SEPTIEME LIVRE D'ARCHITECTURE
DE MARC VITRUVE POLLION.

[LO] NOz predecesseurs non moins sagement que profitablement, instituerent que par la composition des livres on laisseroit a la posterité le fruict de toutes bonnes inventions industrieuses, afin que les louables exercitations ne perissent, ains qu'en croyssant aage apres autre, tous bons Artz et Sciences au moyen de l'ampliation des escritures perveinsent de degré en degré au souverain but de doctrine, et se conservassent a perpetuité. A ceste cause nous ne leur devons seulement rendre graces moyennes, mais immorteles, et infinies, consideré qu'ilz ne nous ont rien caché par Envie ou mauvaise affection, ains ont esté curieux et ententifz a nous laisser par leurs volumes les intelligences de toutes disciplines. A la verité si ces bons personnages n'eussent usé de tele cordialité en nostre endroit, jamais n'eussions peu entendre queles choses furent faictes a la guerre de Troye, ny queles opinions eurent des choses natureles, Thales, Democrite, Anaxagoras, Xenophanes, et le reste des Physiciens: non (certes) queles fins ont prescrittes aux hommes, Socrates, Platon, Aristote, Zenon, Epicure, et autres excellens Philosophes. Aussi eussions nous ignoré les gestes de Cresus, d'Alexandre, de Darius, et de plusieurs grans Roys, mesmes qui les esmeut a faire leurs vertueuses entreprises, n'eust esté que cesdictz bons Ancestres nous en ont laissé des commentaires, enrichiz de sentences doctes, tant afin de perpetuer iceulx grans Seigneurs, que pour exercer noz memoires, et les decorer de coustumes honnestes. Voyla pourquoy lon ne sauroit assez specifier quantes et queles graces il leur convient rendre, ny au contraire, dire combien sont a blasmer ceulx qui desrobent leurs traditions, et impudemment cherchent d'en faire leur propre: car telz Cabasseurs ne s'ozent appuyer sur ce qu'ilz inventent de leurs fantasies, ny se fyer a leurs ouvrages maigres et steriles, mais par Envie, joincte a meurs depravees, en vilipendant les labeurs d'autruy, se ventent d'avoir faict merveilles: dont ilz ne sont seulement a reprendre, ains pour ce crime detestable, dignes d'estre chastiez asprement, voire aussi bien qu'iceulx noz devanciers tesmoignent avoir esté faict sur quelzques malheureux pour semblables delictz: chose qui n'est (a mon advis) maintenant hors de propos d'estre rememoree, afin de donner a congnoistre queles ont esté les corrections de ces pillars.
Estans les Roys Attaliques dominateurs en Asie, stimulez des singulieres doulceurs qui proviennent de la Philologie, ou art de bien parler, ilz dresserent en la ville de Pergame une Librarie excellente pour la commune delectation de leurs subgectz, et en ce mesme temps le Roy Ptolemee regnant en Egypte, espris d'une extreme jalousie de leur gloire, et meu d'un ardant desir qu'il avoit aux lettres, delibera d'en faire une autre en sa bonne ville d'Alexandrie, non inferieure en aucune qualité a la susdicte de Pergame: et de faict, apres avoir a toute diligence mis la main a l'oeuvre, estima que c'estoit peu de cas, s'il ne donnoit ordre a y pourvoir de bonnes semences dont la cueuillette feust profitable a l'avenir. A ceste cause il institua des Jeux au Dieu Apollo et aux Muses: puis tout ainsi qu'il y a pris pour les Athletes ou Lutteurs, ne plus ne moins ordonna il certains loyers honnorables, pour les bons espritz qui obtiendroient victoire, dont il resortiroit quelque utilité au commun peuple. Or estant ces choses bien establies, et le terme des Jeux approchant, il falut elire des Juges sages et garniz de bonnes lettres, pour decider des ouvrages qui seroient miz sur les rengz en ce combat: de quoy le Roy s'estant acquité a son possible, jamais ne seut trouver entre son peuple sinon six hommes qui feussent mettables pour tel effect, telement qu'il estoit en grande peyne d'un septieme: parquoy se meit a en consulter avec ces six eleuz par luy, leur demandant s'ilz congnoissoient aucun qui feust suffisant d'accomplir et perfaire leur nombre. Aquoy ilz respondirent, qu'n certain Aristophanes pourroit bien employer ses jours a lire songneusement les livres amassez, pour les rediger en ordre: dont le Roy fut merveilleusement satisfaict, et le feit admettre en leur congregation: ou estant constitué, et le jour des Jeux escheu, il s'en alla seoir en la place qui luy estoit assignee. Puis estans les Poetes appellez au premier choc, ce pendant qu'ilz recitoyent leur oeuvres, le Peuple demonstroit par indices apparens ceulx qui luy estoient agreables: et quand ce veint a en demander les opinions aux Juges, les six dirent tous l'un comme l'autre, adjugeans le premier pris a celluy qu'ilz congneurent avoir plus delecté la multitude, le second au deuxieme, et ainsi consequemment de tous les autres. Mais quand ce veint au susdict Aristophanes, il fut de sentence entierement contraire, et prononcea que celluy des Poetes qui n'avoit aucunement pleu a l'assistance, devoit avoir l'honneur de la journee: dont le Roy et chacun furent grievement offensez. Quoy voyant icelluy Aristophanes, se leva en piedz, et obtint par prieres qu'il luy feust loysible de faire entendre qui l'avoit meu. Alors tout le monde faisant silence, il persista, que celluy qu'il disoit, se povoit estimer Poete: et tous les autres, usurpateurs des ouvrages d'autruy: adjoustant que l'office des Juges estoit d'approuver les inventions, et non les larrecins manifestes. Adonc le peuple se print a esbahir de tele magnanimité, et le Roy de sa part a faire doubte que ce repreneur ne peust venir a bout de son entente: mais il estant pourveu d'une heureuse memoire, pour confirmer son dire, tira de certaines Armaires presque une infinité de Volumes, ausquelz conferant les Poesies qui avoient esté recitees, contraignit ceulx qui s'en emparoient, a confesser par leurs bouches, comment ilz les avoient desrobees. au moyen de quoy le Roy ordonna sur le champ, que lon procedast contre eulx comme contre larrons prouvez. et apres l'execution les chassa de sa presence, a leur extreme honte et vitupere: puis feit plusieurs beaux presens a celluy qui les avoit ainsi descouvers, et entre autres choses le constitua chef de sadicte Librairie.
D'avantage quelzques ans apres, un oultrecuydé portant nom de Zoilus, et se faisant surnommer Homeromastix, c'estadire fleau d'Homere, veint en celle mesme ville d'Alexandrie, ou il recita devant la majesté du Roy ses detractions contre L'Iliade et l'Odyssee: ce que le bon Prince ne povant endurer, pource que le malheureux mesdisoit du pere des Poetes, directeur de toute la Philologie, et par especial en l'absence de celluy dont toutes les nations de la terre admiroient la doctrine, il se retira en cholere, et ne daigna parler a luy: dont advint qu'il apres avoir longuement demouré en Egypte, et consumé ses deniers, se feit recommander a sa majesté, la suppliant treshumblement qu'elle luy daignast ayder de quelque chose. A quoy lon dict qu'elle feit ceste response, Homere est mort il y a mille ans ou environ, et si a depuis perpetuelement substanté, et substanté encores pour le jourd'huy, beaucoup de milliers de personnes qui font profession de sa lecture. Parquoy il est raisonnable que celluy qui s'estime de meilleur entendement, et plus grande science, puisse subvenir non seulement a soy, mais a une infinité d'autres hommes. et n'en sceut jamais tirer autre chose, si qu'il mourut en extreme povrete. Toutesfois il est beaucoup de diverses opinions de sa mort: car les aucuns tiennent qu'il fut condamné Parricide, c'estadire meurdrier de son pere, et executé comme tel. Les autres disent qu'il fut pendu en croix par le jugement de Philadelphe. D'autres, qu'il fut lapidé: et quelzques uns, que lon le brula tout vif en la ville de Smyrne. Quoy qu'il en soit, si aucune de ces mortz l'extermina, je dy qu'il l'avoit bien meritee: et en cas pareil, que tout autre qui s'attribue les sentences des Autheurs dont il n'entendit jamais seulement les principes, est digne de semblable supplice.
