ou bien on le faict arrondir au compas: puis se ferre par les
deux boutz, et droit en son mylieu s'assiet une Roue creuse, d'aix
songneusement joinctz et ferrez l'un contre l'autre. apres on pose
cest engin sur deux piedroitz garniz de lames de fer a l'entour des
troux, ou entrent les extremitez dudict arbre. Dedans le creux de
ceste Roue il y a huict panneaux de boys, qui prennent depuis sa
circunference, et amortissent dessus le moyeu pour servir d'egales
separations ou chambrettes. Encores environ sa rondeur se fichent des
aix de mesme matiere, entre deux desquelz demeure environ demy pied
d'ouverture, a fin que ses concavitez se puissent facilement emplir.
Mais il est a noter que lon a preallablement faict a l'entour
d'icelluy moyeu certains conduitz, comme troux de Colombier, asavoir
un en chacune des espaces comparties pour chambrettes: et quand cela
est bien calfretté ou enduyt de bray (ainsi qu'il se faict aux
Navires) la Roue venant a tourner par le mouvement d'aucuns hommes qui
cheminent dedans, puyse force eau, a raison des ouvertures qui sont au
tour de sa circunference: puis ceste liqueur s'escoule incontinent par
les conduitz faictz a l'entour de son moyeu, lequel est depuis lá
percé en travers jusques au bout de l'arbre: parquoy necessairement
elle tumbe dedans un Auge de charpenterie, ayant une couloëre joincte
a soy, par ou elle va enroser les jardins, ou attremper les aires des
Salines: car il se tire assez d'eau par ceste facon la.
[FIGURE]
[LO] MAis s'il est question de la faire monter plus hault,
ceste mesme practique se changera comme je vous diray.
Faictes environ l'arbre gisant une Roue si grande qu'elle puisse
convenir a la haulteur qui sera necessaire, et attachez a l'entour de
ses courbes, plusieurs augetz de boys quarrez et bien enduitz de poix
et cire fondues ensemble: puis commandez a quelque homme qu'il entre
dedans pour la faire tourner en marchant de ses piedz, car par ce
moyen les augetz empliz d'eau monteront au plus hault de la Roue, et
en descendant verseront dedans la grande auge tout entierement ce
qu'ilz auront puisé.
[FIGURE]
[LO] ET s'il convient la faire monter encores plus hault, lon
accommodera sur la circunference de la Roue une chaine double,
laquelle pendra jusques au fons, et au long de ses chainons seront
attachées des Cruches congiales, c'est a dire contenantes chacune dix
livres d'eau pour le moins. parainsi le mouvement de la Roue faisant
tourner icelle chaine alentour, enlevera ces Cruches jusques au plus
hault: et quand elles seront pervenues droit a plomb du moyeu, force
leur sera de decliner contrebas, et verser dedans l'auge ce qu'elles
auront enlevé d'eau.
[FIGURE]
DES ROUES ET TYMPANS PROPRES
a mouldre farine. Chap. X.
[LO] LOn faict aussi sur les Rivieres, des Roues suyvant ceste mesme
industrie: mais environ leurs courbes sont attachées des aubes,
lesquelles estant l'une apres l'autre battues par l'impetuosité des
undes, contraignent la Roue a se tourner: et ainsi en puysant force
eaue dedans leurs augetz, qui la portent jusques au plus hault,
prestent ce qui est necessaire pour l'usage, sans ayde ne moyen
d'hommes cheminans, mais seulement par le cours violent de l'eau.
[FIGURE]
[LO] PAr semblable raison se meuvent aussi les machines
hydrauliques, c'est a dire resonnantes en l'eau: car toutes les
particularitez dessus escrittes y sont entierement contenues: mais il
y a davantage au bout de leur arbre un Tympan dentelé, que lon appelle
second ou moindre: lequel estant assis en ligne perpendiculaire, faict
tourner la Lanterne a pagnons et fuzeaux avec son rouet, mais le plus
grand aussi dentelé, est posé de plat: et cestuy la est garny d'un
arbre de bout, ayant en sa teste un gros fer de moulin avec sa Nille
qui tient la Meule, environnée de son archure ou chappe. Parainsi les
fuzeaux de ceste Lanterne environnant ledict arbre debout, poussant
les dentelures du Tympan couché de plat, contraignent icelle Meule a
tourner: et ce pendant elle a au dessus de sa Nille une Tremye ou lon
engrene le bled, qui est incontinent moulu et reduit en farine.
[FIGURE]
DE LA LIMASSE OU POMPE DICTE COchlea,
laquelle enlieve grande abondance d'eau, mais son si hault
comme la precedente. Chap. XI.
[LO] Il {IIl} y a semblablement une autre invention de Viz appellée
entre nous Cochlea, laquelle puyse une grande force d'eau, mais elle
ne la porte pas si hault comme la Roue: et voicy la maniere de la
faire.
[FIGURE]
[LO] LOn prend un fust ou chantier de Merrien, et regarde lon a
ce qu'il ait autant de poulces d'espoysseur comme il porte de piedz en
longueur. puis on l'arondit au Compas, et se faict un cercle sur
chacune de ses extremitez, que lon compartit en tetrantes ou octantes,
c'est a dire en quatre ou huict parties egales par lignes tirées a la
regle, qui doivent estre si justement assizes, qu'estant ce Chantier
levé sur la Terre, elles viennent toutes a correspondre aplomb l'une
de l'autre. Apres depuis le bout d'embas jusques a celluy d'en hault
lon va trassant d'autres lignes sur la longueur, si bien convenantes
ensemble, qu'il n'y a point plus d'espace entr'elles, qu'emporte une
des huict divisions faictes au Compas sur icelles deux extremitez.
Voyla comment s'ordonnent en icelles longueur et rondeur les distances
egales. Cela faict, suyvant lesdictes lignes longues on merque en
travers des decussations autrement traictz quarrez, et sur les
entrecroysures se notent des poinctz apparens. Puis quand tout est
curieusement achevé, lon prend une regle de Saule ou Oziere tenve et
subtile, laquelle est oincte de Poix fondue, et se mect sur le premier
ou plus bas poinct de la decussation: puis est menée en tordant de
poinct en poinct jusques au coupeau selon les longueurs et traverses
faictes en la circunference. et ainsi consequemment par ordre suyvant
tous les huict poinctz merquez aux deux boutz, lon passe ladicte regle
en tournoyant pardessus toutes les merques de la decussation, si
qu'elle pervient et s'attache a la fin contre sa ligne correspondante,
allant ainsi depuis le premier poinct, auquel sa basse partie
est attachée, jusques au huictieme d'enhault. et suyvant ceste
voye lon va par toutes ses espaces de la longueur et rondeur ou sont
notez les traictz quarrez: et par ou ceste regle ployante a noircy de
sa Poix, on faict des feuillures environnantes les huict divisions de
la grosseur, a la semblance d'une Limasse naturele. Adonc dessus
icelles regles lon y en assiet des nouvelles pareillement oinctes de
Poix, jusques a ce que cela croisse en tele quantité que la huictiesme
partie de la longueur soit egale a la grosseur.
Pardessus ces regles on attache des Tablettes de boys qui ferment
les entorses, et les enduit on de Poix fondue, mesmes se garnissent de
lames de fer, clouées a bons cloux: et sur les centres des deux rondz
se fichent de fortes chevilles pareillement de fer: et quand tout cela
est ainsi ordonné, lon plante deux Estamperches a droict et a gauche
de ladicte Limasse, ayans pres de leurs sommitez, des troux rondz
garniz de viroles de fer, par ou les boutz de cest Engin traversent,
si qu'il tourne facilement, quand aucuns hommes cheminent pardedans sa
Roue.
Mais pour l'asseoir ainsi qu'il appartient, fault necessairement
qu'il ayt un des boutz hault, et l'autre bas, a la facon que lon forme
le Triangle orthogone, c'est a dire de costez droictz, sur quoy
Pythagoras inventa son Esquierre: et que sa longueur soit divisée en
cinq parties, trois desquelles doivent estre données a l'exaulcement:
et parainsi l'espace estant depuis le bout d'embas de L'estamperche
perpendiculaire: jusques au plus bas goulet de ceste Limasse,
comprendra quatre portions. Mais pour mieulx enseigner {einseigner}
comment cela se doyt faire, la figure en sera pourtraicte en mon
dernier livre.
Jay descrit le plus ouvertement qu'il m'a esté possible, de quele
matiere se font les Organes pour puyser de l'eau, et enseigné les
moyens de les faire: mesmes ay dict comment et de queles choses ilz
recoyvent leur mouvement, dont il vient des utilitez infinies, afin
que telz engins soyent manifestes a ceulx qui s'en vouldront servir
par cy apres.
