On a souvent commenté les déficiences de la nomenclature du Thresor; [4] nous aurons à notre tour à traiter la question d'un point de vue plus positif dans le troisième chapitre, en comblant quelques lacunes au moyen des découvertes de lecture. Bornons-nous ici à comparer les annonces des éditeurs, telles que nous les avons exposées dans le premier chapitre, avec les entrées consignées dans les différentes éditions, et à voir de quelle façon certaines autres classes de mots sont représentées dans le Dictionaire françois-latin et le Thresor.
La première édition du Dictionaire françois-latin n'annonce rien, n'étant essentiellement que l'inversion du Dictionarium latinogallicum. En revanche, la deuxième, E 1549, fait part au lecteur de quatre types d'additions: a) mots non traduits en latin; b) l'étymologie des mots difficiles (c'est-à-dire: "d'ou pourroyent auoir esté ainsi nommez: ou de quel autre langaige prins & mis en vsage Francois"); c) noms de lieux ("Pais, Isles, Prouinces, & Villes"); d) explications empruntées à Guillaume Budé et signees d'un B. [5]
Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, [6] les mots suivants sont donnés sans traduction latine: [7] a) s'ABONNER, ACHALANDER, ARTIS, BALIVEAU, BALUSTRE, BARATTE, BARRIQUE, BASENNÉ, BRIFAU, BRIFER (s.v. Brifau), BRIGADE, BRIGADER, BRILLER, BRIN, BRISEE, BROCAT, BROSSER (s.v. Brosse), LAIGNE, LAMPAS, LANIER; b) BARBACANE, BARGUIGNER, BARGUIGNEUR, BARRIL, BARRILLET (s.v. Barril), BASENNIER (s.v. Basenné), BAUDRIER (s.v. Baudroyer), BRANDILLER, BRIMBALER, BRINDELLES, BRIOCHE, BROSSE. Les mots de la liste A sont tous qualifiés d'une manière ou d'une autre, soit définis (11 dont s'ABONNER, BALIVEAU, BARRIQUE, BRIGADE, BRIGADER, BRILLER, etc.), soit commentés (usage ou étymologie -- ARTIS, BARRIQUE, BRIFAU, BRIFER, LAIGNE, etc.), soit mis en contexte (BALUSTRE "- de menuysier", BASENNÉ "Visage -", BRIN "Vng - de mariolaine, ou autre", BRISEE "- que font les ueneurs", BROSSER "- du lin"). Dans N 1606 certains de ces articles restent inchangés (ARTIS, etc.), d'autres reçoivent un supplément d'informations (BRIN, etc.; s'ABONNER, BRIGADE et LAMPAS sont traduits), d'autres encore sont transformés (par exemple, BRISEE > BRISEES + article plus détaillé). Les mots de la liste B ne reçoivent aucun traitement, et dans N 1606 on les retrouve pour la plupart tels quels, les autres recevant un traitement variable, allant de la simple traduction (BARGUIGNER, BARGUIGNEUR) à un long article (BAUDRIER).
Seule T 1564 des autres éditions ajoute des mots isolés à la nomenclature: ACCORDABLE, BASQUE/BASQUAYN, BATAILLON, TABOURER, TABOUREMENT, TABOURINET, TANNEUR, TANNERIE seront ensuite traités par Nicot; BRANDILLEMENT et BRANDILLOIR (s.v. Brandiller), LABOURIEUSEMENT, LAMBOURDE, LANGOUREUSEMENT, TAMARINDE seront les mêmes dans N 1606. Tout comme E 1549, T 1564 donne également un certain nombre d'entrées en contexte sans définition: ACCOMMODABLE "- à toutes choses", BRAVADE ou BRAVERIE "Faire vne -", BRETELER "Tu ne fais que -", BRETELEUR "Tu n'es qu'un -", BROCHES "les - d'un cheual", LAYER "- vn bois", TAPISSER "- vne sale"; Nicot ne traite que les deux premières. [8]
Dans A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, nous trouvons 65 étymologies ou définitions étymologiques. Ces dernières sont évidemment françaises:
BARBILLON "petit barbeau"
ACCOUSTER "Semble qu'il uienne de Auscultare,
ou de "
Une étymologie peut évoluer d'une édition à l'autre: "dont peut estre vient" (ND 1573 s.v. Bacele) > "dont vient" (N 1606) ou se transformer: ABBATRE "verbum factum à bas, quod significat infra" (E 1549) > ABBATTRE "vient de Abbas, acut. aduerbe local, composé de a & bas. Infrà" (N 1606).
Les noms propres forment une autre catégorie de mots délaissée par E 1539. [11] Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta de E 1549 nous comptons 36 noms géographiques, comprenant non seulement les classes annoncées dans la préface (pays, îles, provinces et villes -- ACARNANIE, ARENO, ARGENTINE, etc.) mais également des eaux (ABACUC "La mer d'-", ARTA "Le goulfe de Larta"). Mentionnons aussi trois dérivés toponymiques dont deux constituent des noms propres (BRABANCONS, TARTARES), le troisième (LATIN "Qui est du pais des Latins, Latinus"), hérité de 1539, ayant un statut ambigu, pouvant être considéré comme adjectif ou nom (propre). À son tour, T 1564 ajoute au même échantillonnage 25 noms de lieux (ADA, ABBEVILLE, ACA, etc.) et 3 dérivés toponymiques (BARROIS, BARSELONOIS, BASQUE). Les deux dernières éditions en ajoutent peu: ND 1573 aucun, N 1606 4 noms de lieux (ABANAT, BACHU, BRETAGNE, VILLE-TANEUSE (s.v. Taneuse)) et 2 dérivés (BRETON, LANGUEDOC).
Une autre catégorie de noms propres est celle des anthroponymes. E 1549 n'en met pas sous les lettres A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, mais on trouve ailleurs, par exemple, BERNARD, prénom. T 1564 ajoute sous ces mêmes lettres ACAIRE et ARTUS, prénoms, et ARGUS, nom de personnage mythique; ailleurs il donne ALFONSE et AMAURY, prénoms. N 1606 rend à ACHILLES, métaphorique depuis 1549, sa désignation propre. En plus des prénoms et des noms de personnages mythiques (cf. également PANDORE (T 1564)), les anthroponymes sont représentés par une troisième sous-classe, celle des noms de personnages historiques. Ainsi on trouve: CLOVIS "nom propre dont plusieurs Roys de France ont esté nommez" (N 1606 cf. HLOVIS, HLOTAIRE, LOUYS, LOYS), MOLINET "aussi est le nom d'ung ancien poete François" (ND 1573).
Les items signés du nom de Budé sont legion. [12] Ils sont de deux sortes. L'initiale B indique les formules juridiques tirées des Forensia de Budé qu'Estienne avait publiés en 1544, y ajoutant un index français-latin l'année suivante. [13] Dans la partie Pr de E 1549 nous comptons, par exemple, 19 occurrences de B s.v. Principal, 6 x B s.v. Prison, 38 x B s.v. Prisonnier, 14 x B s.v. Proceder, 16 x B s.v. Procureur, 13 x B s.v. Produire, 17 x B s.v. Production, et, comme piece de résistance, 244 x B s.v. Proces. On peut se demander pourquoi Estienne a voulu mettre dans son dictionnaire français tant d'éléments visant le latin de la procédure, surtout que cette langue n'avait en principe plus cours dans le domaine de la justice depuis dix ans. Nous pensons trouver une réponse plausible justement en établissant un rapport entre le Dictionaire francoislatin et l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Pour Charles Beaulieux, le DFL de 1539 aurait pu être fait sur l'ordre de François Ier "afin d'aider les gens de justice dont le français n'était pas la langue maternelle, à comprendre les arrêts maintenant rendus en langue vulgaire". [14] Pourtant, la première édition du DFL est manifestement un dictionnaire de thème pour les écoliers latinistes, Estienne le dit lui-même. [15] L'argument de Beaulieux nous semble beaucoup plus convaincant appliqué aux expressions de Budé mises dans l'édition de 1549, dans laquelle le français a un statut propre.
Le deuxième type d'éléments dus à Budé concerne les exemples signés B. ex Cic. etc., et, comme nous le verrons, quelques autres. Dans un compte rendu à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1894, [16] Georges Picot fait part d'un mémoire d'Eugène de Budé [17] concernant les Adversaria de son illustre ancêtre, sept cahiers manuscrits conservés dans les archives de famille. Il s'agit, en fait, d'une partie des inédits que la famille de Guillaume Budé confia à Robert Estienne après la mort du grand savant. [18] Dans sa biographie de Budé, [19] Louis Delaruelle (D) donne en appendice un extrait des Adversaria (A) qui nous permet de les confirmer comme source d'un bon nombre des items du Dictionaire françois-latin. Nous en citons ici quelques exemples contrôlés dans E 1549 (E2):
B) B.
C) Aucune mention de Budé.
Jacques Dupuys parle de deux catégories d'éléments en tête de l'édition de 1564: a) "infinies dictions & manieres de parler de la langue Françoyse adioustees par M. Iehan Thierri & plusieurs aultres sçauants personnages, lesquelles ay voulu marquer de telles notes & marques [" [21] ; b) les mots des sciences, arts et métiers déjà appréciés dans le dictionnaire d'Estienne et cause partielle du désir de Dupuys de le rééditer. [22]
Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, nous comptons 202 mots ajoutés à la nomenclature et précédés d'un [, plus 110 éléments d'article (acceptions nouvelles, définitions, étymologies, un commentaire encyclopédique (s.v. Arpent), mais surtout exemples d'emploi et renvois orthographiques). [23] La nomenclature nouvelle est en grande partie biologique:
b) oiseaux -- ARNÉ, ARTRES, BREANT, LAVANDIERE;
c) poissons -- ARNÉ, BARBOTE, BROCHETON, LAMPROYON/LAMPRILLON, LAVARET, TACON;
d) bestioles -- ACHÉES, ARTRES;
e) parties animales -- ARGOTS, ARS, BROCHES, LAICTE/LAICTENCE;
f) maladies animales -- BROCHES, LADRERIE;
g) dérivé adjectival -- LAISARDIN. [24]
BASTARDIERE "ou pepiniere ..." (suit un des rares articles développés de E 1539)
LARMIER "d'une muraille"
TARIERE "Terebra" (nom d'outil), etc.
BARROIR "Vng long tariere ou foret, de quoy les tonneliers font les trous ..."
LAINEFAICTURE "Le faict de filer laines, de les accoustrer, & d'en besongner"
TABELLION "Scriba ciuitatis", etc.
ARBALESTRIER "Arcubalistarius"
BANQUEROUPTIER "Decoctor"
BRETELLES "d'une hotte"
TARRIS "terre laissée en rié"
TAILLANDIER "faiseur d'oeuure blanche", etc.
BARRIERES "palissade qu'on faict pour les camps clos"
BRANDON "pharasse" et "signe ... que le Seigneur, foncier ou censier faict mettre en aulcun heritage", etc.
ACTOURNÉE "la procuration passée à vn actourné"
ARMES PLEINES "celles qui sont sans brisure"
BANDE "en fait d'armoiries ... en cas d'embattage de rouës ... entre Chirurgiens ... en fait militaire"
LANCE "en matiere de successions"
TAILLE "coupeure du marc du vin", etc.
L'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta de ND 1573 introduit les mots de marine suivants:
ARCASSE "en faict de nauires"
ARCHE "en matiere de nauires"
ARTEMON "la voile de derriere"
ARTILLERIE CARDINALE "entre gens de mer"
BALANCINES "en faict de nauires"
BANCS "en faict de marine"
BARRE DE TEMON
BARREAUX "en faict de nauires"
BAU "entre mariniers"
BAUS "En faict de nauires"
BRAS "en matiere de nauires"
BRESIN "en cas de nauires"
BRIGANTIN "espece de vaisseau de mer"
BRISANS "en faict de marine"
LAME "grosse oule dormant"
TALON DE GOUVERNAIL "en faict de nauires"
La vénerie y est représentée, d'une part par:
La "telle addition de mots ... en plusieurs & diuerses autres matieres" qu'annonce également Dupuys dans sa préface se traduit par, entre autres:
BACELE "en ancien language françois signifie Chastellenie"
BRANCAR "bras d'vne ... charrete"
LA "article feminin"
LASSET "dont les femmes lassent leurs cotillons" [33]
L'édition que publie Douceur en 1606 ne signale aucune addition à la nomenclature. Au lieu de cela, le libraire entretient son lecteur de l'utilité que possède son livre pour celui qui cherche l'intelligence de l'ancienne langue. De son côté, l'auteur prétend que son oeuvre mérite d'être considérée comme le baume de la langue française et, dans cette intention, il lui donne le titre développé de Commentaires & Thresor de la langue françoyse tant ancienne que moderne. [34]
En effet, Nicot s'occupe relativement peu d'augmenter la nomenclature. Le dictionnaire qu'il reçoit d'Estienne et de Thierry par l'intermédiaire de Dupuys n'est en fait guère plus qu'une nomenclature traitée en latin. Les informations françaises sont rares et minimes. Il y rémédie en donnant à un grand nombre d'entrées un traitement fonctionnel et historique. La section 2.2 le démontrera à tout moment. Contentons-nous ici de faire état de quelques-uns des domaines compris dans les articles du Thresor: orthographe et prononciation, fonctions grammaticales, délimitation et filiation sémantiques, fonctionnement syntagmatique, fréquence ou spécialisation d'emploi, correction d'emploi, distinction français/non-français, historique d'un terme, étymologie comparative, règles de formation, invocation d'autorités et commentaires encyclopédiques. [35]
Détaillons pourtant la classe qui concerne les mots et sens anciens. Nicot introduit dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, soit en 1573 soit en 1606, les (sous-)vedettes suivantes:
BARREZ "Estoient dits ..." (1606)
BASSINET "que portoyent anciennement ..." (1573)
BRIEF DE DESSAISINE "Mot ancien" (1606 s.v. Bref)
BANNIERE "anciennement l'vsage des bannieres estoit ..." (1573)
BRIGAND "Anciennement estoit vn mot militaire ..." (1606)
LANCE "en la loy des Anglois Werinois ou Thuringeois ... est prins pour ..." (1606)
BRIGANDINE "dont les brigans estoient armez" (1606)
BARBE "Selon ce Clodio second Roy de France ... Et l'Empereur Barberousse ..." (1606)
La liste suivante contient les occurrences des marques ajoutées par Nicot. Celles qui datent de 1573 sont distinguées. Les références sont au texte du Thresor.
B. ancien, ancienne, anciens: s.v. Armes, Armures 1573, Arpent, Bacele 1573, Banniere, Barbute 1573, Baron 1573, Baron, Bassinet 1573, Bref, Breviaire, Laicteron, Languedoc, Laver, Lay, Tabellion, Table.
C. anciennement, jadis, ne...plus: s.v. Archer, Bande, Banniere 1573, Barbe, Barbute 1573, Barres, Basme, Bassinet 1573, Bataille 1573, Bataillon, Baudrier, Bretagne, Brigand, Lance, Tabellion, Table.
D. aujourd'huy, à present, de nostre siecle, moderne, encores, tousjours, depuis (+ présent), en tout temps: s.v. Accorder, Banniere 1573, Baron 1573, Basme, Bataille 1573, Batre, Bretagne, Lausanne.
2.1.2.1. Mots outils, affixes
Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, les mots outils
sont représentés par A (prép. 1539)
"preposition" (1573), LA "article feminin"
(1573), LAQUELLE (1539). Ailleurs on trouve, par exemple:
Les composés sont enregistrés de deux façons: a) comme
entrées, b) comme exemples d'emploi d'un élément de
composition -- ce qui crée tout de suite une nomenclature virtuelle
quoique restreinte. Ainsi, s.v. Mes, on trouve comme
exemples de construction:
mesaise, mesfaire, mesdire, mesadvenir,
mescomte, meschoir, mesprendre, mes-user,
mesdonner, mesmarcher, mesmarchure. Les entrées en
MES..., qui occupent les pages 404-7, ne comprennent pas
mes-user et mesdonner. En plus de composés formés
des éléments cités dans le paragraphe
précédent, on trouve les types suivants présentés
comme composés:
b) adverbe +: AVANTCOUREUR "composé de deux
entiers, auant & coureurs" (1606; cf. AVANT
"aduerbe"), NONPRIX "Composé de Non
& Prix" (1606; NON n'est pas
caractérisé), etc.
c) adjectif +: BRUMBAY "composé de deux
entiers, Brun, & Bay" (1606; cf. BRUN
"adiectif"), DOULXGRAVE "Mot composé, comme
qui diroit, Dulcigrauis" (1564), etc.
d) substantif +: MAINMORTE "diction
composée ..." (1573; 1606 ajoute: "... de ces deux mots
entiers, Main & Morte"), PIED-CORNIER
"composé de Pied & Cornier" (1606), etc.
e) verbe +: FAINEANT "composé du verbe
Faire, & de Neant" (1606), PASSECHEVAULX
"Composé de deux entiers, comme Passeport, Passedroict ...
& semblables, & signifie le bateau auec lequel vn passeur passe les
cheuaulx" (1606), etc.
f) élision: M'ESCOLLIERE "maniere de
composition" (1573; 1606 ajoute "deux mots ... ioincts par
apostrophe de la voyelle"). M'AMOUR
"composé de Ma ou Mon, & Amour" (1606), etc.
g) composition complexe: ASTHEURE "Composé
de deux entiers ... A preposition, & heure nom substantif, & d'vn
corrompu, qui est St, dont l'entier est ceste" (1606), AUJOURD'HUY "Ce sont quatre mots ensemble, Au iour de
huy" (1549), QU'A HU QU'A HA "C'est vn aduerbe
formé de six mots, que à hu que à ha: mais
l'apostrophe les serre en quatre" (1606), etc.
TRES "partie indeclinable, laquelle ores est
preposée au positif, forme le degré superlatif ...
Ores il sied en composition, & là seulement signifie oultre
... Mais en ce verbe Tressaillir ... Tres signifie valdè,
tenant du superlatif ... ce qui se peut cognoistre mettant en deux
noms, ou verbes, ou aduerbes, ayans en teste ceste diction Tres, par
composition" (1606) [40]
AU (1549) "preposition locale portant energie
d'article" (1573), DU (1539) "tantost
article ... Tantost preposition" (1573), LE "article masculin" (1573), CE (1539) "pronom demonstratif" (1573), CETE CI (1539) "pronom demonstratif auec adionction de
l'aduerbe ..." (1573), CETUY (1539) "pronom
demonstratif" (1573), CESTUY CY (1539) "pronom
demonstratif auec adionction de l'aduerbe ..." (1573), CECI (1539) "pronom demonstratif" (1573), QUI (1539), QUE (1539)
"quelquesfois nom ... ores interrogatif ... Ores
relatif ... Et quelquesfois conionction ... Et parfois
aduerbe" (1606), DONT (1539), QUEL (1539), QUELQUE (1539), NE (1539), JE (1539), MOY (1539) "indeclinable ... pronom" (1606),
MON (1539) "pronom possessif" (1606), MIEN (1539), NOUS (1539), NOSTRE (1539), TOY (1539), TIEN (1539), VOUS (1539)
"pronom" (1606), VOSTRE (1539), IL (1539) "pronom demonstratif" (1606), ELLE (1549), ON (1539), LUY (1539), SOY (1539), SON "pronom possessif" (1606), SIEN (1539), etc. [39]
Quant aux affixes, seuls les préfixes, ou éléments de
composition, sont consignés dans la nomenclature; par exemple:
ARRIERE "composé auec ces mots ..."
(1606), CONTRE "en composition" (1573), FOR "diction ... en composition" (1573),
MES "en composition" (1573), RE "Composé auec ..." (1549), SUR "en composition" (1606); v. aussi DE, DES, ENTRE, ES, TRES.
a) préposition +: POURCHASSER
"composé de la preposition Pour & du verbe Chasser" (1606),
POURPARLÉ "composé de Pour
preposition ... & ..." (1606), etc.
Du composé au syntagme libre la pente est glissante. Ainsi on trouve
classés alphabétiquement selon l'ordre des lettres: A BON ESCIENT et A BRIDE AVALLEE, tous
deux "par forme d'aduerbe" (1573 -- on dirait aujourd'hui "locution
adverbiale"); ou encore AVOIR A FEMME "maniere de
parler" (1606), A CE PROPOS "maniere d'entrer au
propos" (1573), A CHEVAL "sont deux mots"
(1573). Nicot offre parfois deux analyses:
BLANC SIGNÉ "Peut estre prins pour
composé, Ex duobus lntegris, Et est substantif. Et pour non
composé" (1606)
Pour étudier les différentes classes de dérivés il
faut aller de l'espèce-entrée au paradigme,
procédé aléatoire. Ici, la nomenclature virtuelle est
plus nombreuse. Par exemple, s.v. Beuvailler (1606), sont
donnés comme exemples de verbes en -ailler: chamailler,
ravitailler, criailler, riailler. Les trois derniers
manquent aux entrées. Ou encore, s.v. Harpaille
(1606), on trouve canaille, villenaille, goujetaille,
marmaille, maraudaille. Même remarque. On trouve une autre
liste en -aille s.v. Varletaille (1606); en
-ailleur s.v. Rimailleur (1606); en
-art/-arde s.v. Rimarde (1606); en
-age s.v. Appenage et Brigandage (1606); en -ier s.v. Lancier
(1606); en -erie s.v. Briganderie (1606); en -esse s.v. Asnesse
(1606); en -able s.v. Abordable (1573) et Escoulable (1606); en
-astre s.v. Blancheastre (1606); des adverbes en
-ment s.v. Fraudulemment (1606). Comme nous le
verrons dans la section 2.2.1.1.1, les entrées du Dictionaire
françois-latin et du Thresor sont classées
secondairement par familles étymologiques ou dérivationnelles.
Ainsi, par exemple, E 1539 enregistre ACCUSER, ACCUSÉ,
ACCUSATION et ACCUSATEUR sous la vedette Accuser;
T 1564 ajoutera ACCUSEMENT et ACCUSATRICE; ND 1573, ACCUSÉE; et N
1606, ACCUSATIF. Pourtant, la famille la plus nombreuse
est entièrement due à N 1606 et Marot: RIME,
RIMER/RYMER, RYMEUR, RIMEUSE, RIMAILLEUR, RIMAILLEUSE, RIMAILLE, RIMAILLER,
RIMANT, RIMANTE, RIMART, RIMARDE, RIMASSER, RIMASSEUR, RIMASSEUSE, RIMETE,
RIMONER, RIMOYER, sous la vedette RIME, plus
quatre entrées virtuelles: RIMONEUR et RIMONEUSE s.v. Rimoner, et RIMOYEUR et RIMOYEUSE s.v.
Rimoyer. [41]
2.1.2.3. Lexique non marqué
Le lexique non marqué, ou neutre, peut être classifié,
comme notre schéma le suggère: adverbes de manière, de
temps, etc.; adverbes qualifiant le verbe, l'adjectif, la proposition,
l'adverbe; adjectifs épithètes, attributs, qualificatifs, de
relation, de couleur, etc.; adjectifs suivis ou non d'une préposition;
verbes transitifs, intransitifs, d'action, d'état, de mouvement, etc.;
noms concrets, abstraits, communs, propres, etc.; etc. Ce serait trop long, et
inutile ici.
2.1.2.3.1. Noms propres et dérivés
Notons seulement que la dernière classe mentionnée a 2.1.2.3,
celle des noms propres, dont la place dans les dictionnaires de langue, avec
celle des dérivés onomastiques, est de tout temps
contestée, [42]
mérite une mention
spéciale dans la préface de E 1549 et dès 1573 une
typographie particulière. [43]
2.1.2.4. Spécialisation d'emploi
2.1.2.4.1. Marques temporelles
Le Thresor enregistre la langue "tant ancienne que moderne". C'est la
première qui est marquée. En l'absence de toute marque, il
s'agit en principe du lexique du temps (du responsable de l'enregistrement
d'une entrée donnée, cela va sans dire). [44] Les marques sont en
général de deux
sortes comme nous l'avons vu à 2.1.1.4. Les auteurs ou textes
nommés peuvent appuyer un sens actuel ou passé (quand ils ne
servent pas à illustrer autre chose -- cf. 2.2.4.1). Ainsi Budé
sera d'actualité dans E 1549, comme Ronsard dans T 1564, Du Fouilloux
dans ND 1573, Ragueau à l'époque où Nicot se documente
pour le Thresor. À côté de cela, Nicot cite une
pléthore d'auteurs anciens; [45] pour ne pas
remonter jusqu'à Charlemagne, mentionnons, par exemple, les
chroniqueurs du moyen âge ou les anciens romans. Cette dernière
espèce appartient plutôt au second type de repères, les
lexèmes et morphèmes de temps utilisés par le
lexicographe. Un mot ou sens actuel ne sera normalement marqué qu'en
opposition à un usage ancien; par exemple: "anciennement ...
appelées ... mais à present" (s.v. Bataille),
"estoient & sont tousiours couchez en ces
mots" (s.v. Accorder), tandis que l'indication d'un
emploi passé sera le plus souvent en opposition implicite; par exemple:
BACELE "en ancien langage François ...".
2.1.2.4.2. Marques spatio-linguistiques [46]
Cette catégorie renferme deux espèces théoriquement
distinctes mais pratiquement jointes. D'une part le français standard
s'oppose à ses variantes géographiques, d'autre part la langue
française se définit par rapport à d'autres langues.
Cependant, le statut des dialectes varie selon que l'on vise le système
ou le lexique. Tantôt Nicot met le languedocien et le provençal
sur le même pied que le français, l'espagnol et l'italien:
"tant le François que l'Espagnol, l'Italien & les languedocs &
Prouençaux" (s.v. Brave); l'opposition
français/languedocien est frequente: "Mortes, diction commune au
François & au Languedoc" (s.v. Aiguesmortes;
cf. s.v. Aiguiere, Tail); ou encore celle entre langue
d'oc et langue d'oïl: "au pais de Langue d'ouy on appelle
communéement Bailly celuy qui és pays de Languedoc & adiacens on
appelle Seneschal" (s.v. Bailli). Tantôt ils
sont mis sur le même plan que d'autres dialectes: "tant le Picard,
que le Prouençal, & le Languedoc, pour Banniere disent Bandiere"
(s.v. Banniere). Pour ce qui est du 'français', il
est opposé aux dialectes tantôt sans qualification: "le
François ... les Dialectes de ce royaume, comme des Picards"
(s.v. Burre; cf. s.v. Baster),
tantôt caractérisé: "terme Picard ... Le commun
François l'appelle Neffle" (s.v. Mesle); ou
bien, il peut être global: "A laquelle regle peut auoir quelque
faillance, selon la diuersité des dialectes François, mais ie
parle du plus fleuri langage" (s.v. Lambeau).
En comprenant les dialectes déjà mentionnés, nous
trouvons pour l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta les
localisations géographiques d'entrées suivantes:
ACTOURNÉ "Mot vsité en
Normandie" (1606; et donc ACTOURNÉE)
BARRES "au pays de Normandie" (1606)
BRIEF DE DESSAISINE "entre Normands" (1606
090A84)
BUTER "Ainsi le Normand dit ..." (1606)
ARAIRE "mot Lionnois" (1606)
BACON "Lugd. & Delphin." (1564)
BARAT "mot grandement vsité és pays
de Languedoc, Prouence, & adiacents" (1606)
TAIL "Le Languedoc en vse" (1606)
BARDANE "Allobrogibus [c.-à-d. savoyard]"
(1549)
BARON "Picard" (1564)
BREDALLE "Picard" (1564)
LAIGNE "Mot de Picardie" (1549; 1564 = LAIGNIÉ)
TAIE "Pic." (1549)
TANTE "Pic." (1549)
TASSE "Pic." (1549)
TASSETTE "en picardie" (1564)
TAUTE "ceulx de Marseille" (1539)
ASSEE "Pictonibus" (1549; cf. s.v. Beccasse (1564))
AVEILLE/AVETTE "mot duquel on use en Touraine &
Aniou" (1549)
CAP "Gascon" (1606)
BARRIQUE "Aquitanis" (1549)
ESSOYNER "diction ... villageoise" (
1606)
MAIRE "en plusieurs villes de France, comme
à la Rochelle & ailleurs" (1573)
LAREGE "Les Venitiens" (1549) [47]
ACCELERER "pur latin ... Le naif
François est haster" (1606) [48]
LACRE "vocable Indien apporté &
peuplé en l'Europe par les Espagnols" (1606)
MAMMELUCH "en langue Surienne" (1549; 1606 =
MAMALUC)
MIRAMOMELIN "mot Arabesque" (1606)
SOLDAN "mot de principauté, & barbare"
(1606), etc. [49]
La "langue françoyse" du titre du Thresor est donc à
prendre dans sa plus grande extension, le "françois" des articles,
entrant en opposition avec les dialectes, étant en fait marqué
et signifiant 'francais commun', ou à la llmite 'langue d'oïl'.
Et puis, pour finir, il y a les entrées perfides - 'non
marquées' mais visiblement non françaises. Par exemple, les deux
listes de noms de promontoires, l'une portugaise, s.v. Cabo: CABO DE TRES ARCAS, CABO DE CHIO, CABO DE
CARBONERO, etc. (19 noms, depuis 1549); l'autre itallenne, s.v.
Cap: CAP BIANCO, CAP CHELIDONI, CAP
CONELLO, etc. (20 entrees, depuis 1549; de 1549 à 1573 le
premier mot est dans tous les cas CAPO). Il arrive
même que le français soit donné en traduction: CABO DE BÕNA SPERANZA "Le cap de bonne esperance,
Caput bonae spei"! Pourtant, le cas le plus aberrant est celui du grec:
2.1.2.4.3. Marques socio-professionnelles
C'est la classe la plus difficile à traiter. Il s'agit en principe des
vocabulaires particuliers, techniques, des différents domaines de
l'activité de l'homme - occupations, divertissements, vie en
communauté, sustenance, préservation, etc. Les domaines
eux-mêmes sont assez faciles à delimiter et à structurer
en champs notionnels. Le vocabulaire ne se laisse pas faire de la même
façon. Si une activité est commune à tous les sujets
d'une communauté linguistique, les termes qu'ils emploieront pour en
parler appartiendront nécessairement à la langue commune. Tout
le monde s'habille (du moins dans les communautés qui ont des langues
techniques), mais tout le monde ne fabrique pas ses vêtements; le
vocabulaire de leur confection sera en partie plus ou moins connu et compris
de chacun et sera ainsi plus ou moins technique; la partie non comprise des
non-fabricants sera la plus technique. C'est donc une question de
degré, que chaque lexicographe tranchera à sa façon avec
plus ou moins de constance. L'inconséquence n'est pas
étrangère aux dictionnaires contemporains, elle le fut encore
moins à ceux du XVIe siècle. Comme le démontre B.
Quemada, [50] dans les
premiers dictionnaires
généraux l'emploi des marques fut irrégulier, leur forme
instable et leur place imprévisible.
Nous avons eu l'occasion, dans la section 2.1.1.2, de parler d'un certain
nombre de mots relevant de domaines speciaux. Jacques Dupuys annonce dans
l'épître dédicatoire de T 1564 la présence dans le
dictionnaire de mots techniques - les propres et particuliers mots de tous les
arts, sciences et métiers. Cependant, comme les listes que nous avons
données à cet endroit le montrent, ces mots sont rarement
dotés d'une marque spéciale, ce qui rend malaisée la
différenciation entre appartenance notionnelle et appartenance
fonctionnelle. Ainsi, les noms de métiers, normalement moins techniques
que les noms d'outils ou de procédés, seront
présentés sur le même plan qu'eux, du moins avant Nicot.
Celui-ci ajoute un certain nombre de marques aux entrées dont il
hérite, mais à assez peu d'entre elles:
> "Est la iettée de la tuyle ou autre chose issant du couuert
d'vne maison ... Et est vn mot vsité en
maçonnerie" (1606)
"Faire grand abbatis, Magnas strages edere" (1549 s.v.
Abbatis)
> "on dit aussi en cas de guerre, Apres vne bataille faire grand
abbatis, Magnas strages edere" (1606)
BARRIERES "sont la palissade qu'on faict pour les
camps clos des combats ..." (1573)
LANCETE "Est le petit ciseau poinctu & trenchant
dont les chirurgiens ouurent ..." (1606)
ARROY "Signifie equippage, assortiment, & aussi
ordre, ou plustost ordonnonce militaire" (1606)
LATE ("Assula" (1539)) "Est vne piece de bois
fendu de trois à quatre pieds de long, large de trois à
quatre poulces, & despaisseur de cinq à six lignes, seruant
à tenir en estat les cheurons d'vn comble de bastiment, & à
y asseoir & retenir la tuyle ou l'ardoise dont ledit comble est
couuert ..." (1606)
"en fait d'armoirie" (1606 s.v. Brisure)
"en fait militaire" (1606 s.v. Bande)
"en phrase militaire" (1606 s.v. Batre)
"mot militaire" (1606 s.v. Armer une navire de
guerre, et Brigand)
"en cas de guerre" (1606 s.v. Abbatis)
"en droict" (1573 s.v. Acceptilation; Ø
1606)
"és escritures des Aduocats, & arrests des Cours
souueraines"
(1606 s.v. Arrester)
"es clausions en main tierce" (1606 s.v. Arrester)
"en matiere de successions" (1606 s.v. Lance)
"mot vsité au Palais à Paris" (1606 s.v. Table de
marbre)
"phrase vsitée aux secretaires d'estat és breuets des
reserues" (1573 s.v. Tant)
"en musique" (1549 s.v. Taille et 1573 s.v.
Basse contre)
"entre musiciens" (1606 s.v. Accordance)
"en fait de danserie" (1606 s.v. Tabour)
"en vsage aux gens d'Eglise" (1606 s.v. Breviaire)
"ainsi en vsent les ecclesiasticques" (1573 s.v. Absouldre)
"entre Chirurgiens" (1606 s.v. Bande)
"en language de iargon" (1549 s.v. Artis) [52]
Par cette étiquette nous entendons ce qu'on appelle de nos jours les
niveaux de langue: langue écrite, langue parlée, langue
littéraire, langue soutenue, langue populaire, etc. -- distinctions
occasionnelles plutôt que générales au XVIe siecle --
ainsi que les indications de statut connotatif.
"la clause solennelle és escritures des Aduocats & arrests des
Cours souueraines, sans s'arrester ne auoir esgard" (1606 s.v.
Arrester)
A CHEVAL "deux mots, dont on vse, quand on
donne signe aux gens de cheual d'vne armée de monter promptement
à cheual ... & sont donnez par vn trompete, dont le son est
prins pour lesdits mots ... On en vse aussi au desloger d'vn train
d'vn Prince ... mais de bouche" (1606 s.v. A
cheval)
"on dit auec indignation & desdaing à quelqu'vn, Bran, bran, ou
Bran pour vous" (1606 s.v. Bran)
TABLE RONDE "mot rehaulsé & signalé
és
Romans & histoires Françoises" (1606 s.v. Table)
TANTOST "Quelquefois il est mis par d'abondant
& ne sert que d'elegance de parler" (1573)
BEUVERIE "Sonne tousiours en mal" (1606)
BORDEUR "vulgo Brodeur" (1564)
ABOUVIER "en certains lieux de Normandie"
(1606)
Ailleurs, on trouve:
ADIRER "mot frequent à Paris ...
Pourtant vsez des formules de Esgarer" (1564)
Ajoutons les localisations multiples du type:
BACLER "vsité entre gens de village"
(1606)
Le territoire étranger n'est pas exclu:
HALE "vsité és villes du pays de
Suisse, & ailleurs" (l606)
Dans la classe 'français vs langues étrangères'
nous pouvons d'abord mentionner les emprunts. Faits à l'italien ou au
latin, ils sont souvent critiqués, surtout les premlers:
ASSASSIN "prins de l'Italien (ainsi n'en puisse
oncques le François prendre l'vsage)" (1606)
Faits aux langues exotiques, surtout celles du Levant, ils constituent ce
qu'on a appelé depuis des termes de relation:
ALMORAVIDES "gents de cheual Mores" (1606)
Le latin des noms de plantes populaires pose un problème particulier
que nous traiterons à la section 2.2.7.2.2. Mentionnons simplement que
ces mots ne sont pas exclus de la nomenclature; par exemple, dès E
1539, on trouve AGNUS CASTUS "Vne sorte d'arbre qu'on
appelle Agnus castus, Vitex" (s.v. Agneau); ou en
1564: BAPTISECULA "voiez Bleuetz", "Aucuns
l'appellent Baptisecula pource qu'elle nuyt aux faucheurs faisant
reboucher le trenchant de leurs faulx ou faucilles, Les anciens nommoient vne
faulx ou faucille en latin Secula" (s.v. Bleuet).
"Qui corporis habitudine
laborant" (1564 le classe après ETIQUE; 1606 l'intègre à ETIQUE),
"La feste des Rameaux" (entrée
depuis 1564 à la suite de l'article PASQUE)!!
LARMIER "le larmier d'une muraille, ...
d'une maison" (1539)
Le contraire peut se produire:
ACCEPTILATION "en droict, est vn payement ..."
(1573) > "Est vn payement ..." (1606)
Ce sont surtout les mots et emplois ajoutés à la nomenclature
par Nicot qui se voient attribuer une étiquette, puisque leur article
doit être créé de toutes pièces. Les questions de
forme et de place sont liées. D'abord, il y a un certain nombre de
variantes qui peuvent toutes être considerées comme
représentant des marques: en matiere de -, en fait de -,
en cas de -, en langage de -, entre -, mot
usité entre -, en usage aux -, mot -, en
phrase -, etc., qui fonctionnent le plus souvent comme charnières
de traitement de la métalangue définitionnelle. [51] Ensuite, il y a des formules
qui s'intègrent
beaucoup plus étroitement à l'énoncé
définisseur et dont le statut de marque de technicité est
discutable:
A CHEVAL "deux mots, dont on vse, quand on donne
signe aux gens de cheual d'vne armee ..." (1573)
Les commentaires encyclopédlques que Nicot fait sur des sujets plus ou
moins techniques sont plus indicatifs de la technicité de la chose que
de celle de l'emploi du signe correspondant (cf. par exemple, s.v.
Arpent). Pourtant, sur les deux mots suivants on dira que c'est
le premier le plus technique à cause de la limitation d'emploi de la
chose:
TARIERE ("Vng -, ou tarault, Terebra" (1539))
"Est vn instrument de fer emmanché de bois en potence, lequel en
tournant fait que le fer perce & trouë le bois & morrein où il
touche, & sert à faire les grands trous à mettre cheuilles,
dont les charpentiers, charrons & telle maniere d'artisans vsent, aucuns
le nomment Taraut. Terebra" (1606)
La fréquence d'emploi d'une marque est également liée au
domaine en question. Ainsi, les mots de marine, de vénerie et de
fauconnerie, sujets de choix vantés par les éditeurs, sont
clairement signalés dans le texte (cf. 2.1.1.3). De même, le
blason, l'art militaire et le droit ont une place importante dans le
dictionnaire, bien que l'emploi de marques particulières soit beaucoup
moins régulier. Le vaste domaine de la féodalité
étant chose d'actualité n'est signalé que par la
présence, dans les longs articles que Nicot consacre à son
vocabulaire, de mots-clés comme fief, censier,
vassaux, seigneur, feudataires, etc. (cf. s.v. Abonner
(alinéas 1 et 3), Bacele,
Bachelier, Ban, Banniere, Baron, etc.). La grammaire, mal
représentée dans la nomenclature, n'a pas de marque
spéciale bien que les articles regorgent de declinaison,
cas, nom, pronom, participe, syllabe,
nominatif, genitif, indeclinable, circonflex, etc.
(cf. s.v. Ablatif, Accent, Accentuer, Accusatif). Voici,
pour finir, un relevé des marques charnières que nous trouvons
dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, pour les
vocabulaires du blason, de l'art militaire, du droit, de la musique, de
l'église, de la médecine, et du jargon:
"en fait d'armoiries" (1606 s.v. Bande, Baston
et Lambeau)
2.1.2.4.4. Marques stylistiques
"Ainsi le Roy au bas des placets qu'il ottroye, met ce seul mot,
Accordé, c'est a dire ottroyé ... Aussi les placets
presentez en tout temps à nos Rois, estoient & sont tousiours
couchez en ces mots, Plaise au Roy accorder" (1606 s.v. Accorder)
La seule marque courante dans le dictionnaire est celle de
vulgaire/populaire:
AMARANTHE "fleur que le vulgaire nomme
passeuelours" (1564)
Il s'agit surtout du vocabulaire botanique: [53]
NARCISSE "n'ha aucung nom du populaire" (1539)
TASSETTE "appelée ... vulgairement par les Apothicaires, Bursa pastoris" (1564)
Une autre catégorie marginale est celle des mots tabous, qui le sont beaucoup moins pour la lexicographie du XVIe siècle que pour celle de l'époque moderne, [54] comme tout utilisateur averti peut aisément le constater. On trouve, quand même, certains mots qualifiés d'obscènes:
CHEVAUCHERIE "dictio obscoena" (1606)
CHEVAUCHÉE "participe de l'obscoenité dont est parlé en la diction Cheuaucher" (1606)
CHEVAUCHEUR "On en vse en l'obscoenité dessusdite" (1606) [55]
2.1.2.4.5. Marques quantitatives
Cette classe, dont les items dépendent souvent d'un critère
relatif et non absolu, s'apparente dans une certaine mesure aux quatre
précédentes. Elle concerne la (basse) fréquence d'emploi.
Une aire d'application sera parfois marquée par rapport à une
autre:
IL EST AMONT "Maniere de parler plus frequente au
Languedoc qu'au François" (1606 s.v. Amont)
BESSON "Ce mot est frequent aux Languedoc,
Prouençal, & pays adiacents ... Le Francois vse plus
ordinairement de Iumeau" (1606; cf. 1564: "ce mot est frequent en
Daulphiné")
A LA PRESENCE "qu'on dict plus vsiteement, en la
presence" (1573 s.v. A)
AVANTCOUREMENT "Mot peu usité" (1539)
BOURRE "aussi ... se prend pour la
couuerture ou dos de l'homme, quoy que non vsitéement" (1606)
ACCORDANCE "ce mot est plus vsité entre
musiciens qu'ailleurs" (1606)
Le dernier exemple met aussi en regard deux signifiants. On rencontre
également de ce dernier type:
ACCORDAILLES "fiançaille est plus
vsité" (1606)
Le cas marqué d'une entrée peut être indiqué:
AVANTCOUREUR "plus vsitéement en pluriel,
Auantcoureurs" (1606)
Certains termes sont marqués absolument:
ACHASSER "Tres-rare en vsage" (1606)
2.2.1.1.1. Le triple système: alphabet, étymologie et
article
Les items du dictionnaire sont organisés selon trois systèmes de
classement, établis dans la première édition et
respectés de moins en moins dans les éditions non
stéphaniennes, surtout le Thresor. Les entrées sont
d'abord regroupées étymologiquement par familles
dérivationnelles dont une forme de base est mise en vedette, les
dérivés de celle-ci étant présentés en
sous-vedettes. Les vedettes sont à leur tour classées par ordre
alphabétique. Chaque vedette ou sous-vedette est l'objet d'un
traitement d'équivalence, d'illustration ou d'explication,
l'unité et son traitement constituant un article (ou micro-article).
Les trois systèmes sont déterminés et distingués
par la typographie. Comme nous l'avons dit, la triple organisation est
établie dès la première édition du Dictionaire
françois-latin (héritée, en fait, du
Thesaurus); dans E 1539, les vedettes et à leur suite les
sous-vedettes sont imprimées en tête du macro-article en grands
romains; elles sont reprises en petits italiques dans le texte de l'article,
une ligne en saillie correspondant généralement au début
d'un micro-article. Le modèle nous est fourni par l'extrait suivant:
À partir de E 1549, qui supprime les en-têtes de E 1539, les
vedettes sont distinguées des sous-vedettes non seulement par l'ordre
de présentation mais également par la typographie. Les
éditions postérieures adopteront plus ou moins le même
principe. Ainsi les vedettes seront imprimées en tête du
macro-article en grands romains, les sous-vedettes en petits
italiques. [56] ND 1573 et
N 1606 distingueront
également les noms propres en vedette en leur réservant des
petits romains majuscules. [57] Voici un tableau du
bon usage des différents caractères employés pour les
vedettes et les sous-vedettes et la forme que nous leur donnons dans la
presente étude: [58]
Ajoutons qu'à l'intérieur du micro-article, et la vedette et la
sous-vedette sont reprises en petits italiques. Estienne introduit l'ordre
alphabétique pour le classement des vedettes dès la premiere
édition du Thesaurus (1531) et le respecte presque
parfaitement. [59] Sur les
cent premiers 'passages'
(la position relative des 101 premières vedettes dépend de 100
jointures ou passages) du Thesaurus de 1531, il n'y a que 4 fautes de
classement (donc 4%): ABLEGO, ABLECTAE; ABUNDO ("ABVNDO"), ABVERTO; ACATIUM, ACATIA; ACCIO,
ACCINGO. Le nombre moyen de lettres pertinentes est 4,34, y compris le
nombre respecté dans les passages fautifs. Comme les passages
individuels varient entre 2 lettres pertinentes (ex: A, AB) et 7 (ex: ABINTEGRO, ABINTESTATO) et que les erreurs constatées
ont lieu aux lettres 5, 4, 6 et 5 respectivement, le nombre moyen de lettres
pertinentes observé est non pertinent et virtuellement infini. Dans le
Dictionaire francoislatin de 1539, sur les 756 passages de
l'échantillonnage A, B, La, Ta, il y a seulement 33 fautes (moins de
4,4%); la longueur moyenne du mot alphabétique est de 4,1 lettres (mais
virtuellement infinie), la longueur réelle variant entre 1 et 7. Dans E
1549, le classement est amélioré: sur les 1268 passages de
l'échantillonnage A, B, La, Ta, il y a seulement 22 fautes (1,74%). Les
éditions postérieures n'atteindront pas ce degré
d'exactitude. Voici pour l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta,
un tableau représentant la correction du classement alphabétique
des mots imprimés en vedette dans les différentes
éditions du DFL et le Thresor:
Le classement alphabétique est représenté ici par ABBREGÉ, ABBREVER, ABECE, ABOLIR, ABOMINATION, ABONDER,
ABORDER, ABOUTIR, ABRI; le regroupement dérivationnel par ABONDER, ABONDANT, ABONDANCE, ABONDAMMENT, par exemple. La
vedette ABONDER, son traitement et celui de ses
dérivés, ABONDANT, ABONDANCE et ABONDAMMENT, représentent un macro-article;
Abondant, ses équivalents latins, ses exemples d'emploi et les
traductions de ceux-ci consitituent un micro-article.
Abonder de toutes pars ...
Abbregé. Abbreger.
.
.
Abbreuer. Abbreué. Abbreuoir.
.
.
Abece.
.
.
Abolir. Aboli. Abolition. Abolissement.
.
.
Abomination.
.
.
Abonder. Abondant. Abondance. Abondamment. Qui abonde ...
Abondant ...
Abondante nourriture ...
Abondance ...
.
.
Abondance de ...
Abondamment ...
.
.
Plus abondamment ...
.
.
Aborder. Abordement.
.
.
Aboutir. Aboutissant. Aboutissement.
.
.
Abri.
.
Caractères du dictionnaire Emploi correct
Forme adoptée ici Argent grands romains vedette
ARGENT Argentin petits italiques sous-vedette en
début de ligne ou isolée Argentin argenterie petits italiques sous-vedette non en
début d'énoncé Argenterie ARGENTINE petits romains nom propre
vedette ARGENTINE
Les fautes de classement nuisent plus ou moins à la
consultabilité du dictionnaire. Ainsi, pour O. Bloch, [60] EQUITABLE,
GUISE et TENABLE manquent à la nomenclature du Thresor,
tandis qu'ils se trouvent, le premier à 20 lignes de sa place
alphabétique entre EQUINOCCE et EQUIPARER, le deuxième à 19 lignes de sa place
entre GUIMAUVES et GUINDER, le
troisième déplacé de 17 lignes entre TENANT et TENCER. Plus graves sont les cas
de AFFILS (p. 20, col. 2, ligne 36 au lieu de 19.2.69),
BOQUE (82.1.39 au lieu de 83.2.32) et BRUTHIER (92.2.51 au lieu de 94.2.44). Il n'est guère
possible de dire que toute faute de classement entraîne la perte d'un
item de nomenclature; tous les mots cités ci-dessus sont cachés
dans une certaine mesure, les premiers à peine, les seconds beaucoup
plus. Pourtant, il est parfois difficile de décider quel est (ou quels
sont) l'item caché. Par exemple, pour la suite de vedettes LANCELÉE, LANCER, LANCEMAN, LANDE, le 'bon' ordre
alphabétique est-il LANCELÉE-LANCEMAN-LANDE
ou LANCELÉE-LANCER-LANDE? La seule réponse
pratique, c'est que ni LANCER ni LANCEMAN n'est caché, c'est au consulteur de laisser
errer un peu son regard.
Édition N° de passages
Fautes % de fautes E 1539
301
12 4,0
E 1549
523
14 2,68
T 1564
693
19 2,74
ND 1573
710
24 3,4
N 1606
748
30 4,0
Le classement alphabétique connaît aussi un certain nombre de variations expliquables; par exemple, lorsque la vedette est considérée comme mot phonétique plutôt que graphique (voir 2.2.1.2.2) ou que les systèmes alphabétique et étymologique sont confondus, la typographie aidant (voir 2.2.1.1.2). Contentons-nous ici de considérer le cas des composés (préfixaux et syntagmes codés). Ceux-cl peuvent s'écrire en éléments séparés et être classés selon l'ordre absolu des lettres: A BON ESCIENT (1549), A BRIDE AVALLEE (1549), A CE (1606), A CHEVAL (1573), AVOIR A FEMME (1606), LA SUS (1573); compte tenu seulement du premier élément: A CAUSE (1539), AU CONTRAIRE (1549); ou suivant l'élément le plus lexical: A L'AUTRE (1606) mis à la suite de AUTRE. Écrits en un mot, avec ou sans trait d'union ou apostrophe, ils sont classés soit comme un mot soit comme deux (classement en deux temps). Ainsi, la série "CONTRE..." est divisée avec quelque arbitraire en deux groupes: CONTR + et CONTRE +, chaque groupe étant classé selon l'ordre absolu des lettres: CONTR'AMONT, CONTR'ANIMEZ, CONTREBASSE, CONTR'ESCARPE, CONTR'ESCHANGER, CONTR'ESCRIRE, CONTR'ESTER, CONTR'IMITER, puis CONTREBALANCE, CONTREBAS, CONTREBONDIR, etc. (voir 1573). En revanche, tous les composés en "ENTRE..." sont classés comme des mots simples: s'ENTR'ACCOINTER, s'ENTR'ACCOLLER, s'ENTR'ACCOMPAIGNER, etc. (voir 1564).
Dans une organisation secondaire, les dérivés d'une vedette sont classés, plus ou moins correctement (c.-à-d. en filiation dérivationnelle), à sa suite, le traitement d'une sous-vedette la séparant de la suivante. [61] Le plan tel que nous l'avons montré pour le macro-article ABONDER (cf. supra) connaît des variantes et beaucoup d'exceptions dès 1539. Une variante nous est fournie par le macro-article ACCOUSTUMER dans lequel les sous-vedettes ACCOUSTUMÉ et ACCOUSTUMANCE sont signalées non par un alignement en saillie mais par un pied-de-mouche (¶). Le non-signalement typographique se produit, cependant, tout comme le faux signalement en saillie. Ainsi, ACCOMPAIGNÉ n'est pas distingué s.v. Accompaigner, ni ACQUIT s.v. Acquicter, et ABBREVÉ s.v. Abbrever. La dernière entrée des articles APPRIVOISER et BARRE est placée en fausse saillie. La forme donnée en tête du macro-article n'est pas toujours la même que celle qui ouvre le micro-article: ainsi ABBREVÉ (s.v. Abbrever) et UNE ATTACHE (s.v. Attacher) non marqués dans l'en-tête deviennent dans leur sous-article ABBREVEE/ABBREVEZ et ATTACHES; ARMURES, marqué en tête de l'article ARMES, prend la forme non marquée ARMURE au début de son article propre. Plus déconcertant est le cas des sous-vedettes qui ne sont données qu'à l'intérieur du macro-article, sans être signalées dans l'en-tête global. Elles sont legion; par exemple: ACCOUSTRÉ et ACCOUSTREMENT (s.v. Accoustrer), AFFINEUR (s.v. Affiner), AGNUS CASTUS (s.v. Agneau), ARGENTER, ARGENTERIE et ARGENTINE (s.v. Argent), BABILLARDE (s.v. Babil), BARBETTE (s.v. Barbe), BELLOT (s.v. Beau), BRAYANT/BRAYART (s.v. Braire), BRUINÉ (s.v. Bruine), etc. Autrement dit, l'absence d'un mot des en-têtes ne veut rien dire. Le contraire peut arriver: ARBREAU donné en tête du macro-article ARBRE n'est pas le sujet d'un article propre et disparaît entièrement de la nomenclature dans E 1549. En revanche, AMIABLE, en tête du macro-article AMI et remplacé dans le texte de l'article par AMIABLEMENT, reçoit un traitement propre en 1549.
E 1549 respecte le classement de E 1539 et garde les distinctions d'alignement (quoique, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, les en-têtes disparaissent et que seule la vedette s'imprime en grands romains). Par exemple, le macro-article AGUILLE, qui en 1539 se présente comme:
Les fautes de classement étymologique sont perceptibles très tôt. Pour ne retenir que quelques-unes des plus évidentes, [62] on remarque la présence dans E 1549 s.v. Taciturnité de TACITEMENT, [63] la subordination dans ND 1573 de l'ancienne vedette BAN à la nouvelle BANIR, ou la présence dans la même édition s.v. Las ("Fatigatus") de LASSER ("tendre laqs") et LASSET ("cordon"). Citons aussi COPIEUX (1539) et COPIEUSEMENT (1549) s.v. Copie, et le cas complexe de DOCILE (1539), DOCILITÉ (1549) et DOCUMENT (1549) s.v. Docte. Dès 1539, un petit nombre de dérivés sont signalés en renvoi dans l'ordre alphabétique, mais ces renvois sont dans toutes les éditions l'exception et non la règle. E 1539 met dans l'ordre alphabétique BEUVERIE "cerchez Boire", BONTE v. Bon, BOUQUIN v. Bouc, BOUVIER v. Beuf, BRODEUR v. Bord, etc. À partir de 1549, on utilise dans les renvois ajoutés le mot "voyez" au lieu de "cerchez". [64] Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, nous trouvons 5 renvois de ce type dans E 1539, 12 dans E 1549 et 11 dans T 1564. Il n'y en a presque pas d'ajoutés en 1573 et 1606, Nicot préférant faire d'un renvoi un second article (voir 2.2.1.1.2). Ces chiffres sont infimes en regard du nombre de sous-vedettes qui ne sont pas indiquées dans l'ordre alphabétique. Par exemple, dans T 1564, sur 108 sous-vedettes dont la place alphabétique ne serait pas immédiatement avant ou après celle de leur vedette, seules 17 sont données en renvoi. La situation est à peu près la même en 1606, 14 sous-vedettes y étant indiquées dans l'ordre alphabétique sur un total de 101. Les renvois dérivationnels permettent à la limite de construire un macro-article fragmenté par l'alphabet; par exemple, l'article SEANT renvoie à SIED et vice versa. Un macro-article peut aussi exister en double exemplaire; par exemple, en 1606, Nicot fait précéder l'article hérité:
2.2.1.1.2. Neutralisation des systèmes primaire et secondaire
Dès la première édition du DFL, Estienne classe un certain nombre de dérivés dans l'ordre alphabétique. [65] Par exemple, BONNEMENT, caché pour Bloch, [66] est donné en vedette alphabétique et non s.v. Bon. De même, LAQS et LASSÉ sont classés à part, ce qui entraîne une certaine redondance: TENU EN LAQS "Laqueatus" (s.v. Laqs), LASSÉ "& tenu a ung laqs, Laqueatus" (s.v. Lassé). Le Thresor, préférant souvent le classement alphabétique au dérivationnel lorsqu'il respecte un système quelconque, met, par exemple, TAILLANDIER comme vedette plutôt que subordonné à TAILLE. Les hésitations atteignent les composés: PORT'AUBAN, PORTECIEL, PORTECOLE, PORTEGUIDON, PORTEMANTEAU, PORTEPEINE, PORTEQUEUE sont donnés en vedette, PORTE-DIEU, PORT'ENSEIGNE, PORTEFAIX, PORTEPANIER, PORTEPOCHE et PORTESAC en sous-vedette s.v. Porter; PORTECHAPPE(S) est vedette et sous-vedette (s.v. Porter). [67] E 1539 met BOUTEFEU dans l'ordre alphabétique, E 1549 range BOUTEHORS s.v. Bouter. Sans se soucier de l'unité de l'oeuvre, Nicot, en 1573 ou 1606, introduit volontiers un article-vedette qui double, en lui ajoutant un certain nombre d'informations en français, un sous-article existant. Par exemple, 'ARCHER' (1606), 'BAIL' (mal classé apres BAILLET en 1573), 'LAVANDIERE' (= femme, 1606), et 'TAILLABLE' (1606) font double emploi avec 'Archer' (s.v. Arc, 1539), 'Bail' (s.v. Bailler, 1549), 'Lauandiere' (s.v. Laveur, 1564) et 'Taillable' (s.v. Taille, 1539). BANS, dans l'ordre alphabétique dès 1549, reçoit un deuxième traitement s.v. Ban en 1573. CREATEUR a droit à une triple existence, une fois en tête d'un article-vedette, une deuxième fois en renvoi et une troisième fois comme sous-vedette s.v. Creer. Sa double apparition alphabétique est le résultat de la répétition presque mot à mot d'une suite de trois articles-vedettes:
Le dernier exemple introduit un autre type d'aberration, l'impression en italique de vedettes. Si l'ordre alphabétique est respecté, il s'agit seulement d'une faute de caractères; comme exemples de fausses sous-vedettes de cette première espèce nous trouvons: BERNER (1549, corrigé en 1564), PORT'ENSEIGNE, PORT'ESPEE, PORTEFAIX (tous trois vedettes en 1564, fausses sous-vedettes en 1606), BANC (vedette en 1539, fausse sous-vedette en 1564, recorrigé en 1573), ADJANCER (vedette en 1564, mis en italique en 1573, recorrigé en 1606), LANTERNE (vedette en 1573, fausse sous-vedette en 1606), etc. Lorsque l'ordre alphabétique est violé, la consultation est compromise. Par exemple, N 1606 range LANGAYER (fausse sous-vedette) et LANGAYEUR (sous-vedette) entre 'LANGRES' et 'LANGUE'. Si le premier était imprimé en grands romains et orthographié "languayer", les deux mots seraient bien classés; écrits "langa...", ils devraient suivre 'LANGAGE'; sous-vedettes tous deux, il faudrait les placer dans l'article 'LANGUE'. La série 'LANIER', 'Laneret', correctement classée en 1573, devient en 1606 avec l'addition de LANICE: 'Laneret', 'Lanice', 'Lanier' au lieu de 'LANICE', 'LANIER', 'Laneret'. La séquence 'TABOURET', 'TABOURIN', 'Tabourineur', 'Tabourineresse', correctement organisée en 1549, se voit légèrement disjointe au niveau alphabétique en 1564: 'TABOURER', 'Tabourement', 'TABOURET', 'TABOUR/TABOURIN', 'Tabouriner', 'Tabourinet', 'Tabourineur', 'Tabourineresse' (TABOUR est l'élément perturbateur), et tout à fait disloquée en 1606: 'Tabourer', 'Tabour', 'Tabourin', 'Tabouriner', 'Tabourinet', 'Tabourineur', 'Tabourineuse', 'Tabourement', 'Tabouret' -- il n'y a aucune vedette typographique, TABOURER et TABOUREMENT sont separés; l'ordre et la présentation devraient être: 'TABOUR', 'Tabourin', 'Tabourinet', 'Tabouriner', 'Tabourineur', 'Tabourineuse', 'TABOURER', 'Tabourement', 'TABOURET' [comme il y a bifurcation apres 'Tabourin', 'Tabourinet' pourrait se mettre après 'Tabourineuse'].
La contrepartie de la faute précédente est la présentation en grands romains de sous-vedettes, ce qui a le plus souvent pour résultat de fausser superficiellement l'ordre alphabétique. Ainsi, ASSAUT (s.v. Assaillir), ASSIETTE (s.v. Asseoir) et BONTÉ (s.v. Bon), sous-vedettes jusqu'en 1573, sont imprimés en grands romains dans N 1606. BLASMER, BLASMÉ et BLASMÉE, tous subordonnés à BLASME auparavant, sont donnés en fausse vedette par N 1606, ce qui met BLASMABLE comme sous-vedette de BLASMEE. NONPRIX, NONPOURTANT et NONCHALANT se présentent tous les trois comme des vedettes, mais seul le troisième est dans le bon ordre alphabétique, les deux autres étant en réalité des sous-vedettes de NON. Voici des exemples de familles entières mises en vedette dans N 1606:
BVRRE | DESARROY | LATE | PORTE |
BVRRIER | DESARROY [bis] | LATER | PORTAIL |
BVRRIERE | DESARROYER | LATAGE | PORTIER |
BVRRER | DESARROYÉ | PORTIERE | |
BVRRÉ | |||
BVRRÉE |
Une autre espèce de complexité vient s'ajouter à celles déjà analysées lorsqu'une vedette réelle est placée au milieu d'une famille étymologique étrangère à un endroit ressemblant plus ou moins à l'ordre alphabétique. Par exemple, ARTEMON (1573), BADELADRE (1606) et LARMIER (1606) dans les séries suivantes:
ART | BADAVT | LARME |
ARTEMON | BADELADRE | Larmette |
Artisan | Badin | LARMIER |
Artifice | Badinage | Larmoyer |
Artificiel | Larmoyement | |
Artificiellement | Larmoyable [68] |
ARC | ATTIRER |
Archer | Attirement |
[ARCADIE | [ATTISEQVERELLE |
[Archerot | [Attractif |
Terminons la discussion des interférences alphabético-étymologiques par l'examen de quelques cas complexes.
1) ND 1573 subordonne la vedette existante BAN à l'addition BANIR, et les fait précéder d'un renvoi BANIER (répété plus loin dans le bon ordre alphabétique), qu'accompagne une fausse sous-vedette, ou, si on veut, sous-vedette déplacée, BANIES:
BANIER ... voyez
Ban Banies BANIR Ban | devrait être: | BAN Banir Banies |
4) Deux pages plus loin, la séquence CANAL-CANELLE contient piusieurs anomalies. CANE et CANETE sont donnés en fausses vedettes, le dernier réapparaissant plus loin en sous-vedette déplacée avec CANETER. CANCEL(L)ER a droit à deux articles-vedettes successifs. CANELÉ et CANELEURE sont attribués typographiquement en sous-vedettes à CANDIE. 'CANELE[= canelé ou canelle?]/CANELVRE' renvoie inutilement à CANAL. CANELLE "Cinnamum" et "Robinet", classé à part, pourrait être utilement rattaché à CANAL. Voici à gauche la séquence telle qu'elle apparaît dans le Thresor, et à droite un classement conforme au système:
CANAL CANARD CANE CANETE CANCELLER CANCELER CANCRE CANDEVR Candide Candidement CANDIE Canelé Caneleure Canette Caneter CANELE, CANELVRE voyez Canal CANELLE | CANAL Canelle Canelé Caneleure CANARD Cane Canet(t)e Caneter CANCEL(L)ER CANCRE CANDEVR Candide Candidement CANDIE CANELLE, CANELÉ, CANELEVRE voyez Canal |
2.2.1.1.3. Neutralisation des systèmes secondaire et tertiaire [70]
Lorsqu'un dérivé est donné à l'intérieur d'un article-vedette ou même d'un sous-article, non seulement il est moins visible mais en même temps son statut dans l'énoncé lexicographique est compromis. Dans le système, les sous-vedettes sont placées en tête d'un article dont le début coïncide avec celui d'un alinéa. Nous considérerons donc comme sous-vedette cachée tout dérivé présenté comme unité de traitement à l'intérieur d'un article à la suite du traitement d'un autre membre de la même famille, et comme simples éléments de la métalangue de traitement ceux qui n'y jouissent d'aucune indépendance. Ainsi, dans l'article
Le contexte étymologique dans lequel toute sous-vedette se trouve engagée est le plus souvent explicite lorsque celle-ci est traitée à l'intérieur d'un article. Par exemple:
Et parce que la bourre est veluë ... on appelle vin bourru, celuy qui ... Mais le verbe Bourrer est en frequent vsage, pour ... (s.v. Bourre 1606) [73]
Les items bilingues présentent un autre problème de consultation. Dans le dictionnaire avant Nicot, les articles sont formés d'une suite d'items-alinéas illustrant différentes valeurs d'emploi ou acceptions du mot-vedette qui est avant tout une forme (cf. 2.2.1.3). Dans les éditions d'Estienne, l'unité de l'article est garantie par la typographie (première ligne en saillie -- cf. supra 2.2.1.1.1), mais a partir de 1564 l'oeil doit parcourir une liste uniforme pour déterminer d'abord quelles sont les sous-vedettes enregistrées et ensuite quelles sont les frontières de leurs articles. Le macro-article ARRESTER en 1549 est clairement subdivisé en ARRESTER (131 lignes), ARRESTANS (2 lignes), ARRESTÉ (7 lignes) et ARREST (65 lignes). Cependant, ESTIENNE a ajouté à la fin de l'article (c.-à-d. dans le microarticle ARREST) l'entrée: "Vng homme arresté & posé ...". D'après la typographie, cette occurrence de arresté n'est pas observable. À partir de 1564, la situation est changée puisque l'oeil peut aussi bien rencontrer arresté (adj.) qu'autre chose dans l'article, et en fait ce mot jouit d'une position privilegiée, à savoir finale; si le regard saute, dans le Thresor, de "Arresté, Retentus, Coercitus, Status" à "Vn homme arresté & posé ...", on peut penser que tout ce qui est entre ces deux a trait à ARRESTÉ. De 1549 a 1573, le macro-article ALLER se termine par trois entrées pour le mot ALLURE. La dernière, "Aller de plus grande allure ...", devenant en 1606 "Aller de plus grande singlée, ou singleure ..." (Nicot aussi peut prêter plus d'attention au latin qu'au français), le seul élément formel qui se rattache alors à l'article global est aller, de sorte que les sous-vedettes ALLEE et ALLURE sont dans une certaine mesure masquées. Quant à BOUGE/BOUGETTE, sa physionomie change d'édition en édition:
BOVGE, BOVGETTE. Ils uiennent de ...
Bougette de cuir, Bulga ... (E 1549)
2.2.1.1.4. Conséquences du classement étymologique latin
Lorsque, dans E 1549, on lit pour l'article ARBITRE la
séquence d'entrées suivante:
ARBITRE ...
la raison de l'ordre est à chercher plutôt du côté
du latin que de celui du français. Les équivalents latins sont
donnés grosso modo dans l'ordre suivant: arbiter,
arbitrari, arbitrarium, arbitrium. Dans E 1539 cet ordre
est encore plus clair et plus strict:
... ung arbitre ...
... en arbitres ...
... par arbitres ...
Deux arbitres ...
... l'arbitre ...
... l'arbitrage de l'arbitre ...
... l'arbitre ...
Arbitrage, c'est ...
Arbitrage ou ...
Franc arbitre ...
... liberal arbitre ...
Vng arbitre esleu par les parties ... Arbiter ...
Franc arbitre, Arbitrium liberum. [76]
De même, ACQUERIR, ACQUESTER, ACQUIS et ACQUISITION, réunis en un macro-article depuis 1539, ont
des liens de ressemblance plus marqués en latin qu'en français;
à partir de 1564 on y trouve, par exemple: "ACQVERIR, Acquirere, Parere, Quaerere // Acquester &
amosser, Quaerere // Acquereur, ou Acquesteur ... Partor //
Acquis, Partus, Quaesitus, Acquisitus // Acquisition,
Acquisitio". L'article DECERNER s'attribue DECRET à travers la conjugaison latine: "DECERNER, Decernere // Decerné, Decretus //
Qui decernera, Decreturus // Decret, Decretum" (1549); de
même, DISCRETION "Discrimen" (1539) se rattache
à la vedette DISCERNER "Discriminare" avant tout
par la voie du latin. Plus troublant encore, à cause de la plus grande
disparité alphabétique, est le cas de DILATION "Dilatio" [< differo] classé dans le
macro-article DIFFERER (1549).
Prendre ung arbitre ... Arbitrum capere ...
La sentence de l'arbitre, Arbitrium.
Quand l'arbitre donne sa sentence, Arbitrari.
Chose qui est soubiecte a l'arbitrage de
l'arbitre,
Arbitrarium.
On est frappé dans toutes les éditions du dictionnaire par le grand nombre d'entrées, données dans l'article d'un verbe, qui commencent par la formule "Qui ..." ou "Celuy qui ...", et ne servant qu'à definir un nom latin. Elles sont toutes à faire remonter à E 1539 [77] où, bien que n'offrant aucun élément formel nouveau du côté français, elles sont très souvent données en sous-vedettes (ligne en saillie ou pied-de-mouche). Par exemple, "Celuy qui abandonne ... Proscriptor" (s.v. Abandonner), "Qui appelle & huche, Euocans" et "Qui ua appeler & ... Accersitor" (s.v. Appeler), etc. Le plus souvent, les éditions postérieures laissent ces items 'latins' tels quels; quelques-uns sont quand même 'francisés': ainsi T 1564 change "Qui allaicte, Lactans" (s.v. Allaicter) en "Enfant qui allaicte, Lacteus puer // Mere allectant son enfant, Mater lactans filium"; dans le commentaire que N 1606 consacre à l'entrée "Celuy qui abbandonne ...", le mot abbandonneur est employé; "Qui abbaye, Latrator" (s.v. Abbay), enfin, se transforme graduellement -- en "Qui abbaye, ou Abbayeur, Latrator" (1549) puis "Abbayeur, Latrator" (1573). [78]
2.2.1.2. Variantes: orthographe, phonétique, morphologie et lexique
2.2.1.2.0. Problèmes généraux
Le problème des variantes, c'est toute la langue du seizième
siècle. Il ne nous intéresse ici que dans la mesure où il
agit sur le classement et la présentation des adresses. Les principaux
niveaux linguistiques en cause sont ceux des graphèmes, des
phonèmes, des morphèmes et des lexèmes (les variantes
étant respectivement des allographes, allophones, allomorphes, et
allolexes ou synonymes). La realité de la langue ne permet pas d'en
distribuer les items aussi facilement qu'on le ferait dans une description du
français d'aujourd'hui, puisque non seulement la langue elle-même
est fluide, mais, ce qui est plus important, la conscience linguistique des
sujets parlants est floue elle aussi. Vouloir distinguer variantes
graphématiques, phonématiques, morphématiques et
lexématiques c'est, au mieux, faire des approximations.
Dans le domaine des variantes, c'est surtout l'orthographe qui
préoccupait les grammairiens du seizième siècle [79] et qui continue à
retenir encore aujourd'hui
l'attention des historiens de la langue. [80] Au
départ, toutes les variantes possèdent un intérêt
pour celui qui étudie l'ancienne langue. [81] Par exemple, les variantes
individuelles,
c'est-à-dire employées par un même individu, peuvent
revêtir un caractère esthétique: "il semble que,
lorsqu'elles /./ sont [signifiantes] elles relèvent d'un choix d'ordre
artistique que nous ne reconnaissons pas plus aujourd'hui à cette
partie de la grammaire qu'à la morphologie". [82] Nombre de formes doivent
leur existence aux
rattachements étymologiques. [83] La
typographie est aussi un facteur déterminant, puisqu'il y a des
variantes "dues à la justification des lignes, c'est-à-dire la
nécessité (esthétique) de respecter des marges
régulières, nécessité qui passe, à
l'époque, avant la nécessité orthographique". [84] Les graphies qui changent
d'une édition à
l'autre d'un même livre peuvent simplement refléter
l'évolution de l'usage; lorsqu'il y a également un changement
d'éditeur ou d'imprimeur, d'autres facteurs peuvent intervenir, tels
que l'attitude linguistique ou les origines de l'éditeur ou de
l'imprimeur, les habitudes typographiques de ce dernier, etc. [85] Pourtant, du point de vue du
fonctionnement du
système, comment voir clair entre "faits de langue et faits de
graphie"? [86] Tant
qu'il subsiste dans la langue
un usage orthographique variable, "la frontière entre variante
graphique et hétérogénéité lexicale est
imprécise". [87]
Les rapports entre
orthographe et prononciation sont eux aussi incertains, comme l'indique L.
Terreaux: "L'orthographe peut offrir un aspect purement graphique
évident. /./ En revanche, il y a des cas où l'orthographe est en
rapport avec la phonétique et la prononciation. Les problèmes
sont alors d'une grande complexité". [88]
Nous verrons que la prononciation est un facteur important dans le classement
des adresses et dans les fautes observées dans l'ordre
alphabétique. Au niveau du morphème, "le développement
d'une forme ou d'un tour s'explique très souvent par un fait de
prononciation qui a atteint une syllabe, une désinence par
exemple". [89] La
variation formelle peut atteindre
le radical du mot ou le mot tout entier, de sorte que seul le signifié
relie deux ou plusieurs formes différentes. Au niveau des synonymes, ou
des dénominations multiples, les variantes sont moins un
problème pour l'historien de la langue que pour celui des nomenclatures
lexicographiques.
Notre intention n'est donc nullement d'essayer de résoudre les
problèmes de catégorisation, [90]
mais d'observer les variantes selon les différents types de
présentation et les déclarations du lexicographe. En fait,
l'optique dans laquelle nous nous sommes placé dans cette étude
nous permet de distinguer entre les variantes presentées dans la
nomenclature et celles qui ne se révèlent que lors d'un
dépouillement du texte. [91] Les
premières (qui sont celles qui nous intéressent dans ce
chapitre), quand elles se trouvent en présence dans un même
article, donnent lieu souvent à un commentaire de la part du
lexicographe; mises dans le classement alphabetique, elles se trouvent
dispersées du fait de leurs formes divergentes et dans de nombreux cas
coexistent les unes à l'insu des autres, surtout si elles sont
entrées dans le dictionnaire à des époques
différentes. Enfin, la substitution d'une forme à une autre est
assez fréquente.
Les catégories que nous avons été amené à
dégager (variantes graphiques, morphologiques et lexicales) n'ont donc
qu'une valeur pragmatique, ne relevant pas d'une doctrine, et peuvent
même entrer en conflit avec les rares déclarations du
lexicographe du temps. Ainsi, Nicot appelle synonymes les trois mots
auberge, heberge et esberge, [92] là où suivant
d'autres indications
fournies par le Thresor nous traiterions les deux derniers comme
variantes graphiques à prononciation identique (h et s
étant lettres facultatives -- cf. 2.2.1.2.1 et 2.2.1.2.2) et
auberge comme une variante morphologique des deux autres (cf.
2.2.1.2.3).
2.2.1.2.1. Variantes graphiques dans l'ordre alphabétique et
dans l'article [93]
La plupart des renvois mis dans le classement alphabétique concernent
les variantes graphiques. Ainsi, dans l'échantlllonnage A-Ac, Ar, Ba,
Br-By, La, Ta, E 1539 leur consacre 6 renvois sur 11 (ABAISSER "cerchez Abbaisser", etc.), E 1549 26 sur les
48 ajoutés (ABILE "uoyez Habile", etc.), T
1564 24 sur 42 (ABISME "voyez Abysme"). [94] Pourtant, il n'est pas
possible de calculer combien n'y
sont pas. D'une part, de nombreuses variantes données dans un article
ne sont pas répétées en vedette (par exemple, la forme
bruy se trouve s.v. Brouy (T 1564): "BROVY,
ou BRVY, c'est à dire
Bruslé", mais non dans l'ordre alphabétique); d'autre part,
la majeure partie des formes données en renvoi dans l'ordre
alphabétique ne sont pas reprises dans l'article auquel l'utilisateur
est renvoyé (par exemple, abaisser manque s.v. Abbaisser (E
1539), abile manque s.v. Habile (E 1549), abisme ne se retrouve
pas s.v. Abysme (T 1564) -- cf. supra). [95] Parmi
les différents types d'irrégularités qui peuvent se
produire, mentionnons ici le cas du renvoi qui renvoie à un autre
renvoi; par exemple: PAOUVRE "cherchez Pauure",
PAUVRE "voyez Poure" (T 1564).
Comme nous l'avons déjà noté pour les
dérivés, [96] les entrées
multiples entraînent bien souvent des redites, ainsi que la
fragmentation des informations. L'article BRANQUARS
"d'une lictiere, Brachia lecticae" (T 1564) se voit doublé en
1573 d'un autre, BRANCAR, qui répète le
contexte français ("le bras d'vne littiere") sans donner
l'équivalent latin. Il peut y avoir ou non renvoi d'un article à
l'autre. Ainsi, dans l'exemple donné ci-dessus, les deux articles sont
indépendants; en revanche, BRANCHE URSINE
("espece d'herbe, Acanthus vel Acanthe. Les Apothicaires l'ont
nommée Branche vrsine pour la semblance que ses fueilles ont auec les
pieds de deuant d'vn ours, voiez Branque vrsine.") et BRANQUE URSINE ("est vne herbe ainsi nommée par les
herbiers, Patte d'ours par les iardiniers, Acanthus. Les architectes la
nomment vulgairement Acanthe. voiez Branche vrsine") se
répétant et se complétant, à partir de 1564 se
renvoient mutuellement. Enfin, AUBER ("se mouuoir d'vn
lieu en l'autre") renvoie sans réciprocation à HOBER ("Bouger"). On pourrait multiplier les exemples de
chaque type.
Il ne faut pas voir dans ce procédé un désir
d'étoffer l'ouvrage. [97] On n'avait
simplement pas l'habitude de la révision systématique, à
tel point que la fragmentation des données tourne parfois à la
contradiction. Ainsi, pour citer l'exemple le plus notoire, [98] on rencontre s.v. Soldat,
Soudard, Souldoyer et
Souldart (N 1606) non seulement huit variantes -- soldad/soldat,
soudard/souldard/souldart/souldat,
soudoyer/souldoyer -- des trois formes de base correspondant au
sémème "guerrier de pied" (s.v. Soudard), mais aussi deux
affirmations contradictoires: "Il est mieux escrit & prononcé
Soudard, que ni souldard, ni soldat" (s.v. Soudard); "Ceux qui parlent
bien dient, Vn soldat" (s.v. Souldart). [99]
Plus intéressants que les précédents sont les cas
où le lexicographe confronte des variantes de façon explicite
dans un même article. De la sorte, a) il en sanctionne la coexistence
fonctionnelle, ou, dans un commentaire, il peut b) qualifier ou c) même
condamner l'usage d'une des formes. Par exemple:
ABACVC, La mer d'Abacuc, ou d'Abacuth (E 1549)
APPOVVRIR ... Qu'aucuns escriuent Appaouurir,
retenans la voyele A, de ce mot latin pauper, dont il est
prins, & changeans la voyele v, en o, & p, en v
consone, & par transposition (qu'on dit Metathese) de la consone R,
deuant la voyele E, & autres Appaourir, par o au lieu
de Au (N 1606)
ACCOVSTER. Aucuns escriuent Acouter, les
autres Ascouter, les autres & plus communeement Escouter (ND 1573)
AVLNAYE, ou (& mieux) AVNAYE, sans la lettre l. Car le François
és mots qu'il forme du Latin, change laditte lettre l.
en v. quand elle suit & adhere à l'vne de ces
voyeles, A. E. O. De sorte que apres laditte mutation faitte,
ladite lettre l. y est superflue, comma de Altus, Haut,
de Alnus, Aune, de Pellis, Peau, qu'il prononce par
diphtongue, de Mollis, Mou (N 1606)
TAON ... Aucuns l'aspirent en escriture,
Tahon mais c'est sans propos (N 1606)
Il est pourtant assez rare que Nicot condamne une graphie,
préférant réunir pour les confronter les
différentes formes employées ainsi que les opinions des autres:
a)
MALENCONTRE, ou Mal'encontre (E 1549)
b)
ALVMELLE ... vel fortè rectius Alemelle
(E 1549)
c)
BVRRE ... appert qu'il faut escrire par eu
diphtongue (N 1606)
Archifs ... Aucuns estiment qu'il vient de ce mot Latin Arca
que le François dit Arche, & qu'à ceste cause il le faut
escrire Archis ... Autres le tirent de ce mot Grec
Une deuxième sorte de confrontation, implicite, se produit lorsqu'une
forme différente de celle de l'adresse est employée dans les
exemples d'emploi ou les commentaires métalinguistiques. Ainsi, le
premier exemple de l'article "AVTOM, ou AVTOMNE" emploie la graphie auton (ND 1573); BACQUETER est suivi de deux occurrences de baqueter (N
1606); [100] les six
exemples d'emploi de DESMELLER utilisent la forme desmesler (ND 1573);
l'article "SOVBS, ou SOVB",
en plus de deux occurrences de soubs, renferme six exemples de
soubz (N 1606). [101] Après les
confrontations synchroniques, il convient de mentionner les variations
diachroniques, c'est-à-dire les changements de graphie d'une
édition à l'autre. Ces changements, qui ne touchent souvent que
les vedettes, expliquent en majeure partie les divergences notées au
dernier paragraphe. Ils sont aussi cause de plusieurs fautes et corrections du
classement alphabétique des vedettes. [102]
Par exemple: ARAISONNER, ARBALESTE (1549) > ARRAISONNER, ARBALESTE (1564) = faute; BETTE,
BETOESNE (1539) > BETOESNE, BETES (1549) =
double faute; DESMENTIR, DESMESLER (1564) > DESMENTIR, DESMELLER (1573) = faute; LAY,
LAICT (1564) > LAI, LAICT (1573) = correction;
SOUBTRAIRE, SOUBZ (1573) > SOUBTRAIRE,
SOUBS (1606) = faute. Une bonne illustration nous est fournie par le
sort, dans ND 1573 et N 1606, des adresses en Aba... et Abba...:
,
(duquel est imité ce mot Latinisé, Archiuum, qui
fait qu'on l'escrit Archifs) (N 1606)
ND 1573 | N 1606 |
ABAISSER "cerchez
Abbaisser" ABANDON Abandonner Abandonné Abandonnement Abandonnéement ABASTARDIR ABBAISSER | ABAISSER "cerchez Abbaisser" ABANAT ABBAISSER ABBANDON ABBANDONNER Abandonné Abandonnement Abandonnéement ABASTARDIR |
2.2.l.2.2. Orthographe et phonétique
À moins d'un commentaire explicite de la part du lexicographe, on ne peut pas toujours savoir si une différence de graphie correspond ou non à une différence de prononciation. Il y a, cependant, certains indices.
Si, par exemple, un mot auquel on est renvoyé figure, dans le renvoi, sous une forme différente de celle donnée dans l'ordre alphabétique, on peut être amené à conclure à une prononciation identique. Ainsi, des trois articles "EPELER, Cerchez Espeler, ou Eppeler, ou Appeler", "ESPELLER ... corrompu de la mignardise de la prononciation du vulgaire, pour Appeller, & le conuiendroit escrire Eppeller" et "Appeler ... que aucuns dient Eppeller" (N 1606), on peut inférer que epeler, espeler, eppeler, espeller et eppeller sont censés avoir une même prononciation, différente de celle de appeler/appeller. Les changements faits, d'une édition à l'autre, à la graphie des vedettes (cf. 2.2.1.2.1), et qui le plus souvent perturbent l'ordre alphabétique, ne seraient pas des changements phonétiques. Entre autres, on peut remarquer les allographies suivantes:
a) | consonne double = consonne simple: ABANDON (dep. 1539) > ABBANDON (1606); NONNAIN (dep. 1549) > NONAIN (1606); [103] |
b) | en = an: AVANTURE (dep. 1539) > AVENTURE (1606); RENG (1573) > RANG (1606); |
c) | an = aon: FAN (dep. 1539) > FAON "Qu'on prononce comme s'il estoit escrit Fan" (1606); TAN (dep. 1564) > TAON "Que le François prononce Tan" ( 1606); |
d) | aon = eon: PAON (dep. 1539) > PEON (1606); |
e) | eo = o: REVEOIR (dep. 1539) > REVOIR (1564); |
f) | sl = ll: DESMESLER (dep. 1539) > DESMELLER (1573); |
g) | ff = sf: MEFFAICT (dep. 1549) > MESFAICT (1573); MEFFIER (1564) > MESFIER (1573); |
h) | soub = sub: SOUBCURATEUR (1549) > SUBCURATEUR (1564); |
i) | soub = soubs: SOUBMETTRE (dep. 1539) > SOUBSMETTRE (1606); |
j) | soub = sous: SOUBTENIR (dep. 1539) > SOUSTENIR (1606); |
k) | soubz = soubs: SOUBZ (dep. 1539) > SOUBS (1606). |
AEROLE, ou EMPOVLE ... Plusieurs escriuent & prononcent Eaurolle, Ampoule (E 1549)
BAFFROY, BAFFRAY, BVFFROY, & BEFFROY, (Car on le prononce en toutes ces façons) (N 1606)
AHAN ... Le Languedoc [dit] Affan (N 1606)
BOIS ... Hinc tam pro ligno, quàm pro sylua, Flandri dicunt Bosc, Picardi Bos, Franci Bois (E 1549)
Essoyner ... diction & prononciation villageoise, pour Exonier (N 1606)
2.2.1.2.3. Variantes morphologiques, variantes lexicales
Vu leur importance dans la nomenclature, nous trouvons nécessaire de
considérer à part les variantes morphologiques, qui se
distinguent par leurs affixes, et les variantes lexicales, qui sont unies par
le seul signifié ou référent. Dans le cas des variantes
morphologiques, c'est surtout le suffixe qui varie:
ACA, ou ACE, ou
ACON (T 1564)
Applaudissement, ou Applausement (T 1564)
Ardre ou ardoir (E 1539)
AVEILLE & Auette (E 1549)
BADAVLT ... BADELORI, BADIN (E
1549)
Tabourineresse, ou Tabourineuse (E 1549)
(Four) banier ou bannal ou à ban (ND 1573 s.v.
Banier)
Brouillon, ou Brouilleur, ou Qui brouille (E 1549)
Baudir, ou Esbaudir (N 1606)
Ailoignon, ou Aulxoignon (T 1564)
BOVRSAVL, ou MARSAVL (T
1564)
Acquereur, ou Acquesteur (T 1564)
AFFRIANDER, AFFRIOLER (E 1549)
ALVMELLE ... vel fortè rectius Alemelle
(E 1549)
TAVX, ou Tauxe, ou Taxe (E 1549)
ARCASSE ... autrement appellee Culasse du
nauire (ND 1573)
ARDANS, ou FVIROLLES,
ou FLAMMEROLLES, ou FLAMBARS, ou FOLLETS (E 1549)
ARENE, ou SABLE,
ou GRAVIER (E 1549)
ARGENTINE, ou STRASBOVRG
(E 1549)
TAISSON ... Aucuns l'appellent Grisart, les autres
Blareau (E 1549)
BAVGE ... [sens 1] qu'en Gascoigne on appelle,
Tortiz ... [sens 2] qu'en Languedoc est appellé fangas
(ND 1573)
BRANQVE ursine ... nommee ... Patte
d'ours par les iardiniers ... Les architectes la nomment
uulgairement Acanthe (E 1549)
ENVLE, ou Campane ... Les Apothicaires les
nomment Enula, les paisans, Campana ou Enula Campana (T
1564)
2.2.1.2.4. Statut des variantes: unités de traitement ou
définisseurs?
Les deux articles CREDIBLE servent à poser le
problème:
CREDIBLE, ou creable, ou croyable, Credibilis
(N 1606)
Banquiers, ou tapis de Turquie, Polymlta Phrygia (E 1549)
Lainefaicture, ou Le faict de filer laines, de les accoustrer, & d'en
besongner, Lanicium (E 1549)
Brouillon ... ou Qui brouille, Turbator (E 1549)
Brigader, Compaigner (E 1549) [nota: il n'y a pas de latin]
Babiller, quaqueter, Blaterare (E 1539)
Vng babillard, Vng rapporte nouuelle, Vng deceleur de secrets, Aius
locutius (E 1549)
Badinage, Badinerie, Ineptia (E 1549)
ABLE, ou ABLETTE (T 1564)
Parfois, il s'agit d'une expansion analytique:
(Couuerture) ardoisine, ou d'ardoise (T 1564 s.v. Ardoise)
On trouve aussi quelques variantes préfixales:
ABSCONSER ... Les Picards ... dient
Esconser ... Aucuns dient Reconser (T 1564)
Voisins des précédents sont les composés à formant
lexématique:
ACCOSTEPOT ou APPVIPOT (E
1549)
Il y a, enfin, le cas limite où c'est le radical qui est touché:
ACERER, mot abbregé de Acierer (E 1549)
Du côté des variantes lexicales, on remarque le nombre de
dénominations multiples:
ABSINCE ... Aucuns l'appellent Aluine, les autres
Fort, ... Aucuns la mort aux vers (T 1564)
Certaines formes sont régionales ou particulières à une
profession:
ARAIRE, pour Charrue, mot Lionnois (E 1549)
CREDIBLE, com.gen.pen. Croyable, & creable,
Credibilis (N 1606)
Tandis que, dans le second, la copulative ou confère aux trois
variantes un rang d'équivalence non seulement du point de vue
sémique mais aussi de celui de leur fonction dans
l'énoncé lexicographique (elles sont toutes unités de
traitement -- cf. les exemples avec ou donnés ci-dessus a
2.2.1.2.1-3), dans le
premier, les informations grammaticale et prosodique,
le point devant le mot croyable et l'initiale majuscule de celui-ci
concourent à rejeter "Croyable, & creable" dans la
métalangue définitionnelle à la manière de "CREATEVR, m.acut. Celuy qui crée, ou a
creé ... Creator", par exemple. Pourtant, les deux aires se
confondent vite. Lorsque les termes reliés à la forme
d'entrée par ou ne sont pas de simples variantes graphiques ou
morphologiques, ils sont sentis comme un traitement sémantique du
premier terme aussi bien que comme des entrées-variantes; [105] autrement dit, ils sont
à la fois
entrées et sorties. Par exemple:
ARCHE, ou COFFRE, Arca (E
1549)
Il est évident, d'après ces exemples, que plus le
deuxième terme est analytique plus il constitue du premier une
définition proprement dite. L'équivoque apparaît aussi
quand le passage de l'autonymie à la métalangue de
définition est moins marqué que dans l'exemple (CREDIBLE) donné plus haut, se réduisant souvent
à la virgule plus initiale majuscule sinon à la seule virgule.
Comparez les exemples suivants:
Baillet, qui ha une tache ou estoille blanche au front, Nigram
medio frontem distinctus ab albo (E 1549)
Le fait que l'article "Brouyr, Bruser" (T 1564) est
précédé de "BROVY, ou BRVY, c'est à dire Bruslé" renforce la
fonction métalinguistique de bruser [sic, = brusler]. La
copulative & fonctionne la plupart du temps au niveau de l'articulation
des composants de l'énoncé lexicographique, et, comme tel, sert
à relier des termes synonymiques tout comme ou. Cependant,
là où ou coordonne normalement des adresses-variantes,
&, quoique pouvant faire de même ("BABOIN,
& BABOVIN, m.acut. ... Nugator" (N 1606)), tend
à être reservé à un rôle
définitionnel. &, ainsi que ou, peuvent, à
l'occasion, fonctionner comme conjonctions à l'interieur de
l'unité de traitement en reliant entre eux les constituants de
celle-ci. [106]
2.2.1.3. Forme, fonction et sens
2.2.1.3.1. Classement fonctionnel et classement sémantique
Comme nous l'avons vu plus haut, [107] la
nomenclature est organisée à partir du classement
alphabétique ou étymologique de ses items. Cependant, d'autres
facteurs peuvent venir en modifier la présentation. Ainsi, la fonction
grammaticale, normalement subordonnée à la forme, peut devenir
une considération principale. Par exemple, E 1539 distinguant, dans le
macro-article 'BAISER', deux micro-articles BAISER (verbe) et UNG BAISER (nom), T
1564, ajoutant le verbe BAISOTER, le place entre les
deux. De même, s.v. Boire, E 1539 distingue BOIRE
(verbe) et LE BOIRE (nom). L'adverbe bien et le
nom bien/biens méritent chacun un macro-article à
part, du moins de 1539 à 1573. [108] La
fréquence fonctionnelle de A BON ESCIENT et de
A BRIDE AVALLEE serait cause de leur enregistrement, en
1549, dans la nomenclature alphabétique; en effet, ND 1573 leur ajoute
la qualification grammaticale "par forme d'aduerbe".
Parfois ce sont des distinctions sémantiques qui viennent modifier la
présentation des items. Par exemple, s.v. Assommer, E 1539
sépare, dans l'en-tête comme dans le corps de l'article (lignes
en saillie), ASSOMMER AUCUNG de ASSOMMER
UNE SOMME. De même, les deux signifiés de BIERE (E 1539)
sont distingués à la fois typographiquement (un macro-article
chacun) et syntagmatiquement (UNE BIERE / DE LA BIERE).
La
structure du macro-article CHASSER est fondée sur
la distinction "pulsion/vénerie", de sorte que la forme CHASSER est traitée deux fois, une fois au début
(= "Abigere, Arcere, Excludere, Fugare, Pellere" etc.), et une deuxième
fois ("Chasser aux bestes sauuages") apres CHASSE
(= "Venatus"). L'alternance des formes peut être axée sur un
sémantisme moins nettement démarqué que dans l'exemple
précédent. Par exemple, dans le macro-article FARCE (E 1539), la séquence des sept entrées
commençant par "Farceur, Hister" et comprenant les formes
farceur, farceurs et farces semble être
ordonnée à partir des sèmes "exécutant - auteur -
directeur - costume - pantomime":
Farceur, Hister histri, Aretalogus.
Qui fournissoit les habitz des farceurs, & c.
Composeur de farces, Comicus poeta.
Le maistre des farceurs, Imperator histricus.
Ornement & appareil des farceurs & ioueurs de
comedies & tragedies
Choragium.Choragus.
Ioueur de farces qui represente les contenances
selon l'estat des personnes
, Gesticulator, Histrio,
Comoedus.
Geste d'ung ioueur de farces, Histrionicus
gestus.
Cet ordre n'est pas sans rappeler le classement étymologique latin
étudié plus haut. [109]
2.2.1.3.2. Primauté de la forme
Il est pourtant rare que la fonction ou le sens prime la forme. Seul Estienne,
en 1539, était libre de choisir les critères de classement et
d'en doser les proportions (les exemples notés ci-dessus à
2.2.1.3.1 sont
de 1539). En fait, ses dictionnaires latins l'astreignaient aux ordres
alphabétique et étymologique. Une fois le principe d'un
classement formel admis dans la première édition, il n'est que
consolidé dans les éditions postérieures. Les
remaniements autres que formels étant rares, les additions viennent se
greffer sur la nomenclature aux endroits les plus propices. Pour
l'augmentateur, celle-ci n'est le plus souvent qu'une liste de signifiants
purs.
Les distinctions fonctionnelles observées en 1539 pour BAISER / UNG BAISER et BOIRE / LE BOIRE (voir ci-dessus
2.2.1.3.1) sont respectees jusqu'en 1606; mais, déjà dans E
1549, les regroupements formels commencent. Ainsi, dans le macro-article ASSOMMER, la distinction ASSOMMER AUCUNG /
ASSOMMER
UNE SOMME est affaiblie au profit de celle entre ASSOMMER et ASSOMMÉ:
ASSOMMER AVCVNG, & ASSOMMER
Ce sont pourtant les éditions de Nicot qui cultivent le plus la forme.
Tantôt les sens et les fonctions sont réunis sous une même
forme et dans un même alinea:
Assommer ung homme ...
E 1539
VNE SOMME. ASSOMMÉ.
Assommer a grands coups ...
Assommer une somme ...
Assommé de coups ...
A demi assommez de boire ...
Assommé ou applommé de somme ... Assommons, Subducamus summam.
ASSOMMER ung homme ...
E 1549
Assommer a grans coups ...
Assommé de coups ...
¶ Assommer une somme ...
Assommons, Subducamus summam.A demi assommez de boire ...
Assommé ou applommé de somme ...
BIERE (= "coffret")
DE LA BIERE (= boisson) (E 1539)> BIERE ... Signifie ores ce
coffret de
bois ...Ores Biere
signifie cette maniere de
boisson ... (N 1606)
Tantôt on garde les adresses distinctes des éditions
antérieures en ajoutant à l'une d'elles les
propriétés fonctionnelles ou sémantiques de l'autre:
ARS, & son feminin ARSE ...
les ARS d'un cheual ... (T 1564)> ARS, & son
feminin
ARSE
Les Ars d'un cheual ... (ND 1573)> ARS, m. En singulier
est
particip. ...
Et en pluriel, les Ars signifie les espaules
d'vne
beste cheualine ... Ars aussi est
verbe ...
& est la seconde personne du present de
l'indicatif ...
Arse, f.penac. Bruslée (N 1606) [110]
Du même type, on trouve aussi: "DROICT, m. Directus
... Droict aussi est, Raison ... Ius" et "DROICT
& raison, Ius" (ND 1573). Dans l'exemple suivant:
BIEN, Belle, Bene, Recte ...
BIEN, ou BIENS. Le
bien que le pere delaisse
a ses enfans ... (E 1539)> BIEN ... tantost est nom
masculin,
&
signifie ... ce que chacun possede
à luy
appartenant ... Tantost est aduerbe
... Tantost
est particule ... Tantost est
excitatiue ...
BIEN, ou BIENS, le
bien que le pere ... (N 1606)
La FIN de quelque chose ... //
l'adjectif fin est donné une première fois à la suite de
fin, substantif, et une deuxième fois comme adresse
autonome. [111]
Vn homme fin à dorer, Trompeur ... //
Finer ... //
Final ... //
Finablement ... //
Homme fin, Astutus ...
Si un item lexical nouveau est ajouté à la nomenclature en 1573 ou en 1606 et que son signifiant coïncide avec une forme déjà enregistrée, il y a toutes les chances pour qu'il soit traité sous celle-ci:
> A EST la premiere lettre de l'alphabet ...
BAR, ville (T 1564)
> BAR ... ville ... Bar aussi est vne
diction indeclinable,
qui empire le mot auquel elle est iointe par
(N 1606)
composition
Lasser, Fatigare (E 1539)
> Lasser ... deuenir las & recreu ... Et tendre laqs a
prendre
oiseaulx & bestes sauuages
... Lasser aussi c'est attacher &
estreindre auec vne esguillette ou lasset (ND 1573)
Un article entièrement nouveau ajouté en 1573 ou 1606 peut utiliser ce même procédé:
> Aiseement, qu'on escript aussi aisément ... ores est aduerbe,
> TACHE ... Est ores la premiere & tierce
personne du
verbe, duquel l'infinitif est Tacher
... Et ores est
nom f.gen.
& signifie vne macule (N 1606 -- TACHER est traité plus loin) [112]
BATANT de porte ou de fenestre (E 1549)
> BATANT ... Tantost est gerondif ... Et
tantost
est nom substantif
(N 1606) [113]
En règle générale, les formes marquées,
lorsqu'elles apparaissent dans la nomenclature, sont données à
la suite de la forme canonique, soit dans les exemples d'emploi illustrant
celle-ci, soit comme sous-vedettes. Parfois, cependant, elles peuvent faire
l'objet d'un traitement particulier. Ainsi, dans le macro-article COMMUN (E 1549), la forme commun regroupe les fonctions
adjective et substantive au masculin, et commune les mêmes
fonctions au féminin. L'ordre des entrées est la suivante: a)
COMMUN: (i) adj. (ii) n.m.; b) COMMUNE: (i) n.f., (ii) adj. De la même sorte, FINS
"Regiones, Fines" a droit à un macro-article, quoique le macro-article
FIN "Meta, Finis, Terminus" renferme des exemples du
pluriel (E 1549).
La forme qui est consignée dans la nomenclature peut comprendre l'entourage syntagmatique de l'item visé. C'est à dire que l'analyse grammaticale préalable, la réduction à une forme neutre, n'a pas été faite. Par exemple, dans T 1564, le syntagme la patience n'est pas classé sous la lettre P, mais sous L, bien que s.v. Patience on trouve le même item lexical que s.v. La patience. [114]
Terminons la discussion de la primauté de la forme comme principe de classement par l'analyse de deux cas particulierement complexes. Comme nous l'avons mentionné plus haut, DROICT fait l'objet de deux macro-articles basés au départ sur la distinction adjectif/nom. Cependant, dans un premier alinéa, il est rattaché à DROICT (adj.), dans N 1606, une première acception substantive, une deuxième acception adjective, deux autres acceptions substantives et une répétition de sa première acception adjective. Suivent vingt-quatre alinéas-exemples dans lesquels droict apparaît indifféremment comme substantif, adjectif ou adverbe; ensuite, le pluriel est analysé en deux acceptions substantives avec exemples à l'appui. Cela donne:
DROICT, m. | a) | adj. "Directus ... Le contraire est courbe" | ||
b) | subst. "aussi est, Raison, qui est deuë à chacun, Ius" | |||
c) | adj. "qui fait raison à chacun" | |||
d) | subst. "aussi se prend pour les reigles, preceptes & institutions de cette raison" | |||
e) | subst. "en fait de venerie" | |||
f) | adj. "se prend aussi pour Directus" | |||
+ 24 exemples d'emploi: mélange de subst./adj./adv. | ||||
Droicts "en pluriel" | a) | "ores ... redebuances" | ||
b) | "ores ... noms, raisons, & actions ... Iura" | |||
+ 5 exemples | ||||
DROICT, subst. "-, & raison, Ius" | ||||
+ 130 exemples, illustrant le singulier et le pluriel |
Forme | Fonction | |
---|---|---|
escrire escry escrit escrit escrit escrit escrit escrit escrit escrire escrit escrit escrit escriuent escrit escrit escrit escriuions escriray escrit escrit | x 19 x 1 x 2 x 1 x 2 x 1 x 2 x 1 x 1 x 7 x 2 x 1 x 3 x 2 x 1 x 1 x 1 x 1 x 1 x 1 x 1 | V V N V présent de l'indicatif N V présent de l'indicatif V participe N V participe V N V présent de l'indicatif V participe V V présent de l'indicatif N V participe V V N V présent de l'indicatif |
2.2.1.3.3. Appartenance grammaticale ambiguë
"Si nous étudions les écrivains du XVIe siècle, nous sommes frappés tout d'abord de ce fait, que les limites entre les diverses parties du discours étaient loin d'être aussi nettement fixées dans ce temps-là qu'elles le sont aujourd'hui, qu'on substituait facilement un mot à un autre, et qu'ils échangeaient souvent leurs fonctions entre eux." [115] La nomenclature du Thresor recèle, elle aussi, des ambiguïtés de cet ordre. Quoique la terminologie grammaticale de Nicot soit assez complète -- par exemple, nous trouvons des adresses qualifiées dans N 1606 de
2.2.1.3.4. Participes
L'appartenance grammaticale des participes est généralement
considérée comme un problème insoluble, même pour
le français moderne. [118] Chez Nicot, le
participe est présenté sous différentes étiquettes
qui témoignent non seulement de sa polyvalence mais aussi de la
confusion terminologique. D'abord, certaines étiquettes sont
partagées avec d'autres formes non participiales. Par exemple,
l'indication de genre s'emploie tout aussi bien pour les participes (GISANT "m. ... participe" (N 1606), CHAUSSÉ "m. ... participe" (ND 1573), CHAUSSÉE "f. ... participe" (ND 1573), etc.) que
pour les adjectifs (BLANC, NOIR, etc.) et substantifs
(BLANC, NOIR, HOMME, etc.). De même, la terminaison
-us est souvent commune à la traduction latine des noms,
adjectifs et participes passés français, ce qui, en l'absence
d'autres marques, peut maintenir l'ambiguïté fonctionnelle
entière. Par exemple, BASTARD ("Nothus,
Adulterinus" E 1539) peut être adjectif ou substantif; CONFEDEREZ ("Foedere iuncti, Foederati" T 1564) est participe,
adjectif ou substantif. LAISARDIN "Lacertinus" (T 1564)
semble à première vue pouvoir être nom ou adjectif,
quoique le suffixe -inus ne soit normalement utilisé, dans le
cas d'animaux, que pour les adjectifs dérivés, [119] et que le Grand
dictionaire
françois-latin de 1603 y ajoute l'expansion analytique "De
laisard". [120]
Pour ce qui est des
indications de fonction grammaticale, celle de nom/nom
substantif/substantif est clairement délimitée:
Gisant ... tantost est nom substantif, & signifie la basse
perche du brancar d'vn chariot (1606)
ABBREGÉ ... Tantost est substantif, &
signifie epitome & reduction sommaire, & vn brief d'vn escrit, Selon ce on
dit, L'Abbregé des Chroniques de France (1606)
BATANT ... Tantost est gerondif, comme, Il les a
menez batant iusques dans les portes de la ville (1606)
Gisant ... tantost est gerondif, en gisant vous chanterez
(1606)
MONTANT, m.acut. Est proprement le participe
present du verbe Monter, celuy ou celle ou ce qui tire à-mont,
Quod sursum vergit, Ascendens (1606) [121]
ARS, m. En singulier est particip. qui est fait du
verbe Ardre ou ardoir ... & signifie bruslé, comme, Le
palais est tout Ars (1606)
BLASME, m.acut.particip. Est celuy sur lequel le
blasme est mis, Infamia affectus, Cuius existimationi labes allata est
(1606)
Aimant, Amans, Diligens (1539)
COMMIS, tantost est le preterit de commettre &
signifie ores deleguer, comme Ie suis commis à ceste charge ...
& ores perpetrer, comme Il a commis plusieurs crimes (1573)
ARMÉ, m.acut. C'est vn nom participial
adiectif, Armatus ...
ABBREGÉ, m.acut. ... est adiectif de
signification passiue,
ESSOYNÉ ... En passiue signification, celuy
qui a force
Acheué, m.acut.passiuè, Qui est, Transactus,
Absolutus,
2.2.1.4. Formes flexionnelles [124]
Les formes marquées, qui dans les dictionnaires modernes ne constituent
des adresses autonomes que quand elles se distinguent sémantiquement de
la forme canonique, sont représentées parmi les vedettes et les
sous-vedettes du Thresor et du Dictionaire
françois-latin, le plus souvent sans acception particulière.
2.2.1.4.1. En vedette
Le classement alphabétique renferme un certain nombre de substantifs
pluriels et de formes verbales marquées. Le substantif peut s'employer
au singulier et au pluriel et avoir deux signifiés distincts:
ARMES. f. & pluriel (ND 1573) [127]
Pour ce qui est du verbe, on rencontre des formes de l'indicatif:
TACHE, penac. Est ores la premiere & tierce
personne du verbe,
Mentionnons, enfin, un type de "flexion préfixale" [129] formée a l'aide du
mot tres:
2.2.1.4.2. En sous-vedette
Le féminin de l'adjectif est parfois donné en sous-vedette
à la suite du masculin:
BON, m. ... //
BRVN, m.adiectif. ... //
2.2.1.5. Situation et statut dans le texte
La suppression, dans E 1549, des en-têtes de E 1539 [130] compromet dans une
certaine mesure la
consultabilité du dictionnaire, et du point de vue de l'accès
aux articles et de celui des informations que l'on peut en dégager.
2.2.1.5.1. Situation
Trois cas peuvent se présenter:
a) l'en-tête de E 1539 disparaît à l'exception de
l'entrée-vedette, qui est imprimée en grands romains et
placée devant la première sous-entrée:
Les sous-vedettes et les exemples d'emploi, ne bénéficiant pas
d'une retention des en-têtes de E 1539, se voient bien plus souvent
accompagnés d'un antécédent dans toutes les
éditions. Cependant, comme pour les vedettes, N 1606 en ramène
parfois la présentation à une forme plus abstraite. Ainsi, dans
l'échantillonnage 'ABLT', sur les 44 sous-entrées
commençant par un article défini ou indéfini pour
lesquelles une réduction serait possible, N 1606 en traite 11
("L'aage qui de iour en iour s'appesantit ..." > "Aage qui de
iour en iour s'appesantit ...", "Vne table faicte en forme de
croissant ..." > "TabIe faite en forme de croissant ...", etc.).
2.2.1.5.2. Statut
La vedette fonctionne sur trois plans. Sur celui de l'ordre
alphabétique, elle signifie "item de nomenclature", au niveau du
classement dérivationnel, elle signifie "chef de famille" et à
celui du micro-article, "sujet d'énoncé lexicographique". Dans
les trois cas, elle jouit d'un statut d'autonymie et constitue un type. Dans
les sous-entrées de son micro-article, elle apparaîtra
normalement comme un cas particulier (ex: "Aire //
L'aire d'une granche ... // Longues aires es iardins ..." (E
1539)). Dans E 1539, le type est clairement séparé des cas
particuliers, [134]
mais, dès la
suppression, dans la deuxième édition, des en-têtes, la
vedette est souvent à la fois item autonyme et typique, et
élément de sous-entrée. Lorsque la première
sous-entrée du micro-article de E 1539 coïncide avec la vedette,
la suppression, dans E 1549, de l'en-tête ne crée pas
d'équivoque. Par exemple, quand "Ais //
Ais, Asser, Axis" devient "Ais, Asser, Axis", la
virgule après AIS sert de marque
métalinguistique de séparation. [135] Mais, dans le cas
contraire, il y a ambivalence. Par
exemple, lorsque "Auantage. Auantagé. //
D'auantage, Ad hoc ..." devient "d'Auantage, Ad
hoc ...", il faut interpréter la nouvelle présentation comme: a)
vedette: AVANTAGE; b) premier exemple d'emploi de AVANTAGE: D'AVANTAGE (suivi plus loin dans
l'article de L'AVANTAGE, SON AVANTAGE, etc.).
L'énoncé lexicographique explicite serait: "Le mot
AVANTAGE s'emploie dans le syntagme d'avantage
qui se dit en latin ad hoc". [136] Il reste
à mentionner un type de contexte trompeur dans lequel le mot-vedette ne
peut guère être considéré comme le sujet autonome
de la phrase. Il s'agit des items bilingues retournés du
Dictionarium latinogallicum dans lesquels le français sert de
métalangue définitionnelle du latin. Ainsi, dans "La
Tasche ordinaire que par chasque iour ou doibt
faire, Iusta", tasche n'est en fait qu'un élément de
définition d'un mot latin. [137]
2.2.1.6. Accidents
Puisque les accidents sont légion (par exemple: la double existence de
"Accouteur, m.acut. Auscultator" (N 1606), le classement de ALFONSE sous Alo... (T 1564), le changement, dans ND 1573 s.v.
Approprier, de "Approprier à soy ..." en "Approché
à soy ...", la disposition en retrait de la vedette DARTRE, etc), contentons-nous d'en signaler les plus graves.
A. Erreurs de classement. Dans N 1606, le texte compris entre "Instrumentum"
et "Tradere" s.v. Baillet appartient à l'article BAIL; [138] "Toutesfois ...
nouitiorum" s.v. Besant appartient à l'article BERNAGE.
B. Omissions. L'oubli, dans ND 1573, du premier paragraphe de l'article ARROY subordonne "Sans arroy, Nullo ordine" à la
vedette ARROUTER. [139]
Cependant, une omission bien plus sérieuse est celle, dans T 1564, de
tous les items de DISPENSE à DISSIMULER, qui, présents dans E 1539 et E 1549, sont
absents non seulement de T 1564 mais encore de ND 1573 et de N 1606.
Il s'agit très probablement de fautes d'imprimerie.
Cela n'empêche pas que les adresses subissent, d'une façon ou
d'une autre, un traitement sémantique dès la première
édition de 1539. Celui-ci peut être implicite: par exemple, dans
la subordination de dérivés au mot de base, ou dans
l'équivalence conceptuelle du latin, ou encore dans les listes
d'exemples d'emploi. Il est explicite dans le cas de synonymes et de
définitions en français. Puisque le latin renferme, outre des
équivalents, un certain nombre de définitions de l'adresse
française et que la distinction 'synonyme/définition' est a
priori arbitraire, [143] nous trouvons plus utile
de distinguer entre un traitement simple et un traitement composé (ou
analytique). Le traitement simple comprend la plupart des synonymes et des
équivalents; le traitement composé comprend, en plus des
définitions, certains synonymes (ex: "Quadran de mer" s.v.
Buxolle, N 1606) et équivalents (ex: "Tranquillitatem facere" s.v.
Accoiser, E 1539). Comme le traitement en français, isomorphe à
l'adresse, fonctionne de façon radicalement différente du
traitement latin, nous les considérons séparément. Un
mot-adresse peut, bien entendu, recevoir un traitement mixte: dans "FEMELLE, Foemina, Et en fait de nauires, femelles sont les
anneaux qui portent le gouuernail", la première acception est
représentée par un équivalent latin, la seconde par une
définition en français.
Rappelons ici l'introduction, en 1549 et de nouveau en 1564, d'adresses
dépourues de tout traitement. [144] Les
mots dont d'autres membres de la même famille dérivationnelle
reçoivent un traitement sémantique partagent implicitement
celui-ci; c'est le cas, dans E 1549, de BAUDRIER (dans le
même macro-article que BAUDROYER, BAUDROYEUR,
BAUDROYRIE), BRINDELLES (à la suite de
BRIN), BROSSE
(précédant BROSSER DU LIN); et, dans T
1564, de ACCORDABLE (après ACCORDER,
ACCORDANT, ACCORDÉ, ACCORD et avant ACCORDANCE,
ACCORDAILLES), BATAILLON (après BATAILLER et BATAILLE), LABOURIEUSEMENT (à la suite de LABEUR et LABORIEUX), LANGOUREUSEMENT (après LANGUEUR, LANGUIR,
LANGOUREUX), TABOURINET (après TABOUR, TABOURINER et avant TABOURINEUR,
TABOURINERESSE), TANNEUR et TANNERIE (à la suite de TAN). BRINDELLES, BROSSE, LABOURIEUSEMENT et LANGOUREUSEMENT restent les mêmes jusque dans le
Thresor. Dans le cas des composés, le traitement implicite peut
fonctionner au niveau du classement alphabétique. Ainsi, la valeur
d'élément de composition avec "energie de reciprocation"
(N 1606) ayant été notée pour le mot ENTRE, seules 34 sur les 70 vedettes commençant par
S'ENTR(E)... reçoivent, dans leur article, un
traitement quelconque, les autres (S'ENTR'ACCOINTER,
S'ENTR'ACCOLER, S'ENTR'ACCOMPAGNER, etc.) n'étant suivies de
rien. [145] Les mots
suivants n'ont même pas
le traitement implicite des précédents et sont, dans la
nomenclature, des formes sans plus: BARBACANE*, BARGUIGNER,
BARGUIGNEUR, BARRIL*, BARRILLET* (s.v. Barril), BASENNIER* (s.v. Basenné), BRANDILLER*,
BRIMBALER, BRIOCHE* -- introduits en 1549; BASQUE/BASQUAYN, BRANDILLEMENT* et BRANDILLOIR* (s.v. Brandiller), LAMBOURDE*,
TABOURER, TABOUREMENT, TAMARINDE* -- introduits en 1564. Les mots
ci-dessus marqués d'un astérisque restent, dans le
Thresor, sans traitement aucun. La nature du rapport
dérivationnel, implicite lors du premier enregistrement d'un mot, peut
être explicitée dans une édition ultérieure. Par
exemple, TABOURINET, sans traitement explicite dans T
1564, est doté, dans N 1606, en plus d'une définition
analytique, de la qualification "diminutif vsité de
Tabourin". [146]
2.2.2.1. Traitement en latin
Le traitement d'un mot par une langue seconde ne constitue pas une
véritable opération sémantique, puisque seul le concept
peut être commun aux deux. Lanusse et Brunot ont fait remarquer
l'insuffisance dans le Thresor des équivalents latins. Le
premier déplore que Nicot ait laissé entrer dans son
dictionnaire tant de mots reçus d'Estienne ayant pour seule explication
des séries d'équivalents latins, équivalents non
différenciés entre eux. Il cite les articles ALLUMER ("Accendere, incendere, succendere, inflammare,
animare"), APPAISER ET ADDOUCIR AUCUN (plus 17
équivalents), DESROBBER (+ 12 équivalents)
et TUER AUCUN (+ 33 équivalents). Quelle en est
l'utilité, se demande-t-il, pour le lecteur qui ne comprendrait pas le
latin? [147] Brunot
reprend la question au sujet
de Nicot et de Monet: "Les dictionnaires comme le Thresor de Nicot ou
le Parallele de Monet, qui sont vraiment les premiers inventaires de la
langue française, ont encore l'inconvénient de définir
les sens en donnant la traduction latine, ce qui est un moyen commode, et
à l'usage de tous les hommes instruits, quelle que soit leur langue
maternelle, mais ce qui est aussi un procédé un peu vague et
trompeur". [148]
Les séries d'équivalents dont parle Lanusse sont le fait
d'Estienne inversant en 1539 son Dictionarium latinogallicum de
l'année précédente. [149]
Chaque mot latin duquel, dans le DLG, un mot français est
l'équivalent devient, dans le DFL, l'équivalent de
celui-ci.
Comparons, à titre d'exemple, le premier item de l'article LAID dans E 1539 à ses occurrences dans DLG 1538:
Le peu d'utilité des équivalents latins pour la
compréhension du français est particulièrement bien
démontré par les macro-articles dans lesquels la vedette et les
sous-vedettes ont pour toute suite leurs équivalents
étymologiques latins, ce qui est, en fait, simplement dresser deux
listes formellement symétriques. Par exemple:
STIMVLE, Stimulus.
Les choses étant ainsi, comment décider si un mot, suivi dans la
nomenclature d'équivalents latins, peut être
considéré comme y ayant tel ou tel sens? Bloch [157] estime que aigu
"pris au sens grammatical;
accent aigu" n'est pas donné dans la nomenclature du Thresor.
AGU y est traduit "Acuminatus, Acutus, Exacutus" (les
exemples excluent
l'emploi grammatical). N'est-il pas permis de penser que "Acutus" comprenne,
implicitement, ce sens? On ne peut, évidemment, demander l'avis du
lexicographe. Tout ce dont on peut être sûr, c'est que le syntagme
accent aigu, c'est-à-dire le contexte formel qui réalise
la valeur du mot, manque s.v. Agu. De même, tenu "sens
grammatical de consonne ténue" peut-il ou non être compris dans
"TENVE ... Tenuis"? [158]
Hésitant à repondre oui ou non à ces questions, on
admettra tout de suite l'intérêt des contextes fournis par
l'article ACCENT à aigu et par AIGUILLE à tenue. Parfois une acception que l'on
peut estimer implicite dans une des éditions d'Estienne est
explicitée ultérieurement, surtout dans les éditions de
Nicot. Par exemple, en 1606, Nicot ajoute à AAGE:
"& quelquefois signifie vn traict & peloton d'années. AEuum,
seculum, selon ce lon dit, les Aages du monde estre six", acception que
l'on pouvait voir dans "AEtas" dès 1539. De même, "BACHELIER ... est le premier degré que prennent ceux
qui estudient en theologie, en droit, ou en medecine. Qui è
tyronibus excessit" (N 1606), précise l'interprétation de "BACHELIERS, Qui è tyronibus excesserunt" (E 1549). Le
sens figuré de TACHE, absent des exemples
d'emploi du Dictionaire
françois-latin, pourrait être entendu dans le latin
traduisant l'adresse ("Macula, Labes"); N 1606 ajoute: "& par metaphore,
Blasme, comme, Ce luy est vne grande tache à son honneur,
Existimationi ingens macula atque labes est".
Quelles sont les limites de l'influence du latin? ARTICLE
est qualifie "il uient de Articulus" (E 1549) traitement explicitement
étymologique mais non d'équivalence. [159] Il faut donc chercher le
sémantisme de
article dans les exemples d'emploi; ceux-ci excluent le sens
grammatical (en latin articulus). Lorsqu'une adresse est définie
en français avant d'être traduite en latin, il faut
considérer que le latin équivaut à l'aire d'emploi ainsi
délimitée. Le sens de arbre "mât" (en latin
arbor) n'est donc pas à chercher dans: "ARBRE ... Signifie en general toute plante de grosses
racines, gros tronc escorçu, esleuée en feuillu & escorçu
branchage, Arbor" (N 1606).
Il n'est pas rare de rencontrer dans le Thresor des phrases bilingues,
c'est-à-dire des phrases appartenant au discours lexicographique qui
commencent dans une langue et se terminent dans une autre. À cet
égard, Lanusse [160] cite les articles
BOUTEILLE ("Les Hebrieux appellent vne bouteille
Bacbuc, & semble que Bacbuc & bouteille soient nomina ficta à sono
quem edit lagena quando depletur inuersa" -- depuis 1549) et BASTELEUR (dep. 1564). On ne s'étonne donc pas de lire
de temps à autre une définition donnée en latin: "AISCEAV, Ascia. Instrumentum est incuruum quo dolantur ligna
vna manu" (E 1549); [161] "ALBRENT ... Pullus est anatis, nondum iustam magnitudinem
adeptus vt anas dicatur, Canet sauuage. C'est aussi vne cane ou canard
sauuage qui a mué, Anas deplumis" (T 1564); "ARQVEBVSE. Polydorus en son liure de inuentoribus dit
ainsi: Bombarda vocatur à Bombo, id est sonitu ... Eius nunc plura
fiunt genera ..." (T 1564 -- les 17 lignes de commentaire latin datent en
majeure partie de l'appendice IV de E 1549). [162]
La langue de traduction n'est pas toujours le latin. Par exemple, s.v. Chace
(N 1606), les locutions ALLER A LA CHACE, FAIRE UNE CHACE,
ENVOYER A LA CHACE et ESTRE A LA CHACE sont toutes
traduites seulement en grec. Les cas sont légion dans lesquels, en plus
d'une traduction latine, Nicot donne des équivalents italien et
espagnol: "CHASSEVR ... Caçadous en Espaignol,
Cacciatore en Italien, Venator" (ND 1573 s.v. Chac...).
2.2.2.2. Traitement en français [163]
2.2.2.2.1. Statut de la séquence définitionnelle: langue,
métalangue et monde
L'analyse contemporaine du texte lexicographique s'occupe des niveaux de
fonctionnement de ses composants. On fait une distinction, d'abord, entre,
d'une part, le mot-adresse de l'article et son traitement implicite par les
exemples d'emploi, qui relèvent de la langue, et d'autre part, le
traitement explicite du mot-adresse par les énoncés
définisseurs et les informations orthographiques, phonétiques,
étymologiques, grammaticales, stylistiques, etc., qui appartient
à la métalangue. [164] Lors de
l'examen des séquences définitionnelles, on essaie de
séparer celles qui peuvent sortir du dictionnaire pour s'employer
également en langue de celles qui ne fonctionnent qu'en
métalangue. [165] Dans une autre approche,
on distingue le synonyme de la définition, le premier étant une
variante de l'adresse et appartenant toujours à la langue. [166]
Un moyen de décider si une définition peut fonctionner
normalement en langue est de juger de sa probabilité d'y
apparaître. Ainsi, on dira que "Administrer ses affaires" (DFC 1967 s.v. Gérer) a
l'air moins
marqué que "Science qui a pour objet la description de la Terre" (DFC
1967 s.v. Géographie), qui ressemble toujours à une
definition. [167] Une
épreuve plus
objective est celle de la commutation, dans laquelle, dans un contexte
donné, on essaie de substituer le définisseur au défini.
Les deux exemples cités ci-dessus donnent alors des résultats
différents des premiers. "Science qui a pour objet la description de la
Terre" a des chances de pouvoir se substituer à
géographie ("étudier la -"), tandis que "Administrer ses
affaires" ne peut jamais remplacer gérer transitif ("- son capital").
L'utilisateur à la recherche d'un synonyme saura normalement
interpréter la définition, bien qu'il fût bien mieux servi
par une présentation comme "Administrer (ses affaires)". [168] La distinction entre
synonyme et définition
est fondée sur la notion de lexicalisation, puisque seuls des items
lexicaux ou lexicalisés peuvent fonctionner comme synonymes. Les
synonymes sont le plus souvent simples (BOURRASQUE "syn.:
TOURMENTE" (DFC 1967)), mais peuvent être
analytiques (BOURRADE "syn.: COUP DE
COUDE" (DFC 1967)).
Ce sont toujours les dictionnaires de la langue contemporaine qui fournissent
le champ d'investigation à ces méthodes, et cela pour deux
raisons. Ce sont les plus systématiques, et la langue qu'ils
décrivent et qu'ils utilisent comme métalangue relève de
la compétence linguistique de l'analyste. Comment, cependant, aborder
un dictionnaire ancien, qui en plus de son manque de normalisation, renferme
la description d'un état de langue passé? On ne peut encore rien
dire du degré de lexicalisation des unités. Dans E 1549 s.v.
Babillard, on lit: "Vng babillard, Vng rapporte nouuelle, Vng deceleur de
secrets, Aius locutius". D'après sa construction, rapporte
nouvelle semblerait être un composé, donc un item
lexicalisé; effectivement, dans la nomenclature s.v. Rapporter, on
trouve: "Vng rapportenouuelle, Rapporteurs de nouuelles, Rumorum
expectores". Quant à deceleur de secrets, sa construction ne
laisse rien déduire; la nomenclature donne bien "Deceleur de
secret, Proditor arcani, Index" (comme aussi "Decelement de secret,
Arcanorum proditio, Indicium"), mais rien ne permet de dire que la
séquence française n'a pas été créée
en fonction du latin. Les mots simples, non plus, ne sont pas toujours
assurés d'un statut linguistique: dans E 1549 (et encore dans le
Thresor), le mot BRIGADER est défini
"Compaigner". Compaigner n'est pas donné dans la
nomenclature, ce qui ne signifie évidemment rien; pourtant, dans N
1606, on lit s.v. Accompagner: "Composé de ad & compagner
inusité". On est amené à conclure que du temps
d'Estienne le mot s'employait mais qu'à la fin du siècle il
était sorti de l'usage. [169] Dans
l'impossibilité de statuer sur l'appartenance linguistique des
définisseurs, il est donc plus utile de les considérer tous
comme fonctionnant en métalangue.
La justesse du terme de métalangue appliqué à toutes les
séquences définitionnelles peut encore être mise en doute
dans le cas des définitions encyclopédiques. Si l'on admet que
la définition d'un signe linguistique relève de la
métalangue, on ne peut guère pretendre la même chose pour
celle d'un objet (non linguistique). Comment distinguer une définition
encyclopédique d'une définition linguistique? Pour J.
Rey-Debove, la première peut être caractérisée
comme "excédant les traits sémiques pertinents dans une analyse
componentielle du sémème de plusieurs mots". [170] Puisque cette analyse n'a
jamais été
faite de façon suivie par les lexicographes, tout dictionnaire de
langue renferme un très grand nombre de définitions
encyclopédiques. [171] Et cela pour une
raison pratique: "la définition /./ doit dans de nombreux cas
excéder l'analyse sémique, car si les définitions
n'étaient ni redondantes ni encyclopédiques, elles se
transformeraient en énigmes ou en devinettes". [172] La définition
encyclopédique pouvant
donc qualifier un mot ou une chose, c'est la nature de l'entrée qui
devra décider du statut de la définition.
L'énoncé lexicographique qu'est l'article de dictionnaire
contient un certain nombre de composants (adresse, catégorie
grammaticale, prononciation, définition(s), exemples d'emploi, etc.) --
semblables aux mots lexicaux de la phrase linguistlque -- articulés au
moyen de copules, copulatives, circonstants, etc., (les mots outils du
discours linguistique). La plupart de ces connecteurs sont, dans les
dictionnaires modernes, des signes symboliques (signes de ponctuation),
d'où parfois une certaine ambiguïté
d'interprétation. "POULAIN. Petit du cheval",
discours sur le mot, est à lire: "Le mot poulain signifie 'petit
du cheval'"; comme discours sur la chose: "Le poulain est le petit du cheval".
"La définition est une définition de chose avec la copule
être, mais elle n'est qu'une propriété du signe
avec la copule signifier." [173] Chez
Nicot, les choses ne se passaient pas exactement de la même
façon, puisque même dans le cas, fréquent, de
l'explicitation (linguistique) de la copule, on ne peut toujours dire pour
certain s'il envisageait l'adresse comme un mot ou comme une chose, ou s'il ne
faisait tout simplement pas la différence. Pour nous en tenir aux noms
communs (lieu de rencontre du mot et de la chose), nous remarquons que la
copule la plus fréquente est être:
BACCHANALES, estoient les festes ... (T 1564)
BADELADRE ... est vne maniere d'espée
(N 1606)
BAGVE ... c'est proprement vng anneau (ND
1573)
BARLVE ... Se prend pour vne offuscation (N
1606)
BATVS ... signifie la confrairie de ceux qui
... (N 1606)
Tablier pour une grande nappe fort large (E 1549)
Tabouret ... Signifie ... ce petit siege ... (N 1606)
TACHE ... ores est nom f. gen. & signifie
vne macule ou souillure ... & par metaphore, Blasme (N 1606)
TASCHE ... Est ores nom f.gen. Qui signifie
ce qu'vn ouurier ou artisan a entreprins (N 1606)
2.2.2.2.2. Définition, unité de traitement et
élément d'entrée
Les copulatives '&', 'ou' et ',' peuvent se placer entre
des variantes-adresses, tout comme elles peuvent séparer le mot-adresse
de son traitement définitionnel. [176] Des
trois, c'est & qui est le plus souvent appelé à
introduire une précision de sens. Ainsi, destorse au sens de
"pliement ou flechissement" se traduit en latin "Flexus", tandis qu'au
sens de "fouruoyement" il se dit "Aberratio":
Arracher & desplanter, Explantare
S'arrester & seiourner en quelque lieu,
Affermir & fortifier, Firmare
Amollir & fondre, Liquefacere
> Appert ... C'est viste, isnel & habile (N 1606)
Les faits & prouësses d'aucun (s.v. Fait)
Faits d'armes, sont prouësses & vaillances d'vn Cheualier en
combattant. Ainsi dit on, les hauts & grands faits d'armes d'vn tel
(s.v. Armes)
ISNEL, prompt, vif, legier, habile (T
1564)
Brusquement, Ferociter. Rudement, malgratieusement,
hastiuement (T 1564)
DESHAICT, tristesse, marrisson, contens, desbat,
desordre (ND 1573)
Allee & uenue, Itus & reditus, Obseruatio.
2.2.2.2.3. Paraphrases de décodage & paraphrases d'encodage
La section précédente contient beaucoup d'exemples dans lesquels
une lexie française peut être considérée à
la fois comme synonyme de l'adresse (décodage) et, au même titre
que l'adresse, équivalent du latin subséquent (encodage) -- par
exemple, desplanter dans "Arracher & desplanter, Explantare" (E
1539). Dans le dictionnaire latin-français, les deux mots
français étaient les équivalents de l'entrée
latine (décodage): "EXPLANTO ... Arracher &
desplanter".
Lorsque, dans le Dictionarium latinogallicum, le mot latin n'avait pas
d'équivalent simple en français, Estienne donnait souvent une
paraphrase:
Nectarites, Vng breuuage faict de [Enule campane]
SAPRVM ... Vne sorte de bruuage faict de pommes de
bois seiches broyees auec du sel & du uin
Il est relativement aisé de déceler ces entrées dans le
Dictionaire françois-latin; elles comprennent une très
grande partie des items bilingues, dont la plupart sont gardés dans
toutes les éditions et dans le Thresor. Il arrive, pourtant, de
temps à autre, que Nicot s'y attaque. Voici cinq entrées
consécutives de l'article TABLE dans E 1539 toutes
héritées de DLG 1538:
Abbayant ... tantost est nom, comme, Tu es vn abbayant
(1606)
De même, celle de gerondif/gerundif:
Abbayant ... Tantost est gerundif, comme, Tu me suis abbayant,
ou en abbayant (1606)
Entre ces deux extrêmes, la terminologie et les fonctions sont plus
difficlles à analyser. Pour la forme du participe présent, nous
trouvons quelques exemples de l'étiquette participe:
Gisant ... Tantost est participe venant de Gesir, & signifie
celuy qui gist, Iacens. ainsi on dit, Il est gisant malade en son
lict (1606)
L'utilisation du même terme pour le participe passé ne traduit
pas une même fonction:
Accordé, m.acut.particip. Qui pactionem iniit, comme, Il
s'est accordé auec son ennemy (1606)
Le participe présent, en tant qu'unité de traitement, n'est
généralement admis à la nomenclature qu'à titre
d'adjectif après le traitement du verbe:
Abondant. m. Abundans, Affluens, Huber, Hubertus,
Cependant, ABHORRANT "m.acut. Celuy qui abhorre &
deteste quelque chose, Abhorrens, Abominans. // Ie ne suis trop
abhorrant de ceste opinion" se présente, dans N 1606, plutôt
comme une forme verbale opposée à abhorrente ("lon dit
vne chose estre abhorrente, quand elle est outre la commune & vsitée
facon de faire" caché s.v. Abhorrir), tandis que, dans ND 1573,
l'article ABHORRANT de 1606 était
"Abhorrent. m. Celuy qui abhorre & deteste quelque chose.
Abhorrens, Abominans. // Ie ne suis trop abhorrent de c'este opinion".
Pour sa part, l'article RIMANT cache un emploi
substantif:
Profusus //
Abondante, f. comme, Abondante nourriture
Homme abondant & riche (1573)
Rimant, m.acut. Celuy qui fait des Rimes. Marot ... Car
vois tu bien la personne Rimante. Selon ce on pourroit dire, c'est vn
Rimant, pour vn faiseur de rimes (1606)
Plus fréquent, dans le classement dérivationnel et même
dans l'ordre alphabétique, est le participe passé dont
l'appartenance grammaticale est aussi plus ambiguë. Il est parfois
qualifié de preterit:
ABBREGÉ ... tantost est chascune des trois
personnes du temps preterit parfait, auec adionction de ce verbe, ay,
comme, I'ay abbregé, tu as abbregé, il a abbregé
(1606)
- emplois actifs et passlf. L'étiquette la plus usuelle, lorsqu'il en
porte une, est celle d'adjectif/nom participial
adjectif/adjectif de signification passive/passive
signification:
Abysmé, m.acut.adiectif. Est ietté ou
lancé en abysme ...
Le village de Frittole ... a esté
abysmé //
Abysmée, f.penac.adiectif. //
Villes abysmées (1606)
vn cheual armé ... Il estoit armé de
picque &
corselet (1606)comme, Son propos est abbregé
(1606)de coups & battures est rendu impotent
... Est prins pour
impotent (1606)
Liure acheué (1606) [122]
Plusieurs facteurs concourent à faire du participe passé avant
tout une forme. Il peut être classé avant l'infinitif:
Suivant l'infinitif, il peut mériter dans le macro-article la
même attention:
ABYSME
Abysmé
Abysmée
Abysmer (N 1606)
ACHEMES
Achemé
Achemmer (ND 1573)
ACCABLER, C'est affouler aucun de coups
pesans, l'aterrer
Accablé, m. Obrutus, Oppressus.à force de pesanteur, & de charger sur luy,
Opprimere
aliquem, Obruere.
Accablée, f. Obruta, Oppressa. (ND 1573)
ou y jouir d'une indépendance totale:
Le plus souvent, le statut d'unité de traitement coïncide avec la
première occurrence, dans une entrée de macro-article, de la
forme du participe passé (cf. ACHETÉ,
ASSEMBLÉ, BLASMÉ, COMMIS, etc.). Cela a parfois pour
conséquence de faire interposer entre le verbe et l'emploi actif du
participe un emploi passif de celui-ci:
ACCOMPAGNER
Accompagnable
Accompagné
Accompagnée
Accompagnement (N 1606)
ACCORDER
Accordant
Accordante
Accordé
Accordée
Accord
Accordable
Accordance
Accordailles (ND 1573)
Lorsque le participe-passif-adresse ne coïncide pas avec la
première occurrence du participe-forme, il peut toujours être
suivi d'un emploi actif (ACHEVÉ 1606), être
précédé d'un emploi passif (ACCOURCI
et ACCOURCIE 1573, ACCUSÉ
1549), ou, enfin, constituer le passage de l'emploi actif à l'emploi
passif (ABANDONNÉ 1606). C'est uniquement dans le
dernier cas qu'il est situé d'après sa fonction.
ABBATRE ...
I'ay tout le cueur abbatu ...
Ils m'ont abbatu ... (E 1549)> ABBATRE ...
Abbatu. m. Deiectus
I'ay tout le coeur abbatu ...
Ils m'ont abbatu ... (ND 1573)> ABBATTRE ...
Abbatu, m.acut. De signification passiue ...
I'ay le coeur tout abbatu ...
Ils m'ont abbatu ... (N 1606) [123]
BARRE, f.pen. Est en general vne piece de bois
//
ou qui se recoupent:
BARRES, en pluriel se prend ores pour exceptions
& defenses ...
se prend aussi pour l'endroit de la maschoire du
cheual où ... (N 1606)
La fin de quelque chose que ce soit, Meta, Finis,
Le pluriel peut masquer le singulier: "ARRIERAGES, Reliqua" (E 1549) est suivi des deux
sous-entrées "Demeurer en arrierage, ou en reste, Reliquari //
Celuy qui est en reste & arrierage, Reliquator", tandis que, s.v.
Arrerage, le singulier ne sert qu'à introduire le pluriel:
"Arrerage singul. & arrerages plur. m.penac. Sont restats
... Reliqua" (N 1606). Le singulier peut ne pas être nominal:
Terminus //
Fins & limites, Regiones, Fines (E 1539 s.v. Fin
et Fins) [125]
ARS, m. En singulier est particip. qui est
fait du verbe
ou peut ne pas s'employer:
Ardre
... Et en pluriel, les Ars signifie les
espaules
d'vne beste cheualine (N 1606)
Archifs [fausse sous-vedette [126]],
m.acut. En pluriel (car
ne se trouue vsité au nombre singulier) est
... (N 1606)
ARS ... aussi est verbe ... & est la
seconde
personne du present de l'indicatif
(N 1606) IRA, IRAY, cerchez Aller //
Il n'en ira ... pas ainsi ... //
Ie m'en iray d'auec toy ... (E 1539)
duquel l'infinitif est Tacher
(N 1606 -- cf. TASCHE)
ainsi que des formes participiales: ARS, AYANT, BATANT,
GISANT. [128]
TRES, Est vne partie indeclinable, laquelle
ores est preposee
Suivent 47 vedettes (vedettes et fausses sous-vedettes typographiques)
commençant par TRES- (superlatif): TRESACERTES, TRESBIEN, TRESCHER, etc.
au positif, forme le degré superlatif, n'ayants
les François
Doctior, & Tres pour
le superlatif,
les terminaisons comparatiues & superlatiues ainsi que les
Grecs, Latins,
Italiens & Espagnols: ains preposent au positif ceste diction
indeclinable,
plus pour le comparatif, plus docte,
tresdocte, Doctissimus (N 1606)
AAGÉ, m.acut.adiectif ... //
Aagée, f.adiectif.penac. Est vsurpé és
mesmes
significations que Aagé, masculin adiectif
... (N 1606)
Bonne, f.penac. Se prend és mesmes deux
sortes que Bon
... (N 1606)
ou en fausse vedette:
BLAFFART, m.acut. Qu'on deuroit escrire
Blasphard ...
Les pronoms et déterminatifs, lorsqu'ils sont donnés dans la
nomenclature, sont souvent regroupés pour un traitement d'ensemble,
explicitement comparatif chez Nicot. CELLE-LA et CEUX sont donnés en début d'alinéa s.v.
Celuy; CETE, CETE CI, CETE LA, CETUY, CESTUY CY, CESTUY LA,
CESTE...LA, CESTUY-CI, CESTUY-LA sont tous en début
d'alinéa s.v. Cet, la plupart suivis d'une marque
métalinguistique et ayant donc le statut de sous-vedette plutôt
que celui de simple forme flexionnelle. Un item polymorphe peut être
classé soit comme sous-vedette (CELLE-LA s.v.
Celuy) soit dans l'ordre alphabétique (CELLE).
L'habitude de Nicot de construire des articles développés a pour
résultat d'y engager bon nombre de termes subordonnés qui, de ce
fait, sont perdus pour le classement dérivationnel. Si, dans le cas des
mots outils polymorphes, on considère les différents termes d'un
paradigme comme autant de formes flexionnelles, on peut admettre que SA (s.v. Son) et DE L' (s.v. Du), par
exemple, appartiennent à la nomenclature. Parfois, un terme est
à chercher à deux endroits differents: LE
(s.v. La) et TOY (s.v. Moy) sont donnés
également dans l'ordre alphabétique; CETTE / CETE est donné s.v. Ce et
Cet. Cependant, au
niveau du classement dérivationnel, ce sont les formes participiales
qui sont données en assez grand nombre depuis la première
édition du dictionnaire. En effet, E 1539 les annonce dans
l'en-tête aussi bien que par la typographie dans le corps du
macro-article:
BLAPHARDE, f.penacut. ... (N 1606)
BRVNE, f.penac. Tantost est adiectif ...
//
BRVNETTE, f.penac. Tantost est adiectif ...
(N 1606 -- de 1549 à 1573 BRUNETTE est
correctement
imprimé, de même que BRUNE en
1573)
Parfois le seul en-tête leur donne statut de sous-vedette (ABBREVÉ, ACCOMPAIGNÉ, ACCOURCI, ANIMÉ) ou,
au contraire, la seule typographie (ACCORDANT, ACCOUSTRÉ,
AFFOIBLI, ASSEMBLÉ en saillie; ACCOSTÉ signalé d'un pied-de-mouche). La
suppression, dans E 1549, des en-têtes, suivie de celle, dans T 1564,
des distinctions typographiques a pour résultat de faire perdre
à un certain nombre de participes leur statut d'unité de
traitement. Ainsi, ACCOURCI n'est plus sous-vedette dans
E 1549; en revanche, en plaçant la sous-entrée "Tout
abbreué ..." en saillie, Estienne compense en 1549 la perte de
l'en-tête ABBREVÉ. Dans le macro-article, la
première occurrence du participe-sous-vedette est ou autonyme
("Abandonné, Desertus", "Absouls, Absolutus", etc.) ou
engagée dans un item autonyme plus large (les exemples d'emploi: ABBREVÉ dans "La terre n'est point abbreuee de
pluyes, ou mouillee ...", ACCABLÉ dans
"Estre accablé de quelque chose qui chet sur nous ...", etc.).
Dans le premier cas, la perte, dans T 1564, des distinctions typographiques
n'entraîne pas celle du statut de sous-vedette; en revanche, dans le
second cas, rien ne distingue ces items des sous-entrées de la forme
canonique, et, de la sorte, le participe devient un simple exemple d'emploi de
celle-ci. Ainsi, sont exclus de la nomenclature dérivationnelle de T
1564, entre autres, les participes suivants: abbrevé,
accablé, accompli, accosté, affermi,
etc. Abbrevé, accompli, accosté et
affermi le seront encore en 1606. Cependant, ND 1573 et N 1606, en
extrayant bon nombre de vedettes et de sous-vedettes des sous-entrées
dans lesquelles elles se trouvaient imbriquées, refont de plusieurs
participes des unités de traitement et en créent d'autres
nouvelles, surtout les féminins; ainsi, on trouve dans le
Thresor: "Accablé, m.acut. Obrutus //
Accablée, f.penac.", etc.
Abbaisser, Deprimere ...
ABBAISSER. ABBAISSE.
ABBAISSEMENT.
Abbaisser, & fouler ...
Abbaissé, Deiectus ...
Abbaissement de ...
Abbaissement de ...
b) on garde la vedette de l'en-tête et on la fait suivre d'un
commentaire étymologique:
Bride.
Brider.
Vne bride, ou la reine d'une bride ...> Bride. Vne bride ou la
reine d'une bride ...
c) l'en-tête disparaît complètement et la première
occurrence du mot-vedette est imprimée en grands romains:
Abbaisser.
Abbaissé. Abbaissement.
Abbaisser, Deprimere, Recellere. > Abbaisser. Semble que
Bas uienne de ce mot Grec ...
Abbaisser, Deprimere, Recellere, Demittere ...
Aborder.
Abordement.
Aborder, Appellere.> Aborder, Appellere, Applicare
Accabler.
Accablé.
Accabler quelcun, Opprimere aliquem.> Accabler quelqu'ung, Opprimere
aliquem, Obruere.
C'est le dernier cas ("Vng homme Lay") qui nuit
à la consultation de la nomenclature, puisque la vedette n'est plus en
début de ligne. Ce type se rencontre 99 fois pour les 1269 vedettes
typographiques des lettres A, B, La et Ta de E 1549. T 1564 ajoute un certain
nombre d'exemples (pour un total de 131 sur 1689 vedettes typographiques),
tandis que ND 1573 (109 sur 1745) et N 1606 (87 sur 1822) en suppriment
quelques-uns. L'antécédent [131] est
le plus souvent un déterminatif: "Vng Lac"
(1549), "Le Talon" (1549), "De la Laine" (1549), "nos Antecesseurs"
(1564) -- ou un pronom: "s'Annonchalir" (1549), "il Appert" (1549). Un adjectif peut être
précédé d'un nom: "Homme Adestre" (1564) -- d'une relative: "Qui est Tard" (1549) -- ou d'un adverbe: "Si Adueillé" (1564). Outre un déterminatif,
l'antécédent d'un nom peut être une préposition:
"En Bloc" (1564) -- ou une séquence
métalinguistique: "Vne herbe qu'on appelle du Laceron" (1549), "Vne beste qu'on appelle Taisson" (1549).
Le jeu des caractères romains et italiques et des lettres majuscules et
minuscules permet trois types de présentation conformes au
système:
Lay.
Vng homme lay qui n'ha nul degré de clericature,
Laicus, Profanus.> Vng homme Lay qui n'ha nul
degré de clericature,
Laicus, Profanus.
et deux types non conformes:
a) antécédent Vedette ex:
l'Astour (en 1549) b) Antécédent Vedette
ex: Vng Laquay (en 1549) c) antécédent Vedette
ex: vn Animal (en 1564)
De la sorte, l'antécédent peut, lorsqu'il est imprimé en
caractères romains, faire partie de l'adresse typographique. C'est la
pratique la plus fréquente dans E 1549 et T 1564, quoique rare dans ND
1573 et N 1606. Voici un tableau du nombre d'exemples, dans les lettres A, B,
La et Ta de chaque édition, des différents types de
présentation des entrées-vedettes à
antécédent:
d) Antécédent vedette ex:
Les alpes (en 1549 et 1564) e) Antécédent Vedette ex:
Vn Buffet (en 1564)
Lorsque l'antécédent est imprimé en italique, le
début de la phrase lexicographique semble être senti comme
coïncidant tantôt avec l'antécédent
("Antécédent"), tantôt avec la vedette
("antécédent"). [133]
Type E 1549 T 1564 ND 1573 N
1606 a) 55 62 8
8 b) 38 52 43 59
c) 0 13 56 17
d) & e) 2 4 2
3 [132] Total 95 131 109 87 2.2.2. Délimitation sémantique
Après s'être préoccupé dès 1531 de
l'interprétation juste du latin classique, [140] Estienne donne son
attention, en 1549, à la
question de l'établissement de "certaines reigles ... pour
l'intelligence des mots" français. [141]
Ainsi, on voit apparaître dans la deuxième édition du
Dictionaire françois-latin un certain nombre de
définitions dérivationnelles. [142]
Cependant, il faut attendre que Nicot prenne l'affaire en main pour voir les
premières véritables analyses de sens.
On notera que difforme ne se rencontre en 1538 que dans deux articles
sur six et que laid s.v. Perturpis (et implicitement s.v. Perhorridus)
est précéde de fort. Espovantable et
difforme, respectivement s.v. Horridus et Turpis, sont seuls des
équivalents de ceux-ci à ne pas être repris par les formes
intensives PERHORRIDUS et PERTURPIS.
Dans quelle mesure donc ces séries d'équivalents,
français en 1538, latins en 1539, représentent-elles des listes
arbitraires? Il est certain que les séries d'équivalents
français du DLG sont plus réflechies que les
séries
latines de 1539, résultat d'une opération largement
mécanique.
1539 Laid, & difforme, Deformis, Horridus,
Perhorridus, Foedus, Turpis, Perturpis.1538 Deformis ... Laid, Difforme,
Deffiguré. Horridus ... Hideux, Laid, Effroyant, Affreux,
Espouantable.Perhorridus ... Fort hideux, Laid, Effraiant
& affreux. Foedus ... Laid & ord. Turpis ... Vilain, Laid & difforme. Perturpis ... Fort laid & uilain.
AGILE, Agilis.
A. Rey parle de l'ambiguïté du latin de la Renaissance, de sa
fonction double: "langue modèle ou langue de passage, le latin est pris
comme véhicule des signifiés, instrument analytique et
intemporel". [151] Dans
les dictionnaires latins
d'Estienne et dans la première édition de son Dictionaire
francoislatin, le latin sert de langue modèle et est le latin
classique. [152]
À partir de 1549, le latin
du dernier ouvrage est subordonné au français et doit tant bien
que mal y repondre. [153] Son rôle de langue
de passage devient évident dans la troisième édition,
lorsque Dupuys y parle de l'utilité que le dictionnaire apporte aux
étrangers apprenant le français. [154] Enfin, qu'il soit
classique ou non, le latin ne
constitue pas toujours une traduction littérale du français.
Quand c'est pour mieux rendre le sens d'une locution métaphorique,
comme c'est le cas, par exemple, du français traduisant le latin du
Dictionarium latinogallicum de 1546, [155]
l'utilisateur y gagne; mais lorsque GRESLE est rendu par
"Obesus", il est plutôt mal servi. J. Darbelnet résume le
problème: "Dans le passé, les dictionnaires [bilingues] se sont
surtout attachés à réunir des équivalents,
c'est-à-dire à traduire des mots par d'autres sans trop se
préoccuper des limites de leur équivalence. [156]
Agilité, Agilitas.
Agilement, Agiliter. (E 1549)
Stimuler, Stimulare.
Stimulation, Stimulatio.
Stimulateur, Stimulator.
Stimulatrice, Stimulatrix. (E 1549) [150]
BAC ... est vn grand bateau (N 1606)
souvent c'est:
BAGAGE ... C'est le menu equipage que ... (N
1606)
On rencontre également signifier:
BACELE ... signifie Chastellenie (ND 1573)
se prendre pour:
BARRES ... se prend ... pour exceptions &
defenses (N 1606)
ou pour:
BAC, pour vaisseau à nauiger (N 1606)
Cependant, signifier, se prendre pour et pour sont
souvent suivis de l'article:
BANDE ... signifie proprement vne piece de quelque
estoffe (N 1606)
et être peut s'employer sans article:
Ban, c'est cry publique (ND 1573)
Les différents termes s'interchangent à l'intérieur d'un
même article suivant les exigences de la syntaxe ou du style:
BAFFROY, BAFFRAY ... est vn taudis ...
Et ... on appelle en quelques lieux des noms susdits vne bien
grande & maistresse cloche ... Baffray aussi se prend pour vne
bastille ... (N 1606)
La copule reliant l'adresse à l'indication de sa classe grammaticale
est généralement implicite chez Nicot, n'étant
exprimée que par une virgule. Lorsque l'adresse est une forme ayant
dans la langue plusieurs fonctions grammaticales, [174] cette copule est souvent
explicitée par le
verbe être, celle introduisant la définition étant
alors le plus souvent signifier:
BATANT ... tantost est nom substantif masc.
gen. & signifie ceste grosse piece de bois ... (N 1606)
Au niveau de la définition, comme à celui de l'article en
général, la frontière entre le mot et le monde est donc
floue. [175]
Destorse & pliement ou flechissement, Flexus. //
Notons tout de suite que ce procédé, que B. Quemada appelle "la
coordination traductive", [177] n'est
utilisé, dans le DFL-Thresor, que par Estienne et a son origine
dans le dictionnaire latin-français; [178]
de ce fait, son utilité traductive n'est, dans le dictionnaire
français-latin, que fortuite.
Pour Livet, les deux mots français étaient nécessaires
à l'analyse du latin, [179] argument
réfuté par Brandon qui n'y voit que des synonymes, le
deuxième indiquant le sens du premier; [180] avis partagé par B.
Quemada. [181] Il est possible, dans un
certain nombre de cas,
d'appuyer cette seconde opinion par l'épreuve de la commutation. Par
exemple, dans E 1539, "Flexus" est donné comme traduction non seulement
de "Destorse & pliement ou flechissement", mais également de
PLIEMENT et de FLECHISSEMENT. De
même, "Aberratio" sert a traduire, d'une part "Destorse &
fouruoyement", et d'autre part FOURVOYEMENT. Voici
d'autres exemples tirés de E 1539:
Destorse & fouruoyement, Aberratio. (E 1539)
Laid, & difforme, Deformis ... Turpis
L'évolution d'un article permet parfois d'établir la synonymie
de deux termes:
Difforme, Deformis, Turpis
Desplanter, Explantare
Considere apud aliquem locum
Seiourner en quelque lieu ... Considere
apud aliquem locum
Fortifier ... Firmare
Fondre ... Liquefacere
Appert & habile (E 1549 s.v. Appert)
Les éditions 'françaises' du dictionnaire, traitant
explicitement les entrées françaises, peuvent, dans la
définition, utiliser & entre deux synonymes:
ADVEV ... C'est confession & recognoissance,
Agnitio, Professio (N 1606 -- cf. "Confession de scedule, c'est
recognoissance & adueu d'icelle. Agnitio chirographi" (ND 1573),
"Recognoissance, Agnitio, Recognitio" (E 1539))
La vérification n'est pas toujours possible: "Tournoyemens &
destorses, Flexiones & diuerticula" est identique s.v. Destorse et s.v.
Tournoiement (E 1539); la traduction 'Malacissare" n'est pas donnée
pour PESTRIR s.v. Pestrir, alors que s.v. Amollir on lit:
"Amollir & pestrir, Malacissare" (E 1539). Il y a des cas pour lesquels
on hésite à parler de synonymie:
Seicheresse & bruslure es herbes, arbres, & autres plantes, Vredo
(E 1539 s.v. Bruslure et s.v. Seicheresse)
Dans d'autres cas la synonymie est évidemment impossible:
Tanieres & autres lieux ou les bestes se retirent pour dormir,
Cubilia ferarum (E 1539)
La synonymie n'est, bien entendu, fonctionnelle qu'au niveau du discours, et
dans la langue une indication de synonymie n'est guère plus
significative qu'une équivalence bilingue. L'intersection des aires
sémantiques de deux mots synonymes occupe une proportion variable de
l'aire totale de chacun et cette proportion ne peut être montrée
que par l'analyse des possibilités d'emploi ou des sèmes.
Parfois Nicot le fait en nuançant les indications schématiques
fournies par Estienne. Ainsi:
Vng buffet & dressoir ... Abacus (E 1539 s.v. Dressoir) [182]
devient dans N 1606:
Dressoir ... Est vn buffet sans armoires ne tiroir, ains
à tablettes simples, à dresser, asseoir & estaller sur
iceluy la vaisselle d'argent, & autre appareil pour le seruice du disner
ou souper d'vn grand Seigneur, Abbacus. Et est different du Buffet,
en ce que le dressoir n'est iamais a armoires ne tiroir ... Si que
Buffet est nom commun aux deux, & dressoir particulier à l'vn
d'eux. [183]
Lorsque les termes reliés par la copulative sont des mots simples, la
séparation est absolue. Quand un au moins des termes est
composé, le statut de la coupure est ambigu, celle-ci pouvant
être absolue ou relative. Généralement, le
rétablissement des formes de base n'est pas difficile: "Adenerer, &
apprecier a argent, Adaerare" (E 1539 s.v. Adenerer) = "Adenerer,
Adaerare; Apprecier a argent, Adaerare" (cf. s.v. Apprecier:
"Apprecier a argent, Adenerer, Adaerare"); "Flocon de poil ou de
l'aine, Floccus" (T 1564 s.v. Flocon) = "Flocon de poil, Floccus;
Flocon de laine, Floccus". La virgule n'a pas toujours un rôle
distinctif: "vn FLOC, & bouton ou hupe de
laine, Floccus" (ND 1573 s.v. Floc) et "Vng floc & bouton de laine,
Floccus" (E 1539 s.v. Bouton) seraient, selon le modèle de FLOCON, à reconstituer comme: "Vn floc de laine,
Floccus; Vn bouton de laine, Floccus; Vne hupe de laine,
Floccus". En fait, dans ce dernier exemple, comme ailleurs, la virgule semble
représenter la démarcation explicite entre l'autonymie et la
métalangue (cf. "BRANDON, m. ..." (ND 1573),
"BRANSLER, c'est balancer ... " (ND 1573), "BRAQVEMAR, Semble qu'il soit composé de ..." (N
1606) [la virgule du dernier exemple est un point de 1549 à 1573]),
tandis que & indique le rapport de synonymie. Dans la séquence
définitionnelle, la virgule est surtout employée pour
délimiter les termes synonymes du mot. Ceux-ci, plutôt que
d'être synonymes entre eux, représentent différentes
acceptions de l'entrée, [184] bien que tout
soit relatif. Par exemple, dans N 1606, APERTISE est
défini "Est dexterité, addresse, prouësse, haut fait
militaire, fait d'armes" (plus équivalent latin et
précisions d'emploi données en français); les articles
DEXTERITÉ et ADRESSE ne
contiennent aucune information permettant d'établir un rapport
sémantique avec apertise ou les autres termes de la
série; en revanche, les articles PROUESSES, FAIT
et ARMES mettent en relation les trois dernières
expressions:
Les PROVESSES & hauts faits de
quelqu'vn (s.v. Prouesses)
sans toutefois faire appel à apertise. Parmi d'autres
séries, notons:
Appert ... C'est viste, isnel & habile (N 1606)
Dans l'exemple suivant, il y a un certain parallélisme entre le latin
et le français définisseur:
> ISNEL ... C'est leger, dehait, prompt &
viste (N 1606)
BRVSQVE. Homme brusque, Ferox, Praeceps,
Rude & hastif (T 1564)
L'article RUDE inclut l'item "Rude en ses escriptz, &
qui n'est point poli, Ferus scriptor" et ne donne pas "Praeceps";
l'article HASTIF ne donne des deux mots latins que
celui-ci: "Hastif & soubdain, Trepidus, Praeceps, Festinus". Enfin, il
y a des cas où la copulative & est manifestement un mot de la
langue et fait partie d'une locution:
Ca & la, Diffusè (E 1539 s.v. Ca)
Allees & uenues pour quelque affaire,
Concursationes.
Allees ca & la, de costé & d'autre,
Lustrationes. (E 1539 s.v. Allee)
MELITITES ... Breuuage de moust, & de miel
Passant dans le Dictionaire francoislatin, ces trois items sont
rangés s.v. Bruvage, parmi les exemples d'emploi. En fait, ces
"exemples" sont des définitions d'encodage dans lesquelles le
"mot-adresse" bruvage est le genre prochain et le reste de l'item
français ("de moust, & de miel", "(faict) d'Enule
campane", "(faict) de pommes de bois seiches broyees auec du sel
& du uin") la différence spécifique. Dans ces
entrées, le mot-adresse n'a donc pas de statut propre et ne
reçoit pas de traitement d'équivalence: melitites,
nectorites et saprum ne sont que des espèces de
"bruvage". Le lecteur n'est pas toujours conscient de la fonction compromise
du français, comme l'illustre si bien K. Baldinger: "Estienne, comme
d'ailleurs tous les auteurs de dictionnaires lat.-fr. du 16e siècle, se
proposait de définir les termes latins. Même les éditions
fr.-lat. visaient le même but. Il faut donc les lire à l'envers,
en commençant par le mot latin qui est à la fin de chaque
article. Prenons l'article brodequin dans Estienne 1539:
"brodequin, une manière de brodequin ancien, de quoy usoyent
hommes et femmes, Soccus. -- Une façon de brodequin à
veneur qui empoigne le gras de la jambe, Cothurnus." Cothurnus
et soccus, des chaussures assez différentes, sont définis
tous les deux par 'une façon de brodequin', 'une manière de
brodequin'. Ce sont cothurnus et soccus qui sont définis
et non pas brodequin. En méconnaissant cet état d'esprit
/./ on fait fausse route. C'est ce qui est arrivé à
Sainéan qui, dans la meilleure édition critique de Rabelais,
définit brodequin par 'une chausse montant jusqu'à la
mi-jambe adoptée par les veneurs', en se fondant sur
Estienne." [185]
Vne table de cuyure, d'arain, d'estain, ou
Vne table rude & aspre qu'on faisoit trauerser
plomb assez espesse, tellement qu'elle ne
Lamina.
crique point,par les cheuaulx en l'aire sur le bled, pour
Tribula ... Tribulum.
La table & comptoir ou anciennement les
en tirer le grain: maintenant on le bat a
fleaulx,argentiers comptoyent,
Mensa, Telonium.
Les tables pour iouer aux dames, ou autre
ieu du tablier,
Calculi.
Vne table en laquelle est brieuement comprins
ce qui est en ung liure
... Index librorum.
En 1606, Nicot généralise la première: "Table de
quelque metail que ce soit, Lamina"; supprime les deux suivantes et garde
plus ou moins telles quelles les deux dernières, sans doute parce
qu'elles contiennent alors un sémème du mot seul (table =
"calculus", table = "index"). Comme le montrent les items de l'article
TABLE cités ici, il est parfois difficile de
distinguer formellement,
dans la séquence française, un segment 'genre prochain' d'un
segment 'sémème'. Dans le premier cas, le complément
définitionnel est nécessaire à l'équation
sémique; dans le deuxième cas, il peut être sous-entendu.
Ainsi, lamina pourrait être interprété soit
"Table de quelque metail que ce soit", soit "Table (de
quelque metail que ce soit)". [186]
Quelquefois, à la place d'une différence spécifique, Estienne donne une dénomination française:
Vne beste qu'on appelle Taisson, Melis
2.2.2.2.4. Définitions générales et
définitions
particulières
Les synonymes simples ne sont pas des définitions au sens strict du
terme, [189] et, dans
l'énoncé
définisseur, ne peuvent cerner l'aire sémantique de l'adresse
que de façon très générale et vague, quoique le
degré de généralité soit en rapport inverse avec
le nombre de synonymes donnés. Ainsi, APPERT est
bien mieux défini dans N 1606 ("C'est viste, isnel & habile")
que dans E 1549-ND 1573 ("- & habile") et mieux défini que ACCROISSANCE ("accroissement" ND 1573), d'autant plus
que ACCROISSEMENT est défini à la ligne
suivante "Accroissance". [190] Autrement
générales sont les séquences définitionnelles qui
ne contiennent, en français, que le genre prochain:
Serpent nommé aspic (E 1539 s.v. Aspic)
Vne pierre qu'on appelle aimant (E 1539 s.v. Aimant)
Pierre pretieuse qu'on appelle cacidoyne (E
1539 s.v. Cacidoyne)
ARTILLERIE ... Est vn mot general à tous
autres instruments de guerre, dont l'on vse tant en offendant qu'en
deffendant, hors l'espée, dague, bocquier & harnois du corps de
l'homme. Par ainsi tout instrument de trait, soit de feu ou autre, est
entendu sous ce mot (N 1606)
Aspic, herbe (E 1539)
La définition "Ce où il y a bien du burre" (N 1606 s.v.
Burré, adj. m.) est plus générale (abstraite) que "La
viande en laquelle on a mis beaucoup de burre" (N 1606 s.v. Burrée,
adj. f.). Une paraphrase qui cherche à être explicitement
compréhensive sera, elle aussi, un type de définition
générale:
Arrousé ... Est dit le lieu, herbe ou arbre du genre
masculin, sur lequel on a respandu de l'eau pour l'arrouser (N 1606)
La définition de ACCOLLER ("signifie proprement
embrasser quelqu'vn, luy iettant les bras autour du col, mais on en vse aussi
generalement pour embrasser" N 1606) comprend son emploi figuré
(cf. "le trauersin qui croise accollant le mast de misaine" ND 1573
s.v. Barreaux), tandis que celle de ARBRE ("Signifie
en general toute plante de grosses racines, gros tronc escorçu,
esleuée en fueillu & escorçu branchage" N 1606) l'exclut
(cf. "arbres d'un nauire" T 1564 s.v. Banderolle). [191] Lorsqu'une paraphrase
renferme au moins un
sème qui n'est pas partagé par le sémème du mot
imbriqué dans un contexte donné, on peut parler de
définition (relativement) particulière. À cet
égard, la définition donnée ci-dessus de ARBRE est beaucoup moins particulière que celle de CYLINDRE ("est une piece de bois ronde & longue, ayant
..." E 1549) qui exclut toute autre matière que le bois (cf. "le
Cylindre estoit de pierre" ND 1573 s.v. Bate). Parmi d'autres
définitions exclusives, notons:
ARÇON ... sont ces arceaux de bois qui sont aux selles des cheuaux (N 1606; cf. "espece d'enseleure d'asne ou mulet, ou autre beste de somme ... dont les arçons ..." N 1606 s.v. Bast) [192]
2.2.2.2.5. Traitement par le contexte
Outre qu'il reçoit un traitement explicite dans la ou les
séquences définitionnelles éventuelles, le
sémantisme du mot-adresse est en jeu dans les items
phraséologiques.
Suivant une définition (simple ou composée), les exemples
peuvent ou bien y ajouter des valeurs d'emploi:
ARBRE ... Signifie en general toute plante de
ASSOPIR & endormir
À la place d'une entrée principale générique
(adresse définie en français ou traduite en latin), les trois
premières éditions du Dictionaire françois-latin
mettent souvent en tête d'article une entrée spécifique
(adresse imbriquée dans son premier exemple d'emploi): "Assister a
la guerre" (E 1539 s.v. Assister). Dans ce cas, chaque nouvel exemple
risque d'introduire une extension d'emploi sinon une acception
différente. Ainsi, la deuxième entrée pour ASSISTER est "Assister en quelque lieu", plus
générale que la première et englobant la
troisième, "Assister, & estre present es assemblees du peuple".
La quatrième introduit une deuxième acception: "Assister a
aucung & luy aider". Ce genre de présentation exclut, en principe,
tout complément ou déterminant qui ne soit pas donné,
explicitement ou génériquement, dans la liste d'exemples. De la
sorte, l'article CAUSER ("Causer vn endormissement
// C'est vne des choses qui cause crainte") ne comprend pas l'emploi
des compléments tremeur et esmotion ("tremeur
causée ... de peur" s.v. Abhorrir, "esmotion de vague &
flots, causée de tourbillon de vent" s.v. Birrasque).
Un procédé que la lexicographie contemporaine a remis en
honneur [193] est celui
qui consiste en la
définition du mot en contexte. En plus de l'exemple donné plus
haut ("Assister a aucung & luy aider" ), citons:
Ma douleur se alentit, hoc est Se amodere ou appaise (T 1564
s.v. Alentir)
Ie sens ma force tant alentie que plus n'en puis, hoc est
affoiblie, amollie, debilitée, eneruée (Ibid.)
Asseurer quelqu'ung, Luy apporter seureté (E 1539 s.v.
Asseurer)
Asseurer vng faulcon ou autre tel oyseau, c'est luy faire perdre
l'effroy des gens a ce qu'il ne s'effroye de les veoir (ND 1573 s.v.
Asseurer) [194]
2.2.2.2.6. Statut synonymique de l'énoncé
définisseur:
l'identité des fonctions
Que la séquence définitionnelle soit purement
métalinguistique ou qu'elle puisse fonctionner aussi en langue (cf.
2.2.2.2.1), le consulteur
moderne s'attend à ce qu'elle ait la
même fonction grammaticale que le défini. [195] C'est une condition
nécessaire à
l'équation sémantique.
Dans les items monolingues du Thresor, la règle de
l'identité des fonctions est respectée dans la plupart des cas:
Courtisane ... la Dame, Damoiselle ou chapperonniere
suyuant la court d'vn Prince (N 1606)
GORGIAS ... cette piece d'habillement ...
dont les femmes ... bandoient le bas de leur poitrine (N
1606)
Hardes ... vn amas de menu equipage seruant à
l'vsage de la personne (N 1606)
FOVLE ... presse de gens allans
tumultuairement ensemble (ND 1573)
COVRTISAN ... celuy qui suit la court d'vn
Prince (N 1606)
Filles Penitentes ... celles qui laissants la vie lubrique
se rendent au monastere (N 1606)
GOVLARD ... goulu, gourmant (ND
1573)
GROSSIER ... lourd d'esprit (N 1606)
GORGIAS ... proprement & mignonnement
habillé (N 1606)
MARTIAL ... qui appartient à Mars
presidant au fait des armes, ou digne de Mars, ou qui resemble à
Mars (N 1606)
FORCENÉ ... hors du sens ...
ayant le sens troublé au moyen de quelque vision (ND
1573)
BIEN ... positiuement ...
superlatiuement (N 1606)
Fraudulemment ... par ou auec fraude, tromperie &
deception (N 1606)
DESCOGNOISTRE ... n'auoir plus
cognoissance de ce qu'autrefois on a cogneu ... nier,
desauoüer (N 1606)
GREVER ... Porter dommage à aulcun (ND
1573)
Courtiser ... faire la court par suyte & offices
d'obedience & respect à vn plus grand (N 1606)
DE ... par (N 1606)
A ... selon ... en ... pour ...
De ... Auec (ND 1573)
A ... se prend aussi pour apud Latin (N
1606)
DE ... Tantost est prinse pour ces prepositions
Latines, A, Ab, E, Ex (N 1606)
ESMERY, dont vsent les orfeures & lapidaires
à polir les pierres precieuses (T 1564)
Gorgiase ... adiect. Celle qui est mignonnement & proprement
habillée, cointe & miste (N 1606)
Haut ... nom adiect. qui signifie proprement celuy & ce qui est
grandement esleué (N 1606)
GROS ... adiect. ... toute chose espaisse &
fournie (N 1606)
Deliurer ... est quand on tire vne chose hors du pouuoir
d'autruy (N 1606)
FORPAÏSER ... c'est quand vne beste
s'eslongne du couuert et se iecte aux campaignes (ND 1573)
DE ... preposition locale ... Tantost de
temps ... Tantost materielle ... Tantost est marque de
possession, appartenance & dependance ... (N 1606)
2.2.2.3. Analyse et classement des sens
L'essentiel a déjà été dit à propos de
l'analyse et du classement des sens dans le Dictionaire
françois-latin et le Thresor: celui-ci "nous propose un
aperçu complet des deux principaux types de rubriques. Suivant la
tradition des vocabulaires bilingues, les items traductifs /./
procèdent par énumération des emplois (sens principaux et
acceptions), sans qu'une volonté d'organisation soit perceptible. Dans
les cas les plus simples, celui des mots concrets par exemple, le sens usuel,
qui se confond souvent avec le sens étymologique ou propre, est
placé en tête. Mais, dès que la polysémie devient
plus riche, les séries semblent composées au hasard. /./ La
forme des articles rédigés, dans lesquels dominent les
développements français, s'oppose à celle des
précédents par la place essentielle accordée aux
considérations étymologiques et diachroniques en
général /./. Elle fait des filiations sémantiques la
trame des articles, et les rapports étymologiques clairement
énoncés apporteront même, dans les cas difficiles, plus de
précision à la description des signifiés". En partant des
déclarations de B. Quemada, [196] on peut
faire un certain nombre de remarques de détail.
2.2.2.3.1. Estienne: acception et item, classement sémantique et
classement formel
Retournant, en 1539, son Dictionarium latinogallicum pour en faire un
dictionnaire de thème, Estienne n'eut pas toujours comme premier souci
la signification des items français qu'il réunissait dans la
nomenclature. Ainsi, comme nous l'avons déjà vu, il lui
arrivait, dans l'organisation de ses articles, d'être guidé
davantage par le latin que par le français (cf. 2.2.1.1.4). De courts
articles comme AFFERMER et AFFERMIR
énumèrent les différentes acceptions du mot-vedette en
les distinguant au moyen de la coordination traductive ou d'adjonctions
syntagmatiques, chaque contexte nouveau appelant un mot ou expression latin
différent:
Affermir, Roborare, Solidare.
L'emploi du pied-de-mouche (¶) [197] varie.
Dans l'article ARC, il sert à signaler les sens
météorologique ("arc au ciel") et architectural qui sont
donnés à la suite de l'acception "Arc a fleisches". Dans
l'article BANDE, le premier pied-de-mouche suit 26
alinéas concernant l'acception "bande de gens" et sert à
signaler le premier de sept exemples du syntagme PAR
BANDES; viennent ensuite un pied-de-mouche pour BANDE ET
LIGUE et un troisième pour marquer le premier de trois items
traitant BANDE = "objet". Cependant, dans le traitement
du verbe BANDER, les memes aires sémantiques ne
méritent pas de distinction typographique et, en fait, sont confondues.
Le classement des adresses étant surtout basé sur des
critères formels, [198] APPETIT ("sorte d'aulx") se trouve s.v. Appetit, et
BRANCHE URSINE ("sorte d'herbe") s.v. Branche,
mais les deux sont signalés par un pied-de-mouche. Souvent, ce sont des
items dont le seul intérêt réside dans le latin qui sont
précédés d'un pied-de-mouche. Par exemple, s.v. Banquet,
"Qui est conuié ou inuité au banquet, Conuiuia, Epulo" et
"Qui fait banquet, Conuiuiator" le sont. À cet égard, la
mise en saillie du texte peut se substituer au pied-de-mouche; par exemple,
s.v. Art, "Qui use d'art, Artificiosus" et "Faict d'art,
Artificialis" sont imprimés en saillie.
Certains mots français, fréquents dans le texte du
Dictionarium latinogallicum, ont, par conséquent, droit à
un long article dans le Dictionaire francoislatin. Il s'agit surtout de
noms et de verbes. Ici, l'organisation des items dépend davantage de
considérations formelles (syntagmatiques) que de facteurs purement
sémantiques. Ainsi, les emplois pronominaux du verbe seront souvent
réunis et tantôt signales d'un pied-de-mouche (ACCROISTRE), tantôt non (ASSEOIR).
De même, s.v. Ainsi, les exemples de TOUT AINSI
QUE, signalés, sont mis à la suite de ceux, non
signalés, illustrant AINSI QUE. Les regroupements
syntaxiques sont souvent accompagnés, à l'intérieur de
chacun, d'un classement alphabétique approximatif des séquences
suivant, ou précédant, le mot-adresse. Par exemple, après
une douzaine d'items liminaires quelconques, l'article ALLER est divisé grosso modo en trois parties: ALLER + préposition, ALLER +
adverbe, ALLER + verbe. Voici l'essentiel de ce
classement, tel qu'il peut être dégagé:
L'usage du pied-de-mouche, jamais systématique ni sûr (Estienne
ne l'explique pas), diminue d'importance après Estienne, pour se voir
souvent remplacer dans le Thresor par l'explicitation verbale des
distinctions sémantiques et syntaxiques. [202]
2.2.2.3.2. Nicot: analyse explicite et classement logique
Les préoccupations étymologiques d'Estienne, soucieux en 1549
d'illustrer la langue française, l'amenèrent maintes fois
à valoriser le sens propre des mots-vedettes, [203] ceci pouvant à
l'occasion s'exprimer au moyen
d'un connecteur linguistique; ainsi, BLASON
"Proprement est ...". Thierry 1564, ajoutant à l'article BLASON une deuxième acception, introduit celle-ci:
"signifie aucunesfois ...". Estienne, en 1549, avait déjà
pu trouver aux sens un rapport de causalité: "ASNE, Asinus. Et pource que l'asne est de soy beste tardiue
& mal ingenieuse, nous appelons ... ung homme de lourd esprit ...
ung asne". Pourtant, il faut attendre la quatrième
édition du dictionnaire et la collaboration de Nicot pour voir se
créer un véritable effort d'analyse et de filiation
sémantiques explicites et suivies, travail qui, développé
par la suite, caractérisera le Thresor. Dans les éditions
de Nicot, les sens peuvent être présentés en série
énumérative:
Les analyses sémantiques, cadre organisateur des articles de Nicot (cf.
2.2.8.1), sont
articulées à trois niveaux fondamentaux: le
classement des sens, l'identification sémique et les exemples. Le
classement des sens s'opère au moyen de connecteurs, que nous appelons
ordonnateurs sémantiques (OS); dans le cas des listages
énumératifs, ceux-ci seront de simples copulatives (OSE) --
et, aussi, tantost, etc.; dans celui des filiations, les
ordonnateurs indiqueront la dépendance des sens (OSD) -- par
metaphore, etc. L'identification sémique (I) comprend en premier
lieu les énoncés définisseurs (IDF) -- définitions
analytiques ou simples -- et leurs compléments éventuels. Elle
peut aussi, par une démarche onomasiologique, comprendre des
dénominations (IDN). Les exemples d'emploi (Ex) relèvent le plus
souvent de l'usage standard de l'époque et sont forgés par le
lexicographe; ils peuvent aussi être marqués (ExM) --
jadis, citations signées, etc. Le traitement sémantique
du premier alinéa des articles ACCOUCHER (N 1606)
et BATAILLE (ND 1573) se présente donc
ainsi: [206]
Blasme & reproche
Arbre franc
... sans blasme
Donner le blasme a ...
Encourir quelque blasme
... (E 1539)
grosses racines, gros tronc escorçu,
esleuée en fueillu &
escorçu branchage
Arbre cultiué
Arbre fruictier
Arbre qui porte ...
Escorcer vn arbre
Arbres qui iettent ...
Planter des arbres
... (N 1606)
ou des acceptions:
ARCHE, ou COFFRE
En l'absence d'une définition en français, les exemples d'emploi
peuvent expliciter, dans une certaine mesure, les acceptions potentiellement
contenues dans le ou les équivalents latins liminaires. Par exemple,
dans E 1539, les sens "idiome" et "organe", contenus dans "La langue
Latine" et "Couper la langue a aucun", sont virtuels dans
l'entrée-vedette "Langue, Lingua, Glossa" (N 1606 définit
les deux). D'autre part, des acceptions exclues du premier item bilingue sont
souvent consignées dans les séquences phraséologiques.
Par exemple, "Bois, Lignum" (E 1539) ne comprend pas le sens de "lieu"
("Vng bois de plaisance"), ni "Bruit, Sonitus, Tumultus,
Tumultuatio" (E 1539) celui de "rumeur" ("Bruit de quelque chose
nouuelle").
Les arches d'ung pont de pierre (E 1549)
Assopir une guerre (E 1549)
Il fait son Achilles d'vn tel c. Son Bouclier, Son fort, Son
asseurance, Son Appuy, Son garand (N 1606 s.v. Achilles)
En cas de difficulté ou simplement par facilité, Nicot a parfois
recours à un définisseur latin ayant même fonction
grammaticale que le défini français:
Grandement ... se prend tantost pour valdè ...
Tantost pour honorificè (N 1606)
Les exceptions à la règle sont de plusieurs sortes. D'abord,
à l'époque de Nicot, le nom substantif et le nom adjectif
étaient moins clairement distingués qu'aujourd'hui. Cela donne
des propositions relatives définissant des noms, et des pronoms
démonstratifs, voire des noms, pour définir des adjectifs:
CAVCHEMARE, qui empesche de reprendre son haleine
en dormant (T 1564)
On peut noter que les propositions relatives traduisant un nom latin sont
très fréquentes dans les items bilingues d'Estienne (cf.
2.2.1.1.4): "Qui prend
gage d'aucung, Pignerator" (E 1539 s.v. Gage).
Un deuxième type d'exceptions concerne l'emploi, dans la
définition, d'une proposition circonstancielle introduite par
quand. Cette construction constitue une sorte de définition
naturelle qui se rencontre dans l'usage ordinaire de la langue ("(Un) X c'est
quand ..."), mais qui est proscrite par la lexicographie moderne puisqu'elle
est sentie comme inexacte et agrammaticale. Le procédé est
utilisé par Nicot, quoique rarement:
Court planiere ... est, quand le Roy ... a
assemblé de lez luy, les Barons & hauts Seigneurs, & Dames de
tiltre de son Royaume, pour hautement les festoyer (N 1606)
Il est fréquent dans les items bilingues d'Estienne: "Quand une
fumee & uapeur sort de quelque chose, Vaporatio" E 1539 s.v. Fumée;
"Quand les deux parties qui plaident s'entr'entendent ensemble pour tromper
ung tiers, Colludere" E 1539 s.v. Partie. Un troisième cas concerne
les mots grammaticaux. Les solutions apportées au problème du
traitement sémantique de ces mots à contenu sémique
pauvre sont variables. En plus des équations monolingues ou bilingues
à fonction identique des deux termes (cf. ci-dessus A et DE), il est possible de rencontrer
chez Nicot des nominalisations:
A ... preposition signifiant ores stabilité
en quelque lieu ... ores mouuement a vn lieu ... prenant
auec soy l'article du nom qu'elle precede, signifie semblance, facon, mode
& maniere (ND 1573)
On est proche de la deuxième métalangue, qui traite le signe
total (cf. "DE ... preposition locale"). En fait,
comme dans les dictionnaires modernes, c'est la deuxième
métalangue qui se substitue souvent à la première dans le
traitement des mots outils:
A ... article du genitif en denotation
possessiue (ND 1573)
Il est bien entendu que de nombreux mots ne reçoivent, dans le
Thresor, aucun traitement sémantique explicite.
Affermer, Affirmare, Asseuerare.
Parfois, un effort d'interprétation permet de conclure à une
volonté de classement sémantique de la part du lexicographe.
Ainsi, l'article APPUY donne d'abord les emplois
concrets et ensuite les
emplois abstraits, quoique la première entrée soit ambiguë:
Affermer quelque chose & asseurer, Confirmare.
Dire & affermer, Perhibere.
Affermer & maintenir aucune chose, Asseuerare
de re aliqua.
Affermer par serment, Iureiurando Affirmare. Affermir & tenir ferme, Obfirmare.
Affermir & fortifier, Firmare.
Affermir & asseurer une chose, Stabilire,
Constabilire.
Affermir de toutes pars, Circunfirmare.
Affermir son pied, Pedem figere.
Qui affermit, Stabilimen, Stabilimentum.
Appuy, Fulcimentum, Adminiculum.
L'appuy de toute l'accusation ... Vng appuy fourchu de quoy on soubtient
Vng appuy sortant de la muraille pour soubtenir
les loges
...une poultre, lequel on appelle corbeau
...
Auoir appuy d'amis ...
En revanche, l'article AMAS confond compléments de
choses et compléments de personnes, groupant les derniers, qui sont
tous donnés en complément à faire amas de,
à l'intérieur des premiers:
Amas ... de quelque chose ...
De même, l'article AILE mêle les deux sens
"- d'un oiseau" et "-
d'une armée".
... amas de ble ...
... amas de bois ...
... amas ... de quelque chose ...
... amas ... qu'on a faict de quelque chose ...
Faire amas de gens ...
Faire amas de gens de guerre ...
Faire amas de ieunes gens de guerre ...
Faire amas de gens de guerre ...
Faire amas de tesmoings ...
Auec grand amas ...
... amas des deniers ...
De même, les compléments de BAILLER
(a... /contrepois /couleur /coup /courage
/dons /doz, etc.), les épithètes de AFFAIRE (hasté /meslé /nets
/(de) nulle (valeur) /particuliers /privez,
etc.) et les verbes régissant celui-ci (avoir
/brassé /brouiller /charger /communiquer
/conduire /delaisser, etc.) sont classés
alphabétiquement. Les exemples d'un mot comme METTRE, qui n'a pas d'acceptions, mais seulement des valeurs
d'emploi, sont tous rangés par ordre alphabétique: METTRE + (x 151), SE METTRE + (x 14),
ESTRE MIS + (x 2). [199] La
division de l'article BRANCHE en a) BRANCHE + déterminant, b) verbe + BRANCHE, lui fait subordonner la distinction lexicale "branche
d'un arbre" / BRANCHE URSINE "herbe", BRANCHE URSINE étant classé à la fin du
premier groupe syntaxique, quoique marqué d'un pied-de-mouche. La
deuxième édition du Dictionaire françois-latin,
plus formelle que la première, réunit souvent sous une
même adresse les homonymes autonomes de 1539, les distinguant seulement
au moyen d'un pied-de-mouche. Ainsi, les deux articles AIRE sont confondus en 1549, de même que ceux traitant
TABLIER et ceux consacrés à la forme ASSOMMER. [200] En
général pourtant, E 1549 ne fait qu'ajouter d'autres items
bilingues aux articles établis par la première édition,
respectant plus ou moins heureusement l'organisation de ceux-ci quand il en
existe une. [201]
L'emploi du pied-de-mouche est
étendu: ajouté à des items (isolés ou
groupés) herités, ou joint à des nouveaux; par exemple,
s.v. Taille: "Vne taille de bois", "Vne taille qu'on ...
leue", "Pour sa taille" et "Frapper de taille", tous
déjà dans E 1539, sont précédés en 1549
d'un pied-de-mouche, ainsi que "La Taille en musique", entrée
nouvelle.
1.
2.
aller
aller
a la besongne
a la porte
a la selle
a toy
a
l'encontre
a l'entour
a tastons
a pied
a cheual
aux
banquetz
au deuant
au deuin
au fond
au march‚
au
Preteur
au saffran
contre aucun
de l'assemblee
de cost‚
de
uie
d'ung lieu
du lieu
en Capue
en la prouince
en
ambageoye
auant
dedans
deuant
droict
hastiuement
hors
ius
legierement
loing
lourdement
souuent
tresbien
x 3
x 2
x 2
x 2
x 2
x 4
x 2
x 3
x
4
x 3
x 2
x 3
x
3
3.
aller
aller
en embassade
en quelque lieu
en iugement
en
poincte
en quelque lieu
en rond
par deuant
par dessus
par
deuers
par eaue
par force
par toute l'Egypte
par les
maisons
par tout pais
par tout ung pais
par toute la prouince
par toutes les fermes
pour reuenir
sur l'eaue
sur le lieu
sur
les champs
sur la mer
uers aucung
uers celles la
uers eulx
boire
dormir
hucher
querir
ueoir
x 2
x 2
x 2
x 2
A EST la premiere lettre ... // A aussi est
vne preposition signifiant ores ... ores ... // A aussi se
prent simplement pour ... // A aussi signifie ... // A aussi
estant auec ... est ... & estant auec ... prent
... & denote ... // A en oultre se prent pour ... // A
prenant ... signifie ... // A aussi est vne diction
indeclinable qui ... (ND 1573)
ce qui dote déjà l'article d'une formulation d'ensemble. Autre
procédé unificateur, la synthèse peut venir se joindre
à l'analyse. Ainsi l'article O se présente
en partie comme suit:
interiection seruant ... en cas dont l'on s'esmerueille ...
Et ce ou par loüange ... Ou en vitupere & detestation
... Ou par vitupere indirect, qui est l'ironie ... Ou est
interiection de marque de douleur ... Ou indicatiue de suffrage &
approbation par exultation & liesse ... Ou indicatiue de
souhait ... Ou simplement significatiue d'aise & contentement que
l'on reçoit de quelque chose ... Mais en toutes ces
variées significations, l'ecstase l'emporte laquelle s'estend en
maintes passions de l'ame, toutes neantmoins ecstatiques (N 1606)
Plus caractéristiques, cependant, sont les filiations:
Assemblee c'est ... Ainsi dit-on ... Selon ce Assemblee
en faict de ... anciennement estoit ... Assemblee aussi
estoit ... Selon ce, disoit-on ... Le mot est ainsi prins,
par ce que ... Et de mesme signification disoit-on aussi ...
le mot Assemblee est passe à ... pour ... & de la
dict on plus esloigneement ... (ND 1573)
Lorsque le mot ainsi traité figurait déjà dans la
nomenclature des éditions antérieures, Nicot-Dupuys 1573 et
Nicot 1606 mettent souvent les items existants à la suite d'un
alinéa nouveau. Aussi celui-ci reprendra-t-il souvent ceux-là,
au moins en partie:
Et par figure, Buffet est prins pour l'assortissement de toute la
vaisselle d'argent qu'il faut pour l'entier seruice. Selon ce on dit, Il a
vn buffet d'argent (N 1606 s.v. Buffet)
vient s'ajouter à:
Vn buffet d'or & d'argent, c'est à dire la vaisselle qu'il faut
pour le seruice de la table (< E 1539) [204]
Parfois, les items hérités sont intégrés à
l'analyse (par exemple, s.v. Taille dans N 1606). [205]
Le tableau suivant dégage l'essentiel de ce traitement
sémantique.
ACCOUCHER (N 1606)
1. OSD proprement
IDF (Est) se mettre en la couche,
non ia pour vne nuict sans plus, ains pour plus long temps
IDF (qu'on dit aussi) Alliter
Ex (comme) Il s'est accouché
malade
2. OSD & par metaphore
...
par ce que les femmes apres l'enfantement tiennent ordinairement
le lict
IDF Deliurer d'enfant
Ex (comme) La Royne est
accouchée d'vn fils
> IDN (Aussi dit-on)
les couches d'vne femme
OSE Et
IDN vne femme estre en
couche
IDF quand apres son
enfantement,
elle tient la couche & le lict
BATAILLE (ND 1573)
1. OSE tantost
IDF (C'est) la meslee & combat de
deux armees rengees soit à iour assignè ou à
iour forcé. Et est different de rencontre & d'escarmouche qui
ne sont de deux armees entieres, & ordonnees
Ex (Selon ceste signification on
dit) iour de bataille
Ex (ou) bataille assignee
Ex Bataille gaignee
Ex Bataille perdue
Ex Bataille sanglante
ExM (On disoit ainsi iadis) La
bataille corps à corps est arrestee
2. OSE Tantost
IDF (c'est) chasque bataillon ou esquadron
d'une armee
ExM (au 3. li. d'Amad. chap. 5.)
Pour
à quoy paruenir, le Roy ordonna neuf batailles, à
chascune desquelles il mit douze cens cheualliers, reste à la
sienne qui estoit de quinze cens ou plus
3. OSD Selon laquelle
signification anciennement
IDF en l'ordonnance d'une armee & l'auant
& l'arriere garde (estoyent appellées
batailles)
4. OSD mais à present
IDF (le mot bataille est restrainct
au) seul esquadron ou bataillon auquel le roy ou son
lieutenant general representant sa personne en son absence est renge,
estant ledict esquadron procedé de l'auangarde, comme d'vng
auanceur & secondé de l'auant garde [sic, = arriere
garde]
5. OSE aussi
IDF (Bataille se prent pour)
l'armee entiere
Ex (& en ceste signification on
dict) bataille rengée
ExM (audict liure & chap. d'Amad.)
Estans doncques les deux batailles rengées & prestes a
combatre marcherent droict l'vng contre l'autre & menoit le premier
reng de la part de ceulx de lisle ferme Florestan & c.
ACCOUCHER (N 1606) | |||||
---|---|---|---|---|---|
OSE | OSD | IDN | IDF | Ex | |
1 | proprement | se mettre en la couche pour plus d'vne nuict | |||
Alliter | Il s'est accouché malade | ||||
2 | par metaphore | Deliurer d'enfant | La Royne est accouchée d'vn fils | ||
> | les couches d'vne femme | ||||
Et | vne femme estre en couche | quand apres son enfantement elle tient la couche & le lict |
BATAILLE (ND 1573) | |||||
---|---|---|---|---|---|
OSE | OSD | IDF | Ex | ExM | |
1 | tantost | la meslee & combat de deux armees rengees | iour de bataille | (iadis) La bataille corps à corps est arrestee | |
bataille assignee | |||||
Bataille gaignee | |||||
Bataille perdue | |||||
Bataille sanglante | |||||
2 | Tantost | chasque bataillon ou esquadron d'vne armee | "le Roy ordonna neuf batailles" | ||
3 | Selon laquelle signification anciennement | & l'auant & l'arriere garde | |||
4 | mais à present | seul esquadron ou bataillon auquel le roy ou son lieutenant est renge | |||
5 | aussi | l'armee entiere | bataille rengee | "Estans doncques les deux batailles rengées" |
Les ordonnateurs de dépendance sémantique offrant un intérêt particulier, puisqu'ils sont chez Nicot si variés et centraux à l'analyse des sens, notons-en quelques-uns des plus caractéristiques:
Outre les renvois graphiques [208] et dérivationnels, [209] il y a un troisième type de renvois que l'on peut qualifier de sémantiques. L'article destinataire peut contenir tout le traitement du mot-adresse de l'article destinateur. C'est le cas, par exemple, de BARONIE, sous-vedette de BARON (ND 1573). Dans la nomenclature, le lecteur est renvoyé à BARON ("voyez Baron"), où, dans un article dense de 88 lignes, baronie (en fait Baronnie) se rencontre deux fois: une première fois (ligne 11) comme unité de traitement ("Baronnie, pour toute la noblesse & assemblee des vassaulx, & gendarmerie d'un Prince") et une seconde fois (ligne 39), dans un sens territorial, comme élément du traitement de BARON ("la marque plus commune dudict Baron est auoir trois Chastellenies ... dedans sa Baronnie"). L'article destinateur, traitant le mot-adresse, peut renvoyer ailleurs pour un complément d'information. Ainsi, s.v. Escu: "A cause dequoy, & Escu, pour Blason, Blason pour Escu se trouuent maintesfois vsurpez, voyez Blason" (ND 1573). Ce genre de renvois est souvent réciproque: AGUILLE et ESGUILLON se renvoient l'un à l'autre (E 1549), ainsi que HEUR et HEUREUX (N 1606), INTRODUIRE et INTRODUCTION (N 1606). L'article destinataire peut ne contenir aucune information sur le mot qui est l'objet du renvoi: BADAUT (N 1606) renvoie à ABBAIER; pourtant, s.v. Abbayer, on ne trouve rien de pertinent.
Les composés sont souvent l'objet d'un renvoi, ceux en re- de façon assez systématique. Le préfixe RE ayant droit à un article analytique (E 1549), les composés qui le suivent dans la nomenclature sont traités tantôt dans leurs propres articles, tantôt dans celui du radical, du moins en intention. Ainsi, REBAISER, REBANNIR et REBANQUETER renvoient respectivement à BAISER, BANIR/BANNIR et BANQUETER, qui ne donnent pas les formes des composés. REBAISER (etc.) est donc traité par la confrontation des articles RE et BAISER (etc.). [210]
2.2.2.5. Interprétation diachronique
En l'absence d'une analyse sémique, le sens d'un item de nomenclature
est souvent confus pour le consulteur moderne, quand il ne l'était pas
pour l'usager du seizième siècle. Lors de l'élaboration
de son Thesaurus, Estienne fit montre d'une préférence
marquée pour les exemples d'emploi comme procédé de
délimitation sémantique du latin classique, plutôt que de
se servir d'interprétations. [211] Il
faisait ainsi preuve d'une sage prudence, ayant bien conscience des dangers de
l'interprétation diachronique. Par une ironie du sort, la premiere
édition du Dictionaire françois-latin, présentant
de fait une nomenclature sans presque aucune interprétation mais
illustrée par une abondance de contextes phraséologiques
largement trompeurs, [212] incite le consulteur
moderne à une interprétation subjective et suspecte.
Après les erreurs de consultation déjà
notées, [213]
mentionnons encore un ou deux
cas informateurs.
L'article TABLE dans E 1539, mal connu des historiens de
la langue et déjà commenté ailleurs, [214] nous fournit un cas type.
Le FEW donne pour table
ronde la définition "pétrin", qui serait attestée
pour la première fois dans Estienne 1549. [215] Or, l'entrée
textuelle, qui remonte en fait
à E 1539, et, au-delà, au dictionnaire latin-français,
est la suivante: "Table ronde, ou ung rondeau de patissier, Magis".
S.v. Rondeau, on lit: "Vng rondeau de patissier, Magis", ce qui ne nous
éclaire pas davantage. L'article MAGIS dans
DLG
1538 est plus utile: "Vng may a pestrir pain. C'est aussi une table ronde,
ou ung rondeau de patissier ... Vng plat de patissier". Donc, TABLE RONDE semblerait être un synonyme au moins partiel
de "rondeau de patissier", comme on pouvait déjà le
penser dans E 1539, mais ne signifie pas "may a pestrir pain", ne veut
donc pas dire "pétrin". De retour dans le Dictionaire
francoislatin, UNG PLAT DE PATISSIER (s.v. Plat)
donne simplement "Magis". Cotgrave 1611 pour TABLE RONDE
dit: "a little round boord wheron the Pastissiers carrie their Pies,
and Tarts from place to place" sens qui diffère de celui de RONDEAU DE PASTISSIER: "A round and flat boord whereon
Pastissiers doe raise their Past and Pies", les deux différant
encore de l'acception donnée pour PLAT DE
PATISSIER: "A round, and flat footlesse Panne of tinne, wherin pies
are kept warme at the ouens mouth, after they be fully baked" . Sainliens
1593 n'avait sur ces trois entrées que la deuxième, à
laquelle il trouvait pourtant un sens bien différent: RONDEAU DE PATISSIER "Cookes rolling-pinne". Monet 1635
ne répertorie pas table ronde mais il fait figurer magis
parmi les équivalents latins traduisant les entrées suivantes:
"Table ... à seruir patisserie" (s.v. Table),
"Rondeau, ais rond, tablete, ecofraie ronde de patissier, à tenir, &
porter la patisserie" (s.v. Rondeau), "Mai ... à faire la
pâte" (s.v. Mai). Comme le fait remarquer R.-L. Wagner, "chaque
lexicographe (sauf lorsqu'il plagie un devancier) découpe la
réalité d'une manière qui lui est propre". [216] Le lecteur moderne,
à la merci du lexicographe
qu'il choisit de consulter, a l'embarras du choix des interprétations
lorsqu'il confronte les différentes opinions exprimées. Dans le
cas présent, le choix du sens "petrin" pour TABLE
RONDE semble exclu, compte tenu des articles de DLG 1538 et de
Cotgrave
(celui-ci étant le seul à en faire une analyse
detaillée).
Brandon, dans son étude sur le Dictionaire
françois-latin, a l'occasion de dire, à propos de LAISSER: "Cet article /./ illustre dix usages
différents du verbe. La division en paragraphes n'indique pas toujours
les nuances de signification dont il est donné exemple. Ainsi pour
laisser, tandis que les locutions représentent dix nuances, il
n'y a que quatre paragraphes". [217] L'affirmation
de Brandon reste sans valeur puisqu'il ne dit pas quelles sont les dix nuances
représentées par les 49 locutions de l'article LAISSER. Nicot n'y touche pas; Cotgrave ne retient aucune des
locutions d'Estienne et, pour LAISSER, donne douze
équivalents: "To leaue, relinquish, lay apart, set aside, put off,
let alone, forgoe, let goe, forsake, abandon, giue ouer, omit". Ch. Muller
met en garde l'analyste quand il dit: "on voit les difficultés
croître quand on quitte le domaine relativement clair des substantifs
pour pénétrer dans la forêt des verbes courants, riches en
associations variées: prendre, faire, rendre,
donner, etc.". [218]
Mentionnons, enfin, les modifications qui peuvent se produire dans le
traitement d'une adresse, d'une édition à l'autre du
dictionnaire. Par exemple, LAICTAGES chez Estienne:
> Laictages, ou toute uiande de laict, Lactantia.
Laictages, ou toutes choses qui rendent laict d'ellesmesme,
Lactantia (E 1539)
Ou encore s.v. Fan; E 1539 donne:
Vulgus Lacticinia vocat (E 1549)
Vng fan de biche ou autre beste, Hinnulus //
ce qui devient dans N 1606:
Le petit faon des elephans, Vitulus elephantorum
FAON ... Ainsi dit-on vn faon de biche ...
Mais on ne peut dire faon d'vne beste mordant, comme Laye, Ourse,
Lionne, Elephante, ains ont autres noms particuliers [219]
Outre une évolution sémantique du mot fan/faon,
faisons la part également du rôle métalinguistique des
items d'Estienne et de la tendance généralisante de leur premier
terme nucléaire (ici fan/faon). [220]
2.2.3.1. Fonctionnement syntaxique
Comme nous l'avons déjà fait remarquer, [221] un certain nombre des
adresses introduites par les
trois premières éditions du Dictionaire
françois-latin sont données en contexte.
Dans le cas des substantifs, ce contexte est le plus souvent un syntagme
nominal composé du nom et d'un déterminatif "le plus
habituel": [222]
ou une locution adverbiale:
Vng balay (E 1539) Des balustres (E
1539) Vne TALLE (E 1549) Le
talon (E 1539) du Laceron (E 1539) La banque (E 1539) De la betoesne (E 1539) Les Alpes (E 1539) De l'antimonium (E 1539) nos ANTECESSEVRS (T 1564)
Estienne se sert à l'occasion des déterminatifs pour fonder des
macro-articles distincts pour des homonymes; ainsi, en 1539, biere a
droit à deux en-têtes: BIERE (l'unique
exemple d'emploi commence: "Vne biere & coffret ...") et DE LA BIERE. [223]
D'auantage (E 1539) En tapinois (E
1539) En BLOC (T 1564; Ø ND 1573)
Les verbes impersonnels peuvent être donnés au présent de l'indicatif: "Il appert" (E 1539), "Il auesprit" (E 1539); le pronom réfléchi des verbes pronominaux ajoutés par toutes les éditions est donné systématiquement dans l'adresse: "S'annonchalir" (E 1539), "S'AVOYER" (E 1549), "se ADOLORER" (T 1564), "Se ALOVSER" (ND 1573), "Se ALLASCHIR" (N 1606). Les différents types de compléments de verbe avec la nature animée ou inanimée, humaine ou non humaine, sont souvent indiqués:
Abbaisser une chose (E 1539)
ACCOQVINER, C'est rendre quelqu'un, ou quelque beste ... (ND 1573)
Accorder auec aucun //
Accorder quelque chose //
S'accorder a aucun (E 1539)
Accorder quelque chose à queIqu'vn (N 1606)
LAIDOYER, ou LAIDANGER aucun (E 1549)
Laisser quelqu'ung (E 1539)
TABVTER une personne (E 1549)
ABBANDONNER, act. ... Et par reciprocation dudit verbe actif ... (N 1606)
ABASTARDIR ... Est ores actif, & signifie mettre vne chose ... Ores est reciproquant son action ... Ores est neutre ... Mais il semble plus tenir du passif (N 1606)
TAILLABLE ... Celuy ou celle qui ... (N 1606; cf. E 1539: qui ...")
ACARIASTRE ... Cil ou celle qui ... (N 1606; cf. ND 1573: "C'est vn qui ...")
BARLONG ... Est dit ce dont ... (N 1606)
AAGÉ ... terme general à prefinir tout aage d'homme ou de beste (N 1606)
Abordable ... chose qui ... (ND 1573)
BEAV ... Est dit qui par ... aucuns ... attribuent ceste epithete à toute personne qui ... Mais l'vsage dudit epithete és autres animaux & choses inanimées ... Bel ... quand le substantif ensuyuant commence par voyele ... là où on vse de l'autre quand ledit substantif commence par consonante (N 1606)
FORT ... Est celuy qui ... // Fort s'applique aussi aux choses inanimées (N 1606)
De France, est vne addition qui se fait à certains officiers (N 1606 s.v. France)
MOY ... sert en tous cas comme indeclinable. Au nominatif: Est-ce moy qui ... Au genitif: L'amour de moy ... Au datif: Donnez moy ... A l'accusatif: Laissez moy ... Au vocatif: O moy miserable! ... Et en l'ablatif: Il a tiré de moy ... Le semblable est de ce vocable Toy ... Mais à present on vse de Me & Te au datif & accusatif, quand on les prepose au verbe qui les regit ... Il supplée le defaut des cas obliques au singulier de cet anomale Ie ... Car Moy au nominatif ne se trouue, si n'est en respondant au propos d'vn autre, comme, Qui a fait cela? Moy ... Là où on ne respondra pas Ie, ou bien quand il est precedé d'autre diction, comme, C'est moy qui propose ... où aussi l'on ne dira pas, c'est Ie: ains simplement, Ie propose ... Aucunesfois il est mis par exuberance, comme, Grauez moy cela ... (N 1606)
LA ... article feminin ... Comme la femme, la matiere: & denote les dictions ausquelles il est preposé estre feminin, tout ainsi que, Le, les masculins (ND 1573)
CE ... aussi est pronom demonstratif masculin dont on vse deuant les dictions commenceans par consonante tout ainsi que de Cet ... deuant celles qui commencent par voielle, Comme, Ce cheual & Cet homme ... Là où Cete, qui est le feminin de cet, sert deuant toutes dictions, comme Cete femme, cete Auellaine (ND 1573)
A aussi estant auec les noms propres est vn article du genitif ... & estant auec les noms appellatifs, prent article apparent auec elle ... comme ... à la ville // A prenant auec soy larticle du nom qu'elle precede, signifie ... // A aussi est vne diction indeclinable qui est differemment employee auec autres declinables & indeclinables (ND 1573)
AVEC ... C'est vne particule conionctiue, qui couple & accompagne deux choses ensemble, comme, ie veins auec luy (N 1606)
Si, Est particule conditionale ... Si vous estes cheualier, vous ... Elle a en maints lieux energie, renforçeant le verbe qui la suyt, comme Si l'abandonnerez vous ... Quand elle precede ce mot, faut, elle a ... Expletiue est elle quand les deux parties sont negatiues ... Elle se met aussi au commencement d'vn propos ... où elle est aussi expletiue ... Aucunesfois est illatiue ... Elle est aussi employée és partitions, comme la premiere raison: Si est ... (N 1606)
QVE, quelquesfois est nom, & ores interrogatif, comme, Que veut-il? ... Ores relatif, de tout genre, comme, Le liure que ... Et quelquesfois conionction, comme, Ie sçay que ... Et par fois aduerbe ... Et prindrent ... huit vingts, que citez, que villes murées (N 1606)
cf. AVANT (E 1539): Bien auant // ¶ ... en auant // ¶ Auant le temps // ¶ ... ung auant que proceder // ¶ D'icy en auant // ¶ Auant que
Un mot peut ne pas fonctionner en dehors de certains syntagmes:
LAPS ... pour cheute & traict ... de laps en ladicte signification on n'use presques poinct si n'est auec ce mot temps, disant par laps de temps ... & laps de temps (ND 1573)
LIGE ... Ne se dit pas sans adiection de l'vn de ces deux mots, asçauoir Hommage, ou Homme (N 1606) [224]
2.2.3.2. L'unité lexicale: fractionnaire, simple ou composée
Nicot a une terminologie variée, quoique manquant de cohérence et de stabilité, pour décrire les différentes sortes d'unités lexicales. "Partie" est parfois employé pour les préfixes:
TRES, Est vne partie indeclinable ... ores ... preposée ... Ores ... en composition (N 1606)
A aussi est vne diction indeclinable qui est differemment employee auec autres declinables & indeclinables ... comme, A chef (ND 1573)
ACCENT ... contour de la voix en prononçant quelque diction ... comme banny, baston (N 1606 -- voir tout l'article)
Main morte ... diction composée (ND 1573)
ABBAY ... ce mot Abbay (E 1549)
D'ARRIVEE ... sont deux mots, De ... & Arriuée ... toutefois à cause de l'apostrophe escheant en ladite preposition D' ils sont prononcez soubs vn seul accent, comme si ce n'estoit qu'vn seul mot, qui est de pareille contexture que de primeface, de primsaut ... (N 1606 s.v. Da...)
Main mise ... mot faict de ... (ND 1573)
Table de marbre ... Mot assez cognu (N 1606 614A62)
AAGE, m. substantif ... quelquefois est vn terme general qu'on applique à ... (N 1606)
MAINMORTE, f. penac. Est vne diction composée de ces deux mots entiers, Main & Morte (N 1606; cf. ND 1573: "Main morte ...")
AVBEPIN, ou Aulbe espine ... Ce mot ... (E 1549)
L'unité syntagmatique reçoit différents qualificatifs. Vers le début de la lettre A, quatre syntagmes de la nomenclature A BON ESCIENT, D'ABONDANT, EN ABONDANCE et A BRIDE AVALLEE sont suivis dès ND 1573 de l'indication "par forme d'aduerbe" (nous dirions aujourd'hui "locution adverbiale"). Il y a diverses "manieres":
"maniere de parler":
Bailler à aucun tout du long de l'aulne, est vne maniere prouerbiale de parler ... semblable à cet autre de mesme liurée, Ie luy ay baillé toutes ses façons (N 1606 s.v. Aulne quarree)
Bailler ses mains ... Mais les François n'vsent de telle maniere de faire, ne de dire, combien que ... (N 1606 s.v. Main)
phrase Françoise, Assembler à l'ennemy (N 1606 s.v. Avec)
ceste phrase, Que voulez-vous que ie vous die? (ND 1573 s.v. Brief)
ceste phrase ironique, Hà la bonne lance! & O la hardie lance (N 1606 s.v. Lance)
Tenir le menton, est vne phrase par translation, pour ... (N 1606 s.v. Menton)
Hault nez, c'est vne phrase en venerie (ND 1573 s.v. Nez)
Dont est tel prouerbe, Nouueau apprenty n'est pas maistre (N 1606 s.v. Apprenti)
2.2.3.3. Les exemples: syntagmes codés ou libres
Dans un dictionnaire bilingue, tout exemple d'emploi est en même temps
unité de traitement puisqu'il est toujours censé être
traduit. Il est théoriquement possible de distinguer parmi les
unités de traitement celles qui appartiennent au lexique et celles qui
relèvent du discours, puisque les premières sont susceptibles
d'être également traitées dans la langue
d'entrée, [226]
tandis que les secondes ne
seront que traduites. [227]
Le problème ne se pose évidemment qu'au niveau de l'unité
syntagmatique. Nous avons vu, dans la section précédente, que
Nicot qualifie un certain nombre d'items lexicalisés de "maniere de
parler", etc. Plus fréquentes sont les seules définitions:
La bouche & les mains, en matiere de debuoirs deubs au Seigneur Feudal
par le vassal, c'est (ND 1573 s.v. Bouche)
Bras de mer, est vne course ... (N 1606 s.v. Bras)
La barre de parlement, c'est l'enclosture de ... // Barre de
temon, est vne piece de ... (ND 1573 s.v. Barre)
La différence entre syntagme codé et syntagme libre est
relative; la possibilité d'analyser les éléments d'une
séquence fait montre d'une certaine liberté de construction:
"BRANCHER vn larron, c'est le pendre à la
branche d'un arbre" (T 1564). L'équivalence monolingue est
trompeuse lorsqu'elle concerne les items traductifs d'Estienne: dans "Petit
bateau, ou batelet" (T 1564 s.v. Bateau), c'est petit bateau qui
définit batelet et non l'inverse. [228] Dans ses articles
construits, Nicot introduit
généralement les séquences libres par le mot
comme, ou une expression équivalente, ou par la ponctuation; par
exemple, s.v. Abastardir (N 1606):
s.v. Merveille: "Quelque chose qui aduient contre le
cours de nature, signifiant quelque mesaduenture
" [233]
Parlant des ensembles syntagmatiques dans les dictionnaires français en général, B. Quemada dit que "La reconnaissance de leur autonomie lexicale a toujours été extrêmement floue, car les auteurs ont longtemps négligé de distinguer -- mais le pouvaient-ils? -- /./ les suites de mots des syntagmes figés". [234] Nous avons vu que seul Nicot (dans ses articles construits) des auteurs du DFL-Thresor donne des précisions à ce sujet. Pour pouvoir tenter de décider du statut lexical des syntagmes d'un état de langue passé, on a deux possibilités: l'opinion des grammairiens et des lexicographes du temps, [235] ou des dépouillements exhaustifs de textes. [236] Dans le cas qui nous préoccupe, nous devons nous contenter des décisions de Nicot.
2.2.4.1. Fonctions
Le Thresor, dictionnaire encyclopédique, traite du mot mais
aussi du monde, s'occupe du français et, en même temps, d'autres
langues. Rien d'étonnant, alors, à ce que les nombreux noms
d'auteurs et textes cités [239] aient un
rôle tantôt linguistique tantôt encyclopédique,
concernant tantôt l'entrée tantôt l'étymon, voire
les équivalents.
2.2.4.1.1. Domaine non français
Quoique Estienne et Thierry invoquent, à l'occasion, l'autorité
de textes non français, c'est Nicot qui, dans la trame
étymo-sémantique de ses articles construits, s'y
réfère le plus. La citation ou la mention d'auteur peut jouer
plusieurs rôles. Pour ce qui est du traitement de la langue, on peut
observer, entre autres, les fonctions suivantes:
i) latin: "Archifs ... AErarium Sanctius, Bud." (1606); "Laict de femme,
Humanum lac. Plin. Muliebre lac. Celsus." (1549 s.v. Laict) [240]
ii) grec: "TALVT ... Lucian appelle cela
iii) hébreu: "Nettier ou nettoyer au balay ... Rabbi Scelonoh ben Gabirol en vn sien
poëme l'a dit ainsi,
iv) espagnol: "BRVMBAY ... signifie vne espece de
couleur, qui est rouge obscure: Et comme dit le Commandeur Chacon, au liure des signes
d'vn bon cheual, Verdadera color de castena" (1606) --
l'équivalent, analytique, est en fait intégré dans le
traitement sémantique isomorphe; "ACHEMINER
... Espagnol, Encaminar. Nebrisse" (1606)
v) italien: "ACHEMINER ... Italien Inuiar.
Petrar. au Sonet, Si trauiato"
(1606)
vi) florentin: "BARBVTE ... le Florentin en vsoit
iadis en ceste mesme signification, disant Barbuté en pluriel,
huomini arme: voyez Landin, en son
commentaire, Sur le paradis de Dante" (1573)
"se lit aux Annales de Rome,
Luc. Sicinius Dentatus auoir esté appelé Achilles
Romanus, A. Gell. liu. 2. ch. 11."
(1606 s.v. Achilles) [241]
"BVRGVE ESPINE, Burga spina, Ruellius putat vnum genus esse Rhamni"
(1564) [242]
i) hébreu -> grec: "ACHILLES ... Par la
mesme raison que Dauid Ps. 71. ver. 3.
appelle Dieu sa forteresse, que les
Septante rendent par
ii) latin -> gaulois: "ARPENT ... Columel. lib. 5. cap. 1, Galli
semipigerum [sic, = semiiugerum] Arepennem vocant" (1564)
i) latin: "Laberius ancien
Poëte Latin ... a ... appelé Lauandria,
ce qui est baillé à lauer" (1606 s.v. Lavandiere) --
l'étymologie est implicite
ii) grec: "BRAIRE ... Aucuns le veulent tirer de
ce verbe Grec
i) latin: "LAMBEAV ... La descente de ce mot
semble estre de lamberare vieux verbe Latin, qui signifie comme dit
Festus scindere, & laniare" (1606) [244]
ii) grec: "Archifs ... Autres le tirent de ce mot Grec
"Archifs ... Autres le tirent de ce mot Grec
"ce n'est pas pourtant que les Latins n'ayent vsé de ce mot
Barones, mais ce a esté comme de mot Espaignol, & à la
façon espaignole, disant Hircius
Pansa, au premier liure de guerre Alexandrine ... semper enim
Barones complurésque ..." (1573 s.v. Baron) [246]
2.2.4.1.2. Domaine du français
Les sources encyclopédiques, mentionnées dans le dernier
paragraphe de la section précédente, ne se rattachent, quant
à leur fonction, à aucune langue particulière, le langage
servant, comme dans le discours linguistique normal, simplement de
véhicule: d'informations techniques, historiques, etc. Il n'est donc
pas surprenant que les ouvrages techniques de l'antiquité aient
constitué un terrain de choix pour les traducteurs du XVIe
siècle. [249]
Tout texte traduit pouvait remplir, dans le dictionnaire, plusieurs fonctions.
Il pouvait, d'abord et indépendamment du fait de sa traduction, fournir
des renseignements encyclopédiques ou des équivalents; [250] il pouvait fournir une
équivalence de termes
(par exemple "ANCHOIS ... Rondeletius dicit esse Encrasicholos" 1564
s.v. Anchois); [251] il
pouvait, enfin, sous sa
forme traduite, fournir un exemple d'emploi du français:
Quant aux contextes extra-linguistiques du domaine non français, on a
affaire à la réalité qu'évoquent soit un
étymon ou un équivalent, soit une entrée
française, soit les deux. Dans tous les cas, il s'agit d'un auteur
d'expression non française. Ainsi, on trouve Pline parlant d'Achilles
soignant Télèphe (1606 s.v. Achilles); Méla décrivant les enseignes
peintes des Agathyrses (1606 s.v. Armes); Dioscoride, Justin, Pline, Strabon et Théophraste décrivant le baume
(1606 s.v. Basme); Matthieu de Westmonstier rapportant des lettres de
Charlemagne dans lesquelles il est fait mention d'un baudrier (1606 s.v.
Baudrier); Giorgi parlant du dressage du
lanier (1606 s.v. Lanier); Domenichi
signalé comme biographe de la soeur Scholiastique Bectone [247] (1606 s.v. Tarascon). Nous
avons discuté plus haut [248] le statut ambigu de la séquence
définitionnelle, celle-ci pouvant se référer à la
chose désignée aussi bien qu'au mot; les informations
encyclopédiques, ou extra-linguistiques, ne sont jamais
divorcées tout à fait du traitement sémique, le nombre de
sèmes nécessaires à l'identification du défini
étant toujours fonction des besoins de chaque utilisateur particulier,
et donc imprévisible.
" (1606)
" (1606 s.v. Balay)
" (1606)
,
qui signifie resonner, en ayant Hesiode vsé en cette
signification. Et Homere mesmes du preterit
" (1606) [243]
... Hesychius & Suidas disent, Archeia estre le
lieu où les chartres publiques sont gardez" (1606) [245]
...
qui signifie aussi ce que Ciceron ... appelle Tabularium,
Et Virgile ... en pluriel populi tabularia" (1606)
De dire que l'vsage François de ce nom soit à cause de ce
qui est escrit dudit Achilles en Homere li. I. de l'Iliade,
Ayant examiné ce qui est aux frontières du domaine du
français, passons aux auteurs et aux textes d'expression purement
française. Ici encore, la fonction de la référence peut
être extra-linguistique:
,
dont est parti ce prouerbe Grec,
, la priere & souhait
d'Achilles ... il n'est ne hors de propos, ne trop à
propos (1606)
Banniere de France ... Laquelle est semée de fleurs de
lys sans nombre, ainsi que l'ancien Escu des armes de France, le fut
auparauant l'an 1380. que Charles sixiéme les reduit au
nombre de trois. Nicole Gilles en la
Chronique dudit Roy, semblablement voulut & ordonna, que là
où ses predecesseurs Rois auoient porté en leurs armes vn
Escu d'azur, tout semé de fleurs de Lys sans nombre, deslors en
auant n'y eut que trois fleurs de Lys seulement (1606 s.v. Banniere)
quoique l'encyclopédisme des citations françaises entretienne
avec la langue française un rapport qui fait défaut à
celui des sources non françaises. Les citations ou
références d'auteur françaises à valeur
linguistique servent à illustrer d'une manière ou d'une autre
une unité de la nomenclature, [253] la
citation fournissant un exemple d'emploi qui dans une certaine mesure
éclaire le fonctionnement sémantique et syntagmatique de
l'unité, la mention d'auteur ou de texte sanctionnant l'usage d'un
terme. À l'interieur de ces fonctions générales, on peut
observer des propriétés particulières dépendant de
la situation de la citation ou mention dans l'énoncé
lexicographique. [254]
A aussi signifie pour ... au 3. liure Damad. chap. 6. Toutesfois il estoit lors peu cogneu à fils de roy (1573) [255]
ACCVSER ... se prend aussi pour deceler, descouurir quelque secret: Gaguin au traicté des Herauts: Ne aussi reueler n'accuser emprinses de guerres, ne autres embusches de son party (1606) [256]
- Le rôle autorisateur de la citation peut être explicité par le lexicographe:
Laneret ... Est le diminutif de lanier, & signifie comme aucuns estiment le tiercelet du lasnier. Iehan de Franchieres donne à entendre qu'il est ainsi, quand ... il escrit en ces mots, De ce faulcon pouuez voler pour riuiere, tant du lasneret comme du lasnier, car ils y sont bons (1606)
Arsacide ... assassin ... Nicole Gilles en la vie du Roy Saint Loys, se deffait dudit mot Arsacide en ces termes. L'an mil deux cents trente six, le Roy des Arsacides ... enuoya en France aucuns de ses Arsacides, qui sont gents nourris & introduits pour tuer ceux que leur Roy leur commande, ayants charge de tuer le Roy Saint Loys (1606) [257]
Taille aussi est la facture du corps en grosseur & haulteur, soit de l'homme, soit de beste, disant le François ... vn cheual de legiere taille, en Amadis au premier liure, Vn cheual qui ha le corps & les iambes allegres (1573) [258]
BAILLIE. Ie ne veul estre en ta baillie & gouuernement. Berinus, Ils seront en vostre baillie. Guy de Waruich, c'est à dire puissance seigneurie & domination (1564) [259]
Acquiter vne terre. Berinus. C'est la mettre en paix & quietude en la deliurant des vsurpateurs (1564 s.v. Acquiter)
Bullette d'or pendant sur le front, en laquelle estoient enchassées trois riches escarboucles de prix inestimable. Iean le Maire lib. I. chap. 40. des Illustrations (1606 s.v. Bullette)
i) sanctionnement du signe:
Actournée, f.penac. Est la procuration passée à un actourné, comme il se void aux ordonnances de l'Eschiquier tenu à Rouen le terme de Pasques 1462 (1606)
LAMBRVNCHÉ, Labrusca. c'est vigne sauuage. Ronsard en vse (1564; 1573 = "LAMBRVNCHE ...")
ii) sanctionnement du sens:
Baffray aussi se prend pour vne bastille faite de charpente, de laquelle les assiegeans battent les assiegez, comme d'vn petit fort, se retrayans en icelle aux saillies qu'on fait sur eux. Ainsi en vse Eng. de Monstrelet (1606 s.v. Baffroy)
Abonner aussi, selon maistre Fr. Ragueau, signifie aliener, changer, quand le vassal aliene ses rentes & debuoirs, hommages, ou change l'hommage à deuoir (1606) [260]
LAMBEAV ... Feron le nomme tousiours Lambel au singulier (1606) [261]
Breuiarium ... compilation en bref ... les anciens Latins mieux parlans disoient Summarium au lieu de Breuiarium, Nous disons Abbregé, & ainsi est intitulé l'Epitome des Chroniques de France, laissans le latinisé Breuiaire en vsage aux gens d'Eglise (1606 s.v. Breviaire)
2.2.4.2. Limites de la citation
La ponctuation et l'ordre des informations dans l'article de dictionnaire sont loin d'être standardisés au XVIe siècle. [262] Les distinctions typographiques sont relativement peu nombreuses et imparfaitement normalisées. [263] On ne connaît pas encore les guillemets. Aussi n'est-il pas surprenant d'observer chez Nicot, premier lexicographe français à citer un grand nombre de textes, un maniement variable des citations et mentions d'auteurs.
Quelles marques peut-on observer aux frontières de la citation et du discours lexicographique dans lequel elle est placée? La première lettre peut être une majuscule et être précédée d'une virgule:
Comme, Il fit arrouter ... (1573 s.v. Arrouter)
ainsi dict, par ce qu'il ...: Le marquis haussa ... (1573 s.v. Bassinet)
L'identification de la citation ne s'arrête pourtant pas à la détermination de ses points limites. Il faut aussi se demander, lorsqu'on n'a pas affaire à une citation directe, dans quelle mesure un texte cité a été intégré au discours lexicographique. Les formes canoniques peuvent l'être dans le texte d'origine ou avoir été normalisées par le lexicographe: "Acquiter vne terre" (< Berinus s.v. Acquiter 1564), "la Bastille S. Antoine" (< Gilles s.v. Bastille 1606), "vn cheual de legiere taille" (< Amadis s.v. Taille 1573) ont-ils subi de la part du lexicographe un traitement autre que celui de l'extraction du contexte plus grand? Ce sont surtout les textes techniques qui sont assimilés aux déclarations de Nicot pour étoffer les définitions et commentaires encyclopédiques; textes français:
en fait d'armoiries, lambeau est vne espece de brisure, laquelle comme Toison d'or Roy d'armes du Duc de Bourgongne a laissé par escrit, ne peut estre portée en escu que par les fils aisnez seulement. De sorte, comme il dit, que si à vn pere suruiuent deux fils, le puisné ne peut prendre les lambeaux ... (1606 s.v. Lambeau) [264]
le Florentin en vsoit iadis ... voyez Landin, en son commentaire, Sur le paradis de Dante (1573 s.v. Barbute)
Enfin, l'ambivalence de la mention d'auteur placée avant ou après une citation peut parfois rendre difficile la consultation d'un article. Qui, de Ronsard et de Pasquier, est censé être l'auteur de la citation donnée s.v. Alembiquer: "Alembiquer, faire distiller. Ronsard. Mon pauure esprit se consomme & alembique en desmesurées passions. Pasquier." (1564)? La citation qui accompagne la mention "Sicile Heraut du Roy d'Aragon, en son traité d'armoiries" (1606 s.v. Armes) est-ce la liste d'items bilingues qui précède celle-ci ou la phrase qui la suit? L'étude comparative des éditions du dictionnaire peut quelquefois être de quelque utilité. Ainsi, dans:
2.2.4.3. Sources nommées
Nous remplaçons l'échantillonnage de la première édition par le relevé exhaustif de Wooldridge 1989 (voir aussi
Wooldridge 2002).
2.2.5. Commentaires
À la page 1, le Thresor porte comme sous-titre "LES COMMENTAIRES
DE LA LANGVE FRANCOISE". [279] Ce sont, en effet,
les commentaires qui, dès 1573, [280]
marquent la contribution apportée au dictionnaire par Nicot.
Élaborant un discours lexicographique dans lequel s'insèrent non
seulement des informations sur le mot, adresse d'article, mais souvent aussi
des propos sur la métalangue ou sur la chose nommée, Nicot
construit de nombreux longs articles qui demandent à être lus
plutôt que consultés. [281] Ainsi,
tout en levant, par l'explicitation du discours métalinguistique,
l'équivoque de maints contextes sémantiques et syntagmatiques
hérités d'Estienne, Nicot peut, dans beaucoup de cas, rendre
malaisé le repérage des informations linguistiques en les
faisant accompagner de longs développements encyclopédiques, le
tout rédigé en un alinéa serré.
L'uniformité typographique rend encore plus difficile que chez
Littré, par exemple, le repérage du traitement des
différents sens d'un mot. [282]
Le traitement du mot-adresse ayant déjà été étudié tout au long de ce chapitre, [283] nous limitons nos remarques ici aux commentaires faits sur la métalangue et sur le monde.
2.2.5.1. Métamétalangue
Lorsqu'il traite de la forme des mots, Nicot passe très facilement du
plan de la métalangue à celui de la
métamétalangue. Commentant une étymologie, il
énonce constamment des lois d'évolution phonétique et
graphique:
Aiguiere ... de Aquarium ... car le François
vsurpant le mot Latin y adiouste souuent la voyele, j. & fait la
diphthongue,
Expliquant un dérivé ou un composé, il fournit volontiers
des listes de mots formés sur un même affixe. [285] À l'occasion, Nicot
donne aussi des
informations sur le fonctionnement des formes:
, qui
sone
, comme de
mater, maire, de pater, paire, ores que aucuns n'en representans
que la prononciation sans plus, escriuent mere, pere. Et toutefois
inconstans en leur escriture, escriuent pair, de par (1606 s.v.
Aiguiere) [284]
2.2.5.2. Monde
Le passage du traitement du mot au traitement de la chose est
graduel. [287] Il a
normalement lieu dans la
séquence définitionnelle, en théorie à l'endroit
ou le nombre de sèmes suffisant pour distinguer le mot-entrée de
tous les autres mots de la langue est atteint, mais en fait à aucun
endroit précis. Comment, par exemple, analyser la paraphrase suivante:
Bougete ... le François par ce diminutif, entend ce petit
coffret de bois de bahu, & tenue couuert de cuyr, feutré ou
bourré entre cuyr & bois par dessous, afin qu'il ne blesse le
cheual, & ferré de petites listes de fer blanc par dessus le
couuercle qui est vouté, & d'vn pied & demi de long ou enuiron,
quelque peu moins de large, fermant à serrure & à clef, que
les femmes portoient anciennement penduë à courroyes de cuyr
double, à l'arçon de deuant de la selle de leur palefroy
quand elles alloient aux champs, en laquelle elles portoient leurs bagues,
ioyaux & menus affiquets (1606 s.v. Bougete) ?
Il est évidemment plus utile d'admettre l'aspect encyclopédique
de la séquence entière et de reconnaître que
l'encyclopédisme d'un article est déterminé en premier
lieu par la nature du mot-entrée. [288] Les
noms propres constituent un domaine de choix pour les informations
encyclopédiques:
Dans certains cas, la structure de l'énoncé lexicographique permet d'observer une rupture entre ce qui revient à la séquence définitionnelle proprement dite et les compléments encyclopédiques de celle-ci; ainsi, après le deux-points de l'exemple suivant:
La probabilité d'apparition d'une marque dépend, d'une part, du type de marque en question, et d'autre part, de la classe lexicale dont relève le mot-entrée. Ainsi, en ce qui concerne les marques de spécialisation socio-professionnelle, les termes de marine, de vénerie et de fauconnerie sont systematiquement signalés, les termes d'autres domaines le sont de façon moins suivie. [298]
Enfin, comme nous l'avons montré à 2.2.4.2, la marque de spécialisation d'emploi en vient parfois à avoisiner l'indication d'usage idiolectal.
2.2.7.1. Mots 'fantômes'
Il arrive à Estienne et à Nicot, lexicographes
étymologisants cherchant à expliquer le sens des mots,
d'utiliser -- le dernier surtout -- des formes fictives, c'est-à-dire
qui sont présentées comme telles:
*basmier
*celerer
*coller
*horrer
*lue
*se armer d'une raison, *se couvrir d'une raison, *faire
son bouclier d'une raison, *faire sa targe d'une raison
*barlueur
Jusque-là, il n'y a pas de problème. Cependant, un mot dit
inusité peut avoir existé en français auparavant, sinon
du temps de Nicot. Par exemple, *arroyer et *desroyer "pas
vsité" (N 1606 s.v. Arroy) sont attestés par Huguet avant
Nicot; [300]
*compagner,
"inusité" (N 1606 s.v. Accompagner), avait fonctionné au
moins jusqu'en 1573 [301] et fut donné
comme synonyme de brigader dans E 1549 ("Brigader, Compaigner";
l'article subsiste dans N 1606); de même, le mot tail,
qualifié dans l'ordre alphabétique de languedocien et
"inusité au François" (N 1606), est attesté comme
français en 1390 et 1598 par le FEW. [302]
En revanche, le mot chartrier ("gardes des chartres, ou gardes des
Archifs, comme si vous disiez, Chartriers" N 1606 s.v. Archifs) est
supposé devoir attendre près d'un siècle pour se voir
répéter (FEW: Furetière 1690 - Acad
1878). [303]
"L'italien l'appelle Barlume, par analogie duquel mot
le François pourroit dire Barlueur, m.acut." (N 1606 s.v.
Barlue)
"ce que les faux basmiers (si on les peut ainsi appeler,
comme nous appelons les faux sauniers) nous en veulent faire à
croire" (N 1606 s.v. Basme)
"Est composé, & pur Latin, de ad & celerer
inusité, qui vient de celer" (N 1606 s.v. Accelerer)
"Composé de ad & coller inusité" (N
1606 s.v. Accoller)
"Abhorrere, & est composé ainsi que le Latin, mais
horrer simple n'est en vsage enuers les François, combien
que horrere le soit enuers les Latins" (N 1606 s.v.
Abhorrir)
"le mot est composé de cette diction Bar, laquelle
empire la signification de ce mot inusité, lue, pour
lueur" (N 1606 s.v. Barlue)
"Se targer d'une raison ... comme qui diroit Se armer,
se couurir, faire son bouclier d'une raison, En faire sa targe"
(E 1549 s.v. Targer)
Lorsque l'enregistrement postérieur est dû à Cotgrave, on s'en méfie, car celui-ci a tendance à recopier, quelquefois assez naïvement, une bonne partie de ce qu'il trouve chez Nicot. Ainsi, "Parler bref, ou plustost Bret, c'est bretonner" (N 1606 s.v. Bref) donne lieu chez Cotgrave à "BRET. Estre, ou parler, bret. To stammer, stut, or speake indistinctly"; "BROV de noix, fortè rectius, Brouil, car il brouille les doigts" (N 1606) produit en 1611 "BROVIL: m. as Brou". Cotgrave consigne également dans la nomenclature arroyer et desroyer mentionnés ci-dessus.
Il faut, pourtant, si on veut critiquer les variantes proposées par
Estienne et Nicot, agir avec prudence. S'attaquant, en 1881, à la
deuxième édition du Dictionaire françois-latin,
Charles Thurot dit que "R. Estienne, comme un grand nombre de ses
contemporains, est disposé à faire violence à l'usage
pour le rapprocher de l'étymologie. Il invente même des formes,
ainsi: "venredi, voyez vendredi," "graver quasi
grafer," "dragee quasi tragee, il vient de
Tragema," "orme ou oulme," turturelle,
"falot pour phanot a ."" [304] Or, venredi est
attesté deux fois au
XIIIe s. par Littré et de 1200 jusqu'au début du XVIIe s. par le
FEW; [305]
graffee ("lame -") et
graphe (< grapher) sont donnés, l'un en 1489, l'autre chez
Marot, par Godefroy; Littré trouve oulme chez Saint-Gelais;
phanot s'emploie en 1580; [306] on observe
turturelle chez Charles d'Orléans (Littré) et encore en
1567. [307]
2.2.7.2. L'italique et le romain
Le système, établi par Estienne en 1532, [308] de la distinction
typographique du français
(italique) et du latin (romain), se voit modifié dans le Dictionaire
françois-latin, avec l'introduction d'autres langues, et surtout
dans le Thresor comparatiste, pour opposer le français à
tout ce qui n'est pas français. [309]
Ainsi, en plus du latin, l'allemand, l'anglais, l'espagnol, le flamand,
l'italien, etc., seront traités en romain ... sauf exception:
les Anglois ... appellent Andierns ... mot composé
de End ... & de Iern (T 1564 s.v. Landier)
L'Espagnol ... disant bramar & bramido. Mais l'Italien ...
bramar & brama (ND 1573 s.v. Bramer; N 1606 emploie ici le romain
pour les formes espagnoles et italiennes)
Flandri dicunt Bosc (E 1549 s.v. Bois)
L'Alemand l'escrit & prononce Landsknecht ... Les Landsknechts
sont en Alemagne & en Suisse ceux que ... (N 1606 s.v.
Lansquenet) [310]
Comme nous l'avons déjà vu, [311] la
langue d'oc a, dans le Thresor, un statut ambigu, pouvant figurer dans
la nomenclature mais s'opposant généralement au français:
Néanmoins, c'est au niveau de l'opposition fondamentale -- entre le français et le latin -- que l'équivoque est la plus fréquente et la plus gênante. Certains cas ne sont que momentanément troublants: ainsi, dans T 1564, "Brouyr, Bruser" est à interpréter comme 'adresse française + synonyme français' et non 'adresse française + équivalent latin' -- ND 1573 corrige la typographie; [312] de même, on admettra que la formule latine ad nutum est mise en usage français dans la séquence suivante: "Benefices reuocables ad nutum, Sacerdotia precaria" (E 1549 s.v. Benefice). Deux contextes méritent notre attention: les indications grammaticales et accentuelles mises à la suite de l'adresse et le latin populaire de la nomenclature botanique.
2.2.7.2.1. Indications grammaticales et accentuelles
En règle générale, les indications grammaticales et
accentuelles sont imprimées en romain. Dans la grande majorité
des cas, cependant, il est impossible de statuer sur leur appartenance
linguistique, à cause des formes abregées et de l'emploi du
point -- autant pour séparer les mots que pour marquer
l'abrègement. Ainsi, "m./masc./masculin." sont tous également
ambigus. "ac./acu./acut." et "p./pen./penac./penacu./penacut.", quoique
ayant l'air plus latins que français, ne le sont pas forcément
puisqu'on lit, s.v. Accent "Accent acut, ou esleué, Accentus
acutus " (N 1606 ) et, s.v. Aiseement "par traynee de l'accent
penacute" (ND 1573 -- cf. "la diction ... dite penacuta" N
1606 s.v. Accent). Parfois, un terme ne peut qu'être latin:
foemin. (N 1606 s.v. Mesle)
gener. (N 1606 s.v. Autour, Blaime, Blaphastre)
monosyllabum (N 1606 s.v. Beau, Ja)
num. (N 1606 s.v. Accordailles, Achées, Aiguesmortes)
passiuè (N 1606 s.v. Achevé)
plural. (N 1606 s.v. Assises)
reciprocum (N 1606 s.v. Heruper)
tempor. (N 1606 s.v. Hersoir)
adiectif. (N 1606 s.v. Aagé, Aagée, Brun, Lanice)
substantif. (N 1606 s.v. Aage, Abysme)
En pluriel, m. penac. (N 1606 s.v. Almoravides)
m. Pluriel (ND 1573 s.v. Acquests)
AOVST, m. Monosyllabe
Aouster, trisyllabe, acu.
Bernie, f. penac. disyll. [314]
BOVRREAV, m. acut. disyllab.
Brigandeau, m. trisyll. acut.
Heroïque, quadrisyll. com. gen. penac. adiect.
actiu. (N 1606 s.v. Accourcir, Assener, Assermenter, etc.)
ou français:
actif. (N 1606 s.v. Accousiner, [313]
Accoutrer, Acerer, etc.)
Parfois, la forme française est engagée dans un contexte
français imprimé en italique:
est diminutif. de Arc (N 1606 s.v. Arceau)
Le mot "pluriel" se trouvait déjà dans ND 1573 où il
était normalement en italique:
m. & pluriel (ND 1573 s.v. Achemes)
N 1606 utilise l'italique à l'occasion aussi:
> m. penac. & pluriel. (N 1606)
> m. pluriel (N 1606)
ARDANS, en pluriel. m. acut.
Ceci à côté de:
LAI, m. monosyl.
Vocabulaire mixte donc, mi-latin, mi-français. "Quadrisyll." est-ce
latin ou français? -- le FEW [315] donne la
date 1647 pour la première apparition du français
quadrisyllabe, lequel pourtant se trouve déjà, et en
italique, dans E 1549 s.v. Vendenge (Ø N. 1606).
2.2.7.2.2. Nomenclature botanique
Le latin vulgaire des noms de plantes, fonctionnant indifféremment en
latin ou en français, comme dans toutes les langues vulgaires, a, dans
le DFL-Thresor, un statut mal déterminé, lui
aussi. La
nomenclature renferme, entre autres:
PALMA CHRISTI, c'est une herbe ainsi nommee,
Croton, Ricinus (E 1549; FEW: depuis Fousch 1549) [316]
BRANQVE vrsine ... Acanthus. Les
architectes la nomment vulgairement Acanthe. voiez Branche
vrsine (T 1564)
BRANCHE VRSINE. espece d'herbe, Acanthus vel
Acanthe (T 1564)
BLEVET, ou aubifoin, Cyanus. Aucuns
l'appellent Baptisecula pource qu'elle nuyt aux faucheurs ...
Les anciens nommoient vne faulx ou faucille en latin Secula (T
1564) [317]
ARRESTE BOEVF ... Anonis ou Ononis. le
vulgaire des arboristes la nomment Resta bouis, & aucuns Remora
aratri qui signifie Arrest de boeuf ou de charrue, pourceque en
labourant ceste herbe de ces racines arreste les boeufs (T 1564)
Langue de cerf, Hermionitis: Les apothicaires Sclopendria &
lingua ceruina (T 1564)
SCOLOPENDRE vulgaire ou Langue de Cerf,
Splenium, Hemionitis. Les herbiers la nomment Scolopendria, &
Lingua ceruina (T 1564) [319]
ENVLE, ou Campane, Helenium, Inula les
Apothicaires les nomment Enula, les paisans, Campana ou
Enula campana (T 1564)
Tassette, herbe commune ... appelée ...
vulgairement par les Apothicaires, Bursa pastoris (T 1564)
> Tabouret ... espece d'herbe que les herboristes
Vne sorte d'arbre qu'on appelle Agnus castus, Vitex (E 1539; Ø
FEW)
Acanthe [Ø FEW] a l'air français s.v. Acanthe et
Branque
ursine, latin s.v. Branche ursine:
ACANTHE, voiez Branque Vrsine (T 1564 < E
1549 App. IV)
De même, baptisecula [Ø FEW] est enregistré
dans
l'ordre alphabétique, bien qu'il soit traité en mot non
français s.v. Bleuet:
BAPTISECVLA, voiez Bleuetz (T 1564)
En général, on oppose au latin populaire (en usage vulgaire) un
latin classique. En plus des exemples notés ci-dessus et qui
apparaissent dans la nomenclature, ajoutons:
LA PATIENCE, ou Parelle Lapathum, Rumex. Vulgo
Lapatium (T 1564) [318]
Pourtant, s.v. Aulnée, helenium et inula perdent leur
allure classique:
AVLNÉE, est l'herbe autrement
appelée Helenium, ou Enula campana ou Inula (T
1564) [320]
Le latin classique peut, bien entendu, faire défaut:
Bourse de bergier, herbe commune nommée par le vulgaire,
Bursa pastoris (T 1564)
S.v. Tabouret, bursa pastoris est imprimé en italique en 1564 et
en 1573:
Tabouret ... l'herbe communement dicte Bursa pastoris
appellent
Bursa pastoris (N 1606)
2.2.8.1. Les articles de Nicot
La nature des articles de Nicot est en partie fonction de leur origine.
Touchant à ceux qu'il hérite, il peut procéder de
plusieurs façons:
a) il construit un alinéa liminaire dans lequel il inclut les items
existants:
> Bateur est vn vocable ores adiectif & general
> LANGVE ... Proprement prins est l'instrument
ou
> BANDE, f.penac. Aucuns escriuent Bende,
mais est
> ¶ Aage, c'est tantost vn terme
general pour designer
> ¶ Brunir aussi est esclarcir & polir,
Selon ce on
Bateur de gens, Percussor.
ou une partie d'entre eux:
Bateur de paué, Ambulator. (1539)
à tous ceux qui frappent de quelque chose
Percussor,
que ce soit qu'ils battent, soit du poing, soit de
baston, espée, ou autre chose,
& vient de ... Mais en particuliere signification
& substantiue, signifie celuy qui auec fleau bat du
bled en la granche ... Et par translation on appelle
Bateur de paué, celuy qui à toute heure va par les
rues d'vne ville, Obambulator, Par ce qu'en ... (1606) [324]
Langue, