SECOND LIVRE D'ARCHITECTURE DE
MARC VITRUVE POLLION.
[LO] AU temps qu'Alexandre le grand se faisoit Monarque de l'empire
du monde, Dinocrates l'Architecte se sentant assez pourveu de bonne
invention et industrie, couvoiteux d'acquerir la grace du Roy, partit
de Macedoine pour s'en aller ou sejournoit l'armee: et afin d'y avoir
meilleur acces, obtint de ses parens et amys, lettres de
recommendation addressantes aux principaux Seigneurs et gentilzhommes
de la Court: desquelz aiant esté humainement receu, requit que leur
bon plaisir feust le presenter a sa majesté: ce que voluntairement luy
accorderent. Mais voiant Dinocrates qu'ilz estoient trop tardifz a
l'execution, attendans que l'opportunité leur en feust offerte: il
estima qu'ilz le paissoient de belles paroles: parquoy delibera se
presenter soy mesme. Or estoit il homme de riche taille, de gracieux
visage, et d'apparence venerable, demonstrant quelque dignite non
commune. Parquoy se confiant en telz dons de Nature, despouilla en son
logis ses accoustremens ordinaires, oignit son corps d'huyle, meit sur
sa teste une coronne de Pouplier, getta sur son espaule gauche la peau
d'un Lyon, et print en sa main droitte une massue: puis en cest
equipage s'en alla devers le Tribunal ou le Roy administroit justice a
ses subgectz. Adonc le peuple esmeu de tele nouveauté, y accourut de
toutes partz: qui feit que sa dicte majesté getta sa veue sur luy: et
s'esmerveillant que ce povoit estre, commanda faire place, tant que ce
personnage peust approcher son siege. auquel il demanda, qui il
estoit. A quoy Dinocrates respondit: Sire, je suis un Architecte de
Macedoine, qui vous apporte certaines miennes fantasies et desseingz,
dignes de vostre haultesse: car j'ay formé le mont Athos a la
semblance d'une statue d'homme, tenant en sa main gauche une ville
spacieuse: et en sa droitte une grand tasse, qui recevra les eaux de
tous les fleuves derivans de celle montaigne, lesquelz de lá s'en
iront avaller en la Mer. Alexandre esjouy en la raison de tele forme,
demanda incontinent si environ ce mont lá il y avoit point de terres
labourables qui peussent entretenir la Cité de grains et autres
provisions necessaires. A quoy luy fut respondu que non, si ce
n'estoit par l'apport de la marine. Adonc se tournant devers
Dinocrates, luy dit: Mon amy, j'ay bien entendu la belle invention
dont vous m'avez parlé: qui me plaist grandement: toutesfois je
considere que si quelq'un envoyoit lá une Colonie de gens pour y
habiter, lon blameroit son jugement, pource que tout ainsi q'un enfant
nouveau né, ne peult estre elevé sans le laict de sa norrice, ny
conduict par les degrez de la vie croissante: ainsi une Cité sans
terres labourables, et sans les fruictz qui en proviennent, lesquelz
se despensent dans l'enclos des murailles, ne se peult accroistre,
avoir assemblee de peuple, estant desgarnie de vivres, ny se maintenir
en estat. Ainsi donques comme j'estime beaucoup vostre desseing bien
entendu: pareillement je juge que le lieu destitué de teles
commoditez, n'est nullement a approuver. toutesfois je vous retien en
mon service, et vous veuil desormais employer en quelques bons
affaires. Cela fut occasion qu'onques depuis Dinocrates ne se departit
d'avec le Roy, ains le suyvit jusques en Egypte: ou trouvant un
port seur et bon de sa nature, convenable a la traffique de
marchandise, les terres d'environ Egypte fertiles de bons grains, et
les grandes utilitez du merveilleux fleuve dict le Nil: le plaisir de
sa majesté fut commander a icelluy Dinocrates, qu'il edifiast lá une
ville, et la nommast de son nom, Alexandrie. Voyla comment cest
Architecte parvint en auctorité, pour estre homme de belle presence et
disposition de personne. Quant est de moy, o Empereur, la nature ne
m'a pas doué de stature gueres haulte: l'aage m'a difformé la face, et
les maladies extenué mes forces: parquoy me congnoissant desgarny de
teles graces, j'espere tant faire a l'ayde des bonnes lettres, et au
moyen de mes escritz, que je parviendray a quelque reputation.
Consideré donc qu'en mon premier volume j'ay desja traicté de
l'office de l'Architecte, et dict queles doivent estre les parties de
l'art, semblablement de la situation des murailles, et distributions
des places qui se doivent faire dans un pourpris: puis en poursuyvant
l'ordre, ay deduict la maniere de bastir et y distribuer les temples
ou maisons sacrees, avec les edifices tant particuliers que publiques,
donnant raison de queles proportions et symmetries teles structures
doivent estre: il me semble raisonnable de parler maintenant de queles
matieres, par queles voyes et raisons d'edifier, un bastiment se doit
perfaire: pource qu'il fault, avant toute oeuvre, exposer queles
proprietez ont ces choses, et dire de quelz principes naturelz elles
sont temperees. Si est ce qu'avant me mettre en ces naturalitez, je
traicteray de la facon des maisonnages, disant quelz ont esté leurs
principes, et par quele voye leurs inventions furent augmentees. Puis
ensuyvant les trasses de l'antiquité, mesmes de ceulx qui par leurs
escritures ont estably les commencemens de la vie politique, et trouvé
des fantasies singulieres, exposeray ce dont j'ay congnoissance, ainsi
que je l'ay d'eulx apris.
DE LA VIE DES PREMIERS HOMMES: DES
principes d'humanité et d'Architecture: ensemble de l'augmentation d'icelle.
Chapitre premier.
[LO] ANciennement les hommes prenoient naissance comme bestes
sauvages, en boys, cavernes, et forestz: ou ilz se norrissoient de
viandes sauvages, vivans presque brutalement. Or advint il qu'en
certain lieu les arbres furent agitez par tourbillons et orages, en
sorte que leurs branches et rameaux s'entrefroissans l'un contre
l'autre par terrible impetuosité, exciterent une grande flamme de feu,
dont ceulx qui estoient a l'entour, furent merveilleusement
espoventez, et s'en fuyrent, a cause de la vision non accoustumee:
mais estant icelle flamme aucunement appaisee, ilz se rapprocherent
peu a peu de plus pres, et sentirent de ceste chaleur une grande
commodité pour leurs personnes: a l'occasion dequoy amasserent d'autre
bois qu'ilz getterent au brazier pour l'entretenir: et y ammenans les
uns les autres, se prindrent a declarer par signes, queles utilitez
ilz en recevoient. Ainsi donques a ceste assemblee d'hommes il leur
sortoit du gozier quelques voix, autrement de l'un, autrement de
l'autre: et par la continuele frequentation qu'ilz eurent ensemble,
constituerent les noms des choses qui leur estoient plus en usage, et
dont ilz avoient plus a faire, en maniere qu'ilz se peurent
entr'entendre. et de lá est venue la facon de parler.
[FIGURE]
Or estant par le moyen du feu nees et venues en estre,
la frequentation, l'assemblee, et l'usance de vivre en compagnie,
plusieurs s'amasserent en un lieu: et ayant eu par prerogative de
Nature pardessus tous autres animaux, qu'ilz ne chemineroient courbez,
mais droictz, le visage levé, afin de contempler la magnificence du
Ciel, et par especial des corps celestes: mesmes leur estant facile de
faire toutes choses par le moyen de leurs mains et joinctures: aucuns
de celle troupe se meirent a faire des logettes de ramee: les autres
fouyr a des Cavernes aux piedz des montaignes. plusieurs imitans la
facon des nidz des Arondelles, feirent leurs bastimens de fange et de
branchettes passees l'une pardedans l'autre, quasi en maniere de
clayes, et se logerent en ce poinct.
[FIGURE]
Puis les uns observant la maniere des autres, l'exercitation
des pensees adjousta maintesfois a leurs propres inventions des
nouvelletez exquises, telement qu'ilz alloient de jour en jour faisant
meilleures sortes de Cabanes. Or pour estre ces hommes de nature
docile, et propre a contrefaire les choses natureles, ilz se
glorifioient tous les jours en leurs inventions, monstrant les uns aux
autres les effectz de leurs edifices. Ainsi par exerciter d'heure en
heure leurs fantasies en teles {telés} contentions profitables,
ilz devindrent de plus en plus de meilleure apprehension. Tout
premierement aucuns plantans et dressans debout des fourches en terre,
les entrelassans de branches, et les massonnans de fange, feirent
leurs clostures et paroys. D'autres faisans seicher des mottes de
terre, edifierent leurs murailles, les lyans avec du merrien traversé
l'un dans l'autre. puis pour eviter les chaleurs, pluyes, et teles
injures du Ciel, les couvrirent de feuillars et roseaux. Toutesfois
parapres voiant que ces couvertures n'estoient suffisantes pour
resister aux violentz orages de l'yver, ilz se prindrent a faire des
pignons, les enduisant de fange destrempee: et feirent decliner leurs
toictz en pente, afin que les eaux se peussent escouler.
[FIGURE]
Par les choses cy devant escrittes nous povons facilement
conjecturer que les origines des bastimens ont esté instituees en
ceste sorte. Et qu'il soit vray, nous voyons encores au jour d'huy que
les nations estranges font des edifices a ceste mode, comme en Gaule,
Espagne, Portugal, et Aquitaine, ou les maisons se couvrent de douves
faictes de Chesne, que lon nomme Bardeau ou Essende: ou bien de
faisseaux de Chaume. Aussi en la nation de Colchos au pays de Pont, a
cause qu'il y a beaucoup de forestz, les hommes y bastissoient
d'arbres arrengez, qu'ilz fichoient en terre tant a droict comme a
gauche, laissans certains espaces entredeux, autant que la grosseur
des arbres le povoit comporter: puis en l'extremité de leurs coupeaux
y en mettoient des autres en travers, lesquelz ceignoient toute
l'espace de l'habitation. apres posoient des Solives pardessus,
enclavant les coingz ou angles de tous les quatre costez. et ainsi
faisoient clostures de ces arbres, les posant les uns sur les autres
par estages perpendiculairement ou aplomb, et faisant correspondre
ceulx d'enhault a ceulx d'embas, telement qu'ilz en elevoient des
Tours en haulteur competente. Mais les espaces demourans vuydes entre
les tiges d'iceux arbres a cause de la rondeur de la matiere, ilz les
remplissoient de lattes et mortier: puis faisant des mortaises environ
les arrestes des quatre coingz, y mettoient des fiches pour ligatures:
et suyvoient cest ordre d'estage en estage. Cela faict, elevoient
devers le mylieu, leurs toictz en facon de pyramide ou pignon:
lesquelz enduisant de mortier et feuillage, ilz en faisoient en leur
mode barbare d'assez bons toictz en voulte pour leurs Tours.