DE LA POMPE DE CTESIBIUS, LAQUELE
enleve l'eau merveilleusement hault. Chap. XII.
[LO] REste maintenant a parler de la Pompe de Ctesibius, laquele
faict monter l'eau en haulteur admirable.
Ceste la se faict d'Arain: et est asavoir qu'en son fons y a deux
Barilletz jumeaux peu esloignez l'un de l'autre, qui ont des biberons
en forme de fourchette, venans a se rencontrer bec a bec, et
s'assembler au mylieu d'une Conque, dedans laquelle sont subtilement
mises deux languettes gisantes sur les ouvertures d'iceux biberons, et
qui les estouppent si bien qu'elles ne permettent ravaller ce qui a
esté par l'esprit de l'air chassé ou seringué en la Conque, sur
laquelle est assis un Entonnoer renverse, faisant monstre d'une Cloche
ou manteau contre la pluye, estroit par hault, et large par bas,
ledict Entonoer si bien attaché par charnieres a la Conque subgette,
que la force de l'eau enflant la dedans, ne la peult enlever en aucune
maniere. Au dessus de cest Entonoer est posée une Sarbatane chassoere
ou Tuyau, que noz Latins disent Tuba, bien souldée, et dressée en
grande haulteur. Mais pour retourner aux Barilletz, ilz ont
pareillement sur les basses ouvertures de leurs biberons, d'autres
languettes accommodées {accommondées} pour semblable effect que
celles de dessus, et en leurs platzfons superieurs deux pilons
masles poliz sur le Tour, oingtz d'huyle, justement environnez de
Tringles sur iceulx platzfons, et en leurs boutz d'enhault garniz de
mortaises traversées de brassieres, pour les faire continuelement
tourner, et quand cela se faict, il contrainct par agitation l'air
enclos en iceulx barilletz a esmouvoir l'eau, laquelle faict ouvrir
les languettes des biberons d'embas, par ou en enflant, monte et se
pousse jusques dedans la Conque: et la estant receue, l'entonnoer
vient à chasser son esprit atravers la Serbatane, autant hault qu'elle
peult estre: puis elle retumbe en une Auge, et dela s'en va au service
et usage des hommes.
[FIGURE]
[LO] LEdict Ctesibius ne trouva seulement ceste invention
exquise, ains plusieurs aultres estranges et diverses, lesquelles
estant contrainctes par expressions de ceste liqueur, advenantes de
l'air agité, empruntent de singuliers effectz sur la Nature, comme
sont jargonnemens d'oyseaux, qui se forment par le mouvement de
l'esprit entonné en la concavité de leurs corps: ou comme les
Engibates, autrement vases attirans l'eau, qui font mouvoir de petites
statues: et assez d'autres choses ingenieuses donnant recreation a
l'ouye et a la veue, entre lesquelles j'ay choysi ce que m'a semblé
plus necessaire pour en parler en mon livre precedent sur le
traicté des horloges, et pour dire en cestuy cy les particularitez qui
me semblent convenables a l'endroit de l'attraction des eaux, aiant
bien voulu passer ce que je n'ay jugé estre d'importance,
{'dimportance} mais seulement imaginé pour causer voluptez
delicieuses: car ceulx qui seront couvoiteux de teles gentillesses, en
pourront tant apprendre dedans les Commentaires dudict Ctesibius,
quilz devront estre satisfaictz en leur esprit.
DES ENGINS HYDRAULIQUES DE QUOY
on faict les Orgues. Chap. XIII.
[LO] JE traicteray maintenant des engins hydrauliques, et
n'oublieray à mettre par escrit autant succinctement et au plus pres
du vray que je pourray, quele est la maniere de les ordonner.
Sur un Sommier de Charpenterie lon assiet un coffre d'Arain, et
audessus dudict Sommier tant a droit comme a gauche sont dressez des
tirans mis en forme d'eschelle, dont les boutz d'embas sont encloz en
certaines Soupapes pareillement d'Arain, les fons desquelles pour
estre subtilement faictz au Tour, se peuvent mouvoir assez a laise,
estant leurs centres attachez a crampons de fer, et joinctz a des
verins fichez au bout de leurs pilons masles enveloppez de peaux a
tout la laine.
Sur le hault fons de cesdictes Soupapes il y a des troux d'environ
trois doitz d'ouverture, a plomb desquelz et a l'entour d'iceulx
verins sont mis quelques Daulphins de cuyvre, qui en leurs bouches ont
des chaines pendantes, aux extremitez desquelles s'accrochent des
Symballes, devalantes par iceulx troux jusques dedans le coffre,
contenant de l'eau en sa concavité, et la dedans est comme un
entonnoer renversé, soustenu sur quelzques billotz cubiques en facon
de detz quarrez, portans trois poulces de haulteur, qui respondent a
nyveau {nyueu} de {de le} la grande Soupape relevée entre le fons du
Coffre, et l'embouchure des Souffletz. Au dessus du goulet de cest
entonnoer est enchassé un autre petit coffre soustenant la teste du
sommier, que les Grecz appellent Canon musical: en la longueur duquel,
si l'instrument doit estre Tetrachorde, c'est a dire a quatre jeux
differens, on y faict quatre canaux, au bout desquelz sont attachez
des trayans, s'il est hexachorde, six: et qui le desire octochorde,
huict. En chacun des susdictz Canaulx se mect un tuyau comme un goulet
de fontaine, par dedans lequel traverse une clef de fer, qui venant a
estre tournée, faict ouvrir les conduictz respondans en iceulx
Canaulx, sur lesquelz est posé le reste de ce Canon musical, qui a des
pertuyz ordonnez en son travers, lesquelz aussi respondent a la haulte
table dicte par iceulx Grecz Pinax.
Entre ce Canon et lasusdicte table il y a des saultereaux
interposez, nommez pleuritides, c'est a dire costes percées tout d'une
mode, et oingtes d'huyle, afin qu'elles puissent monter et devaller
plus a l'aise pour estoupper les troux des tuyaux a quoy ilz sont
subgetz, comme ilz sont: car quand on joue sur le clavier, leurs
montemens et descentes ouvrent certains pertuys, et referment les
aultres. Ces saultereaux ont de petiz hamessons de fer qui s'attachent
aux marches du Clavier, si que quand on les vient a toucher des doytz,
ilz se mouvent en merveilleuse {meruilleuse} promptitude.
Plus sur la table y a des troux par ou le vent peult sortir des
Canaulx, et en iceulx saultereaux sont souldez quelzques anneletz,
dedans lesquelz se viennent a enclorre tous les menuz boutz des tuyaux
d'Orgue.
D'avantage il y a des conduitz ou postes saillans hors
d'icelles Soupapes fermement conjoinctz aux superficies des tables de
boys, et touchans jusques aux ouvertures qui sont dedans le Trembloer,
auquel y a pareillement d'autres Sautereaux faictz au tour, colloquez
de tele sorte, que quand ladicte Soupape vient a recevoir le vent, ilz
en fermant les conduictz, ne permettent que l'esprit en puisse
resortir: et par ce moyen quand on abaisse les Pilons enveloppez de
laine, les crampons a quoy sont accrochees les superficies des petites
Soupapes, les contraignent a devaller jusques au fons: et adonc les
Daulphins posez sur les verins, descendans par les ouvertures,
emplissent avec leurs Cymbales ces concavitez de vases: puis de rechef
iceulx crampons rehaulsans menu et souvent lesdictes superficies, par
la vehemente agitation de l'esprit, et faisant estouper aux Cymbales
les troux superieurs ja mentionnez, sont cause que l'air enclos leans,
est par espraintes contrainct a entrer dedans les conduitz ou postes,
d'ou il s'en va lancer dedans le sommier de boys: et passant atravers
sa concavité se gette dans le coffre d'Arain contenant l'eau: parquoy
a raison du mouvement des Pilons, estant l'abondance de l'air
opprimée, force luy est de se couler parmy les ouvertures des clefz,
en maniere que cela sert d'ame pour emplir les Canaulx, si que quand
les marches du Clavier sont enfoncées au moyen des doytz de
l'Organiste, et que les trayans des petites Soupapes s'en haulsent et
rabaissent continuelement, ilz estouppent quelques tuyaux, et en font
ouvrir d'aultres, en maniere qu'avec l'art de Musique engendrant
plusieurs diversitez d'harmonie, l'Orgue rend ses sons doulx et
agreables au possible.
Jay faict tout mon effort d'exposer clairement par escrit ceste
chose obscure: toutesfois je ne l'ay sceu rendre si facile que chascun
la puisse comprendre du premier coup: et croy que je ne seray entendu
sinon de ceulx que font profession de cest art. Toutesfois s'il s'en
treuvent aucuns qui peu a peu y puissent mordre par ce que j'en ay
dict, je suis asseuré qu'apres en avoir acquis pleine cognoissance,
ilz trouveront que toutes les particularitez en sont par moy
deduittes, suivant la subtilité que le subject desire.