Moy donc, quel qui je soye, O Cesar, en vous presentant ce mien oeuvre d'Architecture, je ne tasche a supprimer les noms de ceulx dont je me suis ayde, pour m'attribuer leurs louenges: et ne veuil deprimer les inventions de personne, pour exalter les miennes oultre le devoir, ains remercye universelement toutes manieres d'escrivains, qui ont siecle apres autre, exercité leurs industries, pour prester de leur abondance a ceulx de la posterité, ayans desir d'escrire leurs conceptions: ce qu'ilz ont faict a moy, qui comme puyseur d'eau en leurs fontaines, et l'appliquant en mes usages, ay rendu ceste matiere plus fertile, et ma diction plus copieuse. Parquoy (Sire) en faisant Pavoys de ces Autheurs, j'oze bien prendre la hardiesse de laisser sortir ces miens labeurs en lumiere, ainsi comme celluy qui a eu franc aller et franc venir en leurs possessions, ou je me suis fourny des choses qui m'ont semblé convenables a mon intention, et par ou j'ay eu les adresses pour ne fourvoyer en ceste Campagne, en laquelle j'ay faict comme Agatharchus, lequel a la suasion d'Eschylus son precepteur, commencea devant tous en Athenes, a convertir la Tragedie en Scene, laissant aux successeurs les moyens de faire comme luy: telement que Democrite et Anaxagoras se trouvans stimulez de suyvre ceste route, escrivirent en mesme stile la practique de Perspective, donnant a entendre comment il fault par raison naturele, estant constitué un centre, y faire correspondre toutes lignes procedantes du poinct de la veue, selon la portee de ses rayons: et ce pour et afin que la platte paincture appliquee pour ornement aux Scenes, representast des apparences de bastimens relevez: et que certains traictz miz en superficies plaines, semblassent les uns approcher, et les autres se reculer.
Apres ces deux Philosophes dessus nommez, Silenus feit un livre des symmetries et proportions Doriques. Aussi Theodore escrivit de la formation du Temple de Juno basty en Samos selon icelle maniere Dorique. Consequemment Ctesiphon et Metagenes donnerent a entendre l'ordre de celluy de Diane en Ephese. Puis Phileus traicta de l'autre dedié a Minerve, lequel est en la ville de Prienne, edifié a la mode Ionique. Plus Ictin et Carpion traicterent aussi du Temple d'icelle Minerve erigé dedans le Chasteau d'Athenes: et Diodore de Phocée specifia particulierement le Thole (c'estadire Pinnacle ou Lanterne) de celluy d'Apollo en Delphos, non obstant qu'aucuns veulent dire que c'estoit de la chambre des Archifz ou se gardent les escritures. Philo parla aussi des symmetries et proportions d'iceulx Temples, et de l'Armurerie qui avoit jadis esté au port de Pyree, pres ladicte ville d'Athenes. Semblablement Hermogenes descrivit le Temple de Diane situé a Magnesie en Asie, que luy mesme avoit faict Ionien Pseudodipterique: et avec ce ne voulut taire celluy de la ville de Teo en Paphlagonie, qui estoit Monoptere, ou a un reng de Colonnes, dedié a Liber pater, qui est Bacchus. Apres Argelie declara queles estoient les symmetries de Corinthe, et la facon du Temple d'Esculapius, construict en la ville de Tralles, a la mode Ionique: et dict on qu'il en avoit esté le conducteur. Aussi Satyre et Phyteus escrivirent du Mausolee ou sepulcre du Roy Mausolus, dominateur en Carie, et mary de la Royne Artemisia. Veritablement une felicité humaine a procuré beaucoup de biens et de grans honneurs a ces Autheurs la, pourautant que leurs inventions exquises sont et seront pour tout jamais fleurissantes entre les humains, qui les reputent dignes de memoire, consideré qu'elles causent plusieurs utilitez a toutes gens qui se veulent mesler de bastir: comme aussi font les contentions de Leochares, Bryaxes, Scopas, et Praxiteles, qui entreprindrent souventesfois a l'envy l'un de l'autre, d'enrichir certaines faces de murailles, dont il nous est venu tout plein de choses singulieres. Toutesfois quelzques uns estiment que Timothee estoit de la partie: et de cestuyla je puis bien dire que l'excellence de son art, a faict renommer ses ouvrages entre les sept Miracles de ce monde. Mais encores en a il esté de moindres, qui ont donné certaines regles pour observer les proportions des symmetries, comme Nexaris, Theocydes, Demophile, Pollis, Leonidas, Silanion, Melampus, Sarnac, et Euphranor: puis d'autres ingenieux qui ont traicté des Machines, comme Cliades, Architas, Archimedes, Ctesibius, Nymphodore, Philo de Byzance, Diphilus, Democles, Charidas, Polyidos, Phyros, Agesistrate, et autres, des volumes ou commentaires desquelz j'ay tiré et reduict en un corps toutes les particularitez qui m'ont semblé plus necessaires: ce que j'ay faict expres, pour avoir consideré que les Grecz ont escrit beaucoup de livres d'Architecture, et noz Latins si peu que rien. Si est ce qu'n certain Fuffitius se proposa le premier d'en faire un volume que seroit admirable. Aussi Terence Varro, entre les neuf sciences qu'il a traictees, en feit un volume: et Publius Septimius deux: mais oultre ce n'est apparu qu'aulqu'n s'en soit voulu entremettre, nonobstant que noz Citoyens antiques ayent esté si excellens Architectes, qu'ilz en povoient donner des regles singulieres, et les coucher en stile non moins elegant que profitable. Qu'il soit vray, au temps que les bons ouvriers, Antistates, Calleschros, Antimachides, et Porinos, edifioient en Athenes le Temple de Jupiter Olympique, dont Pisistratus fournissoit la despense, ces Maistres feirent sans plus les fondemens: car advenant la mort du Prince, ilz furent contrainctz par les troubles et dissensions de la Republique, de laisser l'ouvrage imperfect: qui demoura ainsi environ deux cens ains: lesquelz expirez, Antiochus delibera de continuer les fraiz pour achever ceste besongne: et de faict appella un certain Cossutius Citoyen Romain, lequel s'en acquita treshonorablement, au moyen de son grand savoir et industrie, d'autant qu'il feit selon la grandeur du pourpris la collocation des colonnes en ordre Dipterique, puis asseit dessus les Architraves et autres ornemens, par si bonne symmetrie, qu'il n'y avoit que redire: et de la vient que cest ouvrage n'est seulement estimé du populaire, ains est loué par les plus entenduz entre le petit nombre des magnifiques dont lon faict honnorable mention, pourautant que celle maison sacree est disposee en si bon ordre, et si bien enrichie de Marbre en ces quatre costez, que cela leur a donné des noms propres, qui sont encores a present celebrez par louable renommee, veu mesmement que leurs excellences, et les discretes inventions qui veindrent en la fantasie de cest Architecte pour leur donner la grace qu'il convenoit, se font bien admirer jusques aux sieges des Dieux immortelz. En cas pareil le Temple de Diane en Ephese fut jadis commencé a la mode Ionique, par Ctesiphon de Crete et Metagenes son filz: mais depuis lon dict qu'n Demetrius dedié au service d'icelle Deesse, et un Peonius d'Ephese, l'acheverent en grande sumptuosité. Davantage ce mesme Peonius, et un Daphnis de la ville de Milete, feirent celluy du Dieu Apollo, en symmetries Ioniques. Puis Ictin bastit a la facon Dorique, en la Cité d'Eleusie, celluy de Ceres et de Proserpine, qui estoit de grandeur esmerveillable: et n'y voulut point de Colonnes par dehors la Nef, afin que plus aysement lon peust approcher des sacrifices. Toutesfois quand Demetrius Phalereus auditeur de Theophraste, fut constitué seigneur d'Athenes, ou il regna dix ans, et ce pendant fut honnoré de trois cens soixante statues d'Arain qui furent dressees en sa louenge, un certain Philon mettant des Colonnes en sa face de devant, le rendit Prostyle, et en l'agrandissant d'un Avantportail, donna aysance aux entrans et sortans, mesmes adjousta souveraine authorité a l'ouvrage. Lon dict aussi que le dessus nommé Cossutius, entreprint de faire en Asty le Temple de Jupiter Olympique de modules ou mesures fort amples, et de symmetries Corinthiennes, teles que cy dessus est escript. Ce neantmoins lon ne treuve point qu'il ayt laissé aucuns commentaires de sa doctrine: et ne fault dire que tele chose soit seulement desiree en cest ouvrier, ains aussi bien en Caius Mutius, lequel se confiant de sa grande science, feit le Temple d'Honneur et de Vertu, en la maison qui souloit estre de Marius, ou il observa telement les symmetries des Colonnes et Architraves, que lon peult dire qu'il suyvit legitimement les institutions de ceste practique. Et a la verité si cest edifice eust aussi bien esté de Marbre, et que les fraiz de la matiere luy eussent donné autant de reputation et d'auctorité que l'industrie, il seroit maintenant nommé entre les premiers et principaux ouvrages de ce Monde.
Puis donc (o Sire) qu'il se treuve que noz predecesseurs n'ont esté moins grans Architectes que les Grecz, mesmement assez de nostre memoire, et que peu de ceulx la en ont faict des volumes, j'ay pensé qu'il ne seroit raisonnable de m'en taire, ains en chacun des miens exposer par bon ordre toutes les particularitez requises en cest endroit: et pource que j'ay desja en mon Sixieme depesché les raisons des edifices privez, en cestuy cy qui tient le septieme lieu, j'enseigneray les manieres des embellissemens, donnant a entendre par quele voye ilz auront bonne grace avec longue duree.