Les Phrygiens qui habitent en lieux champestres, et qui pour le
default des boys ont necessité de merrien, eleurent des petites
montaignettes natureles, qu'ilz caverent et creuserent par le
mylieu: puis feirent des allees par dedans, et elargirent les
concavitez autant que la place le povoit permettre: ou bien lyant des
tronches ensemble par les boutz d'enhault, dresserent des pyramides,
qu'ilz couvrirent par le faiste de rozeaux et de paille, chargeant
dessus des gros monceaux de terre. Ainsi par ceste raison de closture
ilz se trouvoient chaudement en yver, et bien freschement en este.
Quelques uns bastirent leurs Cabannes de joncz ou cannes de maraiz:
et en toutes autres nations les maisonnages s'edifient encores en
semblable facon: chose que nous pouvons veoir en la ville de
Marseille, ou les edifices ne sont couvertz de tuyle, mais seulement
de terre destrempee, entremeslee de paille, qu'on appelle hourder.
Mesmes en Athenes l'Areopage, qui est un exemple d'antiquité, est
encores presentement couvert de mortier de terre. Davantage au
Capitole de ceste ville, qui nous peult reduire en memoire les meurs
et coustumes des anciens, la maison de Romulus assize au dongeon des
choses sacrees, est encores pour le jourd'huy couverte de paille, ou
de chaume: qui fait que par toutes ces apparences nous pouvons juger
que teles furent les inventions des bastimens de noz premiers
predecesseurs.
Mais comme il soit ainsi qu'en mettant journelement l'entente a
l'oeuvre, les mains des hommes se rendoient plus stilees et ouvrieres,
les espritz industrieux en s'exercitant par coustume, pervindrent a la
raison des artz: puis au moyen de l'industrie survenue dans leurs
entendemens, advint que ceulx qui plus s'adonnoient a ces choses,
commencerent a en faire profession, et s'en dire maistres. Consideré
donc que les inventions eurent telz commencemens, et que Nature
n'avoit sans plus orné les personnes, de sentiment comme les autres
bestes, ains muny leurs pensees de bonnes apprehensions pour
soubzmettre tous autres animaux a leur arbitre: ces premiers peres
procedans par degrez a la fabrique de leurs edifices, ensemble a tous
autres artz, ilz d'une vie champestre pervindrent a civilité amyable,
qui les feit aspirer a plus haultes choses, et s'employer a inventions
plus profondes, nees de la diversité des fantasies, si bien qu'ilz
s'emploierent a ne faire seulement des logettes, mais a bastir belles
maisons estoffees de bonnes murailles de brique ou de pierre, et a
couvrir la charpenterie de tuyle ou bardeau. Apres quand par
succession de temps leurs discretions vindrent a discourir a travers
les observations des estudes, ilz sortirent des choses incertaines, et
entrerent en la practique de symmetries: car voyant que Nature avoit
assez produict de matieres, et que l'abondance estoit suffisante pour
bastir, ilz se mirent a norrir d'exercices leurs fantasies, qui ne
faisoient que naistre: lesquelles estant augmentees par le moyen des
artz ja inventez, feirent enrichir les bastimens de particularitez
agreables pour vivre plus honnorablement, et s'entretenir en delices.
Voyla pourquoy je diray cy apres selon ma possibilité les choses qui
me semblent convenables a l'usage des edifices, sans oublier leurs
qualitez, et les vertuz qu'elles peuvent avoir.
Toutesfois si quelq'un vouloit disputer que j'ay preverty l'ordre en
ce livre, et estimoit selon son jugement qu'il devroit estre le
premier: afin qu'il ne pense que j'aye failly, je luy rendray ceste
raison: Quand j'escrivoye en mon premier volume quel doit estre le
corps d'Architecture, il me sembla raisonnable de specifier tout d'une
voye de queles sciences et disciplines elle doit estre decoree: et
dire queles choses il y fault employer: et a queles fins ou effectz
ces especes ont esté produittes. Sans point de doubte cela me feit
preallablement diffinir queles parties doivent estre en nostre
Architecte.
Consideré donc qu'en mon premier livre je pense avoir suffisamment
parlé du devoir de l'art: en cestuy cy je deduyray la
naturalité des matieres, et leur usage: mais je ne m'estendray a dire
d'ou l'Architecture a pris naissance, ains comme les origines des
edifices ont esté distinctes et instituees: puis poursuyvray par
queles raisons elles ont esté entretenues: et finablement comme elles
sont pervenues de degré en degré a la perfection ou lon les voit a
ceste heure. Et cela fera que la constitution de ce volume sera
trouvee bonne en cest ordre.
Maintenant je retourne a mon propos, pour traicter des matieres
convenables a la structure des maisonnages, et comme il semble
qu'elles ont par Nature esté procreees a cest effect: puis de queles
mixtions de principes les concurrences sont temperees, afin que cela
soit de facile intelligence aux lecteurs: Car, a la verité, nulles
especes, aucuns corps, ny autres choses ne peuvent naistre en ce monde
sans assemblee de principes: qui ne peult entrer en l'intelligence des
hommes vulgaires, d'autant que la Nature ne permet que par les
traditions de Physique lon en puisse donner explications veritables,
si preallablement les causes qui sont en elles, ne sont demonstrees
par subtilité de raisons, donnant a entendre comment cela se peult
faire, et a quele fin elles sont procreees.
DES COMMENCEMENS DES CHOSES SELON
les opinions des Philosophes. Chap. II.
[LO] LE Philosophe Thales Milesius fut le premier qui dict que l'eau
estoit commencement de tout. Apres Heraclite d'Ephese (lequel pour
l'obscurité de ses escriptz, fut par les Grecz surnommé Scotinos)
debatit que c'estoit le feu. Consequemment Democrite, et Epicure son
successeur, furent d'opinion que c'estoient les Atomes, que aucuns de
noz Latins appellent corps impartissables, et les autres indivisibles.
Ce neantmoins la discipline des Pythagoristes adjousta a l'eau et au
feu, l'air, et la terre. A ceste cause, non obstant que Democrite
n'ayt appelle les choses par noms propres, ains seulement proposé les
corps indivisibles: si est ce qu'il semble avoir compris toutes ces
opinions en la sienne, pourautant que quand les semences des choses
sont desjoinctes, nul n'a puissance de les assembler. Aussi elles ne
sont subgectes a perir: et si ne peuvent estre divisees par aucunes
sections, ains retiennent en soy une permanence infinie, et qui peult
durer a perpetuité.
Puis donc que de ces Atomes concurrens et s'assemblans en masse, lon
voit que toutes choses natureles ont une participation, et s'en
produisent chacune en son espece, mesmes qu'elles sont separees en
infiniz genres et substances, il m'a semblé necessaire de specifier
leurs differences, et de dire queles qualitez ou proprietez elles ont
a l'endroit des maisonnages ou lon les applique, afin que quand elles
seront congneues, ceulx qui auront volunte de bastir, ne puissent
faillir par ignorance, ains preparent pour leurs usages les matieres
qu'ilz verront commodes a leur desseing et institution.
Des quarreaux ou tuyles. Chap. III.
[LO] JE traicteray avant tout'oeuvre, des quarreaux ou tuyles, et
diray de quele terre on les doyt faire. Il n'est pas bon les former de
substance areneuse, graveleuse, ny bourbier sablonneux: car si on les
en fait, en premier lieu ilz sont par trop chargeans: puis quand les
pluyes viennent a laver les murailles qui en sont edifiees,
elles se destrempent, dissolvent, et tournent aysement en ruine.
Davantage la paille que lon met parmy, ne s'y peult attacher, a cause
de l'aspreté de la matiere. Il les fault donc former de terre blanche
tenant de la Croye, ou de terre rouge, ou bien de Sablon masle rouge,
a raison que teles especes, oultre ce qu'elles sont legieres,
pourveues d'une fermeté bien grande, ne chargeant pas beaucoup un
edifice: se reduysent facilement en masse. La saison de les faire, est
au Printemps, ou en Autonne, afin qu'ilz seichent tout d'un train:
d'autant que si lon les moule durant le Solstice, ilz ne valent rien,
consideré que le Soleil cuyt incontinent le dehors: qui fait que lon
les tient pour secz, mais par dedans il y a de la moyteur: et apres
quand ilz se viennent a seicher, facilement se retirent et fendent:
parquoy estant crevassez, ne valent rien a usage de massonnerie. Pour
les bien acoustrer donques, il les fault mouler deux ans devant que
les mettre en besongne: et les laisser seicher: car plustost ne le
peuvent perfectement estre.
Ainsi quand ilz sont faictz de fraiz, et non encores du tout secz,
si lon les met en murailles, et que le lict de Mortier assiz dessus,
soit devenu solide: ces mesmes quarreaux ne peuvent conserver leur
premiere espoysseur, ains font une tele retraicte, qu'ilz ne s'y
peuvent allyer, mais se separent de sa conjonction: parquoy les
ouvrages de la massonnerie venant a se desjoindre et applatir a
l'occasion d'icelle retraicte, ne peuvent demourer en estat: dont est
force que le mur se fende. et voyla pourquoy les habitans d'Utique en
Afrique, ne bastissent de ces quarreaux s'ilz n'ont eu loysir de
secher cinq ans auparavant: mais quand ilz ont tout ce temps lá, et
que les Maistres jurez les appreuvent mettables, adonc s'en servent
ilz en l'edification de leurs murailles.