COMMENT ET PAR QUELE RAISON NOUS
pouvons mesurer nostre chemin, encores que nous soyons portez en charette,
ou que naviguions dedans quelque navire. Chap. XIIII.
[FIGURE]
[LO] MAintenant se tourne mon stile a traicter un secret lequel
n'est sans profit, et qui fut par grande industrie inventé de noz
predecesseurs, puis a nous laissé pour nostre usage, C'est afin de
savoir en allant par pays, encores que soyons en chariot ou sur la mer
en quelque navire, combien nous aurons faict de milles ou demy lieues
de chemin: Chose qui se pourra facilement cognoistre au moyen de la
practique suyvante.
Soyent les roues de nostre chariot faictes si larges que leur
diametre comprenne quatre piedz et ung sextant, c'est adire une
sixieme partie de pied, afin qu'estant la roue assize sur un costé,
quand sa rondeur commencera de tourner sur la terre pour faire voyage,
apres qu'elle sera revenue au mesme poinct de son commencement, elle
ayt passé une certaine portion de voye, a savoir douze piedz et demy.
Estant ceste chose ainsi preparée, fauldra fermement joindre contre le
moyeu de la roue par le dedans du chariot un Tympan ou rouet ayant sur
les courbes sa circunference une dent toute seule: puis dedans le
corps d'icelluy Chariot soit attaché un Estuy de boys quarré traversé
d'un aysseau portant un autre Rouet mouvant en maniere de lanterne,
ledict Rouet garny tout a l'entour de quatre cens dentelures egalement
distantes, et convenantes a la grosseur de la dent du Tympan
inferieur. Apres soit mise sur l'un des costez d'icelluy second Tympan
une languette passante toutes les autres dentz: et pardessus cela se
pose de rechef un troysieme Rouet couché de plat, et dentelé de mesme,
environné d'une autre chappe, et dont les crenelures conviennent a la
dent saillante d'un des costez du second Tympan dessus dict.
En la circunference de ce troysieme creux par dedans soyent faictz
autant de troux comme lon peult cheminer de milles en un jour, ou plus
ou moins: car le nombre expres n'y sert de rien. apres en chacun de
ces troux soit mis un caillou rond: et faictes en la chappe ou
revestement certain pertuys respondant a un conduit dedans lequel les
cailloux puissent tumber l'un apres l'autre quand ilz arriveront a
l'endroit, et estre receuz en un vaisseau d'Arain supposé tout expres
et mis dedans le Chariot. Parainsi quand la Roue cheminera, le Tympan
joinct a son moyeu se tournera par force avecques elle: et a chascun
tour qu'il fera, sa dent poussera l'une de celles du second Rouet
superieur a luy, telement que quand il aura tourné par quatre cens
fois, icelluy Tympan second n'aura faict qu'un tour seulement: au
moyen de quoy la languette estant attaché a l'un de ses costez, et
excedante les autres dentelures, fera aussi cheminer par ordre les
dentz du troysieme Tympan superieur, si que le chemin ce pendant
exploitté, contiendra cinq mille piedz d'estendue, qui sont
mille pas, ou demy lieue de voye: et ainsi les cailloux qui cherront
dedans le vase donneront par tinter advertissement des milles que lon
passera: et au soir quand on les viendra recueillir, leur nombre
enseignera combien il y en aura de depeschez en toute la journée.
[FIGURE]
[LO] TOut ainsi peult on faire en navigations, changeant
seulement quelque peu de choses: et ne fault sinon passer un arbre
gisant atravers les bordz du navire, en sorte que ses deux extremitez
saillent dehors, et que des Roues portantes quatre piedz et un sextant
de diametre, y soyent accommodées, ayant leurs circunferences
touchantes a l'eaue.
Sur le mylieu d'icelluy arbre pardedans le corps du Navire, mettez y
un Tympan ou Rouet garny d'une seule dent passante hors de sa rondeur:
dessus cela soit assis un Estuy aiant un autre Tympan cloz en soy,
dentelé de quatre cens dentelures egales, convenantes a celle du Rouet
inferieur, attaché à l'arbre gisant. Ledict second Tympan ayt aussi
une languette posée sur l'un de ses costez, et excedente la
circunference jusques a toucher une tierce Roue pareillement mise de
plat en une autre chappe, et dentelée tout de mesme, afin que la dent
du Tympan attaché a l'arbre, pousse a chascun tour qu'il fera, une de
celles de son Rouet superieur: lequel aussi face cheminer avec sa
languette excedente la tierce Roue mise de plat, et percée de certains
troux, dont chacun soit garny d'un Caillou rond. Mais il ne fault
oublier de faire au fons de la chappe ou Estuy d'icelle tierce Roue,
un pertuys respondant a un conduyt par ou le caillou delivré de
l'empeschement qui le gardoit de tumber, puisse cheoir en un vase
d'Arain supposé, et signifier par son bruyt q'un mille de voye est
depesché: et par ce moyen quand le corps du navire voguera par
impulsion d'avirons, ou de vent, les arbres sur qui seront sur les
Roues touchantes l'eau, agitées par mouvement contraire, forceront les
Tympans interieurs a tourner: car en se tournant, elles feront mouvoir
l'arbre gisant, et cedit arbre le Rouet attaché a soy, garny d'une
seule dent, comme dict est, si qu'a chascun tour qu'il fera, celle
dent poussera une de celles de son Tympan superieur, qui a ceste cause
fera sa circuytion tardive, consideré que quand les Roues
munyes d'arbres auront faict quatre cens revolutions, le
second Tympan poussé par la dent du susdict attaché à l'arbre gisant,
n'aura tourné fors un seul coup: et ce pendant toutes et quantesfois
que le troisieme Rouet couché de plat menera ses cailloux sur le trou
faict en son estuy, ilz tumberont par le conduit dedans le vase
d'Arain supposé: et parainsi feront entendre avec leur retentissement,
et par leur nombre, combien lon passera de milles durant tele
navigation.
[FIGURE]
Il me semble que jay suffisamment exposé les secretz qui
donnent proffit et plaisir en temps calme et privé de crainte, mesmes
que j'ay dict tout d'une voye comment ilz se doyvent faire et
practiquer.
DES CATAPULTES OU GRANDES MACHINES
a lancer traictz, ensemble des Scorpions ou Bacules. Chap. XV.
[LO] MAintenant donc je traicteray des munitions inventées pour s'en
prevaloir et garentir quand le peril apporte le besoing: et
enseigneray la practique de faire Scorpions, Catapultes, et Arbalestes
a fonde, sans oublier leurs mesures et proportions. Mais en premier
lieu je descriray par le menu une Catapulte afin d'expedier nostre
Scorpion puis apres. Toute la symmetrie de ces Machines se prend sur
la longueur du traict qu'elles doivent jetter: et faict on sur les
boutz des chapiteaux la grandeur des troux par ou se doyvent tendre
les nerfz entortillez qui font cambrer les braz de l'arc,
justement de la neufieme partie d'icelluy traict, et se forme la
largeur et profondeur d'iceulx troux comme il sensuyt.
Les tables que nous disons paralleles ou equidistantes, de quoy
s'arment tant hault que bas, les deux extremitez de ces chapiteaux,
sont tenues sur le mylieu de la largeur d'un trou et un dodrant, c'est
adire une neufieme partie de plus, et en tout le residu portent de
large la moytie d'une de ces mesures et demye.
Les Parastates, autrement contrefors tant a droit comme a gauche,
non compris en ce leurs gons ou crochetz de fer, ont quatre diametres
de trou en largeur, et cinq d'espoysseur pour le moins.
Ces ferrures emportent un demy diametre avec un Sicilique vallant
une quarte partie de la totalité.
Depuis ce trou jusques a l'arbrier du mylieu il y a l'espace d'un
demy diametre, avec un Sicilique d'avantage.
La largeur du susdict arbrier est d'un trou et un quart: mais pour
son espoysseur il en a un tout entier.
Le cours ou Coulisse sur quoy se met la Sagette droit au mylieu
d'icelluy arbrier, tient une quarte partie de diametre.
Les quatre angles ou arestes d'environ, tant sur le front comme sur
les costez, se doyvent bien bander de lames de fer, ou ficher a cloux
et chevilles de ce propre metal.
A la susdicte Coulisse (que les Grecz appellent Strix) fault de long
l'estendue de dixneuf troux.
