1. Du dictionnaire latin au dictionnaire français

On connaît la filiation suivie des dictionnaires latin-français, Dictionaire françois-latin et Thresor depuis Brandon. [1] Nous nous contenterons ici d'en rappeler l'essentiel et d'y apporter un certain nombre de corrections et d'éléments nouveaux en passant, notre propos étant surtout de tracer à travers les aveux des auteurs ou éditeurs le chemin des intentions qui conduit du dictionnaire latin au dictionnaire français. [2]
Filiation du corpus Estienne-Nicot [3]

1.1. Les éditions d'Estienne

En l'espace de neuf ans, Robert Estienne créa trois dictionnaires qui firent date dans les lexicographies latine et française: le Latinae linguae Thesaurus, le Dictionarium latinogallicum (DLG) et le Dictionaire francoislatin (DFL).

1.1.1. Le dictionnaire latin-français

Prié de rééditer le Dictionarium de Calepinus et constatant le caractère chaotique de celui-ci, Estienne, apres avoir tenté en vain de trouver quelque érudit qui acceptât de le faire, se décida enfin à s'appliquer lui-même à la confection d'un dictionnaire ordonné du latin classique illustré par les meilleurs auteurs de la bonne latinité et expliqué par les commentateurs les plus sûrs, répondant ainsi à un besoin vivement ressenti. [
4] En 1531, parut donc le Dictionarium, seu Latinae linguae Thesaurus, Non singulas modò dictiones continens, sed integras quoque latinè & loquendi, & scribendi formulas ex optimis quibusque authoribus accuratissimè collectas. Cum Gallica ferè interpretatione. Dans une deuxième préface explicative, Estienne expose sa méthode: mots et séquences phraséologiques sont donnés avec interprétation et surtout illustration tirée d'un auteur classique; les mots-vedettes sont suivis d'indications grammaticales -- formes de conjugaison pour les verbes, le genre et le génitif pour les noms -- et classés par ordre alphabétique avec regroupements dérivationnels; les séquences se divisent en tours de construction ("vt cum dicimus, Timeo te: Timeo tibi") et locutions ("vt Facere argentariam: Facere bellum") et sont rangées à leur tour alphabétiquement; les différentes acceptions d'un terme sont distinguées; les interprétations françaises (dues en bonne partie à Estienne) ne sont introduites que lorsqu'une explication latine accréditée fait défaut. [5] Pour ce qui est du public auquel il destine son ouvrage, notons d'abord qu'Estienne s'adresse, dans la première préface, à ses "studiosis lectoribus"; ensuite et surtout dans la deuxième préface, il se donne beaucoup de peine à faire valoir l'importance des citations des classiques et du recours aux seuls commentaires sûrs, accentuant ainsi le côté érudit de son oeuvre; ce n'est qu'en feuilletant le texte du dictionnaire que l'on retrouve des éléments aptes à servir un grand public d'étudiants: loin de se limiter aux seuls contextes difficilement explicables en latin, les interprétations françaises abondent là où elles ne sont pas strictement nécessaires. [6]

L'ambiguïté est levée dans la deuxième édition du Thesaurus donnée en 1536. La formule "Cum Gallica ferè interpretatione" est supprimée et remplacée par la liste des écrivains latins (Caton, Varron, Jules César, Cicéron, Tite-Live, etc.) introduits pour illustrer les mots et les séquences. La première préface explicite la nature mixte de la première édition conçue de manière que "docti pariter & indocti" pussent en tirer profit. [7] Répondant aux critiques que lui avaient adressées plusieurs de ses lecteurs érudits au sujet de la place considérable consacrée au français, Estienne réduit celle-ci en attendant de lui donner une importance plus grande dans le Dictionarium latinogallicum qu'il projette déjà. [8]

Celui-ci paraît, en effet, deux ans plus tard, en 1538. C'est un abrégé du Thesaurus: sont omis principalement les mots peu fréquents ou désuets, et la mention d'écrivains et d'autorités. [9] Dans la préface, l'auteur avoue la difficulté qu'il a éprouvée à tout traduire en français et, en effet, bien que le nombre d'interprétations françaises soit bien plus grand qu'en 1536, le texte du dictionnaire montre néanmoins de nombreuses lacunes dans ce domaine. Dans ce travail de traduction, Estienne aurait sollicité l'aide d'hommes lettrés -- philosophes, jurisconsultes, médecins, poètes, et grammairiens. [10]

Une deuxième bifurcation dans l'oeuvre lexicographique d'Estienne donne lieu en 1539 à un dictionnaire français-latin dont nous aurons à parler dans la section suivante. Le Dictionarium latinogallicum "multo locupletius" [11] est réédité en 1546 pour répondre à la troisième édition augmentée du Thesaurus. [12] Le caractère littéraire du latin est réaffirmé par la mention dans le texte des sources. [13] On accorde au français une plus grande attention qu'en 1538, cherchant à rendre correctement le sens du latin, surtout dans le cas d'emplois métaphoriques, plutôt que de donner une traduction servilement littérale. [14] Ce soin apporté au francais présage le rôle dominant qu'il jouera dans le Dictionaire françois-latin à partir de 1549 (voir 1.1.2.2).