Il s'en fait ordinairement de trois especes. La premiere est celle
que les Grecz nomment Didoron: et de ceste lá usent noz Romains. Elle
a un pied de long, et demy de large. Des autres deux se font de jour
en jour les maisonnages d'iceulx Grecz. L'une est dicte Pentadoron, et
l'autre Tetradoron. Or ce que lesdictz Grecz disent Doron, c'est
proprement ce que nous appellons un Dour. Et de la vient qu'un don qui
se fait d'une main en autre, se dit Doron entre iceulx Grecz, pour
autant qu'il se porte tousjours en la paulme de la main. Ainsi le
quarreau qui a de tous costez cinq paulmes, est nommé Pentadoron: et
celluy qui n'en a que quatre, Tetradoron. De cestuy la qui en a cinq,
se font les ouvrages publiques: et de l'autre qui n'en a sinon quatre,
les privez ou particuliers.
Lon en fait aussi des demyz, proportionnez a ces grans: et quand se
vient a les mettre en oeuvre, le masson assiet une renge des grans, et
puis une autre des petiz: et fait cela justement a la ligne, tant d'un
costé que d'autre de la muraille: parainsi ces cours distinguez et
lyez parensemble, rendent une fermeté bien grande, et si ont une
presence belle, et de bonne grace.
[FIGURE]
Or a Calente ville d'Espagne ulterieure, c'est a dire en
la partie Occidentale, a Marseille en Gaule, et a Pitane en Asie, lon
y fait des quarreaux lesquelz quand ilz sont secz, ne vont point a
fons s'ilz sont gettez en l'eau, mais flottent dessus. Et semble que
lon peult estimer cela provenir de ce que la terre dont on les forme,
est de la nature de Ponce, qui estant legiere sur toutes pierres,
quand elle a esté reserree par avoir longuement demouré a l'air, ne
receoit la liqueur en soy, et n'en sauroit estre abbreuvee. Et pour
ceste proprieté non poreuse, et legiere, ne permet la puissance humide
penetrer en son corps: dont fault necessairement a raison de sa
nature, que l'eau la soustienne: et parainsi les quarreaux ou tuyles
faictes de ceste matiere, sont de grande utilite, mesmement pource
qu'elles ne chargent gueres un ouvrage, et ne se destrempent par les
orages ou ravines de pluye.
De l'Arene ou Sable. Chap. IIII.
[LO] AUx bastimens qui se font de moylon ou bloccage, fault sur
toutes choses adviser que le sable soit bon a lyer les pierres, et ne
se treuve aucunement terreux. Les especes de celluy qui se fouille a
la besche ou hoyau, sont Noir, Gris, Rouge, et un autre de couleur de
Carboncle. Mais entre tous cestuy la est le meilleur, qui cracque
quand on le frotte entre ses mains. Celluy qui est terreux, et n'a
aucune aspreté, ou qui estant mis sur une robe blanche, ne la souille
point quand elle est secouee, et n'y laisse rien de terrestre,
est suffisamment recevable. Mais s'il ne se trouvoit point de
sablonniere ou lon en peust fouiller de telz, il en fauldra prendre
aux rivieres, ou le tirer de terre glaire, ou bien des rivages de la
Mer. Toutesfois celluy qui s'en tire, a ces incommoditez en
bastissant, qu'il ne peult secher sinon a peine, et que la muraille
qui en est faicte, ne veult estre gueres chargee: mesmes fault qu'on
la laisse reposer de temps a autre en la faisant: et si n'est commode
a lyer voultes, berceaux, ny teles autres facons d'edifices. Et au
regard du sable de Mer, encores a il ce vice d'avantage, que quand lon
en a faict des murailles, et que lon les a bien couvertes, elles se
mettent a suinter, a cause de la salure, qui se vient a dissouldre.
chose qui fait crever les bastimens. Mais le mortier meslé de sable de
fossé, se seche tantost et a profict: voire si bien, que les oeuvres
que lon en edifie, sont de fort longue duree: et si s'en estoffé de
bonnes voultes: lá ou si lon prend du sable frais nouvellement tiré
des sablonnieres, et que lon le laisse secher de longue main, il se
resoult et convertit en terre, telement que les lictz de mortier que
lon en met en besongne, ne tiennent point, ains viennent a se fondre:
qui fait qu'ilz tumbent en menue pouldriere: et les murailles ainsi
decimentees, ne peuvent supporter leur charge. Au regard du sable de
fossé, encores qu'il ayt tant de proprietez et vertuz en bastimens, si
est ce qu'il n'est gueres duysant en couvertures: car si lon vient a
le broyer parmy de la chaulx meslee de paille, cela ne peult secher
sans crevasses, a cause de la gresse dudict sable, et la grande force
qu'il a en soy. Mais l'arene prise en riviere, pource qu'elle est
maigre comme tuyles pilees, quand on l'a bien remuee aveques le hoyau,
et appliquee en couvertures, elle s'endurcit et rend forte a
merveilles.
DE LA CHAULX. Chap. V.
[LO] PUis que nous avons suffisamment parlé des especes de sable, il
nous fault maintenant traicter de la Chaulx, sans y rien omettre: et
dire comme elle se cuyt de caillou blanc ou pierre dure.
Celle qui sera de matiere plus espoisse et plus forte, se trouvera
la meilleure en bastimens de murailles: et ceste la de pierre poreuse,
ou pleine de fossettes, sera propre pour les couvertures. Quand donc
icelle pierre sera estaincte, soit meslee avec son sable, comme
s'ensuyt. Si ledict sable est de fossé, il y en fault trois pars avec
une de chaulx. Mais s'il est de riviere ou de mer, il suffit d'y en
mettre deux parties avec une de chaulx. ce faisant, la mixtion et
temperature sera bien raisonnable. Toutesfois il est a noter, que si
ledict sable est de riviere, ou de marine, et quelq'un y mesloit une
tierce partie de brique ou tuyle mise en pouldre, il rendroit la
temperature de sa matiere trop meilleure. Mais la raison pourquoy la
chaulx recevant de l'eau et du sable, fait une structure ferme, semble
estre tele, que les pierres et cailloux sont composez de certains
principes aussi bien que les autres corps, desquelz ceulx qui ont le
plus d'air, sont les plus tendres: ceulx qui ont beaucoup d'eau, sont
doulx et traictables: ceulx qui ont force terre, sont durs: et ceulx
qui ont grand part de feu, sont les plus faciles a rompre. et de la
vient que si les pierres avant estre cuittes, sont reduictes en
pouldre, puis meslees parmy du sable, et en tel estat mises en oeuvre,
jamais n'acquierent fermeté, et ne sauroient lyer un bastiment. Mais
apres avoir esté gettees en une fournaise, et passe par le feu tant
qu'elles ayent perdu la nature de leur solidité premiere, alors
estant ainsi brulees, et leurs forces extenuees, leurs pores ou
conductz demeurent ouvertz et adoulciz: qui fait que leurs liqueurs
corporeles venant a estre dessechees, l'air qui a esté premierement
enclos en elles, est facilement getté dehors, ayant donné lieu a une
certaine chaleur latente: de sorte que quand on les mouille et surfond
d'eau, elles endurent violence avant que le feu s'en departe: car
quand l'humeur penetre en iceulx pores, il commence a bouillir et
fumer: et apres en se refroidissant fait sortir la chaleur hors du
corps d'icelle chaulx: qui allege grandement la matiere. Et cela est
facile a voir, considere que quand les pierres ou cailloux ont assez
cuyt dedans la fournaise, lon ne les treuve de tel poix quand on les
en tire, qu'ilz estoient lors qu'on les y meit: ce non obstant les
apparences de leurs masses sont aussi grosses qu'elles estoient avant
la cuysson, pourautant que par l'humeur dessechee, la tierce partie de
leur poix se reduict a neant. A ceste cause fault conclure que quand
leursdictz pores sont ouvertz, et competemment extenuez, ilz peuvent
recevoir la mixtion du sable, et secher l'un avec l'autre, telement
que le mortier qui en est faict, s'attache avec la matiere de
l'oeuvre, qui rend une structure solide, et grandement durable.
DE LA POULDRE DE POUSSOL. Chap. VI.
[LO] IL est une certaine espece de pouldre laquelle fait
naturelement des choses admirables: et ceste la provient en la contree
de Baye au Royaume de Naples, et aux terres de sa jurisdiction, qui
sont a l'entour de la montagne Vesuve. Ceste pouldre quand elle est
meslee avec de la chaulx ou cyment, ne donne pas seulement fermeté aux
edifices que lon en fait: mais si lon en gette des monceaux en la mer,
ilz s'endurcissent dessoubz l'eau. qui semble proceder de ceste raison
naturele: asavoir que soubz icelle montagne, et par les terres
d'environ, il y a plusieurs fontaines chaudes, lesquelles ne
bouillonneroient pas si en leurs fons il n'y avoit des grans feux
ardans de Soulfre, d'Alun, ou de Betum, qui est Ciment liquide. Comme
donques il soit ainsi que la vapeur de la flamme du feu penetrant par
les crevasses de la terre, et permanente en son ardeur, rende ceste
terre plus legiere: le Tuf qui naist en ces lieux lá, est de nature
suceante, et sans liqueur. Parainsi quand trois choses de semblable
proprieté, formees par la limpetuosité du feu, perviennent en une
mixtion: aussi tost qu'elles recoivent quelque liqueur, elles se lyent
et unissent ensemble, de sorte qu'estant puis apres cest humeur
desseché, s'endurcissent tant fort, que le battement des vagues, ny la
force du flot, ne les peult aucunement dissouldre. Or qu'il y ait de
l'ardeur en ces lieux lá, ceste preuve le peult assez faire apparoir.