Les Tringles dictes par aucuns des nostres Buculae, qui sont
attachées d'un costé, et d'autre de la Coulisse, doyvent en cas pareil
avoir dixneuf diametres de long: mais l'espoysseur d'un y peu suffire.
Lon en fiche aussi deux autres contre le bas de l'arbrier pour
asseoir la succule ou moulinet entredeux, portant neuf diametres de
longueur, et de grosseur un demy seulement.
La Bucule appellée Camillum, ou selon quelzques uns Loculamentum,
c'est a dire cheville entrant dedans le Ressort pour faire descharger
la machine, est assize sur une pate de fer, ou queue d'Arondelle a
charniere, et porte d'espois {spois} un trou entier, mais de haulteur
elle n'en a sinon demy.
La longueur d'icelluy Moulinet est de neuf diametres, avec un
neufieme: mais celle des brassieres nommées Scutulae, qui le font
tourner, doit estre aussi de neuf ou environ.
L'Epitoxis ou noix de la Catapulte a de long un demy trou avec un
quart de sa moytie, et d'espoysseur une quarte partie.
Le Chelos ou bien Manucle, autrement Ressort, porte trois diametres
de longueur, mesmes est large et espoys d'un demy et un quart.
L'estendue du Canal en fons ou Coulisse allant contrebas de
l'arbrier, peult porter seze diametres, et la neufieme partie d'un en
profondeur: puis de large un demy avec aussi un quart.
La Columelle ou Chevalet dressé dessus sa base a terre, porte de net
huict troux de hault: et la largeur de la mortaise estant faicte en
son Plinthe, en quoy entre le Tenon d'icelluy Chevalet, comprend un
demy diametre, et un quart d'ouverture: et celle clef a d'espoysseur
une douzieme partie, autrement une drachme, qui vault environ un
huytieme de la totalité.
La longueur du Chevalet depuis son pied jusques au crochet
d'enhault, porte douze troux et un neufieme, et de largeur un tout
entier, avec un demy et un quart de superabondant.
Ce Chevalet a trois crampons dentelez, chacun desquelz porte neuf
troux de long, demy de large et un neufieme: puis d'espoysseur une
drachme, qui vault trois scrupules. La longueur du Pivot surquoy
tourne la machine, est d'une neufieme partie de trou.
La teste du Chevallet est longue d'un demy diametre, avec un Cotyle
vallant neuf poulces.
L'avant fiche, porte de large un trou entier, et un neufieme, avec
un Sicilique d'avantage, mais despoysseur elle en a aussi un.
La moindre Colonne ou arboutant de derriere, qui se nomme en Grec
Antibasis, a huit diametres de hault, de large un et demy: puis
d'espoysseur quatre oboles et d'avantage.
Le Subgect ou chevalet de la machine, a douze troux de hault en son
entier: et est de pareille largeur et grosseur que ladicte petite
colonne ou arboutant.
Sur ceste petite colonne se met un Chelonium, entre nous Pulvinus,
c'est a dire coyssin, et communement Ammare, Boyste ou Auche, qui a de
long deux diametres et demy avec une neufieme partie: de haulteur
autant, et de largeur un et demy avec un quart.
Les Cartibes du Moulinet, autrement viroles de fer exterieures,
fortifiantes ses deux extremitez, ont deux demyz troux d'estendue, et
une neufieme portion de plus.
L'ouverture de chacune mortaise par ou passent les brassieres pour
tourner, est d'un demy diametre et un neufieme, et ces brassieres sont
larges d'un demy.
Les traversans ou entretoises avec leurs Pivotz ont de longueur dix
diametres de trou avec un neufieme, et de large un et un neufieme:
puis leur espoysseur est de cinq. La longueur de chacun bras de l'arc
porte sept troux de mesure, et de grosseur en sa racine entée dedans
les chapiteaux, une douzieme et une drachme: puis par le menu bout une
grosseur d'iceulx troux avec une drachme deplus.
Toute la cambrure de la machine bien tendue, arrive a huit diametres
de trou.
Voyla comment et par queles proportions ces choses se preparent:
toutesfois on y peult adjouster ou diminuer a l'equipollent: car si
les montans dictz Anatones, autrement egaulx en resonnance, sont plus
haultz que larges, il fauldra raccourcir les bras, a fin que le ton
causé de ceste haulteur, n'en soit mol ny debile, ains que la courte
estendue d'iceulx bras pousse le traict plus roidement, et rende son
effort de beaucoup plus grande violence.
Mais si ledict montant est catatone, c'est a dire moins hault que
large, il fault faire ses bras un peu plus longz, pour amoderer la
grande force qu'il conviendroit mettre a les bander. et ce doyt en
cela suyvre l'observation du Tinel dont j'ay parlé environ le
commencement de ce livre: consideré que s'il n'à sinon quatre piedz de
long, cinq hommes sont requiz a lever un fardeau: mais s'il en a huit,
facilement sera levé par deux. Ne plus ne moins est il des bras d'un
arc, veu que tant plus on les tient longz, plus sont ilz aysez a
bander: et tant plus on les faict courtz, plus se treuvent ilz
vigoreux, et en poussent leur charge plus royde.
[FIGURE]
DES ARBALESTES OU BRICOLES
a fondes. Chap. XVI.
[LO] J'Ay dict et declaré la facon de faire les Catapultes, ensemble
queles proportions et membrures on leur doyt donner. Mais la raison
des Arbalestes est aucunement differente, non obstant que ces deux
machines tendent a un mesme effect: car aucunes d'icelles Arbalestes
se montent par Moulinetz a brassieres, d'autres par Polypastes ou
bandages a plusieurs poulions: quelzques unes par Ergates ou Cinges:
et d'autres par Tympans ou Treuilz de Charpentier.
Si fault il bien entendre qu'il ne s'en faict aucune sinon sur la
grandeur du pois de la pierre qu'on luy veult faire jetter: parquoy
leur practique n'est facile a tout le monde, ains seulement a ceulx
qui entendent les nombres et multiplications d'Arithmetique. Qu'il
soit ainsi, on faict au bout de leurs montans certains troux par
lesquelz on les tend avec cheveulx de femme, ou bien cordages
de nerfz filez. mesmes se prend celle grandeur de troux sur la
grosseur de la pierre offensive, ne plus ne moins que se font les
proportions des Catapultes sur la longueur de leurs sagettes. Parquoy
voulant subvenir a ceulx qui ne sont exercitez en Geometrie ny
Arithmetique, a fin qu'advenant la fureur de la guerre, ilz ne
s'amuzent a calculer sur cest affaire, je leur donneray presentement a
congnoistre les choses certaines que j'ay veues, en mettant moy mesme
la main a l'oeuvre, et que j'ay en partie aprises de mes maistres:
parespecial comment les pois des Grecz se conforment a leurs mesures,
et par quele voye nous les povons accommoder aux nostres.
DE LA PROPORTION DES PIERRES QUI SE
doyvent mettre en la fonde d'une Arbaleste. Chap. XVII.
[LO] L'Arbaleste qui doyt jetter un Caillou pesant deux livres, doyt
avoir les troux au bout de ses chapiteaux de cinq doytz de large.
Si ledict Caillou pese quatre livres, chacun trou aura six ou sept
doytz de diametre, et quelque neufieme partie d'avantage.
Si la pierre est de six livres, huit doytz et un neufieme suffiront
a l'ouverture.
Pour vingt livres de pois, il la fauldra de dix doytz et un
neufieme.
Pour quatre {Sic} de douze doytz et demy avec un quart.
Pour soixante livres, de treze doytz et une huytieme partie.
Pour quatre vingz livres, de quinze doytz et un neufieme.
Pour cent vingt livres, d'un pied et demy, avec aussi doyt et demy,
et un neufieme sur le tout.
Pour cent soixante livres, de deux piedz et un neufieme.
Pour cent quatre vingtz livres, de deux piedz et cinq doytz.
Pour deux cens livres, de deux piedz et six doytz.
Pour deux cens dix livres, de deux piedz sept doytz et un neufieme.
Pour deux cens cinquante livres, de deuz piedz, unze doytz et demy.
Estant ainsi constituée la largeur de ces troux principaulx, soit
formée la Scutule ou Rondelle que les Grecz nomment Peritritos, c'est
a dire percée environ sa circunference, laquelle ayt deux diametres de
trou en longueur, avec une douzieme partie, et une drachme de
superabondant: puis de grosseur deux d'iceulz troux, et une sixieme
portion adjoincte.
Apres soit divisée en deux moyties la ligne de sa rondeur: et l'un
de ses boutz retrecy d'une sixieme partie de la longueur, en sorte que
ladicte Rondelle vienne a representer une forme ovale, mais qu'elle
porte de large a l'endroit de sa versure ou restrecissement, une
quarte partie de ceste mesure: et sur le coste ou se faict sa
cambrure, auquel se raportent les summitez des angles, et ou
pareillement les troux se rengent, fault que la restrecissure se
retourne en dedans d'une sixieme partie de ladicte largeur.