DE LA RUDERATION DICTE REPOUS, OU
placquement de Mortier meslé de Brique ou Tuyles concassees avec Glaire
ou quel que autre Cyment pour faire Terrasses.
Chap.
I.

[LO] AVant toute oeuvre je parleray de la Ruderation, qui tient le premier lieu entre les ouvrages de polissure, afin que le Masson entende comment il doyt rendre les Aires solides, par une curiosité conjoincte a industrie et prudence.
S'il fault terrasser a Rez de Chaussee, tastez premierement si le plant est ferme par tout, et puis le mettez a l'uny: apres gettez vostre composition dessus pour la premiere crouste de l'Aire. Mais s'il y a quelzques Croulieres, prenez garde a les combler songneusement par remplissage de Paliz.
Toutesfois quand ce viendra aux Planchers des estages, donnez ordre a ce que les paroys, si elles ne montent jusques au plus hault, ne soyent mises pour soustenance du pavé, ains qu'estant relaschees par separations distinctes, chacune porte son entablement: car si elles sont toutes d'une venue, quand iceulx entablemens se viendront a retirer en sechant, ou bien a s'affaisser par trop grand poix, encores que l'edifice demeure en solidité, si est ce que necessairement il s'y fera des entr'ouvertures tant a droict, comme a gauche.
Aussi fault il adviser a ce que lon ne mette en besongne des planches d'Escueuil parmy celles de Chesne, pourautant que lesdictes de Chesne incontinent qu'elles sont imbibees de l'humeur, se regettent et gauchissent terriblement: qui est cause de faire des fendasses aux planchers. Mais si vous ne pouviez finer d'Escueuil, et le besoing vous contraignoit a employer de ces planches de Chesne, mon opinion est qu'elles doyvent estre faictes a la Sye les plus tenves que lon pourra, consideré que moins auront elles d'espoysseur, et tant plus facilement seront rendues subgettes par les cloux dont on les attachera. Puis sur chacune des solives soit une de ces planches clouee a bons cloux par ses deux boutz, afin qu'elles ne se puissent cambrer de nulle part. ce faisant, tout succedera bien. Mais si vous les y mettiez d'Erable, de Fau, ou de Farne, qui est aussi une autre espece de Chesne, l'ouvrage ne sauroit gueres longuement durer.
Apres donc que voz entablemens seront faictz, si vous avez de la Fougere seche, mettez en dessus: ou sinon, servez vous de Paille, afin que vostre charpenterie soit contregardee des vapeurs du mortier: pardessus lequel assiez vostre pavé de Caillou, si gros, que le plus petit puisse pour le moins emplir la paulme de la main: et apres un lict de cela, terrassez de vostre composition: laquelle si c'est de matiere qui n'ayt jamais servy, une partie de Chaulx suffira contre trois. mais si elle a autresfois esté en oeuvre, vous en mettrez deux contre cinq, pour placquer vostre terrasse: laquelle ferez tresbien piler ou batre par Manouvriers expres, afin qu'il s'en face une crouste, qui estant achevee, ne porte moins d'un Dodrant despoysseur, c'estadire neuf pouces, comprise en ce la charpenterie. puis par dessus ceste la, encores ferez vous de rechief une escaille de Brique pilee, mise avec du mortier, dont la mixtion sera d'une partie de Chaulx destrempee, contre trois de ceste pouldre, a ce que ce terrassement, excepté toutesfois ladicte Charpenterie, n'ayt moins de six doygtz de mesure.
Sur ceste Escaille assiez a la regle et au nyveau vostre pavé, faict de petites placques de pierre de diverses coleurs en maniere de Marqueterie, qu'on dict ouvrage Musaique, ou de grandes Lozenges esquarries: et quand tout cela sera bien ordonné, mesmes la superficie conduitte en tele sorte, si elle est de Marqueterie, faictes la si bien frotter qu'il n'y ait point d'eschellettes ou rabotemens en sesdictes placques, soyent triangulaires, quadrangles, ou hexagones, autrement a six faces, ains ayt la composition de cest assemblage son plant uny ce qu'il sera possible d'estre.
Mais s'il est pavé de Lozenges esquarries, prenez garde a ce que tous les angles s'entr'accordent, et ne soyent raboteux en aucun endroit: car s'il advenoit que lesdictz angles ne feussent tous egaulx, le frottement n'auroit pas esté faict ainsi qu'il appartient.
Pareillement si les pavez sont de Tuyle Tiburtine en facon d'espy, il convient les polir diligemment, afin qu'il ne s'y treuve fosses ne mottes, ains qu'ilz soyent tous uniz soubz la regle, et si bien applaniez qu'il n'y ayt que redire.
Oultre ce frottement, et apres les polissures accomplies, criblez pardessus du Marbre en pouldre, puis avec de la Chaulx et du Sable enduysez en les joinctures de voz placques ou Lozenges, et les en armez selon le devoir. Mais si vous voulez paver des Terrasses a descouvert, n'oubliez a y faire tout ce qui est requis, pource que quand les entablemens se viennent a enfler par l'humeur qu'ilz ont beue, ou a se retirer par trop de hasle, ou bien quand ilz s'enfossent et affaissent par la cambrure des Solives, cela par son emotion cause de grans dommages au pavé: et d'avantage les gelees ou bruynes ne permettent qu'il demeure long temps en son entier. Parquoy si la necessité contrainct d'en faire a l'air, comme dict est, afin de garder qu'il ne se corrompe, il y fauldra proceder comme s'ensuyt.
Quand vous aurez ja estendu un lict de planches sur les Solives, mettez en encores pardessus un en travers, et les clouez tresbien a bons cloux longz et fors, afin que ce soit un double defensif a vostre Charpenterie. Apres meslez une tierce partie de Brique pilee et deux de Chaulx avec vostre Ruderation faicte de fraiz, si que ces deux correspondent a trois de Mortier, telement que le tout face cinq: et quand vous aurez placqué de cela sur voz planches, faictes en Terrasse: laquelle apres avoir esté pilee et conduitte ainsi qu'il a esté par moy specifié, ne porte moins d'un pied d'espois. Cela faict enduysez de rechef une Escaille ainsi comme il est cy devant escrit, et pardessus assiez vostre pavé de grandes Lozenges de pierre esquarrie, ou de quarreaux de terre cuytte d'environ deux doytz d'espoysseur: puis levez un comble dessus, de dix piedz deux doytz. Ce faisant, si vostre pavé est bien frotté et enduyt, jamais n'y aura chose qui le puisse corrompre.
Toutesfois afin que la Charpenterie ne se gaste par les gelees qui se pourroient mettre entre les joinctes de pierres ou quarreaux, gettez tous les ans dessus, avant que l'yver commence, de la lye d'Huyle, ou du Marc d'Olives, telement que la Terrasse en puisse estre abruvee: et par ce moyen l'oingture ne souffrira que les bruynes y puissent faire mal. Mais encores si vous y vouliez plus curieusement besongner, fauldroit mettre pardessus la Terrasse, des tuyles plattes de deux piedz en longueur, enclavees les unes dedans les autres par petites feuillures et resortz d'un doy de large, puis enduire leurs entrejoinctz de Chaulx destrempee avec de l'Huyle, et les frotter selon ce que j'ay enseigné. Ce faisant, la Chaulx qui se durcira entre les assemblages, ne permettra que l'eau ny autre liqueur puisse penetrer atravers. Et quand ceste couche de tuyle sera faicte, donnez luy encores une crouste de Mortier, laquelle soit bien entassee a coupz de Pilons ou Battoers: et pardessus assiez vostre pavé tel que bon vous semblera, comme de grandes Lozenges de pierre, ou de tuyle en espy: mesmes levez sur tout cela un comble tel qu'il a esté cy devant declaré, et vostre ouvrage ne secorrompra de long temps.

DU BROYEMENT DE LA CHAULX POUR FAIRE LES
oeuvres de Stuc, et d'incrustature. Chap. II.

[LO] APres que vous serez sorty de la besongne des Terrasses, il fauldra penser aux ouvrages de Stuc, pour embellir et blanchir les murailles: chose dont vous viendrez a vostre intention, si voz mottes de Chaulx sont broyees long temps avant qu'il en soit necessité, afin que s'il y en avoit quelzques unes qui ne feussent perfectement cuyttes en la Fournaise, elles s'amendassent par le broyement du Hoyau qui les pestrira en liqueur continuele: car si vous prenez de la fraiche pour vous en servir avant qu'elle ayt esté ainsi maceree, quand vous l'aurez enduitte sur voz paroys, il s'y fera des enflures et crevasses a l'occasion des petitz cailloux cruz qu'elle contiendra en soy: et si lon ne prend garde a cela, ilz feront par succession de temps dissiper et tumber par grans placquars toute l'incrustature des paroys: la ou si vous y donnez l'ordre que j'enseigne, et la preparez curieusement pour mettre en oeuvre, il n'en viendra de long temps faulte.
Or pour savoir si elle est delayee a suffisance, prenez une Congnee de Charpentier, et comme lon faict des coepeaux de Merrien, trenchez en vostre Chaulx dedans sa fosse. Adonc s'il y a des petiz cailloux qui facent tourner le fil de la Congnee, estimez que la Chaulx n'est pas temperee au devoir: mesmes si vous en retirez le fer net et sec, ce sera signe que sa masse est debile et alteree: ou si elle est grasse, et delayee comme il appartient, en s'attachant comme Glu contre ce ferrement, elle se monstrera cuytte ce qu'il fault. Parquoy apres avoir eschauffaudé, et faict provision d'instrumens necessaires, besongnez en voz Conclaves a la disposition des planchers en voulte, aumoins s'ilz ne doyvent estre Lacunaires, c'estadire a plat fons audessoubz des Solives, pour estre ornez de compartimens, et autres beaux ouvrages selon le plaisir du Maistre.