Avant de quitter le dictionnaire latin-français, on pourrait utilement se faire une idée des dimensions du français qu'il renferme et de la proportion qui passe d'une édition dans l'autre et de là dans le Dictionaire françois-latin. Soit l'échantillonnage Aba-Abl, Aca du Thesaurus 1531 et 1536 et du DLG 1538 et 1546:

                1531        -> 1536         -> 1538         -> 1546

Mots fr.         787            639            1423            2175
(Mots lat.)     3377           8947            1843            2950
Alinéas lat-fr.  107            120             216             276
(Alinéas lat.)    51            151              74             109
Équivalents fr.  152 dont 42 -> 176
                                    dont 131 ->
                      "   21 -----------------> 301 dont 256 ->
                                     "     4 ----------------->
                      "    5 ---------------------------------> 423
Mots fr. par
  équivalent    5,19           3,63            4,73            5,15
Mesure quantitative du français et du latin dans DLG et DFL
articles en Aba- à Abl-, Aca-.

Notons d'abord que la place réduite du français annoncée dans la préface de 1536 se traduit d'une part dans le nombre de mots par équivalent (5,19 en 1531, 3,63 en 1536), et d'autre part dans les rapports "mots français / mots latins" et "alinéas contenant du français / alinéas sans français". Le français retrouve ses droits dans le DLG. Pour ce qui est des équivalents, seulement 28% (42/152) de ceux de 1531 passent dans 1536, tandis que 74% (131/176) vont de 1536 dans 1538, et 85% (256/301) des équivalents de 1538 dans 1546. On peut noter que 1538 reprend 21 des équivalents de 1531 délaissés par 1536, et 1546 encore 5 autres. N'empêche que plus de la moitié de ses équivalents (55%) ne sortent pas de 1531. Si on ajoute à cela que sur les 68 qui lui sont empruntés, 49 sont modifiés en cours de route, [15] on verra qu'il y a une quantité considérable de vocabulaire français -- plus de 400 mots dans notre échantillonnage -- qui reste enfermé dans 1531 (et un volume moindre dans les autres éditions du dictionnaire latin-français). En ce qui concerne la proportion d'équivalents français qui passent dans le Dictionaire francoislatin, l'échantillon réduit Aba révèle que sur les 22 équivalents de 1538, 20 passent dans le DFL de 1539 (mais aucun de ceux -- 12 -- que 1538 néglige dans 1531 et 1536); [16] en revanche, pour le même échantillon, sur les 14 équivalents que 1546 ajoute à 1538, seuls 2 se retrouvent dans la deuxième edition du DFL de 1549. Ce rapport inverse entre les premières et les deuxièmes éditions des dictionnaires bilingues, quoique indiqué de façon très sommaire et peu concluante ici, se verra corroboré à 3.4 par l'estimation de sa contrepartie: la dette respective des DFL de 1539 et de 1549 envers les DLG de 1538 et de 1546, [17] et expliqué par l'émancipation conceptuelle de DFL 1549. [18]

1.1.2. Le Dictionaire françois-latin

1.1.2.1. L'édition de 1539

Si le Thesaurus d'Estienne a marqué le commencement de la lexicographie latine moderne, son Dictionaire Francoislatin contenant les motz & manieres de parler Francois, tournez en Latin de 1539, "premier relevé alphabétique de mots français suivis, outre leur équivalent latin, de développements en langue nationale", [19] n'en fait pas moins pour la française. Pourtant, quoique la forme essentielle du dictionnaire français y soit établie, l'intention ne naîtra que plus tard (voir 1.1.2.2). En fait, la première édition de 1539 [20] n'est que le pendant du DLG de 1538, étant d'autant plus connue pour l'étude du latin que c'en est l'inversion, [21] avec quelques additions à la partie française (cf. 2.1.1.1, note 7). La destination de l'ouvrage, ainsi que celles des dictionnaires latins qui l'ont précédé, est clairement énoncée par l'auteur dans la préface:

Ce qui peut se schématiser comme suit:

1.1.2.2. L'édition de 1549

Le dictionnaire de 1539 avait eu beau être fait pour les latinistes, son effet fut tout autre: "tel qu'il auoit peu sortir de son imprimerie pour la premiere fois, il auoit esté soingneusement recueilly & apporté vne vtilité grande à tous desirants entendre la proprieté de la langue Francoyse", [23] écrira en 1564 Jacques Dupuys, et il ajoutera que, sensible à la reaction de son public, Estienne, à partir de la deuxième édition, "deliberoit mettre le Dictionnaire Francois-Latin des premiers". [24] Ainsi, la conception vient rejoindre la forme déjà en partie acquise comme le montre à l'evidence la préface de l'édition de 1549: a) on ajoute de nombreux mots sans équivalent, ni équivalence, latin; b) l'auteur demande à ses lecteurs d'en chercher d'autres "es Rommans & bons autheurs Francois"; c) il a ajouté, en français, "l'explication de la pluspart des mots difficiles, d'ou pourroyent auoir este ainsi nommez: ou de quel autre langaige prins & mis en vsage Francois: laissans tousiours aux lecteurs leur meilleur iugement, & contens par ce commencement les auoir seulement incitez de plus pres auoir esgard a leur langue"; d) enfin, l'auteur dit à son "studieux Lecteur" que son livre marque le commencememnt d'un travail qui sera le fait de tous et qui aura pour but de dresser, en observant l'usage de la langue française, "certaines reigles tant pour l'intelligence des mots, que pour la droicte escripture d'iceulx" à l'exemple des auteurs grecs et latins. [25] Autrement dit, Estienne envisage un dictionnaire du français, fait pour les Français, par les Français. Nous sommes maintenant loin de retrouver le simple reflet du Dictionarium latinogallicum, bien que, selon "la règle des Estienne", [26] celui-ci ait été réédité en 1546. [27]

L'appel à l'aide ne se limite pas à la seule préface. Après le texte du dictionnaire, se trouve, non annoncé dans les parties liminaires du livre, un ensemble de trois appendices portant la notice globale suivante:

Suivent effectivement: a) une liste alphabétique de "mots & manieres de parler appartenans a la Venerie"; [29] b) une autre liste semblable d'"Aucuns mots & manieres de parler appartenans a la Fauconnerie ou Volerie"; [30] c) un extrait de six pages "Ex posteriore libro Philologiae Budaei" intitulé "De Venatione" où on voit dans la marge un certain nombre de repères en français servant à indiquer la matière des paragraphes, dont les deux derniers, qui traitent de la fauconnerie, sont intitulés à part des précédents "De Aucupio". [31]

Les emprunts faits à Budé dans la confection de l'édition de 1549 seraient loin, pourtant, de s'orienter uniquement vers le français. Sa contribution la plus importante semble, en effet, viser le latin, puisque la préface nous dit que "le plus grand nombre des mots Latins bien exposez icy en Francois, sont de feu monsieur Budé", [32] dont seulement une partie, "ceulx que depuis sa mort auons transcript d'aucuns de ses liures a nous par ses enfans communiquez", sont marqués d'un B., mais cela "presque en chasque page". [33] Il ne faut pas oublier que l'humaniste Estienne passait le plus clair de son temps à s'occuper des langues anciennes [34] et était un disciple de Budé, "le lustre de ce royaume", [35] "qui sur tous autres, & entre autres dons a eu cestuy ... de bien entendre les mots & manieres de parler tant Greques que Latines: & les Greques bien & proprement expliquer en Latin, Et les Latines en Grec, ou en Francois: tellement qu'il n'est memoire de son pareil". [36]

Complétons le tableau extra-textuel de cette deuxième édition du Dictionaire francoislatin en notant l'annonce dans la préface de l'addition de noms de lieux (presque totalement absents de la première), pour lesquels "on a peu trouuer les noms Latins correspondants" -- il s'agit donc d'éléments également bilingues -- et la présence dans un quatrième appendice, à la suite de ceux déjà mentionnés ci-dessus, d'"Aucuns mots omis", supplément généralement bilingue de même nature que les items du dictionnaire. [37]

1.2. Les éditions de Dupuys

Estienne n'a pu donner de troisième édition de son dictionnaire français-latin, quoi qu'il en eût l'intention. Dans la préface française de la réédition genevoise de 1557 de ses deux abrégés bilingues, [38] il dit: "De ces deux livrets te pourras aider, pendant que travaillerons a revoir nostre Latinogallicum, & le grand Dictionaire Francois Latin, ne cessans d'amender tout ce qu'autresfois avions commencé pour le prouffit public concernant nostre langue Francoise". [39] Mort deux ans après, il n'a pu réaliser son ambition, et ce sont son beau-frère, [40] Jacques Dupuys, et Jean Macé, un parent éloigné, [41] qui prennent la relève.

1.2.1. Thierry 1564

La continuité de l'oeuvre est exposée dans l'avertissement que Dupuys imprime en tête de l'édition de 1564:
Ainsi, l'oeuvre reste dans la famille puisque Jean Thierry "homme de grande erudition" [45] est un ancien habitué de l'imprimerie stéphanienne, ayant collaboré, par exemple, à la troisième édition du Thesaurus. [46] Suivant les bons principes établis par son prédécesseur, Dupuys reconnaît la source des additions (mentionnée également sur le titre et dans l'épître dédicatoire) qui sont faites dans l'esprit de celles de 1549. [47]

La responsabilité de cette édition aurait été, pourtant, partagée, si on peut ajouter foi au privilège qui préface les exemplaires qui paraissent chez Jean Macé. Celui-ci avait déjà obtenu le 19 août 1561 un privilège pour faire imprimer le Dictionaire francoislatin qu'il avait "faict reuoir, recorriger, amplifier & augmenter par plusieurs gens doctes". [48] Cela nous amènerait donc à croire que ce fut plutôt Macé qui "recouvra" le premier l'exemplaire laissé à Paris en 1550 [49] par Estienne pour le donner à revoir à l'équipe Thierry. Une fois le travail de révision terminé (il s'agit en fait de pure augmentation, nous le verrons dans le chapitre 2), Macé aurait donné la copie à Dupuys à imprimer. De la sorte, ce serait Macé l'instigateur de l'édition, Thierry (avec l'aide d'autres) l'auteur des augmentations, et Dupuys l'imprimeur-éditeur.

On remarque un certain nombre de différences liminaires entre les deux parutions de l'impression faite par Dupuys. Celle de Dupuys est préfacée d'un avertissement et d'une épître dédicatoire (cf. plus haut) tous deux de lui, la dernière signée "I. Dupuys", tandis que la version qui paraît chez Macé porte un privilège (cf. plus haut) à la place de l'avertissement, et les seules initiales "I.D.P." à la fin de la dédicace.