Le maistre trou d'icelle Rondelle soit autant long comme a
d'espoysseur l'Epizyge, c'est a dire la chambrette ou s'enchasse la
noix.
Quand tout cela aura esté formé, l'environ se divise en neuf
parties, a fin que la cambrure en soit doulcement contournée, mais
faictes que l'ouverture de son trou porte un diametre du principal
avec un demy et trois oboles. Lors ceste besongne accomplie,
soyent ordonnez les vaisseaux ou augetz propres a tenir les pierres,
en sorte qu'ilz ayent deux troux de large, et une quarte partie de la
moytié d'un, ou pour le moins un et demy avec un Sicilique, et un
neufieme: puis leur espoysseur, sans ce qui entre dedans la mortaise,
monte a un demy diametre, mais il fault qu'elle ayt autant de saillye
que monte la mesure principale avec une sezieme partie de plus.
La longueur des Parastates ou contrefors se face de cinq diametres,
un cinquieme et trois oboles.
La courbure ayt une moytié de trou, et la grosseur emporte un unce
avec un soixantieme partie de superabondant.
Lon adjouste a la Parastate moyenne autant que vault l'espace estant
pres du trou faict en la description, a scavoir une cinquieme partie
du diametre.
La haulteur se faict d'une quarte.
La plattebande attachée aux bordz de l'entablement a huit troux
d'estendue, est espoysse d'un demy.
Les gons ou pivotz doyvent porter deux troux, une drachme avec une
neufieme portion de plus: et leur grosseur avoir un diametre tout
entier avec deux Siciliques et un neufieme ou environ.
La courbure de la tringle de dessus, arrive a un demy trou et un
quart: mais la largeur et la grosseur de l'autre exterieure porte
celle proportion double.
La largeur de la Parastate se raporte a la longueur qu'aura donné le
contour de la formation, et autant en fault a la courbure avec un K.
qui signifie Cotyle valant neuf poulces.
Au demourant les Tringles de dessus soient egales a celles de
dessoubz, a savoir chacune d'un Cotyle.
Les deux tables des traversans ayent une largeur de trou avec un
Cotyle de plus: chacune des perches du Climaciclos {Clima ciclos} ou
Climacis, qui est une petite eschelle pour bander et faire monter de
degré en degré la corde de l'arc jusques a la noix, ayt treze troux et
un neufieme de long: puis de grosseur trois et un quart.
L'intervalle ou espace du mylieu comprenne seulement une quarte
partie et un neufieme de la largeur du trou, et l'espoysseur une
huitieme avec un quart.
La partie superieure du Climacis prochaine et conjoincte a la table,
soit divisée en cinq parties, dont deux et une neufieme portion se
donnent au membre que les Grecz appellent Chelon, qui ayt de large une
sezieme partie, et d'espoysseur un Sicilique avec un neufieme: mais sa
longueur soit de trois troux d'estendue, adjoinct encores un demy
diametre, et un Cotyle d'avantage.
Les eminences ou saillyes de ce Chelos, soyent d'un demy trou, et
non plus.
Le Pleuthigoma, c'est a dire auget quarré dedans lequel se met la
pierre ou quarreau qu'il convient jetter, ayt d'ouverture un Oxybaphe,
autrement la quarte partie d'un Cotyle, qui contient vingt et quatre
drachmes avec un Sicilique d'avantage.
Ce qui est joinct a L'axon, que lon appelle front traversant ou
chevalet, sur lequel se tourne la machine, soit de trois diametres et
un neufieme.
La largeur des regles ou tringles du dedans, porte une sezieme
partie du trou, et d'espoysseur un Oxybaphe, avec aussi un Cotyle de
plus.
Le Replum ou couverture du fer faict en sorte de Congnée s'emboyste
dedans le Chelos de la profondeur d'un Cotyle.
Le bout de la Climace ayt une drachme et demye de large, et
son espoysseur soit d'un Cotyle.
Le quarré qui est aupres de la Climace, ayt une douzieme portion et
demye du trou entier, et en ses extremitez un Cotyle.
Le diametre de l'aysseau rond, soit egal a celluy du Chelos: mais
aux chevilles en fault un demy, moins une sezieme partie et un Cotyle.
L'Anteridion ou clef de la machine ayt de longueur quinze troux avec
un Sicilique, et de large par embas une sezieme partie de ceste dicte
longueur, avec un neufieme d'avantage: mais par enhault son espoysseur
soit de deux Cotyles.
La base que lon dict Eschara, porte convenable quantité de troux en
long: la contrebase autant: puis leur espoysseur soit de la neufieme
portion d'un diametre principal.
La Colonne se compasse sur la moytie de la haulteur en y adjoustant
un Cotyle d'avantage, et doyt avoir en grosseur et largeur un
cinquieme. Toutesfois sa haulteur ne se prend pas sur la proportion du
trou, ains luy est donnée tele qu'il est besoing selon l'usage et
commodité des bras, sa haulteur est de VI. parties et sa grosseur en
la racine du trou sur les extremitez est d'une douzieme portion de
ceste mesure.
J'ay declaré les symmetries qui m'ont semblé necessaires pour faire
des Arbalestes a fonde, et aussi des Catapultes: parquoy maintenant
n'omettray a specifier tout ce qui me sera possible pour donner a
entendre comment et par quele industrie se montent et bandent leurs
cordes faictes de nerfz ou cheveulx tortillez.
DU BANDAGE DES CATAPULTES ET
Arbalestes. Chap. XVIII.
[FIGURE]
[LO] LOn prend certains chantiers de boys de grandeur assez
ample, aux boutz desquelz s'attachent aucunes ammares, auches, ou
boystes, que lon charge de moulinetz: puis en l'espace du mylieu de
ces chantiers lon faict des mortaises en quoy se logent les testes des
Catapultes, qui se serrent a coingz comme une Louve, a fin qu'elles ne
bougent quand on les veult bander. D'avantage lon met en iceulx boutz
de machine aucuns moyeux d'Arain arrestez par goujons de fer, que les
Grecz nomment Epithides. apres l'extremité de la corde se passe d'un
costé par le trou de son moyeu, et traverse jusques a l'autre: puis on
l'attache au moulinet que lon tourne avec des manivelles, jusques a ce
que la dicte corde tende si fort que quand on la touche des mains, sa
resonnance soit par tout egale: et lors on l'arreste sur ce poinct, au
moyen des coingz de fer comme dict est, a fin qu'elle ne se puisse
lascher: et aussi lon monte de mesme (par moulinet et
manivelles) celle qui passe de l'autre part, jusques a ce que les deux
s'accordent en unison. Voyla comment par cest arrest de coingz, et
avec le jugement de l'oreille musicienne, se faict la temperature du
bandage d'icelles Catapultes, dont j'ay traicté au mieulx que j'ay peu
faire.
DES ENGINS POUR DEFENDRE ET
offendre: mais en premier lieu de l'invention du Bellier,
et de sa machine. Chap. XIX.
[LO] REste maintenant a parler des machines offensives, et a dire
comment par leur execution les Capitaines se font victorieux: puis en
quele sorte les villes en peuvent estre defendues.
Lon dict que {quae} l'invention du Bellier pour offendre, vient de
ce que les Carthaginiens dresserent quelque fois une armée pour
subjuguer les Isles dictes Gades, maintenant le destroit de Gibraltar:
ou ayans a force pris un chasteau, qu'ilz vouloient demollir, mais ne
se trouvans assez de ferremens, chargerent une solyve de boys qu'ilz
soubzleverent en leur mains, et heurterent avec son bout si
continuelement contre le hault du mur, qu'ilz commencerent a jetter
par terre les premiers rengz de la massonnerie: puis poursuyvirent
ainsi de degré en degré jusques a ce qu'ilz eurent demoly tout le pan.
Ce pendant un Charpentier Tyrien nommé Pephasmenos induict de ceste
invention, leva un mast de Navire, et y en pendit un autre de travers
en maniere d'un fleau de Balance, lequel par estre tiré et bouté
violentement contre la muraille, ruyna en peu d'espace toute la
fortresse des Gaditans.
Apres Cetras de Calcedoine fut le premier qui y feit une base assize
sur des roues, et assembla par mortaises sur les Lambourdes certaines
Estamperches ausquelles il feit pendre le Bellier: puis couvrit sa
chappe d'un bon gros cuyr de Beuf, a ce que les hommes ordonnez pour
estre dedans ceste machine propre a estonner le mur, feussent en plus
grande seurté contre les traictz de l'ennemy: et pourtant que ses
effortz estoient tardifz, son plaisir fut de la nommer Tortue
belliniere. Voyla quelz furent les premiers commencemens pour establir
ceste machine.