DE LA DISPOSITION DES PLANCHERS EN
VOULTE, ENSEMBLE DE L'INCRUSTATURE
DU DEDANS, ET DE LEUR
COUVERTURE PARDESSUS.
Chap. III.

[LO] QUand la raison requerra qu'il se face des Voultes, gouvernez vous y en {Blanc} ceste sorte.
Voz aix soyent telement dressez, qu'il n'y ait plus de deux piedz d'espace entre l'un et l'autre. Leur matiere soit de Cypres, s'il est possible, pource que l'Avet se corrompt incontinent par pourriture et vieillesse. mesmes apres qu'ilz seront distribuez selon la forme du compassement, lyez les aux entablemens avec des estaches ordonnees, ou les clouez al'encontre des toictz, avec bons cloux de fer: et ces estaches se preparent de tel boys, que vermoulure, ancienneté, ou humeur, ne leur puissent porter dommage. Prenez donques du Buys, du Genevre, de l'Olivier, du Rouvre, du Cypres, ou autre semblable, excepté de Chesne, pour amour que cestuyla en se regettant, gauchissant, ou retirant de soymesme, est cause de faire entr'ouvrir les ouvrages ou il est appliqué.
Lors estant voz aix arrengez, lyez al'encontre, des cloyes faictes de Bruyere d'Espagne, ou Cannes de Grece applaties au maillet, ainsi que la forme de la Voulte le desire, et pardessus gettez du mortier de Chaulx et de Sable, afin si aucunes gouttes d'eau distilloient des plus haultz planchers, ou du toict, qu'elles soyent soustenues au moyen de ceste crouste. Mais si vous ne pouvez recouvrer des Cannes ou Roseaux de Grece, faictes en cueuillir aux Maraiz, des plus menuz qui se pourront trouver, et en tressez vozdictes Cloyes, taillees a la juste longueur et largeur de la distance d'entre les aix. Toutesfois prenez garde a ce qu'il n'y ait entre deux neux de leur attachement, plus de deux piedz d'espace: et ainsi soyent elles joinctes a voz aix, que ferez entrelarder de fiches de boys pour plus grande fortification de l'oeuvre. apres observez toutes les autres facons, suyvant ce qui a esté declare cy dessus, et vous vous en trouverez bien.
Quand vostre voulte sera tyssue et mise en ordre, sa face de bas soit placquee de gros mortier, puis surpouldree de Sable, et finablement enduytte d'une crouste de farine de Croye ou Marbre, polye a toute diligence.
Audessoubz doyt estre mise la Cornice, qu'il est besoing tenir subtile et legiere, pource que si elle est lourde, sa pesanteur la contraindra de se desjoindre d'avec le Mur, et ne se pourra bonnement soustenir.
En la formation de ceste Cornice, gardez vous d'y mesler du Plastre parmy le Marbre, mais la moulez tout d'une venue seulement de son mortier, afin que s'il n'est besoing l'enrichir de quelzques ouvrages, elle puisse secher tout a une foys aussi bien par dedans que par dehors.
Toutesfois notez que la facon de faire des Anciens doyt estre regettee en la disposition de ces Voultes, a raison que le grand fardeau qu'ilz souloient faire porter sur le plat de ladicte Cornice, est merveilleusement dangereux de ruyner.
Entre les especes d'icelles Cornices, il en est de toutes unyes, et d'autres ornees de moulures: et de celles la les unyes se doyvent appliquer aux Conclaves ou lon faict du feu, et ou s'allument plusieurs lumieres, afin que lon les puisse plus facilement essuyer par dehors. mais aux lieux destinez pour l'Esté, et aux Parloers ou lon ne faict point de feu, au moyen de quoy la fumee n'y peult nuyre, elles doyvent estre ornees de besongne de taille, pource que tousjours l'ouvrage blanc, pour amour de la beaulte de sa lueur, ne prend seulement la fumee de son propre edifice, ains l'attire des circumvoysins.
Apres les Cornices mises en leur lieu, soient les paroys massonnees de gros Mortier et aspre: et quand ceste main se commencera de secher, rafraichissez la d'une autre pardessus, et formez les directions de la seconde crouste si bien, que les longueurs soyent menées a l'uny soubz la Regle, les haulteurs tirees au cordeau garny de Plomb, et les coingz faictz correspondans aux deux branches de l'Esquierre. Ce faisant, lon pourra paindre tout ce que lon vouldra, sur icelles paroys, sans avoir crainte que l'ouvrage se gaste de long temps, pourveu que de rechef et avant la paincture, quand ceste derniere main de Mortier se commencera de secher, vous enduysez pour la seconde foys, voire jusques a la tierce, les Incrustatures de matiere plus fine l'une que l'autre, veu que tant plus sera sa direction espoysse, tant plus aussi sera ferme, et longuement durable la solidité de ceste Incrustature.
Toutesfoys il est a entendre, qu'a chacune main que le Masson donnera de gros Mortier, fauldra qu'il la rehaulse de gros grain de Marbre criblé, et que la matiere soit si bien temperée, que quand il l'applanyera, elle ne s'attache a la Truelle, ains que le Mortier laisse le fer pur et nect. adonc quand ce gros grain de Marbre se commencera de secher, face encores une autre Escaille, ou il y en mette du moyen: sur laquelle estant bien et deuement labourée et polye, ainsi comme dict a esté, enduyse pour la tierce foys de la plus fine fleur dudict Marbre qu'il aura peu sasser. et en ce faisant, pource que la muraille se trouvera bien armee de trois croustes, comme dict est, elle ne sera aucunement subgette a crevasses ny autres inconveniens ordinaires: car estant bien entassee par les coupz des Battoërs, et fermement enduitte avec les grains et fleur de Marbre, quand le Paintre asserra ses coleurs dessus, elles auront un lustre beau et agreable au possible: ce que ne leur avient quand on les couche a fraiz sur des paroys humides: mais aussi elles y tiennent a jamais, a raison que la Chaulx privee de sa liqueur naturele en cuysant dedans la fournaise ou elle est subtiliee, et ses conduictz renduz ouvers: comme contraincte par alteration, attire et recoit en soy toutes choses humides qui viennent a la toucher: puis ce meslange faict, mesmes apres estre imbibee des semences qu'elle attire d'autres principes: adonc venant a durcir, en quelconque sorte d'ouvrage qu'on la forme, son corps se faict tel qu'il semble proprement avoir ces qualitez en son espece. et de la vient que les massonneries ou incrustatures qui en sont faictes, ne se gastent jamais par antiquité ny (qui plus est) quand on les touche, ne perdent la coleur qui leur a esté une fois donnee, si ce n'est que l'Ouvrier s'en soit acquité trop de legier, ou les ayt couchees a sec.

Quand donc icelles incrustatures seront enduyttes sur les paroys par la maniere que dict est, elles pourront durer en vigueur jusques a bien longue vieillesse, et d'avantage avoir un lustre dont il ne se perdra tant soit peu. Mais s'il estoit que vous ne feissiez sinon une crouste de mortier, surpouldree de menu grain de Marbre, cela par estre tendre, se corromproit assez facilement, et si n'auroit jamais bon lustre, a raison de l'imbecillité de sa crouste: car ne plus ne moins qu'n Miroer d'argent forge d'une lame subtile, a sa lueur lente, et sans gueres de force, mais au contraire celluy qui est faict d'une temperature solide, et recoit en soy le polissement curieux, a ses forces fermement luysantes: ainsi les incrustatures formees de matiere debile, ne sont seulement subgettes a crevasses, ains a se dissiper en peu de temps, ou les autres qui sont fondees en abondance de mortier et grain de Marbre, quand on les polit par divers maneuvres, ne se monstrent sans plus luysantes, ains (qui mieulx vault) acquierent tele proprieté, qu'elles regettent au naturel les figures de ceulx qui les regardent, aussi bien que feroit une glace de Miroer. Et de la vient que les Massons de Grece usans de ces facons de polir, ne rendent seulement leurs ouvrages fermes, mais les font luysans le possible.
Aussi a la verité, apres avoir placqué le Mortier de Chaulx et de Sable confuz ensemble ilz louent des Manouvriers expres, pour battre a qui mieulx mieulx, et faire entasser a coupz de Battoer leurs incrustatures, qui en prennent lustre avec fermeté bien grande.

Voyla certes comment ilz en besongnent: parquoy la matiere en devient si polye, que plusieurs en couppent et tirent de grandes placques hors des vieilles murailles, pour s'en servir en lieu d'Ardoizes a trasser les characteres d'Arithmetique, ou autres figures a leur fantasie, pourautant que la susdicte crouste est de tele nature, qu'elle se peult accommoder a cest effect, et rendre davantage la representation des personnes qui passent par aupres.
Mais si vostre volunté estoit de getter ceste incrustature sur aucuns pans de fust qui necessairement s'entr'ouvrent pour amour des lattes droittes et croysantes dont ilz sont tressez en maniere de Cloyes, consideré qu'il est force que lesdictes lattes s'abbreuvent et enflent d'humidité quand on les placque de Hourdiz, puis au secher se retirent de tous costez, qui est cause de faire crevasser les murailles: pour eviter cest inconvenient, il vous fauldra faire comme s'ensuyt.
Quand toute la paroy aura esté placquee, il vous y fauldra clouer pres a pres des roseaux secz, avec bons cloux a latte, puis de rechef hourder ainsi qu'il appartient: et si vozdictz premiers roseaux sont clouez en travers, en remettre d'autres droictz par dessus. Cela faict, vous placquerez de mortier et grains de marbre, suyvant ce que j'ay desja dict: et par ce moyen le double ordre d'iceulx roseaux, attaché a ces pans de fust, ne permettra jamais qu'il s'y puisse faire entr'ouvertures ny crevasses.

DES POLISSEMENS EN LIEUX HUMIDES. Chap. IIII.

[LO] CY dessus a esté monstré par quele practique se doyvent faire les incrustatures en lieux secz: parquoy maintenant exposeray comment il les fault faire en lieux humides si bien qu'elles puissent longuement durer sans se corrompre.
Premierement en tous conclaves ou membres de maison qui seront a rez de chaussee, metez y en lieu de terrasse ou lict de Repous, des tuyleaux et des briques, la haulteur de trois piedz ou environ, afin que ceste partie qui devra estre pavee, et ses quatre murailles qui seront pour recevoir l'incrustature, ne soyent corrompues par l'humidité. Mais s'il estoit qu'aucune des paroys suyntast perpetuelement, faictes en une autre autant reculee d'elle, que la commodité du lieu le pourra permettre: et entre ces deux mettez y une goutiere arrivant plus bas que le nyveau du parterre, laquelle ayt son esgoust en quelque lieu bien ample: et laissez aussi un souspirail au hault d'icelles deux murailles: car s'il n'y en avoit point par hault ny par bas, ceste nouvelle paroy ne serviroit de rien, et ne laisseroit a se dissiper. Adonc quand cela sera despeché, semez vostre muraille de Repous de tuyle par dedans oeuvre, puis y donnez tous les maneuvres de Mortier, et de grain de Marbre: mesmes la polissez ainsi comme j'ay enseigné par cy devant, et l'effect vous en succedera tresbien.

[FIGURE]

Toutesfois si le lieu ne portoit que lon y peust faire ceste contremuraille, appliquez un Canal en la vostre, dont les yssues respondent en place spacieuse: puis sur l'un des costez du bord assiez des Tuyles de deux piedz de large, et en l'autre soyent construittes certaines piles ou masses de Brique de huict poulces de longueur, sur lesquelles les coingz desdictes Tuyles puissent poser, toutesfois en sorte qu'elles ne soyent distantes plus d'un palme hors de la paroy. puis soyent dressees les Tuyles a ourlet, et continuees depuis le bas du mur jusques au hault, et leurs parties interieures curieusement surfondues de Bray, ou Poix a calfretter Navires, afin que l'eau ne se puisse tenir dessus, ains qu'elles la regettent d'elles mesmes: sans oublier aussi a faire les souspiraux tant au bas comme au hault de la muraille, audessus dela voulte.

[FIGURE]

Apres prenez de la Chaulx destrempee seulement d'eau claire, et en blanchissez voz paroys, a ce qu'elles recoyvent le Repous de Brique ou Tuyle concassee: car pour amour de l'alteration que ladicte Chaulx a raportee de la fournaise ou elle a esté cuytte, les murailles ne peuvent recevoir ny retenir ce Repous, si la Chaulx subgette ne conjoinct toutes les matieres ensemble, les contraignant a se lyer l'une avec l'autre.
Quand donques vous aurez bien enduit ce Repous, en lieu de Gravier gettez dessus de la pouldre de Tuyle pilee: et ne faillez a y donner toutes les facons qui ont esté dictes cy dessus en la formation des incrustatures. Et quant a la beaulté de leurs polissemens, elle doyt avoir ses practiques requises a l'accomplissement de decoration, afin que la dignité y soit gardee convenable aux lieux ou ces enrichissemens se devront faire, si qu'elle ne soit estrange, et hors de la diversité des especes acoustumees.
Ceste composition n'est propre pour les Salles et Chambres ou lon menge en yver: ny aussi n'est la Megalographie, qui vault autant a dire comme paincture de grand coust, ou bien ornee de grans personnages, asavoir Dieux, ou Hommes heroiques, Batailles, Fables, et autres semblables: mesmes n'y est requise la despense des Cornices faictes de Stuc, et ouvrees de moulures, ou besongne de taille singuliere, pourautant que cela seroit incontinent corrompu ou de la fumee du feu, ou de la suye des diverses lumieres que lon y met ordinairement. Mais en ces lieux les sieges et Dressoers doyvent estre noirciz d'Atrament, puis entez de tables de pierre Bize, ou {on} de Porphyre portant coleur de Cinnabre.
Quand les murailles de ces Salles ou Chambres auront esté polyes ainsi qu'il appartient, ce ne sera chose desplaisante que de se renger a faire les Pavez pour l'yver, a la mode des Grecz, qui n'est de grand despense, mais profitable et commode a merveilles.
Premierement ilz fouillent et creusent le plant environ deux piedz en profond, et le pilottent et planchent d'aix, ou remplissent de fagotz ainsi comme ilz entendent: apres gettent dessus du Repous de piere, Terrasse, ou Quarreau bien recuyt, et donnent quelque peu de pente a leur pavé, de sorte qu'il a son esgoust respondant au Canal servant d'Evier. Cela faict, encores mettent ilz dessus un lict de Charbon pilé: puis avec bon Mortier de Chaulx et de Sable meslé de Suye, ou de paille de Fer, font une crouste unye a la regle et au nyveau, portant demy pied d'espois, laquelle ilz commandent lisser songneusement avec une Mollette a broyer coleurs: et parainsi leur pavé devient noir et de bon lustre: qui a tele proprieté, que quand ilz font des Bancquetz ou Festins en icelles salles basses, si lon respend du Vin ou de l'eau dessus, ou bien si lon y crache, incontinent que l'humeur y est tumbee, elle seche ou esvanouyt tout aussi tost: et d'avantage si les serviteurs ou servantes y vont nudz piedz, ja pourtant ne sont morfonduz sur ceste maniere de pavement.

DE LA RAISON DE PAINDRE EN EDIFICES.
Chap. V.

[LO] EN tous autres Conclaves destinez au Printemps, a l'Esté, et a l'Autonne, les Antiques y ont ordonné certaines manieres de Paincture, et de propres coleurs. Or n'est Paincture autre chose sinon la representation d'une forme ainsi qu'elle est, ou bien qu'elle peult estre, comme seroit d'un Homme, d'un Edifice, d'un Navire, et autres teles figures, de l'apparence desquelles, et par ordonnances expressives, lon faict les exemplaires approchans de sa similitude. A ceste cause iceulx Antiques qui ont institué les commencemens de ces recreations de veue, premierement commencerent a faindre les diversitez des incrustatures de Marbre, avec leurs applications en besongne: puis contrefeirent les Cornices: apres se meirent a representer les differentes distributions des placques de pierre bize ou de Porphyre portant coleur de Cinnabre: et consequemment entrerent en la practique de figurer des maisonnages, mesmes a imiter les arondissemens des Colonnes, et les saillyes apparentes des Combles ou Frontispices. Mais en lieux amples, comme Exedres autrement Parloers garniz de plusieurs sieges tout al'entour, a cause de la grandeur des paroys, ilz y designerent les frontz ou faces des Scenes a la mode Tragique, Comique, ou Satyrique.
Aussi le dedans des Galleries ou Promenoers, ilz (a cause de leur longue estendue) les enrichirent de passages garniz d'Arbres et Sauvageaux, Fruittiers, Herbes, et semblables verdures, en exprimant la vraye apparence de certains lieux a leur plaisir, comme Portz ou havres de Marine, Promontoires, qui sont haultes Roches emmy les undes, Rivages, Fleuves, Fontaines, Ruysseaux, Temples, Touches de Boys, Montaignes, Troupeaux de bestail, et Pasteurs qui les gardoient: mesmes en certains endroitz colloquoient des figures de Megalographie, asavoir semblance de Dieux, explications de quelzques fables, ou bien les combatz et escarmouches de la guerre Troyenne, puis les erreurs d'Ulysses, et autres teles choses tirees du naturel, representees en ces ouvrages par objectz quasi semblables. Mais ces exemplaires que lesdictz Antiques contrefaisoient apres les choses vrayes, sont maintenant hors de chance, par l'introduction des mauvaises coustumes, car lon paindra plustost sur les incrustatures, des Monstres ou fantasies impossibles, que certaines representations de corporalitez estans en estre. Et qu'il soit vray, en lieu de Colonnes on fera des Roseaux: et pour des Frontispices, aucunes Harpyes, dont les queues declineront en floccars a costes, revestues de feuilles crespelees, et de Volutes garnyes de Rosaces, ou y aura des Candelabres supportans des desseingz de petiz Edifices, du comble desquelz sortiront quelzques Rainseaux de feuillage, delicatz et fort esgayez, qui porteront des figures de petiz Enfans assiz, ou faisans plusieurs divers actes: mesmes des tiges d'icelles feuilles procederont d'autres bouillons de fleurs, desquelles partira certaines moytiez d'Animaux estranges a faces humaines, ou de bestes brutes a la fantasie du Paintre, choses qui ne furent onques en nature, voire qui ne sont, et ne sauroient estre. Toutesfois ces inventions nouvelles nous ont menez a ce, que le jugement depravé ne faict plus compte de la proprieté des artz. Mais je vous prie, comment pourroit un Roseau naturelement soustenir le toict d'une maison? ou par quele maniere porteroit le Candelabre un Edifice chargé d'Architrave, Frize, Cornice, Frontispice, et autres telz paremens? ou bien comment sauroit un Rainseau de feuillage tendre et delyé, servir de siege a des Animaux fantastiques? ou produire de ses Racines et Rameaux des bouillons de fleur gettans des demyes formes de bestes? Certainement cela ne se peult faire. Ce neantmoins les hommes voyant ces brouilleries faulses, non seulement ne les blament, ains s'en delectent, et y prennent plaisir, ne daignant considerer si cela est en nature, ou non. Parquoy les pensees obscurcyes par jugemens debiles, ne savent approuver ce qui vient du naturel, et qui en matiere de decorations doyt avoir authorité entre les ouvrages.
Sans point de doubte mon advis est que les Painctures sont reprouvables, qui n'ont aucune verisimilitude, comme celles la qui se disent maintenant Grotesques: et encores qu'elles soyent belles et plaisantes par industrie artificiele, si ne les doyt on admettre sans raisons apparentes, ayans povoir de les persuader tolerables a ceulx qui vouldroient arguer a l'encontre: comme il se feit jadiz en la ville de Tralles, ou un certain ouvrier nommé Apaturius d'Alabande, feit le modelle d'une Scene en un petit Theatre, que les Tralliens appellent en leur langue Ecclesiasterion.
Ce Maistre y planta en lieu de Colonnes, des figures d'Animaulx, et contraignoit des Satyres a soustenir les Architraves, sur lesquelz posoient des Tabernacles ou Lanternes rondes, dont les bordz de la couverture avoient leurs saillyes respondantes sur les Cornices enrichies de testes de Lyons pour Gargoules. Or quant a cela, toutes ces particularitez se peuvent raisonnablement faire pour esgouter les eaux du toict. Mais encores rehaulsa il son ouvrage d'une Surscene, en laquelle y avoit aussi un autre Pinnacle, un beau devant d'edifice, un demy comble ou faiste, et tous autres enrichissemens convenables a rendre une oeuvre belle.
La presence de tele Scene plaisoit aux yeux de tous les habitans, pour raison de sa nouveauté, si qu'ilz estoient quasi en termes de l'approuver, et vouloir qu'il leur en bastist une ainsi: mais il survint sur ces entrefaictes un certain Licinius Mathematicien, lequel se print a dire devant toute l'assistance, que le peuple d'Alabande sembloit estre assez expert en toutes occurrences civiles, mais qu'il avoit esté jugé peu sage seulement pour un petit vice d'inconvenience: car (dict il) en leur Gymnase, ou lieu des exercices, toutes les statues qui y sont, semblent advocasser devant les Juges: et toutes celles qui sont en leur Parquet de playdoyerie, font monstre de jouer au Bassin, ou de courir, ou jouer a la Balle: dont est advenu que la mauvaise et impropre collocation des images, a causé a iceulx Alabandins le peu d'estime ou lon les tient de present. Or jugeons donques maintenant de nous mesmes, si la Scene de cest Apaturius ne nous rend point Abderites, ou Alabandins: car qui est celluy de vous qui peult edifier une maison sur la couverture d'une autre? ou qui sauroit y asseoir de colonnes, et les enrichir de Frontispices pardessus? A la verité ce sont choses qui se posent ordinairement sur les espoysseurs des estages, non sur les tuyles qui servent de toict a couvrir. Si donc les choses qui ne peuvent estre en effect, sont approuvees par nous en noz painctures: je dy que nous tumberons en l'erreur de ces Citez, lesquelles pour ces petites faultes furent estimees imprudentes, et de povre conseil. Certainement ledict Apaturius n'osa respondre un seul mot a celluy qui blamoit son ouvrage, ains emporta doulcement son modelle: et quand il en eut faict un autre suyvant la verité de l'art, il recongneut son erreur, et approuva l'opinion de celluy qui l'avoit repris. Pleust aux Dieux immortelz que ce Licinius resuscitast maintenant: pour certain je suis en opinion qu'il s'essayeroit de corriger nostre follie en ce qui concerne les mauvaises ordonnances que lon applique sur les incrustatures. Mais il me semble que ce ne sera hors de propos de faire entendre comment ceste faulse raison a peu vaincre la verité.

Ce que les Antiques s'efforceoient monstrer avec grand labeur et par industrie, noz ouvriers l'expriment a ceste heure avec des coleurs belles et agreables en leurs especes. Et si la subtilité de l'Artisan souloit donner quelque reputation a l'ouvrage, a present la prodigue despense de celluy qui bastit, faict que tele subtilité ne soit plus desiree: car qui est l'homme d'entre tous iceulx antiques, qui n'ayt peu usé de Vermillon comme de drogue convenable en Medecine? et maintenant toutes les murailles en sont couvertes. Puis encores est venue en jeu la Chrysocolle, qui est Bourras, aucunesfois de coleur de Jaune doré, d'Azur, de Verdbrun, de Rougeclair, de Blanc, ou de terre d'umbrage, selon les veynes des Mineraulx d'ou elle est tiree. Apres est succedé le Pourpre ou Cramoysi, qui se dict communement Lacque: et consequemment la coleur d'Armenie, qui est la Perse ou Inde: et celles la nonobstant qu'on ne les couche d'art, si ne laissent elles a contenter la veue. A ceste cause, et pour estre precieuses de soy, elles sont exceptees par les Loix, qui veulent que le Seigneur du bastiment en fournisse si bon luy semble, et non le Paintre qui aura pris son ouvrage a pris faict.

J'ay donné les advertissemens qui m'ont semblé necessaires, afin que lon ne faille desormais a l'endroit des Incrustatures. Parquoy maintenant je diray de l'appareil des estoffes tout ce qui me pourra venir en la memoire: et en premier lieu, pource qu'il a esté desja parlé de la Chaulx, je traicteray du Marbre, enseignant la practique pour s'en servir en ornement de murailles.

DU MARBRE, ET COMMENT ON LE PREPARE
POUR EN DECORER LES PAROYS.
Chap. VI.

[LO] TOutes les especes de Marbre ne sont procreees en chacune des Regions de la terre, ains en aucuns lieux s'y engendre des placques qui ont des petites miettes luysantes comme grains de Sel, et celles la pillees et moulues sont merveilleusement commodes a surpouldrer les Incrustatures, et a mesler parmy la paste dequoy lon forme les Cornices. Mais aux payz ou il n'y en a point, lon prend du Repous ou bloccage de Marbre qui chet a bas quand les ouvriers taillent leurs pierres, et le faict on piler menu dedans un mortier de Fer, puis on le passe par un Crible, et ce qui en sort, se divise en trois parties, dont le plus gros grain se reserve (comme il a esté cy dessus escrit) pour la premiere main de placcage contre la muraille sur laquelle on veult faire crouste, le second ou moyen pour la deuxieme, et le tiers qui est le plus delyé, pour la troysieme. Apres quand on a bien enduyt tout cela avec la Truelle, et frotté pardessus pour luy donner sa polissure, lon vient a y coucher les coleurs, qui en rendent leurs brillemens et splendeurs plus luysantes, et de meilleure grace. Mais pour satisfaire a tout le monde, j'exposeray les differences de leurs preparations ordinaires.

DES COLEURS, ET PREMIEREMENT DE L'OCHRE.
Chap. VII.

[LO] IL est des coleurs qui se concreent d'elles mesmes en certaines places de la terre d'ou elles se tirent: mais aussi s'en trouve il assez d'autres qui se composent par mixtions et temperatures de quelzques choses, et s'affinent en les traictant ainsi qu'il appartient, de sorte qu'elles prestent en ouvrages la mesme utilité que feroient les natureles. A ceste cause nous expedierons en premier lieu celles qui naissent d'elles mesmes, et se fouillent en propres minieres, singulierement celle que les Grecz nomment Ochra, c'estadire palle.
Ceste la se treuve en plusieurs contrees, mesmes y en a beaucoup en Italie: et l'Athenienne {'lAthenienne} qui souloit jadiz estre excellente, maintenant ne se treuve plus, a raison que quand il y avoit en Athenes des familles deputees a fouiller les minieres d'Argent, lon faisoit de grandes caves soubz terre pour trouver abondance de ce Metal, et si ce pendant les fouilleurs rencontroient une veyne de quelque autre chose, ilz la poursuyvoient aussi bien que l'argent. Et de la est venu que les Antiques en leurs enrichissemens de murailles, ont employé beaucoup de Sil, qui est une coleur approchante de l'Ochre, mais quand il est tiré hors des veines de Marbre, si on le brule, et estainct en Vinaigre, il prend semblance de Pourpre, ou Cramoysi Violet. Toutesfois aucuns pensent que c'est Azur d'oultre mer, et d'autres l'estiment terre Selenusie portant coleur de Laict, et laquelle destrempee en icelluy, est propre a blanchir les murailles.
Aussi tire lon de plusieurs endroitz des Rubriches ou Pierres Sanguines, mais peu les produysent bonnes. Les meilleures se treuvent aupres de Sinope ville de la province de Pont, si font elles bien en Egypte, et en pareil aux Isles Baleares du domaine d'Espagne, maintenant dictes Majorque, et Minorque. Semblablement il s'en recouvre en l'isle de Lemnos, qui est en la mer Egee, et de laquelle nostre Senat et le peuple Romain conceda aux Atheniens jouyr des impositions et Gabelles. Mais le Paretoine, qui est comme le Cinnabre de miniere, retient son nom du lieu auquel il est fouillé: et est une espece {es pece} de Boli Armeni. Aussi faict bien le Melin, qui a coleur de Miel, pourautant que la force de ce metal est (a ce que lon dict) en l'isle de Melos comptee au nombre des Cyclades.
Davantage la Croye verde, autrement appellee Verddeterre, provient en diverses contrees, mais la plus excellente s'apporte de Smyrne Cité d'Ionie en Asie la mineur: et ceste la se nomme Theodotion entre les Grecz, pour amour qu'elle fut premierement trouvee en une piece de terre appartenante a un certain Theodotus.
Au regard de l'Orpiment, qu'iceulx Grecz nomment Arsenicon, il se fouille au pays de Pont. Mais la Sandaraque estimee d'aucuns estre Massicot, qui est substance de Ceruse, se recueuille en divers endroitz, toutesfois la meilleure se prend en la susdicte region de Pont aupres du fleuve Hypanis, et tient en soy quelque portion de Metal. Encores en d'autres contrees, comme sur les finages d'entre Magnesie et Ephese, il y a des places d'ou lon la tire toute aprestee, si qu'il ne la fault ny mouldre ne cribler: car elle est aussi subtile que seroit une autre pilee et sassee curieusement par mains d'hommes.

DU MINIUM, OU VERMILLON. Chap. VIII.

[LO] JE commenceray maintenant a expliquer les raisons du Minium, lequel on dict avoir esté premierement trouvé aux champs Cylbians, pres la ville d'Ephese: et a la verité l'effect et l'occasion en sont esmerveillables: car un certain Callias d'Athenes trouvant de l'Arene rouge dedans les minieres d'Argent, la feit cuyre, pensant en tirer de l'Or, mais il n'en sceut avoir sinon ceste coleur. Or quand on le fouille en la terre, les mottes de sa matiere sont dictes Anthrax, et gardent ce nom jusques a ce que par l'artifice des ouvriers elles perviennent a estre Vermillon. La veyne en est comme de Fer, toutesfois un petit plus rouge, et al'entour de soy a de la pouldre vermeille. Quand on la taille a la Besche ou Hoyau, il en sort une infinité de petites gouttes de Vif argent, lesquelles sont incontinent recueuillies par les fouilleurs.
Et apres que lon a faict un grand amas de ces mottes, et qu'on les a portees en la Forge, lon les gette soudain en la Fournaise, afin qu'elles sechent, et vuydent l'abondance de leur humeur. adonc il s'en elieve une fumee par la vapeur du feu, laquelle venant a se rabattre dessus l'attre du Four, se treuve convertie en Vif argent. Ainsi donc que lon en retire ces mottes, lesdictes gouttes esparpillees dessus l'attre, ne peuvent estre recueuillies a cause de leur petitesse, parquoy lon les pousse avec un Balay en un vaisseau plein d'eau, ou elles s'amassent ensemble, et se confondent toutes en une masse: et encores qu'elles n'emplissent qu'ne mesure de quatre Sextiers, si est ce que quand on vient a les peser, on les treuve du pois de Cent livres. Davantage si ceste masse est remise dedans un autre vaisseau, et vous posez dessus une pierre de Cent livres, elle nagera en la superficie sans aller au fons, pource que sa pesanteur ne saura presser, enfraindre, ny dissiper ceste liqueur. Ce neantmoins si vous ostez ce pois de pierre, et mettez en son lieu un seul scrupule d'Or, qui n'est sinon la tierce partie d'une drachme, il ne nagera point amont, ains de soymesme se coulera au fons. Au moyen de quoy fault conclure, et ne sauroit on nyer, que ce metal ne soit plus pesant que toutes autres choses, non par amplitude de pois, mais seulement par son espece.

Au regard de ce Vifargent, il est convenable a nostre usage en beaucoup de particularitez: car lon ne sauroit sans luy dorer a droit ny l'Argent, ne le Cuyvre: et qui plus est, s'il y a de l'Or tyssu parmy le drap d'une robe usee par vieillesse, telement qu'elle ne seroit plus honneste a porter, lon en brule les lambeaux en des potz de terre, puis est la cendre gettee en de l'eau parmy laquelle y a d'icelluy Vifargent, et il attire incontinent tous les grains d'Or, les contraignant de se coupler a soy. cela faict, on espanche ceste eau, et met on ce Vifargent sur une piece de drap ou de cuyr pour le tordre a force de mains, et pour amour de sa nature liquide il sort par les entrefilures du drap, ou atravers les porositez du cuyr: et l'Or entassé par l'esprainte, se treuve dedans tout espuré, quand on le desveloppe.

DE LA TEMPERATURE DU
VERMILLON.
Chap. IX

[LO] JE retourneray maintenant a la temperature de nostre Minium, et diray que quand ses mottes ont esté bien sechees, lon les pile en des mortiers de fer, puis les broye lon curieusement: mesmes par laveures et cuyssons souventesfois renouvellees, les ouvriers font tant qu'elles deviennent en coleurs: puis quand cela est depesché, icelluy Minium a cause du depart du Vifargent, et pour avoir laissé les autres vertuz natureles qu'il contenoit en soy, devient une terre tendre et debile: qui faict que quand on l'employe en ouvrages de paincture pour les paremens des Murailles, s'il est en lieux cloz et couvers, sa coleur demeure assez long temps sans se corrompre: mais en ceulx qui sont essorez, comme Peristyles, Exedres, ou autres de tele qualité, ou le Soleil et la Lune peuvent battre et frapper de leurs rayons, il se gaste en petit nombre de jours: car il se ternit, et perd la proprieté de sa coleur.
A ceste cause plusieurs personnages en ont esté deceuz, et singulierement Faberius le Scribe, lequel voulant avoir sa maison du Mont Aventin, belle et plaisante le possible, en feit paindre toutes les murailles de ses Peristyles: mais au bout de trente jours elles devindrent de layde et diverse apparence. quoy voyant il remarchanda soudain pour lesfaire decorer d'autre paincture.

Toutesfois s'il y a quelqu'n qui veuille plus subtilier en cest endroit, afin de faire que la couche de Minium retienne sa coleur, il fauldra qu'il use de ceste practique.

Quand la paroy bien polye sera devenue seche, la face avec une grosse Bresse enduyre par tout de Cire blanche, fondue et meslee parmy de l'Huyle: puis avec feu de Charbon qu'il aura dedans un Rechauffoer, voyse eschauffant la muraille, de sorte qu'il la face suer, et surfondre la Cire. lors l'applanye a tout le Polissoer, si qu'il {qu il} la rende egale proprement. Apres passe de rechef du suif de chandele pardessus, et le frotte de beaux drappeaux netz demy usez, comme lon faict les statues de Marbre.
Ceste sorte de polissement se dict par les Grecz Encausis, c'estadire conduitte par le feu: ou selon aucuns Onisis, qui signifie ayde et utilité: ou bien suyvant d'autres Onyx, qui vault autant que claire et unye comme un ongle. Mais quoy qu'il en soit, si tel preservatif de Cire blanche, est appliqué sur la muraille, jamais ne permettra que la lueur de la Lune, ny les rayons du Soleil, puissent en lechant arracher la coleur appliquee en ces ouvrages.
Or les Officines ou maisons des preparateurs et distribueurs de ceste marchandise qui souloient estre aux minieres d'Ephese, sont a ceste heure transferees en ceste ville, a raison que pareille espece de veyne fut depuis trouvee aux regions d'Espagne, d'ou les mottes s'apportent, et sont conduittes jusques en noz Magasins, ou Fondiques, par les facteurs et entremetteurs qui en ont pris la charge, et resident entre le Temple de Flora maintenant appellé Camp de fleur, et celluy de Quirinus.
Ledict Minium se faulsifie avec de la Chaulx que lon mesle parmy: parquoy si quelq'un veult esprouver s'il y a point de fraude, prenne une lame de fer, et en gette un petit dessus, puis la mette au feu, et l'y tienne jusques a ce qu'elle devienne toute embrazee. adonc s'il veoit que par cest embrazement son Minium ayt changé de coleur, et soit devenu noirastre, oste sa lame hors du feu: et si en refroydissant il revient en sa premiere coleur, ce sera signe qu'il est loyal et marchant. mais ou il garderoit une cotte noire, lon peult estimer qu'il y a de la tromperie.
J'ay dict de ce Minium tout ce qui m'est peu venir en memoire: ce neantmoins encores diray je de la Chrysocolle, que lon l'apporte du pays de Macedoine, et qu'on la fouille dedans les terres prochaines des minieres d'Arain. Et quant au Minium, et a la coleur Inde, leurs noms declarent assez en queles regions ilz sont procreez par la Nature.

DES COLEURS QUI SE FONT PAR ART.
Chap. X.

[LO] J'Entreray maintenant sur les matieres qui estant desguysees par autres genres de preparations et temperatures, recoyvent proprieté de nayves coleurs: et avant toutes autres parleray de l'Atrament ou Noir, dont l'usage est singulierement requis aux ouvrages de paincture: afin que les practiques pour le faire beau, soyent notoires a un chacun.

[FIGURE]

Lon edifie un lieu comme un Laconique ou Poyle, et le polit on de Marbre, en le frottant subtilement. Devant icelluy Poyle se faict un petit fourneau qui a son yssue ou tuyau de cheminee dedans ce Poyle. adonc lon estouppe tresbien la gueule de son attre, afin que la flamme n'en sorte. Apres on met de la Poix Resine dedans la fournaise, ou elle est contraincte par la puissance du Feu qui la brule, de getter par son conduict, sa suye parmy le susdict Poyle dedans lequel s'attache contre les murailles, et a la voulte, d'ou puis apres on la recueuille, et la faict on mesler avec de la Gomme pour servir d'Encre aux Libraires: et du reste les Painctres le brouillans avec de la Colle, en noircissent les murailles quand il en est besoing.
Mais qui n'auroit de ces matieres prestes, pourra en ceste sorte subvenir a la necessité, a ce que par trop attendre, la besongne ne traine oultre le devoir.
Lon brule des Sarmens de Vigne, ou des coepeaux de Pin: et quand ilz sont redigez en charbon, lon les estainct: puis se pilent dedans un mortier avec de la Colle: et par ceste voye s'en retire du Noir, qui n'est pas laid en ouvrages de paincture.
Pareillement si on brule en la Fournaise de la Lye de Vin seche, et qu'n ouvrier la mesle avec de la Colle, il en fera une coleur d'Atrament belle et plaisante le possible: et tant plus la Lye sera de bon Vin, tant plus aura elle proprieté d'imiter non seulement le Noir, mais la coleur Inde, que lon dict autrement Morée.

DE LA PREPARATION DU CERULEE, OU
Bleu, que d'aucuns appellent Turquin. Chap. XI.

[LO] LA temperature du Cerulée s'inventa premierement en Alexandrie: mais quelque temps apres, un certain Vestorius aprint de le faire a Poussol pres de Naples. La raison (certes) de sa practique est assez admirable: car lon broye de l'Arene ou Sable avec de la fleur de Nitre, si delyé, que cela devient comme farine: puis lon prend de la mytaille ou limature d'Arain de Cypre, faicte avec de grosses limes, et la surpouldre lon dessus, afin que le tout se vienne a incorporer. Cela faict, lon en moule des pelotes entre les mains, puis sont mises en quelque lieu pour secher. adonc quand on les voit assez seches, on les met en un grand vaisseau de Terre, et ce vaisseau dedans une fournaise: ainsi l'Arain et le Sable s'entr'eschauffans l'un l'autre, mesmes s'entredonnans et recevans des sueurs causees par la violence du feu, delaissent leurs qualitez natureles, si bien, qu'estant par icelle vehemence du feu leur premiere forme destruitte, ilz se reduysent en coleur Cerulée.
Quant est du brulé qui cause des grans profitz sur les ornemens d'incrustature, il se prepare comme s'ensuyt.
Lon faict cuyre des motes de bon Sil, jusques a ce que lon les voye toutes embrazées: et lors on les estainct en Vinaigre: et par ce moyen prennent incontinent coleur de Pourpre.

COMMENT SE FONT LA CERUSE OU BLANC DE PLOMB,
le Verd de gris, et la Sandaraque autrement Massicot. Chap. XII.

[LO] IL ne sera maintenant hors de propos, de parler de la Ceruse, et mesmes du Verd de gris, que noz Latins appellent Eruca, pour enseigner comment cela se conduyt.
Les Rhodiens mettent en des muys ou tonneaux quelzques branches de Sarment, qu'ilz surfondent avec du Vinaigre, et pardessus assyeent des lames de Plomb. puis estouppent songneusement les gueules, afin qu'il n'en sorte vent ny aleine, et certain temps apres viennent a les r'ouvrir: adonc ilz treuvent la Ceruse attachee contre ces lames de Plomb
Tout ainsi (certes) et par mesme moyen, appliquant des lames d'Arain ou Cuyvre, ilz en font le Verd de gris ou Eruca, comme j'ay desja dict. Ceste Ceruse, quand on la cuyt dedans une Fournaise, elle change coleur, et se convertit en Sandaraque, ou Massicot. Chose que les hommes ont apris par inconvenient de feu: et ceste la preste beaucoup meilleur usage que l'autre qui provient aux minieres d'ou lon la tire pour s'en servir.

LA MANIERE DE FAIRE LE POURPRE,
qui est la plus excellente coleur de toutes les artificieles.
Chap.
XIII.

[LO] JE commenceray maintenant a deduire du Pourpre, a raison qu'il a par dessus toutes les susdictes coleurs, une tresagreable et tresexcellente suavité de regardure.
Il se tire de certaines Cocquilles marines de quoy lon tainct le Veloux et Satin Cramoysi, et n'est moins esmerveillable, a qui bien le veult considerer, que le naturel de toutes autres choses, pourautant que lon ne le treuve d'une mesme apparence en tous les lieux ou il s'engendre, ains est naturelement temperé par le cours du Soleil. et de la vient que celluy que lon prend en la Region de Pont, et en Gaule, tire sur le brun, pour estre ces pays lá prochains du Septentrion. Mais ceulx qui voyagent entre ledict Septentrion et l'Occident, le treuvent livide, ou de coleur de Sang meurdry. L'autre qui se cueuille aux contrees d'Orient et d'Occident equinoctiaulx, a une apparence de Violet: et celluy qui s'apporte des provinces Meridionales, est procreé avec puissance Rouge. A ceste cause un semblable Vermeil provient en l'Isle de Rhodes, et en tous autres Climatz semblables approchans du cours d'icelluy Soleil.
Quand lon a faict amaz de ces Cocquilles, certains personnages deputez les incisent tout al'entour avec des ferremens, et de ces incisions sort goutte a goutte une sanie ou bourbe purpuree, laquelle est recueuillye en des mortiers, et si bien broyee que le tout se reduict en masse: et pource qu'il est tiré hors les Cocquilles des poyssons de Mer, noz Latins l'appellent Ostrum. Mais il s'altere incontinent par le hasle, a cause de sa salure, si ce n'est que de foys a autre on le surfonde et enroze de Miel.

DES COLEURS DUDICT POURPRE.
Chap. XIIII.

[LO] LOn faict aussi des coleurs de Pourpre, en taignant de la Croye avec de la Garence et grains de Troesne, ou Meures sauvages, procedantes de l'herbe dicte Coulevree, que d'aucuns appellent du Tan. Les autres veulent que ce soit avec de la fleur de Jacinthe, autrement dicte Vacciet, ou bien boys de Brezil. Pareillement lon represente plusieurs coleurs avec le just de certaines autres fleurs. Aumoins quand les Painctres taschent a representer le Sil d'Athenes (qui est Azur d'oultre Mer) ilz gettent en un vaisseau plein d'eau, de ces fleurs: de Vacciet desja seches, et les font bouillir sur le feu: puis estant ce marc temperé, le gettent sur un linge, qu'ilz tordent et espraingnent a force de mains, pour en retirer la liqueur, qu'ilz recoyvent en un mortier, ou ilz meslent de la terre Erythree ou rouge: et en la broyant parmy, contrefont la coleur d'icelluy Sil Athenien.
Tout ainsi, et par mesme practique, en prenant du Vacciet, et le pilant avec du Laict, ilz en font du Pourpre beau a merveilles. Et ceulx qui ne peuvent ouvrer de Chrysocolle, pource qu'elle est trop chere, prennent d'une herbe dicte par noz Romains Luteum, et par les Francois Guesde ou Pastel, laquelle ilz destrempent parmy du Cerulée ou Turquin, et en font une coleur excellentement verde.

Ces facons de faire se nomment tainctures. Mais quand il y a faulte de coleur Inde ou Moree, les ouvriers prennent de la Croye Selinusie, ou annulaire, qui est comme terre alaver, et en la taignant avec du Verre, que les Grecz nomment Hyalon, contrefont assez bien ce qu'ilz desirent.

Je pense avoir escrit et traicté en ce livre au mieulx qu'il m'a esté possible, tous les moyens qui se doyvent suyvre pour rendre un bastiment ferme et durable, ensemble dict par quele industrie lon peult faire les painctures belles et plaisantes a la veue, mesmes queles vertuz et proprietez les coleurs ont en soy: telement qu'en ces Sept volumes sont contenues toutes les perfections de bastir, avec les commoditez qu'elles doyvent avoir. Parquoy en ce suyvant mon discours sera des Eaux, et par luy donneray a entendre les raisons pour en trouver en lieux ou il n'y en auroit point, avec la maniere de les conduire, et esprouver si elles sont bonnes ou non pour l'usage des personnes qui resideront al'entour.

FIN DU SEPTIEME DE VITRUVE.