Aux montagnes de Cuma et de Baye se treuvent certaines cavernes
expressement creusees en la roche pour y servir d'estuves. Dedans
celles lá, une vapeur chaude procedant du fons de la terre,
contraincte par la force du feu, perce et penetre celle roche, et en
passant parmy ses pores, y engendre un air gros et chault, qui cause
de merveilleuses utilitez pour ceulx lesquelz y vont suer. Aussi dit
on que anciennement soubz les racines du mont Vesuve s'exciterent
quelques ardeurs, qui puis apres vomirent grandes flammes sur les
campagnes du pays d'environ. parquoy la pierre que lon appelle au
jourd'huy Ponce, ou Esponge Pompeiane, semble par cuysson avoir esté
reduicte d'une autre espece de pierre en la qualité que lon la veoit.
Toutesfois ce genre de Ponce que lon tire de semblables endroictz, ne
naist pas en toutes contrees, mais seulement environ la montagne
d'Aetna, et aux vallees de Mysie, qui sont nommees par les
Grecz Catacecaumeni, c'est a dire ardantes: et autres qui sont de
pareille nature. Si donques lon treuve en ces lieux des fontaines
d'eau bouillante, et que dedans les cavernes des Roches y ait des
vapeurs chaudes, mesmes que les antiques disent que lon a jadis sentu
des ardeurs soubz les plantes des piedz en cheminant par ces
campagnes, il semble estre chose certaine, que ceste exhalation est
par la subtilité du feu elevee hors de ce tuf et de la terre, comme
celle de la chaulx en fournaises. Quand donc aucunes especes
dissemblables et de qualité differente sont prises et reduictes en
masse, l'humeur chaude qui a longuement jeusné, ou esté privee de
norriture, se venant soudainement a remplir et saouler de la substance
qu'elle treuve dedans les corps communs, commence lors a fumer a
l'occasion de la chaleur latente, et les fait vehementement assembler:
mesmes (qui plus est) promptement et sans autre demeure recevoir la
vertu de solidité. Mais si quelq'un venoit sur ce poinct a demander,
Puis qu'au pays d'Hetrurie (maintenant dict Tuscane) il y a plusieurs
sources d'eau chaude: pourquoy n'y naist il aussi bien de la poussiere
de laquelle par mesme raison les bastimens s'endurcissent en l'eau? Il
me semble qu'avant laisser faire ceste demande, il est raisonnable d'y
respondre, et dire ce qu'il en est. En toutes regions et contrees les
terres ne sont pas d'une pareille proprieté, et ne croist par tout de
la pierre: car certains endroictz sont terreux, aucuns sablonneux,
quelzques uns glaireux, et d'autres produisans arene graveleuse.
Mesmes encores s'en treuve il qui sont tous contraires ou differens en
espece, ainsi que les diversitez sont aux pays. ce que lon peult
considerer voyant que de tous les costez par ou la montaigne Apennine
environne les regions d'Italie et de Tuscane, quasi en tous lieux il
n'y a faulte d'arene ou sable de fosse: mais celle montaigne passee,
en la partie qui regarde la mer Adriatique, ou Venitienne, il n'y en a
ne peu ne point. Pareillement en Achaie, Asie, et en tous les pays
d'oultremer, n'en est (sans plus) faicte aucune mention: dont ne fault
dire qu'en tous lieux ou il y a certaines sources d'eau chaude, toutes
ces oportunitez y puissent estre: car Nature les a ainsi fortuitement
procreées, non a la volunté des hommes, ains une chose en un lieu, et
l'autre en l'autre. Ainsi aux endroictz ou les montaignes ne sont
terreuses, mais les matieres disposees de convenable qualité, la force
du feu traversant par {pars} leurs conduictz, cuyt et desseche
lentement leur substance, de sorte que ce qui est mol et tendre, se
vient a consumer peu a peu: et ce qui est dur et robuste, se
restrainct et demeure en vigueur. Comme donques en la Campagne de
Naples la terre brulee devient {deu ent} pouldre: ainsi au pays de
Tuscane la matiere cuyte et digeree se convertit en sable de coleur de
Carboncle. Toutesfois l'une et l'autre de ces matieres sont
singulierement commodes a bastir: mais l'une est propre aux edifices
terrestres, et l'autre pour les Moules ou Havres de marine. Au moins
il y a en icelle Tuscane une chose materiele plus molle que le Tuf, et
plus solide que la terre: laquelle en aucuns quartiers du pays estant
arse par la vehemence de la vapeur procedant du fons de la terre, se
convertit en ce genre d'arene, lequel a coleur de Carboncle, comme
dict est.
Des perrieres ou carrieres. Chap. VII.
[LO] JE pense avoir suffisamment parlé de la chaulx et du sable,
ayant dict de queles diversitez et vertuz ilz sont douez par la
Nature: maintenant doit ensuyvre l'ordre et traicté des Carrieres,
dont lon tire abondance de pierres de taille, ensemble du moellon
convenable a bastir. Certainement
lon treuve que ces carrieres sont de proprietez differentes:
car les unes sont molles, comme aux environs de la ville Rubra,
Pallian, les Fidenates au pays des Sabins, et Albe.
Les autres sont temperees, comme les Tyburtines, celles d'Amiterne,
les Soractines, et autres qui se treuvent de ceste qualité. Il en est
aussi de dures, comme sont roches et cailloux: puis autres plusieurs
genres et especes, comme en la Campagne de Naples, le Tuf rouge et
noir. Puis en la Marque d'Ancone, au pays d'Ascoli, et autour de
Venize, la Ponce y est blanche, mesmes se peult couper a la sye comme
une piece de boys.
Or toutes pierres qui sont molles, ont ceste utilité en soy, que
quand lon en a tiré les cailloux, on les taille facilement pour mettre
en oeuvre: et qui les loge en lieux soubz toict, elles supportent
assez de peine. mais qui les met a descouvert, se restraignent aux
gelees et bruynes de l'yver, en maniere qu'elles s'esclattent et
debrisent en peu de temps.
Plus si elles sont a l'air de la marine, la saleure les ronge, et
les delaye peu a peu: et oultre ce n'endurent point les flotz de la
maree. Mais les Tyburtines, et autres de tele qualité, endurent toutes
heurtes, specialement grandz fardeaux, et violences de tempestes:
toutesfois elles ne se defendent gueres du feu: car si elles en sont
attainctes, elles se dissipent violentement, pource qu'en leur
temperature naturele n'y a quasi comme point d'humeur.
Aussi a cause qu'elles n'ont gueres de terrestre, mais participent
beaucoup tant de l'air, que du feu, a raison que l'humidite et
terreité sont les deux moindres portions en elles: aussi tost que le
feu les vient a toucher, et que par la force de sa vapeur, l'air
enclos en leurs masses, est violentement poulsé dehors, ceste vapeur
luy succedante, et venant a occuper les espaces des pores, les
eschauffe de sorte qu'elle les rend incontinent semblables a son corps
ardant. Il y a davantage plusieurs autres carrieres sur les finages
des Tarquiniens en la campagne de Naples, lesquelles sont dictes
Anitiennes, pareilles en coleur a celles d'Albe: et s'en treuve de
grans atteliers environ la Lac de Bolsene, et en la prevosté de
Statonique. Celles lá ont des proprietez infinies: consideré que la
rigueur des gelees, ny l'attouchement de la flamme, ne les peuvent
corrompre, mais demeurent en leur entier, et partant sont de bien
longue duree. La raison est, qu'elles en leur mixtion naturele ont peu
d'air et de feu, mais au contraire contiennent beaucoup d'humidité et
de terreité, qui les rend telement solides, que les ravines ou orages,
ny la violence du feu, ne leur peuvent faire mal.
Cela peult on juger par les fragmens d'antiquité qui sont environ la
jurisdiction de Ferente au pays des Sabins ou Samnites, faictz des
pierres d'icelles carrieres: car il s'en voit encores a present des
statues belles et grandes, tailles de bonne main, et pareillement
aucunes moyennes et petites: ensemble des fleurons et feuillages de
Branque Ursine, refenduz et relevez aussi artistement qu'il est
possible. Toutes ces choses encores qu'elles soient tresantiques, se
monstrent aussi fraiches, que si lon les venoit de faire tout a
l'heure. Et de lá vient que les fondeurs ou getteurs en fonte,
cherchent d'avoir leurs moules de la pierre d'icelles carrieres,
pource qu'ilz en tirent de merveilleuses utilitez en la fusion du
metal. Qui me fait dire que si les atteliers de ces pierres estoient
pres ceste ville de Rome, il seroit bon que lon en feist tous les
ouvrages: mais pource que la necessité contrainct a mettre en oeuvre
les pierres tirees
des carrieres rouges, et celles de Pallian, a cause qu'elles
nous sont voysines, si lon veult besongner sans reprehension, il
fauldra preparer le cas en ceste sorte. Quand il sera question de
bastir, les pierres avant estre appliquees en la massonnerie, devront
avoir esté preallablement tirees de ces carrieres {carriereres} en
Esté, non pas au temps d'yver, et reposé par deux ans en places
aerees: puis fauldra regarder celles qui en tel espace auront esté
interessees par les pluyes, ravines, et orages, et les getter aux
fondemens. mais les autres qui seront demourees entieres, ayant
soustenu l'espreuve de nature, se pourront mettre au bastiment hors de
terre. Et ne fault sans plus observer ceste practique a l'endroict des
grandes pierres de taille, ains aussi bien pour congnoistre le moellon
dont lon remplit le dedans de murailles.
Des especes de massonnerie, et de leurs qualitez, moyens, et places. Chap. VIII.
[LO] LEs especes de massonnerie sont, celle qui est faicte en retz
ou eschiquier, de laquelle chacun se sert au temps qui court: et
l'antique appellee incertaine. Celle en eschiquier, est de forme
beaucoup plus belle: toutesfois elle est merveilleusement subgecte a
se fendre, a cause qu'estant desjoincte en toutes ses parties, ses
troux qui ont esté faictz pour eschauffauder, et ses {s'es} lyaisons
ne se peuvent si bien massonner comme il seroit requis.