Mais durant que le Roy Philippe de Macedoine filz d'Amyntas, tenoit
le siege devant Byzance, a present Constantinople, un Polyidus de
Thessalie en feit plusieurs autres sortes plus faciles, et d'aussi
grand effect: puis Diades et Chereas qui militerent soubz le grand
Alexandre, aprindrent la science de les faire: et ce Diades monstre
par ses escritz qu'il inventa les Tours ou Bastilles ambulatoires,
c'est a dire qui se conduysent ou lon veult: puis dict qu'il les
souloit faire charier quant et quant les Soldatz toutes desassemblées:
et par pieces.
Plus que la Terebre Trepan ou Tariere est de son invention, avec
aussi la machine montante, {motante} dicte Pont volant, par lequel on
peult aller a plain pied sus la muraille. D'avantage il afferme avoir
trouvé le Corbeau demolisseur, par quelzques uns appellé Grue, et qui
plus est, encores nous faict il entendre qu'il usoit du Bellier a
Rouet, dont il a laissé les raisons par escript.
Ce Diades veult que la plus basse Tour ambulatoire ne se face moins
haulte que de soixante coudées, et qu'elle en ayt dix sept de large,
mesme que son restrecissement par enhault soit d'une cinquieme de sa
mesure par embas, aussi requiert que les montans du fons,
soyent dodrantaulx, c'est a dire de douze poulces d'espoysseur, et
ceulx d'enhault d'un demy pied. En oultre sa doctrine apprend qu'il
fault clorre celle tour de dix entablemens ou pans de fust qui doyvent
estre fenestrez de tous costez. Mais la plus grande Bastille doyt (ce
dict il) porter six vingtz coudées de hault, vingtz trois et demy de
large, avec une neufieme partie du tout, et son restrecissement par en
hault soit d'une cinquieme portion de son diametre aussi bien que la
precedente.
Ceste grande Bastille estoit jadis close de vingt entablemens, qui
avoient chacun trois coudées de diametre, et la faisoit l'enginier
couvrir de cuyrs non parez, afin qu'elle peult resister aux traictz de
l'ennemy. La Tortue Belliniere se faisoit aussi par ceste mesme
practique, et avoit trente coudées endedans oeuvre, et seize de hault
sans son faiste qui en portoit sept depuis le dernier estage jusques a
sa sommité.
Encores sortoit il contremont sur le mylieu d'icelluy faiste une
tournelle qui n'avoit moins de douze coudées de large, et quatre
estages l'un sur l'autre, au plus hault desquelz estoient logez
certains Scorpions et Catapultes, et ceulx de dessoubz bien garniz
d'eau pour estaindre le feu si d'avanture les ennemys l'y povoient
faire prendre. Oultre tout cela on mettoit en ceste machine une autre
Belliniere dicte en Grec Criodocé, en laquelle avoit un Rouleau poly
au Tour, et le Bellier posoit dessus, qui par roydissemens et
alentissemens de cordes faisoit des effectz merveilleux: et pour le
conserver, on le couvroit aussi de cuyrs non parez, ne plus ne moins
comme la Bastille susdicte.
[FIGURE]
[LO] VOicy maintenant ce que nostre Diades a laissé par escrit
de la Terebre ou Tariere.
Il dict qu'il faisoit ceste machine pareille a la Tortue, et qu'il y
avoit en son milieu un chantier garny d'un cours ou Coulisse tout
ainsi que lon est acoustumé de faire a l'endroit des Catapultes et
Arbalestes: et estoit icelluy Chantier de cinquante coudées en
longueur: et d'une de large en quarrure. Sur cestuy la s'attachoit un
moulinet en travers, qui avoit en ses deux boutz tant adroit comme a
gauche, deux poulyons faisans mouvoir un fust ferré, assis sur la
Coulisse, au dessoubz de laquelle estoient seurement cachez certains
hommes qui le faisoient
heurter souvent, et avec une grande impetuosité. Puis au
dessus de ce Chantier lon mettoit des mantelletz couvertz de cuyr cru,
tant pour la defense de ladicte Coulisse, que de tout le corps de la
machine qui en estoit pareillement remparée.
Au regard du Corbeau, icelluy Diades ne fut oncques d'opinion d'en
rien escrire, pource qu'il luy sembla n'avoir comme point d'efficace.
Mais quant a l'engin pour monter, qui est en Grec nommé Epibatra, et
a nous Pont volant, puis auz machines de marine dont lon se sert pour
aborder navires ennemyz, je treuve (apres avoir songneusement revisité
ses livres) qu'il avoit promis d'en escrire: toutesfois il n'en est
ensuyvi aultre chose que sa seule promesse.
Or ay je dict et exposé ce que le susdict Diades a escrit des
machines, ensemble la practique pour les faire: parquoy maintenant je
parleray de celles que j'ay apprises de mes maistres, et qui me
semblent necessaires.
PREPARATION DE LA TORTUE
commode a remplir fossez. Chap. XX.
[LO] QUi veult faire la Tortue pour combler un fossé, et la mener
(s'il est besoing) jusques au pied d'une muraille, fault qu'il y
procede en ceste sorte.
Soit (avant tout oeuvre) faicte une base quarrée que les Grecz
nomment Eschara, laquelle ait de tout costez vingt et cinq piedz de
large, assize sur quatre traversans, assemblez sur deux Lambourdes ou
poultres espoysses d'une douzieme partie et demye de la mesure
susdicte, et larges d'une sixieme justement: mais iceulx traversans
soyent distans l'un de l'autre d'environ pied et demy, et leurs
arbuscules ou billetz revestans les Rouages qui se disent en Grec
Hamaxopodes, c'est a dire piedz de charroy, soyent supposez en chacun
de leurs espaces, telement qu'entre ces arbuscules puissent tourner
les aysseaulx des Roues bien bandez a lames de fer. Toutesfois il est
requis que lesdictz arbuscules tournent pareillement sur leurs Pivotz,
et soyent garniz de mortaises, par dedans lesquelles estans mises
certains brassieres, les mouvemens du rouage se facent, mais de mode
que la machine puisse aller avant et arriere, a droit et a gauche,
obliquement ou de travers, en tous costez, qu'ilz sera necessaire, au
moyen (comme dict est) du tournement d'iceulx arbuscules mouvans. Cela
faict, soyent estenduz tant d'une part que d'autre de la base, deux
Chantiers ayans six piedz de saillye, environ la forjetture desquelz
en soyent fichez deux autres sur les frontz du devant et du derriere,
portans aussi sept piedz de passe, et qui ayent tele largeur et
grosseur comme il est ja escript en la base.
Dessus ceste compaction ou assemblage soyent dressez des montans
compactiles, c'est a dire qui se puissent joindre, portans neuf piedz
de hault, sans leurs pivotz, et larges de pied et demy de tous costez,
toutesfois eloignéz par bas de pied et demy d'espace: et ces montans
s'emboystent par hault en des sablieres mortaisées sur lesquelles
soyent assiz des cheverons entez les uns dedans les autres, et levez
de neuf piedz en haulteur: puis pour faire leur pignon soit posé sur
tout cela une filiere quarrée, dedans laquelle ilz se voysent tous
assembler, et s'amortissent ou declinent en pente dessus les montans
des costez ou ilz soyent arrestez fort et ferme. Apres couvrez ce
pignon de bons aix, specialement de boys de Palme: et si vous n'en
povez finer, en leur lieu servez vous de tout autre merrien qui peult
avoir vigueur de resister au feu: non pas de Sapin, ny d'Aulne, pource
que ce sont boys rompans, et qui recoivent facilement la flamme.
En fin ceignez tous les costez de vostre machine avec des
cloyes faictes de menuz syons d'osiere vers et couppez de fraiz, puis
tyssuz et entrelassez le plus espoyssement que possible sera, mesmes
ramparez de balles de cuyr cru, emboutyes d'Algue, qui est herbe
marine, ou de paille trempée en Vinaigre, et de cela soit armé tout le
corps de la Tortue: parainsi teles choses amortirent les grans coupz
venans des arbalestes ennemyes, et n'obeyront du premier assault a la
violente impetuosité du feu.
[FIGURE]
D'AUTRES MANIERES DE TORTUES. Chap. XXI.
[LO] IL est encores une autre espece de Tortue, laquelle à toutes
les particularitez dessus escrittes, excepté les montans: mais en leur
lieu elle est garnye de flancheres et d'un comble faict de fortes
planches, dont le rabbat est soustenu de courbes. cambrées
encontrement: et est ledict comble recouvert d'autres planches et
cuyrs fermement attachez: puis le tout enduyt d'une croute d'Argille
pestrie avec rongnures de cheveulx, de telle espoysseur que le feu ne
s'y sauroit de long temps attacher.