Cette dernière ouvre au dictionnaire des horizons nouveaux. Adressée à "Monseigneur Iean Georges Palatin du Rhin, Duc de la haulte & basse Bauiere, Viconte de VValdent, & c.", la dédicace de Dupuys revendique pour le dictionnaire

La plupart des exemplaires des deux parutions contiennent en appendice toutes les sections annexées au DFL de 1549 [51] à l'exception de la dernière, "Aucuns mots omis", qui sont incorporés à leur place dans le texte du dictionnaire. Les autres appendices sont d'ailleurs annoncés pour la première fois sur le titre. [52] La version de Macé reparaît chez lui l'année suivante.

1.2.1.1. Le Frere 1572

Le même dictionnaire sans les parties liminaires de 1564 est réimprimé en 1572 et paraît chez divers libraires parisiens. [53] La seule nouveauté est un appendice supplementaire, "Recueil des propres noms modernes de la geographie, confrontez aux anciens par ordre alphabétique ... par Iean le Frere, de L'Aual", qui n'a aucune suite dans l'histoire du dictionnaire français-latin. [54]

1.2.2. L'édition de 1573

Pendant ce temps, Jacques Dupuys préparait une réédition du Dictionaire françois-latin. L'impression mercenaire [55] de 1572 le porte à le mettre sous presse avant terme: Dupuys s'avoue l'éditeur unique cette fois; la suite de la préface donne quelques précisions sur la nature des augmentations de 1573: -- les deux premiers appendices de E 1549-T 1564 sont incorporés dans l'ordre alphabétique du dictionnaire qui serait accru par l'addition d'autres mots du même ordre; Dupuys écoute ses lecteurs aussi et il joue en 1573 le rôle que Macé aura joué en 1564 -- faire revoir le dictionnaire par d'autres. Le titre de 1573 contient d'ailleurs une formule analogue à celle de 1564 parlant de Thierry: "DICTIONAIRE FRANCOIS-LATIN (AVGMENTE ... d'infinies Dictions Françoises) ... Recueilli des obseruations de plusieurs hommes doctes: entre autres de M. Nicot".

Par "la perfection qu'on luy peult desirer" (cf. la préface citée plus haut), Dupuys s'explique de deux façons différentes. Sur le titre, il annonce que le dictionnaire est maintenant "reduit à la forme et perfection des Dictionaires Grecs, & Latins", formule purement publicitaire, puisque dans la préface (moins visible) il dit: "Mais ie ne lairray pourtant à suyure ces erres de croistre & mener cest oeuure iusqu'à son comble & à l'egal des Grecs & Latins Dictionaires: [59] & dedans brief temps vous l'aurez en main". La dernière étape est donc franchie, du moins dans l'esprit de l'éditeur: donner au français la même importance lexicographique qui avait déjà été accordée aux langues classiques.

Pour une raison ou pour une autre, Dupuys ne tient pas sa promesse, bien qu'il se tienne en 1573 "desia pour nanti de tout ce qui m'est requis pour l'augmentation". [60] Le restant de son impression de 1573 reparaît onze ans plus tard, puis encore en 1585, avec la seule page de titre de changée, quoique celle-ci porte, à l'exception de la date, exactement les mêmes formules. [61] Il meurt entre 1589 et 1591, [62] sans que, pour autant, l'impulsion qu'il a donnée au Dictionaire françois-latin meure avec lui, car il en naîtra deux rejetons, le Grand dictionnaire françois-latin et le Thresor de la langue françoyse.

Il convient d'accorder une mention spéciale à un exemplaire de ND 1573 détenu par l'École Normale Supérieure à Paris. Identique en tous autres points aux autres parutions connues de 1573 (il s'agit de la même impression), il porte un titre différent:

Est-ce en fait de Hus [63] l'imprimeur de l'édition de 1573 (le titre des exemplaires parus chez Dupuys ne parle pas d'un imprimeur -- cf. 1.6) ou cherche-t-il tout simplement à profiter du succès du dictionnaire en en changeant la page de titre (et en omettant l'extrait du privilège accordé en 1572 à Dupuys qui paraît dans les exemplaires publiés chez ce dernier)? Quoi qu'il en soit, on peut remarquer l'emploi d'une formule de T 1564 ("Les mots François, auec les manieres d'vser d'iceulx, sont tournez en Latin") qui accorde au français moins d'importance que le titre de Dupuys. La deuxième formule ("Reueu & augmenté du tiers ...") est tirée de la préface de Dupuys, la troisième aussi quoique la référence aux mots de marine soit inexacte (cf. 1.4 et 1.6).

1.3. Les éditions de Nicot

1.3.1. L'édition de 1573

Nicot fut donc la source majeure des augmentations de l'édition de Dupuys 1573, fournissant à ce dernier des matériaux dont principalement un traité de navigation. [
64] Il l'aurait été aussi de la cinquième édition que Dupuys projetait de donner: [65] "dedans brief temps vous l'aurez en main: ce que le seigneur Nicot m'a octroyé, pour en retirer [c.-à-d. de ses écrits] & recueillir ce & tant qu'il me plaira". [66] C'est le contraire qui est arrivé, Nicot prenant le dictionnaire en charge à un moment donné entre 1573 et la mort de Dupuys.

1.3.2. Le Thresor de 1606

Nicot, "personnage tres-sçavant", [
67] le premier à s'occuper du dictionnaire qui ne fût pas du cercle des Estienne, fut aussi le premier depuis son auteur à y apporter des changements de conséquence. Associé puis attelé à la tâche pendant une trentaine d'années, [68] il eut le temps de changer profondément le caractère de l'oeuvre y compris le titre: Thresor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne (sur la page de titre) ou Les Commentaires de la langue françoise (sur la première page), ce qui devient dans le privilège de l'Empereur Commentaire ou Thresor de la langue Françoise. En effet, 'dictionnaire' aurait été déplacé dans l'édition de 1606; 'thresor', 'commentaires' s'imposaient.

Ouvrons une parenthèse sur le titre pour voir comment Nicot lui-même en parle dans le texte. D'abord, David Douceur dit dans l'épître dédicatoire "pour ce que ledit Sr Nicot l'auoit voulu ... ay donné [au dictionnaire] le tiltre de Thresor de la langue Françoise". Dans le texte du dictionnaire, nous trouvons: "ces Commentaires" s.v. Arrouser, Dique et Salade, "ce liure" s.v. Chartre, "ce dictionaire" s.v. M'escolliere et Trulle, "ce Dictionaire" s.v. Neutre, "ce present Thresor ou Dictionaire de la langue Françoise" s.v. Nicotiane, "ces Commentaires & thresor de la langue Françoise" s.v. Nimes. Livre est evidemment un archilexème, on peut l'écarter tout de suite. Dictionaire serait également un mot non marqué en ce que c'est le terme générique pour l'époque qui nous intéresse. [69] Il nous reste deux occurrences de Commentaires comme intitulé abrégé et une dans une formule étendue, et deux occurrences de thresor en formule étendue. Ainsi, les formules données dans les privilèges, sur la page de titre et sur la première page du dictionnaire semblent refléter fidèlement la pensée de l'auteur.

En cherchant un peu plus loin, on peut se faire une idée assez précise de ce que le mot thresor signifiait pour Nicot personnellement. Regardons d'abord l'article THRESOR dans le Thresor:

Passons à CHARTRE: Quoi de plus naturel pour un ancien archiviste des chartes de devenir le premier archiviste de la langue?

Pour ce qui est de la part de Nicot dans l'élaboration du Thresor, nous apprenons d'abord ceci, sur le titre: "THRESOR DE LA LANGVE FRANCOYSE ... REVEV [les privilèges du Roy et de l'Empereur disent "dressé"] ET AVGMENTÉ EN CESTE DERNIERE IMPRESSION DE PLVS DE LA MOITIE; [70] Par IEAN NICOT". Il faut évidemment entendre par là: "Dictionaire françois-latin reueu et augmenté en ceste derniere impression de plus de la moitié par Iean Nicot et maintenant intitulé Thresor de la langue françoyse". Le titre tel qu'il est fera parler Jal, parmi tant d'autres, [71] des "nombreuses éditions du Thrésor". [72]

Le manuscrit que Douceur fit imprimer à Denys Duval en 1606 représentait probablement un travail inachevé, Nicot étant mort. Un public français et étranger l'attendait avec impatience. [73] Douceur, s'adressant dans l'épître dédicatoire au Président Bochart, chez qui le manuscrit fut entreposé en attendant d'être publié, s'explique sur l'utilité du Thresor: il serait souhaitable à certains que

Donc, deux visées interdépendantes: visée historique, l'explication de l'ancienne langue, et réforme thérapeutique de la langue. On notera, en passant, que Maxime Lanusse termine son étude du Thresor en concluant que Nicot était malherbiste. [75] On remarquera aussi que ancienne s'écrit sur le titre en caractères beaucoup plus importants que moderne -- que cela fût intentionnel ou non on ne saurait dire.

"Poussé d'vne extreme affection qu'ay de ne manquer à rien de ce que i'estimeray estre du bien du public", Douceur ajoute, dit-il dans l'épître dédicatoire, trois appendices importants: a) "le Nomenclator de Mr du Ion" -- il s'agit de l'édition revue par Germberg du Nomenclator d'Adrien Junius; [76] b) "vne Grammaire" -- Exact et tres-facile acheminement à la langue françoise par Iean Masset, mis en latin par le mesme autheur, pour le soulagement des estrangers; [77] c) "vn recueil des Prouerbes de nos anciens François" -- il comporte trois parties: i) Adagiorum Gallis vulgarium, in lepidos et emunctos latinae linguae versiculos traductio par Joannes AEgidius Nuceriensis, [78] ii) Selectae sententiae prouerb. ex M. Corderio, & alijs, [79] iii) Explications morales d'aucuns prouerbes communs en la langue francoyse, [80] ces dernières attribuées par Smalley à Nicot. [81]

À la différence de toutes les éditions du Dictionaire françois-latin, on ne formule pas dans le Thresor l'intention d'aller toujours perfectionnant l'oeuvre. L'auteur est mort, le libraire ne se charge que de la publication. Tout ce qu'il fera de plus, ce sera de tirer un nouveau titre en 1621.

1.4. Aimar de Ranconnet

Il reste à parler d'un personnage dont la place dans l'histoire du Thresor et du Dictionaire françois-latin est la plus contestée. À en croire certaines sources bibliographiques, l'auteur principal du Thresor, sinon l'unique, serait Aimar de Ranconnet, "viuant Conseiller & President des Enquestes en Parlement" [82] et "recougnu pour l'vn des plus doctes de son temps". [83] La Library of Congress (Washington, D.C.) le donne comme seul auteur, ne mentionnant pas le Thresor sous Nicot dans son catalogue; [84] le catalogue du British Museum et le National Union Catalog: Pre-1956 Imprints (É.-U., 1975) renvoient de Nicot à Ranconnet; la Bibliothèque Nationale (Paris) inscrit le Thresor sous les deux noms. [85] En 1625, Draud donne le signalement suivant: Teissier répète à peu près les mêmes informations en 1683; [87] en 1772, La Monnoye les reprend: Pour d'autres, enfin, le Thresor serait l'oeuvre de Ranconnet revue ultérieurement par Nicot. [89]

Pouvons-nous expliquer tout cela? Prenons d'abord la parution du Thresor chez Vignon. [90] Malheureusement, aucun exemplaire du Thresor imprimé par Vignon ou paru chez lui en 1606 ou 1616 n'est signalé. Il n'est pourtant pas difficile d'imaginer que voulant profiter en 1606 du succès de l'édition de Douceur il en changea tout simplement les pièces liminaires pour faire de Ranconnet l'auteur du dictionnaire, espérant ainsi ne pas être pris en contravention du privilège donné à Douceur. Le privilège expirant en 1616, Vignon pouvait alors choisir de faire paraître le Thresor sous le nom de Nicot ou de Ranconnet. La concurrence entre libraires et la contrefaçon étaient monnaie courante à l'époque. [91]

Tournons maintenant à la seule impression que nous connaissions du Thresor, celle de Denys Duval parue chez David Douceur en 1606. Le nom de Ranconnet y est mentionné deux fois, une première fois sur la page de titre et de nouveau dans l'épître dédicatoire. Regardons d'abord cette dernière adressée au Président Bochart. Nous y lisons:

Ainsi par ce verbe imprécis "s'advisa", Douceur, n'affirmant pas que Ranconnet ait été l'exécuteur, laisse imaginer en mettant les choses au pis qu'il ne fut que le projeteur ou le patron. Peu après dans l'épître dédicatoire, Douceur déclare: Donc, c'est bien la première fois que ce titre s'emploie. Ailleurs, dans les deux privilèges accordés en 1604 à Douceur, Nicot apparaît seul comme auteur: À supposer que Ranconnet ait fait autre chose que simplement avoir l'idée du Thresor, nous apprenons ceci: La collation des textes de Douceur et de Thou fait dire à Brunet que Nicot avait fait ses augmentations "en mettant à profit les recherches laissées par le président Ranconnet". [94] Plus specifique au sujet des travaux de celui-ci, la Nouvelle biographie générale nous apprend ceci: Tamizey de Larroque veut bien, lui aussi, accorder à Ranconnet la paternité du premier ouvrage mentionné, lui donnant pour titre "Dictionarium historicum, geographicum, poeticum". [96] Aussi Lanusse, qui cherche à faire la part dans le Thresor de Ranconnet et de Nicot, attribue volontiers à celui-là les additions concernant l'histoire, la géographie et la poésie fabuleuse; il le croit également capable d'avoir ajouté le vocabulaire juridique, mais cela en sa qualité de magistrat plutôt qu'en tant qu'auteur du De verborum (cf. plus haut) qui, au contraire, aurait été entièrement écrit par Brisson. [97]

Ensuite Lanusse procède à la délimitation des types d'articles qui ne pourraient être dus qu'à Nicot: a) ceux qui contiennent des éléments autobiographiques -- CHARTRE, ENGER, NICOTIANE, NIMES, RUM [98] -- ajoutons BASME; b) ceux qui sont illustrés par les Cantiques et les Odes de Nicot -- AUBERGE, BORD, BORDE, CRI, EMBLER, EMBRASSER, ENCOMBRIERS, ENFANÇON, ESTOUR, EXPLOICT, TALONNER [99] -- ajoutons TESTE; c) ceux qui font mention du Portugal ou du portugais -- BARBE, BASME, BORDAGE, CHERE, ESCHASSES, FAON, POT [100] -- ajoutons ALOË, AMBASSADE, BRIGANDIN, CAGEROTE, CARRAVELLE, CHARTRE, CHICOTRIN, CLAIRON, DEVANT, NICOTIANE, OULTRE, PERLE, PESENAS, RUM, SOLE; d) les articles contenant des citations d'oeuvres publiées après 1559, date de la mort de Ranconnet; [101] e) ceux contenant des citations d'Aimoin Le Moine dont Nicot en 1567 réédita, en collaboration avec André Wechel, les Historiae Francorum; [102] f) ceux dans lesquels le statut archaïque du mot-vedette est commenté; [103] g) ceux, enfin, où il est question des dialectes méridionaux tels le provençal et le languedocien. [104]

Outre les éléments textuels qui correspondent au personnage de Nicot -- mentions (auto)biographiques, ses écrits, le Portugal, les langues et dialectes méridionaux, correspondances chronologiques --, il convient de tenir compte du je du lexicographe. Sur le modèle de "Ie Iean Nicot autheur de ce liure" (s.v. Chartre; cf. supra, 1.3.2), on trouve dans le Thresor une trentaine d'occurrences (plus quelques autres qui remontent à Thierry 1564) du je métalexicographique de l'auteur cautionnant une information extralinguistique, avançant une opinion personnelle, renvoyant à sa propre authorité intratextuelle ou intertextuelle, qualifiant une information qu'il vient de donner ou se référant à sa propre compétence linguistique. Elles ont été étudiées dans Leroy-Turcan & Wooldridge 1994, dont nous citons à part le passage en question.

Revenons à Ranconnet pour examiner la mention de son nom sur le titre. Nous y lisons:

Ainsi, Ranconnet aurait apporté en contribution les mots de marine, de vénerie et de fauconnerie, mais il l'aurait fait "cy deuant". Les déclarations des titres, comme celles des autres pièces liminaires, demandent souvent à être entendues relativement et non absolument, surtout celles des premiers siècles de l'imprimerie. C'est le cas ici: ce sont les éditions antérieures du Dictionaire françois-latin qui nous éclaireront.

Le titre de l'édition de 1573 [106] commence ainsi:

Nous retrouvons les "mots de marine, venerie & faulconnerie", cette fois sans la mention du nom de Ranconnet. Lisons la préface. Jacques Dupuys annonce: La première impression qu'a faite Dupuys de ces derniers "mots" est, comme nous l'avons vu, [108] dans le Dictionaire francoislatin de 1564: En fait, ces deux appendices apparaissent pour la premiere fois, sans signalement liminaire, à la fin du DFL de 1549; [109] le lecteur y est amené à supposer que c'est l'éditeur-imprimeur, Robert Estienne, qui, sans se nommer, est responsable des interprétations françaises et de la mise en forme. [110]

Est-ce en fait Estienne le responsable, ou est-on en droit de croire que ce fut Ranconnet? Nous savons que celui-ci fut correcteur pendant environ douze ans chez Robert et Charles Estienne; [111] il est donc légitime de supposer qu'il dressa les appendices pour le compte de Robert qui n'y attachait pas suffisamment d'importance pour penser à leur reconnaître un auteur particulier. Nous savons également qu'accusé d'un crime énorme il mourut à la Bastille en 1559. [112] Pour certains, ce serait là la raison d'avoir tu son nom dans les éditions de 1564 [113] et de 1573; [114] il est vraisemblable qu'il est compris dans les "gens scauants" du titre de 1564 et les "hommes doctes" de celui de 1573. [115]

Tout est donc clair: les mots de marine datent de 1573 et sont de Nicot, [116] les mots de vénerie et de fauconnerie datent en appendice de 1549 et intégrés dans le corps du dictionnaire de 1573 et seraient de Ranconnet. Dupuys en fait un avis global et anonyme sur le titre de 1573; l'habitude publicitaire de répéter d'édition en édition les déclarations de l'éditeur ou de l'imprimeur veut que tous se voient attribués en 1606 à Ranconnet. [117]

En résumé, nous dirons que Ranconnet a pu contribuer soit directement soit indirectement à plusieurs éditions du dictionnaire: en 1549, il aura élaboré au moins les deux premiers appendices; après le départ pour Genève d'Estienne, il a pu collaborer avec Thierry à la troisième édition; après sa mort, ses écrits sont probablement mis en oeuvre par Nicot qui fournit à Dupuys la matière des augmentations de l'édition de 1573 et qui par la suite est responsable du Thresor de la langue françoyse de 1606, dont l'idée première aurait été cependant de Ranconnet. [118]

Voilà beaucoup d'interprétations qui ne font pas de Ranconnet un auteur du Thresor. En effet, toutes les autorités compétentes, à commencer par Nicot lui-même [119] et son éditeur, Douceur, [120] et jusqu'aux historiens de dictionnaires français les plus récents, [121] ne retiennent à cet égard que le seul nom de Nicot. [122]

1.5. Conclusion

Résumons brièvement la route du dictionnaire français-latin. Voulant, en 1539, par l'inversion de son Dictionarium latinogallicum, fournir un dictionnaire de thème à la jeunesse française latinisante, Robert Estienne par le fait même de la nomenclature française crée en réalité un ('le' devrions-nous dire) dictionnaire français. Se rendant compte de sa clientèle mixte, il y répond d'abord en abrégeant son Dictionaire francoislatin pour les jeunes latinistes, ensuite en l'étendant en 1549 principalement par l'addition d'éléments français. Le studieux lecteur y est invité à participer au travail de recensement, d'illustration et de règlement de sa langue (littéraire). [123] Ce sont là des productions bien de leur temps, puisque coïncidant avec, respectivement, l'ordonnance de Villers-Cotterêts et la Deffence et illustration de la langue françoise de Du Bellay.

En 1564, Jacques Dupuys, imprimant une troisième édition faite sur la deuxième par Jean Thierry, sous l'impulsion de Jean Macé, en ouvre les frontières à un public étranger. Huit ans après le Traité de la Conformité du langage françois avec le grec de son neveu par alliance, Henri Estienne, et six ans avant le Project du livre intitulé de la Precellence du langage françois de celui-ci, Dupuys peut, dans la préface de la quatrième édition, oser mettre le français sur le même pied que le latin et le grec en formulant le voeu de mener le dictionnaire à la perfection des Thesaurus stéphaniens.

Dupuys ne pouvant s'exécuter, c'est Jean Nicot, auteur érudit des augmentations de 1573 qui, se chargeant du travail, donne au dictionnaire le nom [124] (sinon la qualité -- d'ailleurs impossible à l'époque) de ses illustres prédécesseurs. L'oeuvre jusque-là en apparence achronique devient dans sa cinquième édition transformée (nous parlerons plutôt de la première -- et seule -- édition du Thresor) diachronique et par le même coup réformatrice, suivant en cela l'évolution du dictionnaire latin passant des mains de Calepinus entre celles de l'épurateur Estienne. L'optique "tant ancienne que moderne" la fait coïncider aussi avec le concept moderne d'un 'trésor de la langue'.

Nous pouvons analyser les éditions en traits distinctifs, ce qui permet de reconstruire les deux séries ternaires presque entièrement établies par Estienne. La série à entrée latine (L) et la série à entrée française (F) ont en commun cinq niveaux de réalisation virtuels et pour trois traits, la même répartition dans l'échelle des niveaux:

type linguistique dimensions public
1 monolingue thesaurus/trésor érudits
2 bilingue
3 dictionnaire développé public général studieux
4 jeunesse
5 dictionnaire abrégé

Elles diffèrent quant à la langue visée:

L          langue visée          
1
latin
2
3
4
5
F            langue visée          
1
français
2
3
4
latin
5

Les deux séries se réalisent de la façon suivante:

voir Wooldridge, <i>Les Débuts de la lexicographie française</i>, 1977: 45

Les deux derniers tableaux appellent un certain nombre de remarques.

  1. Jusqu'en 1557 le niveau F3 se réalise par l'appellation Dictionaire francoislatin, le F5 par Les mots françois /./ tournez en latin pour les enfants; en cette année l'abrégé devient Petit dictionaire des mots françois /./ tournez en latin pour les enfants et le Dictionaire francoislatin s'y voit qualifier de 'grand' dans la préface. [125] Le DFL attendra jusqu'en 1593 de s'intituler Grand dictionaire françois-latin (cf. section 1, tableau de la filiation du corpus Estienne-Nicot). L'élément françois-latin sera attaché à Petit dictionnaire en 1559; [126] d'ailleurs latinogallicum ne fait partie du titre du Dictionariolum qu'en 1557. [127]

  2. Avant que les trois formants d'une série ne s'actualisent, un ouvrage sera souvent de nature mixte, au moins pour un de ses traits. Ainsi, L 1531 se destine aux érudits et à un public général studieux, F 1549 comprend parmi ses additions un certain nombre d'éléments choisis pour leur qualité latine, F 1573 tend vers le niveau 2 sinon le niveau 1 en ce qu'il veut dans sa prochaine édition imiter le Thesaurus.

  3. Le niveau Fl ne se réalise pas, étant en fait irréalisable, puisqu'il faut un Malherbe, un Richelieu, un Vaugelas, un Louis XIV avant que ne soient possibles les dictionnaires monolingues d'un Richelet, d'un Furetière et d'une Académie. La non-disponibilité du trait de monolinguisme permet donc au Thresor, en fait bilingue, de se dire uniquement de la langue françoyse. Quoique l'opposition monolingue/bilingue soit distinctive pour le latin, elle ne l'est pas pour le français. Ainsi, les niveaux F2 et F3 représentent un genre mixte, puisque à sortie double: F 1549 est à sortie française et latine pour les Français, F 1564 et F 1573 sont à sortie française pour les Français et à sortie latine pour les étrangers, F 1606 destiné aux Français et aux étrangers est à sortie unique dans sa profession, à sortie double en réalité. En fait, ce genre est très complexe dans la réalité de son contenu; nous lui donnons ici une forme schématique puisque conceptuelle, réservant notre examen des réalisations pour le deuxième chapitre. B. Quemada donne à cette catégorie de dictionnaires l'étiquette de semi-bilingue. [128]

1.6. Titres et préfaces

1.7. Existence en bibliotheque du Dictionaire françois-latin et du Thresor [129]

Les indications qui suivent corrigent et complètent Quemada 1968, t. II et Beaulieux 1904. Les exemplaires que nous avons vus sur place ou en photoreproduction sont notés V; ceux dont l'existence a été assurée par un bibliothécaire ou un catalogue sont indiqués par un A; ceux pour l'existence desquels nous n'avons que le témoignage d'un bibliographe sont signalés au moyen d'un B. Les exemplaires attestés par Quemada ou Beaulieux, qui pour une raison ou une autre n'existent pas ou plus (selon le dire de la bibliothèque en question) sont classés à part et leur mention est précédée du signe Ø. Nous adoptons l'ordre suivant pour le classement des bibliothèques: Paris - reste de la France - Suisse - Londres - reste de la Grande-Bretagne - reste de l'Europe - États-Unis - Canada. La cote est donnée entre crochets. La liste des exemplaires est nécessairement incomplète.

1.7.1. Dictionaire françois-latin

[Voir détail des titres à 1.6. Toutes éditions rééditées par CNRS-AUPELF, Archives de la linguistique française. 1549 réimpr. aussi par Slatkine Reprints (Genève).]

1539 Dictionaire francoislatin. Paris, R. Estienne, 1539 (achevé d'imprimer 1540), f°.

1549 Dictionaire francoislatin. Paris, R. Estienne, f °. 1564 Dictionaire francoislatin. Paris, impr. par Jacques Dupuys, f°. 1573 Dictionaire françois-latin. Paris, impr. par J. Dupuys ou [Lyon], impr. Gaspar de Hus (cf. 1.2.2), f°.

1.7.2. Thresor

[Voir détail du titre à 1.6. Réimpr. en fac-similé, A. & J. Picard (Paris, 1960) et Éditions du Temps (Paris, 1979); rééd. sur microfiches, CNRS-AUPELF, Arch. de la ling. fr. (Paris, 1973)]

1606 Thresor de la langue françoyse. Paris, impr. par Denys Duval, paru chez David Douceur, f°.