[FIGURE]
L'incertaine ou antique n'est pas d'une si bonne grace, a
raison qu'elle a ses couches de pierres ou cailloux arrengees et
entrelassees telement quelement les unes sur les autres: mais aussi
elle en est trop plus forte.
[FIGURE]
L'une et l'autre de ces facons se doivent farcir de
petit bloccage, afin quel les murailles bien abbreuvees et gaschees de
mortier faict a chaulx et a sable, soyent de meilleure lyaison, et en
durent plus longuement: car estant ce bloccage de proprieté molle et
poreuse, il attire en succeant le just de son mortier: et de tant
qu'il a plus de chaulx et de sable, la muraille ayant plus d'humeur,
ne se desseche pas si tost, mais est retenue en son entier par le
moyen de tele humidité: et aussi tost que la puissance humide est
evaporee atravers les porositez du moellon, la chaulx se departant du
sable, se vient a dissouldre et reduire en terre, telement que le
bloccage se depart d'avec le mortier: et cela par succession de temps
fait ruyner la muraille: chose que lon peult aisement veoir par
certaines reliques d'antiquité qui sont hors la ville, faictes de
marbre et pierres de taille esquarries, lesquelles estant par le
mylieu du dedans fellees, et pressees par les fractures de vieillesse,
d'autant que la substance humide s'en est evaporee par la porosité
d'iceulx moellons, tumbent et se dissipent, a cause que les lyaisons
se viennent a desjoindre. Parquoy qui se vouldra garder de cheoir par
inadvertence en tel inconvenient, face dedans l'espoisseur de la
muraille des contrefors de deux piedz en quarré, continuez depuis le
bas jusques au hault, et estoffez de caillou rouge esquarry, ou de
brique, ou de pierre dure commune. puis soient les frontz ou
revestemens d'icelles structures fortifiez a grosses barres de fer
attachees avec du plomb. Ce faisant, tel ouvrage qui ne sera pas
conduict tout d'un monceau, mais par bon ordre, pourra durer a
perpetuité, et sans danger de ruine, veu mesmement que les couches
posant les unes sur les autres, et enclavees aux arestes des
joinctures, ne permettront que le bastiment penche d'aucun costé: ny
que les contrefors uniz a luy, se puissent demolir.
[FIGURE]
Il semble donc qu'il ne faille faire peu de compte de la
facon de bastir des Grecz, d'autant qu'ilz n'usent de bloccage poly ny
delicat: mais quand ilz se departent du quarré, c'est a dire de
matieres esquarries, font les couches ordinaires de Roche dure, ou de
Caillou: et ainsi vont lyant leurs choses ne plus ne moins que si
c'estoit Brique ou tuyle, faisans une couche de mortier, et apres une
autre de bloccage: en sorte qu'ilz font des oeuvres dont on ne peult
veoir la fin: et bastissent en deux manieres: l'une qu'ilz appellent
Isodomon, et l'autre Pseud'isodomon. L'isodomon est quand les couches
de massonnerie sont faictes d'une mesme espoisseur: et le
Pseud'isodomon, quand leurs ordres ou rengees sont inegales et
differentes.
[FIGURE]
Ces deux facons de bastiment sont aussi fortes l'une comme
l'autre, specialement pource que les moellons sont espoix, et de
proprieté solide: parquoy ne peuvent sucer la liqueur du mortier, mais
la conservent en son humidité jusques a perpetuele vieillesse.
Davantage leurs couches estant faictes unyes, egales ou applanies au
nyveau, ne permettent que la matiere s'enfonce, ains quand
l'espoisseur des murailles est bien lyee et enclavee, cela les tient,
et fait durer a jamais. Toutesfois il est encores une autre sorte de
bastir, que lesdictz Grecz appellent Emplecton, c'est a dire lyee, de
laquelle leurs paysans se servent. De celle lá, le front ou superficie
s'esquarrit au marteau, et le reste se met en oeuvre tout en la sorte
qu'il vient de la nature, en le lyant de mortier et de pierres, ainsi
que l'effect ou occasion se presente. Mais les nostres cherchans
d'avoir plustost
expedié, ne s'amusent a esquarrir ces pierres par le dehors,
ains seulement les rengent a la reigle au plus pres du juste: puis
remplissent les entredeux de bloccage, sur quoy ilz gettent du
mortier: telement qu'en ceste maniere de bastir se font trois
croustes, asavoir deux des superficies du devant, et du derriere, et
la troysieme du mylieu, laquelle est farcie de bloccage, comme dict
est.
Les Grecz ne font pas ainsi: car ilz ne les mettent en oeuvre sans
estre premierement esquarries par un costé: et ne laissent point
d'entredeux pour mettre des petites parmy les grandes en la face de la
muraille, ains la rendent massive par celles qu'ilz ont ja egalees, et
faictes d'une mesme espoisseur. Toutesfois oultre cela ilz en
traversent des grandes et longues esquarries de toutes pars, qu'ilz
nomment Diatones, c'est a dire estendues ou ayguilles, lesquelles en
traversant toute l'espoisseur de la muraille, la lyent, et luy donnent
une bien grande fermeté.
[FIGURE]
Ainsi donc si par l'instruction de ces miens Commentaires
quelq'un veult choisir ou elire une forme pour bien bastir, il pourra
faire un ouvrage perdurable: la ou s'il besongne de bloccage mollet,
ne s'arrestant sinon a la beaulté: quand son edifice deviendra un
petit ancien, il sera bien difficile qu'il ne ruine. Et pourtant quand
lon vient a priser les maisons particulieres, lon ne regarde pas
combien leurs murailles ont premierement cousté a faire: mais quand
par les comptes ou registres lon vient a trouver la mise qui en
esté faicte, lon deduict de ceste somme une quatrevingtieme partie
pour chacun an de leur vieillesse: et ce qui reste, lon le faict payer
par les achapteurs, ou ceulx qui les ont tenues a louage, aux vendeurs
et proprietaires: et disent les maistres jurez qu'elles ne sauroient
durer plus de quatrevingtz ans. Mais si elles sont faictes de bonne
brique, pourveu qu'elles soient droictes et a plomb, lon n'en rabat
rien, parce qu'elles sont tousjours autant prisees comme elles ont
cousté du commencement a bastir. Et de la vient qu'en certaines villes
lon peult veoir tous les edifices tant publiques comme privez bastiz
de brique, singulierement en Athenes, ou le mur qui regarde sur le
mont Hymettus, et devers Pentelense, en est edifié. Item les paroys
qui sont au temple de Jupiter et d'Hercules, ensemble leurs oratoires,
tout cela est construict de brique: neantmoins les colonnes et
chapiteaux en sont de pierre dure. Pareillement en Italie en la ville
d'Arezzo il y a un mur magnifiquement faict de brique: et en celle de
Tralli en Asie s'en voit une maison edifiee par les Roys Attaliques,
laquelle est tousjours reservee pour la demeure de celluy qui est
esleu souverain Prestre de la Cité. Aussi a Lacedemone en Grece avoit
en certaines murailles des painctures entretaillees dedans les
quarreaux de brique, lesquelles furent enchassees en des formes ou
cassettes de boys: puis a la creation des Magistratz, pour decorer
l'Edilité, ou Maistrise des oeuvres, de Varro et de Murena, furent
apportees jusques en ceste ville. En semblable fut jadiz faicte de
brique la maison royale de Cresus: laquelle puis apres les citoiens de
la ville de Sarde en Lydie, dedierent pour la court des Senateurs, et
pour le repos de ceulx qui seroient plus aagez, en la nommant Gerusia.
Plus en la ville d'Halicarnasse au palais du trespuissant Roy
Mausolus, non obstant que toutes choses y feussent ornees de marbre
apporté de l'isle Proconnesse, si est ce que les murailles en sont de
brique: et encores au jourd'huy se monstrent de perdurable fermeté.
Vray est que par dessus elles sont enduictes d'incrustature d'esmail,
ou pour mieulx dire, plombees, de sorte qu'elles semblent aussi
luysantes comme verre. Toutesfois il ne fault pas dire que ce Roy les
feit faire ainsi par necessité: car il avoit des rentes infinies,
consideré qu'il dominoit a tout le pays de Carie. mais par lá peult on
considerer la subtilité de son esprit, et sa grand industrie en
matiere de bastimens, veu qu'estant né a Mylasis en Lydie, trouvant
que le lieu d'Halicarnasse estoit defensable de sa nature, propre a la
marchandise, et le port de grande utilité: son plaisir fut y faire sa
maison. Ce lieu est du tout semblable a la courbure ou demyrond d'un
Theatre: et pourtant le Marché est situé tout au plus profond sur la
bouche du port. puis au mylieu d'icelle courbure, comme en la poignee
d'un arc, il y a une belle place, de merveilleuse estendue: au mylieu
de laquelle est basty le Mausolee, ou sepulture de ce Roy, d'un
ouvrage tant exquis, que lon le compte pour l'un des sept miracles du
monde. Au mylieu de la maistresse tour du Chasteau, droictement au
plus hault estage, est construict le temple de Mars: audessus duquel
est posee une statue arrivant a la sublimité d'un Colosse, et pourtant
on l'appelle Acrolithon, c'est a dire haulte pierre. Ceste la fut
faicte de l'excellente main du grand sculpteur ou imagier Telochares:
toutesfois quelques uns veulent dire que ce fut d'un certain Timothee.
Au bout de la demye circumference a main droicte se treuve un autre
temple consacré a Venus et a Mercure: aupres duquel est la fontaine
Salmacis: que par opinion faulse lon estime rendre ceulx qui en
boivent, effeminez, ou affligez d'amour lascif. Parquoy ne me
desplaira de dire en cest endroit qui a faict que ceste renommee a
soubz faulx bruyt ainsi couru toute la terre: car il ne seroit
possible que les gens beuvans de son eau, devinssent luxurieux et
impudiques comme lon dict: mais cela fut antiquement feinct pour
exprimer sa beaulté claire et crystalline, ensemble sa bonne saveur.
Au temps donc que les Capitaines Melas et Arevanias amenerent en ce
lieu lá une colonie commune de gens levez par eulx en Argos et a
Troezene, ilz en degetterent a force les nations barbares nommees
Cares et Lelegues. lesquelles s'estans retirees aux montaignes,
descendoient aucunesfois par troupes, couroient le plat pays, et
molestoient cruelement les conquereurs par larrecins et pilleries
ordinaires. Ce pendant, un homme de la colonie Greque, considerant la
bonté de ceste eau, et desirant en faire son profit, leva une grosse
hostellerie tout tenant la fontaine: et avoit sa maison fournie de
toutes choses requises a bien vivre. ainsi exerceant sa taverne, il
attiroit peu a peu ces barbares au moyen du bon traictement qu'il leur
savoit bien faire. parquoy les uns y venoient par le rapport des
autres, appetans la conversation civile: de sorte qu'avant qu'il fut
gueres de temps, d'une vie dure et brutale qu'ilz souloient mener
entr'eulx, cest homme leur feit prendre les coustumes des Grecz, et
s'y renger de leur propre et liberale volunté. Celle eau donques ne
corrompoit pas les courages du vice d'impudicité, mais pource que la
doulceur du bon et humain traictement seut amollir les furieuses
pensees de ces barbares, voyla comment elle acquit ce renom.
Reste maintenant, puis que j'ay promis traicter de la construction
des murailles de la maison du Roy Mausolus, a dire comment elles sont
edifiees.
Comme donques au bout de la droicte partie de la demie circumference
soient situez le temple de Venus, et la fontaine susdicte, ainsi en
l'autre extremité a main gauche se treuve la maison royale que ce dict
Roy voulut bastir pour sa demeure. De ces estages lon voit bien a
plain sur la main droicte, le marché, le grand port, et tout le
pourpris des murailles. Puis a main gauche y a un petit port separé
des montaignes, tant secret, et si bien caché, qu'homme vivant ne
sauroit veoir ny entendre quele chose on fait leans: au moyen de quoy
ce Roy povoit commander et faire entreprendre a ses mariniers et gens
de guerre tout ce que bon luy sembloit, sans qu'aucun en feust
adverty.
Apres sa mort, Artemisia son espouse print l'administration du
royaume: parquoy les Rhodiens indignez de veoir une femme dominer sur
toutes les citez de Carie, dresserent une puissante armee de mer,
pretendans occuper ses pays. Mais ayant leur entreprise esté
descouverte a la Royne, elle commanda que ses navires feussent
occultement cachez en son port, avec l'armee de mer qu'elle avoit
expressement levee pour resister a leur effort. puis ordonna a ses
subgectz qu'ilz se teinssent en armes sur la muraille, et que quand
les Rhodiens avec leur equipage seroient arrivez pres du grand port,
ilz leur monstrassent bon visage, en criant bienvenue, et leur
promissent livrer la ville entre leurs mains. Ces Rhodiens donques a
leur arrivee passerent oultre la muraille, et laisserent leurs
vaisseaux vuydes. Adonc la Royne feit soudainement faire ouverture de
son port, et singler son armee celle part, avec laquelle se getta
dedans ledict grand port: ou trouvant les naux Rhodiennes seules, et
desgarnies de defense, meit ses gens dedans, et les feit emmener en
haulte mer. Ainsi n'ayant plus les ennemys moyen de se sauver, et se
trouvans encloz entre deux grosses puissances, furent taillez a pieces
dedans la grande place du marché. Ce faict, la Royne estant r'entree
avec ses gens dedans icelles naux Rhodiennes, elle feit faire
voyle droict a Rhodes: d'ou estant approchee, le reste des Citadins
voyant revenir leurs navires ornez de branches de Laurier, estimans
que ce feussent leurs compagnons qui retournassent victorieux, en lieu
d'amys receurent leurs ennemys. parquoy estant la ville prise, et tous
les gouverneurs tuez, elle y feit soudain eriger le trophee de sa
victoire, qui furent deux statues d'arain, l'une de la cité de Rhodes,
et l'autre de sa remembrance, laquelle imposoit ses stigmates ou
merques a icelle cité. Mais quelque temps apres lesdictz Rhodiens
aiant recouvré leur domaine, n'ozans par la religion ruiner ces
statues, pource qu'il n'est licite d'abolir les trophees consacrez aux
dieux immortelz, ilz feirent un hault edifice environ le lieu ou elles
estoient: au moyen de quoy, et par greque industrie, couvrirent si
bien cela, qu'aucun n'en pouvoit plus rien appercevoir: et ordonnerent
que lon nommast celle place Avaton, c'est a dire inaccessible, ou de
laquelle ne se fault enquerir.
Consideré donc que Roys de si grande puissance, n'ont contemné pour
leurs habitations les structures de brique, encores que par leur grand
revenu, et heureuses conquestes faictes souventesfois sur leurs
ennemys, ilz eussent moyen se fermer non seulement de moellon ou
pierre de taille, ains de grans quartiers de Marbre: je suis d'opinion
qu'il ne fault point blamer les bastimens de brique, pourveu qu'ilz
soient conduictz ainsi qu'il appartient. Mais puis qu'il n'est concedé
aux habitans de Rome d'en maisonner dans l'enclos des murailles, je
diray presentement qui les en garde, et qui en est le principal motif.
Les loix publiques ne permettent que lon puisse faire en lieu commun
aucunes fermetures ayant plus d'un pied et demy d'espoisseur: et
suivant ceste ordonnance, les autres paroys se font coustumierement
apres ceste mesure: qui fut estably afin que les voyes publiques ne
feussent trop estroictes, ny empeschees. Or si lesdictes fermetures se
font de brique, et elles ne sont de deux ou trois ordres de largeur,
leur espoisseur de pied et demy ne sauroit soustenir plus d'un estage.
Parquoy estant a ceste heure la ville en la majesté que lon la voit,
et peuplee quasi d'une infinité de citoiens, il y a fallu practiquer
des habitations innumerables. Comme ainsi soit donc que l'espace du
parterre ne feust capable a recevoir une tant excessive multitude pour
les loger tous en la ville: la necessité contraignit de recourir au
secours de haulteur, c'estasavoir de lever trois ou quatre estages
l'un sur l'autre: et pour ce faire, convint user de bons contrefors de
pierre dure, ou de la mesme brique, et faire des murailles tresbien
lyees a bon mortier de chaulx et de sable, pour parvenir a la haulteur
desiree: de sorte que pour l'heure presente il se fait encores
pardessus tout cela de belles terrasses, commodes pour y menger en
Este, et qui donnent un grand plaisir a la veue. Voyla comment par le
renforcement des murailles, et par la pluralité des estages multipliee
contremont, le peuple de Rome a de belles demourances, qui
n'empeschent point les unes aux autres.
La raison deduicte pourquoy n'est permis en la ville de bastir des
murailles de brique de plus grosse espoisseur que dict est, qui est de
peur de rendre les rues estroictes, et les places trop empeschees:
quand il en fauldra user aux champs pour les faire bonnes et durables,
il y fauldra proceder comme s'ensuyt.
Au plus hault d'icelles murailles et au dessoubz du toict fauldra
poser un lict de tuyle d'environ demy pied de hault: et donner ordre
que la saillie de ses cornices soit de grandeur competente. Ce
faisant, lon pourra obvier aux faultes qui ont accoustumé de se faire
tous les jours en tel cas: c'est que si d'avanture les tuyles de la
couverture se rompent, ou qu'elles soyent arrachees par
l'impetuosité des ventz, si que la pluye puisse passer atravers, celle
armeure ne lairra dommager la muraille: car la saillie des susdictes
cornices regettera les gouttes d'eau hors leur ligne perpendiculaire,
et par ainsi gardera saine et entiere la massonnerie de brique,
laquelle homme ne sauroit du premier coup juger si elle est bonne ou
mauvaise: car il fault que cela s'espreuve apres qu'elle est mise en
besongne exposee aux grandes pluyes et chaleurs: et ce pendant si elle
se monstre ferme, lon peult bien dire qu'elle est vallable, consideré
que celle qui n'est de terre forte, et non convenablement cuitte,
soudain qu'elle se treuve batue des gelees et bruines, demonstre
evidemment son imperfection. Celle la donc qui ne pourra endurer les
orages du temps, ne sera pas commode a soustenir grand faix. A ceste
cause les edifices bastiz de vieille brique, pourront avoir leurs
murailles assez durables. Quant a moy je vouldroye que les pans de
fust faictz de cloyes, et hourdez par dessus, n'eussent jamais esté
inventez, car nonobstant qu'ilz soyent bien tost faictz, et ne
chargent gueres un bastiment: si est ce qu'ilz sont dangereux a la
communaulté, pour estre subgectz a bruler comme torches. Qui me fait
dire que la despense mise en closture de briques, est de plus grand
proffit que celle de ces pans de fust, veu qu'il n'y a point de peril
comme en eulx: et aussi ilz font faire des crevasses et fentes aux
cloysons ou ilz sont employez, et ce par la disposition de leurs
lattes droittes et traversantes: lesquelles quand elles sont hourdees,
recoyvent l'humeur, qui les fait enfler, et puis elles se retirent en
sechant, si que estant ainsi restrainctes et gauchies, elles sont
cause de faire rompre la solidité des cloysons. Mais consideré que
plusieurs sont contrainctz s'en servir, ou pour haste qu'ilz ont de se
fermer, ou pource qu'ilz n'ont la puissance d'avoir meilleure matiere,
ou a cause que la ruine apparente de leurs maisons les y contrainct:
il sera bon qu'ilz en usent ainsi. Soit l'empiettement sur quoy ces
pans de fust poseront, relevé assez hault, de sorte qu'ilz ne touchent
ny au pavé, ny au lict de tuyle concassee estant dessoubz: car quand
ilz sont enclavez lá dedans, ilz se moysissent par vieillesse, puis
s'enfoncent, et viennent a pencher, qui fait corrompre et debriser la
grace des clostures.
J'ay exposé selon ma puissance la facon de faire les murailles: et
si ay parlé generalement de l'appareil de leurs matieres, ensemble de
queles proprietez elles sont: parquoy cy apres poursuyvray a dire des
estages qui se posent dessus, combien il y en peult avoir, et la facon
de les dresser, en sorte qu'ilz puissent estre durables par un long
aage, suivant la nature des choses.
Comment et en quele saison il fault couper le boys dont est faicte la
charpenterie. Chap. IX.
[LO] LE boys pour la charpenterie se doit couper depuis le
commencement d'Autonne jusques au Printemps, avant que le vent
Favonius commence a regner: car en tele saison tous les arbres
concoivent et gettent entierement leur seve en feuilles, fleurs, et
fruictz pour l'annee. Quand doncques leurs conduictz sont ouvertz, et
toutes leurs parties humectees par le temps, il n'est pas bon de les
couper, a raison qu'iceulx leurs conduictz ne se peuvent puis apres
reserrer, ains sont comme les corps des femmes enceinctes, lesquelz ne
sont estimez sains et entiers depuis le temps de leur conception
jusques apres la delivrance: qui fait que les vendeurs ne les
pleuvissent serviables aux achapteurs ce pendant qu'elles sont
chargees: et cela est pource que la semence venant a augmenter en
leurs entrailles, attire substance et norriture pour soy, de toutes
les viandes et bruvages que la femme prend pour son vivre: et tant
plus l'enfant se renforce tendant a maturité, tant moins permet il que
la chose dont il est alimenté, se rende ferme et solide. mais apres
l'enfantement, ce qui souloit estre attiré en autre espece de
croissance, quand le corps norrissant l'a produict en estre, et s'en
est delivre, il a lors les veines et arteres ouvertes: chascune
desquelles venant a succer sa part de la substance nutritive, font en
maniere que ledict corps se refait, et retourne a sa premiere solidité
naturele. Par ceste mesme preuve, en la saison d'Autonne, apres la
maturité des fruictz, quand les feuilles commencent a flestrir et
tumber, les racines des arbres recevantes en elles la substance qui se
souloit distribuer par tout le corps, se reintegrent en leur naturel,
telement que chacune des parties recouvre peu a peu son antique et
principal estat: puis la force de l'yver survenante, restrainct et
reserre les conduictz, ainsi qu'il est escript cy dessus. Pourtant si
suyvant ceste consideration, et au temps desja specifié, la matiere
vient a estre coupee, elle sera prise en bonne saison, pourveu que lon
la coupe comme je diray presentement: c'est, que lon taille la tige de
l'arbre jusques a la seve, et qu'on le laisse demourer en ce poinct,
afin que venant sa substance a distiller goutte a goutte, il puisse
entierement dessecher ses humeurs. Ce faisant, la liqueur inutile qui
flue du cueur aux racines, ne se convertira jamais en putrefaction: et
la qualité de la matiere n'aura moyen de se corrompre. Quand ledict
arbre sera sec, il le fauldra mettre par terre: et ainsi se trouvera
bon pour appliquer en usage de charpenterie. Certainement lon peult
cognoistre par les arbustes ou petitz arbres qu'il est ainsi comme je
le dy: car quand ilz sont en leur deue saison chastrez ou percez par
le pied, ilz espandent par les pertuys et gettent hors de leurs
moelles, la mauvaise et superabondante humidité qu'ilz contiennent:
parquoy venans a se dessecher, en acquierent plus longue duree. Mais
au regard des arbres qui n'ont point d'emonctoires pour se purger, les
humeurs croissantes en leurs tiges, se viennent a putrifier, de sorte
qu'elles les rendent inutiles et corrompuz. A ceste cause si ceulx qui
sont vifz et en pied, ne vieillissent de long temps en se dessechant,
il n'y a point de doubte que quand on les abat pour les faire servir
de merrien, apres qu'ilz ont esté purgez par la maniere declaree, ilz
peuvent longuement durer en edifices, et donner des commoditez bien
grandes. Toutesfois iceulx arbres ont entr'eulx des proprietez
natureles toutes differentes les unes des autres, comme sont le
Chesne, l'Orme, le Pouplier, le Cypres, le Sapin, et plusieurs autres
dediez a bastir: car le Chesne ne peult servir a ce que fera bien le
Sapin: ny le Cypres a ce que fera l'Orme: pourautant qu'ilz n'ont pas
une mesme conformité de nature, mais chacun sa vertu en son espece,
laquelle luy a esté donnee au commencement de sa creation. et de la
vient que les uns estant mis en ouvrages, font des effectz tous
contraires aux autres. Premierement le Sapin pource qu'il a beaucoup
d'air et de feu en sa composition, mais bien peu d'humidité et de
terreité, ayant esté assorty des plus legiers elemens de nature, cela
fait qu'il n'est gueres pesant: et a raison qu'il a en soy grande
force et vigueur naturele, il ne ploye pas voluntiers soubz le faix,
ains demeure droit en charpenterie. ce neantmoins a raison qu'il a
beaucoup de chaleur, il engendre et norrit des vers, par lesquelz sa
substance est corrompue: et si brule facilement. Puis pource que ses
pores ou conduictz sont delicatz, la subtilité de l'air enclos en sa
masse corporele, recoit incontinent le feu, et puis rend une
flamme violente a merveilles. De ce Sapin dont je parle, avant qu'il
soit coupé, la partie qui est la plus prochaine de la terre, recevant
par les racines l'humidité qui luy est voysine, provient toute unye et
sans neux. mais celle qui est plus hault, ayant produict ses rameaux
en l'air par l'attraction de la chaleur, si elle est coupee environ
vingt piedz pres du bout, et charpentee a la doloere, adonc les
ouvriers la nomment Fusterne, a cause de la durté de ses neux. Mais la
plus basse quand elle est syee pour mettre en oeuvre, et que les
liqueurs fluentes de ses veines sont dessechees suyvant ce que j'ay
dict, mesmes apres que lon en a getté la seve dehors, lon s'en sert en
lambruchemens ou revestemens de murailles, et l'appellent iceulx
ouvriers Sapin. Au contraire le Chesne abondant en principes et
proprietez terrestres, ayant peu d'humidité, d'air, et de feu, quand
on en fait des pieux pour ficher en la terre, il acquiert une eternité
infinie, consideré qu'encores que l'humidité le touche, si ne peult il
recevoir liqueur en son corps, obstant son espoisseur et l'estroite
closture de ses pores: parquoy regettant cest humeur, luy resiste et
se restrainct subtilement: la ou si lon le met en charpenterie, il se
gauchit en dessechant, et fait les ouvrages esclattans, et subjectz a
crevasses.
Mais l'Escueuil (qui est une autre espece de Chesne portant glan bon
a menger) a cause qu'il se treuve temperé en la mixtion de ses
principes, est grandement profitable en bastimens: Ce neantmoins quand
il est mis en lieu humide, il recoit tout soudain la liqueur atravers
ses conduictz, en maniere qu'estans l'air et le feu contrainctz a
faire place, il est en peu de jours corrompu par l'operation de la
puissance humide. Semblablement le Hestre, le Liege, et le Fau,
d'autant qu'ilz ont pareille mixtion d'humidité, de feu, de terre, et
d'air superabondant, mesmes que leurs conduictz sont faciles a
penetrer, ilz moisissent en petit nombre d'annees.
Aussi Le Pouplier tant le blanc que le noir, et d'avantage le Saule,
le Tileul, et l'Oziere, parce qu'ilz sont rempliz d'air et de feu, et
temperez d'humidité, ayant peu de terrestre en leurs substances, et a
ceste occasion legiers et de petit poix, semblent avoir assez vigueur
pour s'en servir aux usages domestiques: et ce qui les fait ainsi
blancz, voire les rend commodes a la taille de menuyserie, est qu'ilz
ne sont durs ny rebelles par mixtion de terreité, joinct que leurs
conduictz sont faciles, et leurs boys de bon fil.
Mais encores que l'Aulne soit produict environ les rivages des eaux,
sa matiere ne me semble inutile, ains pourveue de grandes proprietez,
consideré qu'en sa premiere temperature il tient beaucoup d'air et de
feu, gueres de terreité, et de l'humidité bien petit. A ceste cause,
et a raison qu'il n'a point trop d'humeur, si lon en fait des
fondemens en lieux marescageux ou en rivieres, et qu'on en fiche force
pieux curieusement serrez les uns contre les autres: quand ilz
viennent a recevoir la liqueur dont ilz ont le moins en leur nature,
adonc ilz demeurent immortelz, et soustiennent des masses de bastimens
admirables: lesquelles ilz conservent sans aucune corruption.
Toutesfois au dehors de terre ledict arbre ne sauroit durer gueres de
temps: mais quand il est fiché en l'eau, il se maintient a jamais. Et
cela se peult veoir en la ville de Ravenne, en laquelle tous edifices
tant publiques comme particuliers sont fondez dessus telz pilotiz.
Au regard de l'Orme, et du Fresne, ilz sont garniz d'abondance
d'humeurs, mais ilz n'ont comme point d'air et de feu, en comparaison
de la territé dont ilz sont douez par la nature. Aussi quand on
les charpente pour mettre en besongne, ilz se treuvent molz, et sourdz
a la doloere, mesmes n'ont point de resistence soubz le faix, a cause
de l'excessive portion de leur humidité qui les fait ployer.
Toutesfois quand ilz sont dessechez par vieillesse, ou bien apres que
lon les a purgez aux champs par la maniere que dict est, la liqueur
qui reside en eulx durant qu'ilz sont en pied, se vient a evaporer, de
sorte qu'ilz durcissent assez, et adonc pour cause de leur nature
lente, lon en peult faire de bons planchers et fermes.
Quant est du Charme, pourautaut qu'en sa mixtion il a peu de feu et
de terre, mais beaucoup d'humidité, il n'est pas aisé a rompre, ains a
une traictabilité singulierement profitable: a l'occasion de quoy les
Grecz pource qu'ilz en font des jougz a leurs bestes lesquelz ilz
appellent zyga, aussi nomment ilz cest arbre Zygeia.
Il ne se fault moins esmerveiller du Cypres, et du Pin: car
nonobstant qu'ilz aient abondance d'humeur, et mixtion egale des trois
autres principes, a cause de l'humeur dont ilz sont pleins,
ordinairement se rendent courbes quand on s'en sert en edifices, et
neantmoins se conservent sans corruption jusques a merveilleuse
vieillesse. La raison est, que la liqueur dont ilz sont abbreuvez, a
une saveur grandement amere: laquelle par son amertume ne permet que
la vermoulure y puisse penetrer, ny que les Artuysons, Courtelieres,
ou semblable vermine la rongent. et de la vient que les ouvrages qui
s'en font, durent sans fin.
Aussi le Cedre et le Genevrier ont leurs vertuz pareilles, et leurs
utilitez de mesme: car tout ainsi que la Resine procede du Pin, et
semblablement du Cypres, ainsi du Cedre provient l'huyle que lon nomme
Cedreleum, duquel toutes choses qui s'en frotent, jusques aux
couvertures des livres, ne sont jamais endommagees ny de moysissure,
ny de vers. Ces arbres que je nomme Cedres, ont le feuillage
resemblant au Cypres, et davantage leur boys et leurs veines toutes de
droict fil. Voyla pourquoy en la ville d'Ephese dedans le temple de
Diane, la statue de ceste deesse en fut faicte, et le lembruchement
des voultes en fut premierement decoré, comme aussi ont esté depuis
tous les planchers des autres temples memorables, afin de durer a
perpetuité. Ces arbres naissent d'une estrange haulteur, par especial
en l'isle de Crete, que lon appelle pour le present Candie: si font
ilz bien en Afrique, et en certaines regions de Syrie.
Mis le Larice, qui n'est congneu sinon des peuples habitans environ
les rivages du Pau, et les costes de la mer Adriatique, non seulement
pour la vehemente amertume de son just, n'est endommagé de vermoulure,
ny de Tignes, ains (qui plus est) ne recoit la flamme du feu: parquoy
ne sauroit bruler, si ce n'est comme pierres en la fournaise quand on
en veult cuyre de la Chaulx: et si fault necessairement qu'il soit
eschauffé d'autre boys: encores ne peult il recevoir la flamme: et ne
fait point de charbon, mais se consume peu a peu en longue espace de
temps: qui se fait pource qu'en son commencement il est meslé de
petite temperature d'air et de feu, mais bien assorty et consolidé
d'humidité et de vigueur terrestre, telement qu'il en est tant
espoissy que le feu ne peult penetrer par l'ouverture de ses
conduictz: et de la vient qu'il regette sa force, ne permettant qu'il
le puisse soudain grever. Aussi a raison de sa pesanteur il ne peult
estre soustenu de l'eau: parquoy quand on le veult transporter de lieu
en autre, il le fault mettre en des navires, ou sur des rateaux
accommodez a porter le merrien.
Pour donner a congnoistre comment la nature de ceste matiere
de Larice fut trouvee, je suis content d'en faire un petit discours.
Aiant le divin Jule Cesar faict loger son armee environ les Alpes de
Bologne, il commanda aux habitans du pays qu'ilz luy fournissent de
munitions necessaires. Or y avoit il la aupres une forteresse bien
equipee de toutes choses, laquelle se nommoit Larignum, dont les gens
qui estoient dedans, se confians en la force naturele du lieu, ne
daignerent obeyr a ses commandemens. a raison de quoy l'Empereur
commanda qu'elle feust assiegee, specialement une Tour qui estoit
devant la porte, edifiée dudict boys de Larice, et levée en grande
haulteur par tronches traversantes et croysantes les unes sur les
autres en maniere d'un chantier de bois. Ceste Tour avoit esté faicte
expres, afin que lon peust de hault repouser a coups de pierres et de
buches, les ennemys qui s'ingereroient de venir a la porte. Quand donc
les assaillans apperceurent que ceulx de dedans n'avoient autre traict
que des buches, qu'ilz ne pouvoient getter plus avant que le pied du
mur, a cause de leur pesanteur: il fut commandé par le Camp que les
soldatz feissent des petitz fagotz de branches seches, et prinsent des
torches ardantes, puis allassent getter leurs fagotz contre celle
Tour, et y meissent le feu avec leurs torches. Ce qui fut faict en
l'heure. Ainsi apres que la flamme eut allumé les fagotz, et qu'elle
fut montee quasi jusques au ciel, ceulx du Camp avoient opinion que
toute la masse deust trebucher en moins de rien: toutesfois quand le
feu fut estainct, ladicte Tour apparut aussi entiere comme devant, et
sans aucun dommage: de quoy Cesar s'esmerveillant, commanda que lon
feist des trenchees environ la place, hors la portee du traict des
defendeurs. Ce voiant les gens de la forteresse, delibererent se
rendre a sa mercy, de crainte d'avoir pis: et adonc leur fut demandé
de quele contree estoit ce boys a qui le feu n'avoit sceu faire mal:
et lors ilz en monstrerent les forestz espoysses et plantureuses aux
environs de la place, laquelle pour ceste cause est dicte Larignum, de
la matiere appellee Larice: qui se porte par la riviere du Pau a
Ravenne, et aux colonies de Fano, de Pesaro, et d'Ancone: et là est
distribuee aux villes et bourgades circumvoysines. Certainement s'il
estoit possible en apporter sans grans fraiz quantité en ceste ville
de Rome, elle feroit de grandes utilitez aux edifices qui en seroient
garniz: car encores que tout n'en feust faict, quand il n'y auroit que
certaines planches mise aux rabatz des couvertures, ou aux
encoigneures des maisons insulaires, (c'est a dire a l'entour
desquelles on peult aller par quatre rues) elles seroient hors du
peril du feu, pource que ceste matiere (comme dict est) ne peult estre
enflammee, ny moins se resouldre en charbon. Ces arbres ont les
feuilles semblables a celles d'un Pin. leur matiere est de long fil,
et autant commode a faire des lambruchemens ou revestemens de
muraille, comme pourroit estre le Sapin. Si est ce qu'elle degoutte de
la Resine ayant coleur de miel Athenien, et que est salutaire aux
personnes Phthisiques ou Etiques.
Je pense, a mon jugement, avoir traicté a suffisance de toutes les
especes de matiere qui sont convenables en bastiment, et dict de quele
proprieté la Nature des choses les a douees, ensemble la raison de
leurs compositions ou principes: parquoy maintenant poursuivray a
discourir pour quele cause le Sapin que nous disons communement du
pays d'amont, n'est aussi bon comme celuy d'aval, lequel porte de
merveilleuses commoditez en maisonnages, et est de longue duree.
Puis tout d'une voye exposeray pour quele raison les choses
produictes en essence, tiennent certaines vertuz ou
imperfections acquises des lieux de leur nativité, afin que la
consideration curieuse ne donne peine a ceulx qui en vouldront
enquerir.
DU SAPIN D'AMONT ET D'AVAL ENSEMBLE
la description de la montagne Apennine. Chap. X.
[LO] LEs premieres racines du mont Apennin sortent des rivages de la
mer Tyrrhene, et s'estendent atravers les Alpes jusques aux extremitez
de la Tuscane: mais la croppe de ceste montagne se courbe comme un
arc: puis sa cambrure du mylieu touche a peu pres les limites de la
mer Adriatique: et par ses circuitions arrive jusques au destroict
lequel est entre ces deux mers. Ainsi donc icelle cambrure interieure
qui tend devers les deux contrees, asavoir de la Campagne, et de la
Tuscane, est totalement exposee au Soleil, dont elle est ordinairement
batue tant que l'annee dure. Mais le dos de ladicte cambrure regardant
la mer d'amont, par estre subgect au Septentrion, est abondant de
solitudes umbrageuses: qui fait que les arbres provenans de ce costé
la, pour estre perpetuelement entretenuz d'une puissance humide, non
seulement ne se font grans et amples, mais (qui plus est) leurs
porositez sont par remplissage d'humidite, tousjours enflees, comme
saoules de liqueur superflue: et de la vient que quand on les à coupez
ou charpentez en sorte qu'ilz ont perdu leur vie vegetale, leurs pores
venans a changer de vigueur, en dessechant de jour en jour,
s'eslargissent et vuydent: a l'occasion dequoy les ouvrages que lon en
fait, ne peuvent avoir longue duree. Mais ceulx qui sont produictz en
lieux aerez regardans le cours du Soleil, pource qu'ilz n'ont les
veines gueres ouvertes, et sont essuyez des chaleurs ordinaires,
deviennent fermes, et bien solides: car ledict Soleil ne succe
seulement les humiditez de la terre, mais aussi les attire des arbres,
dont il les rend plus allegez. Pourtant ceulx la (comme dict est) qui
sont en regions descouvertes et chaudes, estans durs le possible, pour
avoir leurs pores espoissiz et serrez, mesmes pour n'estre gueres
garniz de vases propres a contenir humeur naturele: font, quand on les
reduict en merrien, des utilitez innumerables, et durent jusques en
bien longue vieillesse. A ceste cause les arbres d'aval que lon
apporte de pays sec, sont meilleurs, et plus recevables que les autres
venans d'amont, et que lon ameine des contrees humides et umbrageuses.
J'ay exposé tout ce que j'ay peu considerer en ma pensee des
matieres necessaires pour dresser un bastiment: et si ay dict de
queles temperatures sont leurs mixtions et principes, ainsi qu'ilz ont
esté douez par la Nature: et oultre plus quelz defaultz ou proprietez
se treuvent ordinairement en chacune espece, afin que cela ne soit
ignoré par ceulx qui vouldront desormais bastir. Tous hommes donc qui
mettront peine de suyvre mes preceptes, en seront pour le moins plus
advisez, en maniere qu'il leur sera loisible d'elire les meilleures
matieres entre toutes, pour en edifier leurs ouvrages.
Maintenant puis que j'ay assez parlé des appareilz, je traicteray en
mes livres suivans de la facon des bastimens, et avant tout oeuvre des
Temples ou maisons de Religion consacrees aux Dieux immortelz,
ensemble de leurs proportions et mesures, ainsi comme l'ordre veult
qu'il se face.
FIN DU SECOND DE VITRUVE.
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