Ces machines peuvent estre montées sur huit Roues s'il est besoing
et que la nature du lieu le permette. Mais les autres Tortues que les
Grecz nomment Oryges, et qui se font pour sapper une muraille, ont
tout ce qui a esté specifié cy dessus: tant y a que leurs premiers
rencontres sont faictz en poincte triangulaire, a fin que quand on les
bat de traict venant par dessus quelque mur, ces Tortues ne recoyvent
les coupz a plain, ains les facent glisser au long de leurs flancz, si
que les Sappeurs estans dessoubz en soyent defenduz, et gardez du
peril.
Ce ne sera maintenant sans propos si je traicte de la Tortue que
feit jadis Agetor de Byzance, et si j'en expose l'artifice.
Premierement il ordonna sa base de soixante piedz en longueur, et
dixhuit de large: puis les montans ou piedroitz plantez sur les quatre
coingz pour l'assemblage, furent faictz de deux poultres conjoinctes:
et avoient chacun trentesept piedz de hault, et au reste, pied quatre
poulces d'espoysseur, avec un et demy de large.
Ladicte base estoit montée sur huit Roues qui la faisoient aller,
portant chacune six piedz et demy de diametre avec un quart de
plus, et trois en espoysseur, mais cela estoit faict par tele
industrie, qu'il y avoit triples courbes assemblées a queues
d'Arondelles, et lyées par lames de fer battues a froid. Ces Roues
avoient leurs tournemens par le moyen des arbuscules ou hamaxopodes
dont nous avons devant parlé: et sur la planure des Lambourdes dont la
base estoit planchée, y avoit d'autres montans levez, portans dixhuit
piedz et un quart de mesure, larges en face d'un demy et quart, espoys
a l'equipollent, puis separez d'un pied et demy de distance, avec un
quart de superabondant. Sur iceulx montans estoient couchées des
Sablieres larges d'un pied et quart, espoysses de demy avec quart, et
en elles s'asembloit toute la charpenterie.
Au dessus de cest estage se rengeoient les chevrons ayans douze
piedz de hault, et s'alloient enclaver dedans les mortaises d'une
filiere servant a les conjoindre: mesmes avoyent leurs entretoyses ou
barres au long des costez, au dessus desquelles se clouoyent fermement
les planches pour couvrir les parties basses de ladicte machine.
En l'estage du mylieu se mettoient les Scorpions et Catapultes. puis
oultre tout cela se povoient dresser deux Estamperches de trentecinq
piedz en haulteur, espoysses de pied et demy, larges de deux, qui
s'asembloient a un traversant mortaisé et bandé a lames de fer, auquel
se povoit de fois a autre changer d'engin, au moyen d'un certain
Arboutant assigné entre les deux Estamperches, et s'enclavant en la
Sabliere de travers.
Sur cest Arboutant estoient attachées les Ammares ou Auches, et les
ferremens pour asseoir moulinetz, plus s'y povoyent mettre deux
aysseaux ou arbres gisans poliz au Tour, sur lesquelz tournoient les
cordages qui faisoient mouvoir le Bellier: et sur les testes des
hommes destinez a le mouvoir, se levoit une petite Eschauguette en
facon de Tournelle, ou povoient entrer deux soldatz, et espier
seurement de la, queles chose faisoient les ennemys, pour en faire le
rapport aux Capitaines.
Le Bellier de ceste machine avoit cent six piedz de long, et estoit
large en fons d'un pied et un palme, vallant quatre poulces: mais en
son bout de devant il portoit un pied d'espois: et fut garny d'un
Esperon d'Acier, ainsi que les grans Navires ont accoustumé de le
porter.
De cest Esperon procedoient quatre bandes de fer d'environ quinze
piedz de long, fermement clouées sur le fust, qui avoit quatre chables
gros de huit doytz, tenduz depuis l'un de ses boutz jusques a l'autre,
et accoustré en pareille sorte que lon faict les cordes d'un Mast pour
le tenir levé entre Poupe et Proe.
Ces chables estoient lyez de cordeaux par le travers, a pied et
palme d'espace l'un de l'autre. puis le Bellier estoit enveloppé de
cuyr cru: et pour le soustenir en l'air, y avoit quatre chaines
expresses pareillement recouvertes de cuyr.
En la forgetture ou saillye de ceste machine se mettoit comme une
arche de groz aix de boys attachée aux boucles des gros chables, par
dessus la retorse desquelz on povoit facilement et sans crainte,
couler jusques au pied de la muraille.
Ladicte machine se mouvoit en six manieres, a savoir en avant et en
arriere, de costé d'autre, a droit et a gauche quand elle estoit
poussée: mesmes se povoit lever contremont, et se rabaisser contrebas.
Si donc on la faisoit lever pour demolir une muraille: c'estoit
environ cent piedz de hault. mais si on la poussoit d'un costé ou
d'autre, a dextre ou a senestre, elle s'avancoit aussi de cent piedz
en ca ou en la: et la povoient cent hommes gouverner, nonobstant
qu'elle pesoit Quatre mille Talentz, qui sont Trois cens vingt mille
livres.
CONCLUSION DE TOUTE L'OEUVRE.
[LO] J'Ay dict des Scorpions, Catapultes, Arbalestes, Tortues, et
Bastilles mouvantes, ce que m'a semblé necessaire, sans oublier leurs
inventeurs, ny a traicter de la maniere pour les faire, et puis en
venir a l'execution: mais je n'ay trouvé expedient d'escrire des
Eschelles, Guindages, et autres choses dont les raisons sont
imbecilles, ou trop communes, veu que les Soldatz en font
coustumierement a leur mode: et aussi pource que telz instrumens de
guerre, ne peuvent servir en toutes places, ny faire tousjours de
semblables effectz, a raison que les forces des nations sont
differentes, et leurs munitions ou rampars dissemblables. parquoy
fault dresser les machines d'une sorte contre les peuples audacieux et
temeraires, d'autre, contre les diligentz ou promptz a donner ordre en
leurs affaires: puis encores de differente invention contre les
timides et craintifz. A ceste cause si quelq'un veult songneusement
penser a ces miens advertissemens, et elire entre la diversité des
machines, ce qu'il congnoistra luy estre necessaire, ou bien luy mesme
en faire d'autres a l'envy des precedentes, je suis asseuré qu'il
n'aura besoing de recourir ailleurs, consideré qu'il se pourra
prevaloir de toutes les matieres et subtilitez alleguées selon les
lieux et occurrences qui se presenteront.
Au regard de ce qui concerne les choses defensables, mon advis est
qu'il ne s'en doyt rien mettre par escrit, pourautant que les ennemys
n'appareillent tousjours leurs defenses selon ce que nous avons
pourgettê, ains advient souvent que leurs engins et machines sont
inutiles sans artifice, mais seulement par une prompte execution de
conseil qui les surprend a despourveu: chose que lon dict qui advint
jadiz aux Rhodiens, lesquelz avoient un Architecte nommé Diognetus, a
qui tous les ans en faveur de son art, et pour honneur de la
Republique ilz donnoient certaine provision assignée sur leurs deniers
communs. Or survint il un Enginier nouveau nommé Callias natif d'Arade
en Phoenicie region d'Asie, prochaine de Tyr et de Sidon, qui la faict
appeller Tripoli, opposite a Tortose, assez pres de Damas, lequel
incontinent feit une Acroase, c'est a dire invitation de peuple a une
lecture publique, en laquelle il monstra un modelle de la closture
d'une ville, et meit dessus une machine attachée a un guindail
tournant et flechisant de toutes pars, dont facilement il ravit une
Helepolie ou grande bastille venant (ce sembloit) pour endommager la
muraille, telement qu'il l'apporta dedans l'enclos. Quoy voiant iceulx
Rhodiens esmerveillez, osterent a leur Diognetus la pension qui luy
estoit assignée, et en pourveurent cest Enginier nouvellement survenu.
Peu de temps apres le Roy Demetrius qui pour la grande opiniastrise de
son courage estoit surnommé Poliorcetes, c'est a dire destructeur de
Villes, se meit en deliberation de faire la guerre aux Rhodiens, et
pour en venir plustost a bout, mena quant et soy Epimachus d'Athenes,
excellent et singulier Architecte, lequel feit une Helepolie de
despense excessive, de labeur merveilleux, et d'industrie souveraine:
car elle avoit Cent vingt et cinq piedz de hault, sur soixante de
large: et si estoit couverte ou ramparée de haires faictes de poil, et
de cuyrs cruz, telement qu'elle povoit soustenir un coup d'Arbaleste a
fonde, jettant une pierre du poix de Trois cens soixante livres, et
pesoit son equipage entier Trois cens soixante mille livres, parquoy
les Rhodiens se retirerent devers le susdict Callias,
pour le prier qu'il affutast quelque engin contre ceste grande
Bastille, et l'apportast (suyvant sa promesse) dedans le pourpris de
la ville. lors le povre homme confessa liberalement que cela n'estoit
en sa puissance: aussi a la verité toutes choses ne se font pas en un
mesme moyen: car il en est de teles que quand on les met en grand,
cela faict monstre pareille aux effectz de leurs petiz modelles: mais
au contraire il y en à d'autres dont on ne sauroit produire aucuns
exemples, ains se manifestent chacun par soy: et si en treuve lon de
teles qui semblent avoir quelque verisimilitude apres le pourget qui
en est presenté. ceneantmoins quand il les fault augmenter de matiere,
l'effect s'en tourne incontinent a rien, comme je le feray congnoistre
par ce que presentement je vous diray.
Lon fera bien d'une Tariere un trou de demy poulce, ou d'un tout
entier, voire (qui plus est) d'un et demy: mais qui vouldroit avec ce
seul outil en faire un qui portast un palme de diametre, jamais cela
ne pourroit succeder, et encores moins d'un demy pied: parquoy en
fault totalement oster sa fantasie. En cas pareil il est des choses
qui monstrent aucunesfois quelque effect en petit modelle, et semble
qu'il puisse ainsi advenir quand lon en veult user en moyens: mais il
n'est possible qu'en experiences grandes ou excessives cela pervienne
a bonne fin. Les Rhodiens donc venans a considerer ceste raison, et
cognoissans qu'ilz s'estoient par eulx mesmes abusez faisant tort et
injure a leur Diognetus, mesmes voyans que l'ennemy persistoit en son
entreprise de les surmonter pour reduire tout en servitude, et que la
machine estoit ja dressée pour abbatre la muraille, craignans le peril
qui en povoit advenir, et n'attendans autre chose plus modeste que le
degast de la Cité, ilz s'humilierent devers leur premier Architecte,
et le requirent qu'il voulust en celle necessité leur estre
secourable. ce que de primeface il refusa: mais apres en avoir esté
prié par les nobles vierges, jeunes enfans, et gens de religion,
estant son courage amolly, il promit d'en faire son devoir, mais soubz
tele condition, que s'il prenoit la machine, elle seroit en sa
puissance pour en disposer a sa volonté: ce que liberalement luy fut
accordé par les magistratz, et adonc il percea le mur en la partie par
ou la machine devoit arriver, ordonnant que tous les bourgeois sans
aucun excepter, feissent jetter par ce trou, en certains canaulx ou
goutieres respondantes au pied du mur, tout ce qu'ilz avoient en leurs
maisons d'eau, d'urines, et autres immundices: ce que fut faict,
parquoy estant ceste nuyt la faict un grand lac de fange environ la
muraille, le jour ensuivant comme la Bastille espoventable venoit pour
faire sa batterie, avant que jamais elle peust approcher de la ville,
elle tumba en ce vorage humide, si que jamais ne peut aller avant, ny
mesmes retourner en arriere.
[FIGURE]
[LO] A Ceste cause le Roy Demetrius se voyant frustré de son
esperance par le bon sens de ce Diognetus, incontinent leva son siege,
et retourna en ses payz. Alors les Rhodiens delivrez de la guerre par
l'industrie de leur Architecte, luy en rendirent graces publiques, et
l'honorerent de tous les tesmoignages de vertu dont ilz se peurent
adviser. puis tost apres il amena celle machine dans la ville, et
l'establit a demourer en la place commune, l'ayant chargée d'une tele
inscription ou epitaphe.
DIOGNETUS A DONNE CE PRESENT AU PEUPLE,
DE LA DESPOUILLE DES ENNEMYS.
[LO] VOyla comment a l'endroit des choses defensables, non seulement
les machines industrieuses, mais les bons conseilz sont grandement a
estimer.
Tout en pareil en l'isle de Chius, maintenant Sio, dominée des
Genevoys, en la province d'Ionie, certains ennemys ayant appresté sur
leurs navires, des Sambuques ou pontz vollans pour entrer par dessus
les murailles d'une fortresse maritime, ou prochaine du rivage de la
Mer, les habitans jetterent tant de terre, gravier, et pierres dedans
l'eau au droit du lieu par ou la muraille se devoit escheller, que
quand les assaillans cuyderent le jour d'apres aborder, leurs navires
s'aggraverent sur la terrasse qui avoit esté faicte soubz les undes,
et ne peurent aucunement passer oultre, ny (qui pis est) se retirer:
parquoy leurs vaisseaux furent tant vivement battuz de mailletz et
sagettes portans feu artificiel, que tous se trouverent ars brouyz et
redigez en cendre.
Estant aussi la ville d'Apollonie assiegée de toutes
pars, ses ennemys faisoient fouiller des mines, et pensoient sans
suspition entrer par dessoubz les murailles, dont les Apolloniens
furent advertiz par bonnes Espyes, et en devindrent se
merveilleusement troublez que les courages leur falloyent aubesoing,
si qu'ilz ne savoient quel conseil prendre pour obvier a leur
infortune, d'autant qu'ilz ignoroient le temps et le lieu par ou et
quand les ennemyz devroient sortir. En ces entrefaictes un Typho
d'Alexandrie, Architecte de leans, feit faire plusieurs contremines
par dedans la muraille, et voulut qu'elles passassent par dessoubz les
fondemens autant que la portée d'une arbaleste {arbeste} a main: puis
en chacune d'icelles pendit quelzques vaisseaux d'Arain, dont il
advint que ceulx qui estoient en l'une respondante a la mine des
ennemys, se prindrent à tinter aux coupz des Pionniers: et par ce
moyen fut entendu en quele part les adversaires cavoient, et par ou
ilz esperoient entrer. puis la limitation congneue, il feit emplire
plusieurs grandes chaudieres d'eau boillante, de poix, d'urine,
excrement humain, et de sablon vivement embrazé pour jetter sur les
testes de ces mineurs, apres il contremina de nuyt, en plusieurs
endroitz respondans à la mine, et au descéu des assaillans commanda
verser toutes ses appareilz sur leurs testes, si qu'il en feit
cruelement mourir tous ceulx qui se trouverent en la fole entreprise.
En cas pareil estant une fois la ville de Marseille assiegée, les
ennemys feirent plus de trente mines pour la surprendre: mais les
Marsiliens se doubtans de surprise, feirent creuser tous leurs fossez
beaucoup plus bas qu'ilz n'estoient auparavant, et parainsi toutes les
mines furent descouvertes. Vray est que devant les lieux ou lon ne
povoit caver, et devers les parties ou icelles mines se faisoient, ilz
ordonnerent des tranchées longues et larges en facon de Viviers: et
les emplirent tant de l'eau des puys, que de celle du port, en sorte
que quand les ouvertures des mines furent faictes pour saillir dehors,
incontinent une grande ravine d'eau se lancea tout atravers les caves,
et abbatit les estansonnemens tant de la voulte que des costez,
aumoyen dequoy ceulx qui estoient dedans, furent accablez par le flot,
et estouffez par la ruyne ou esboulement de la terre.
Une autre fois aussi que lon faisoit un Bloccus ou fort alencontre
de leur muraille, venant l'ouvrage a s'augmenter par arbres couppez et
miz ou l'ennemy vouloit camper, ilz y lancerent avec leurs engins a
traict, tant de barreaux de fer ardans, que tout la munition en fut
arse et consumée. Plus ayant esté une Tortue Belliniere approchée de
leur muraille pour la battre et demolir, ilz jetterent a l'entour un
las courant qui empongna la teste du Bellier: puis tordans le reste
avec un Treuil par une Ergate ou Cinge, garderent la batterie d'estre
faicte: et a la fin confondirent celle machine par grans coupz
d'arbalestes portantes pierres d'excessive et merveilleuse pesanteur.
Voila comment les Citez dessusdictes eurent victoire sur leurs
ennemys, non par le moyen des Engins, mais par l'industrie des
Architectes remediante aux contraires effortz et violences.
J'ay mis par escrit en ce dixieme livre toutes les
choses qui {qu'i} m'ont semblé necessaire a l'endroit des machines
tant pour la paix que pour la guerre, specialement de celles que j'ay
jugées profitables: mais en mes autres neuf precedens j'ay traicté de
toutes les especes et particularitez de bastimens, afin que le corps
d'Architecture eust tous ses membres accompliz en la comprehension de
ces miens dix Volumes.
Fin du dixieme et dernier de Vitruve.
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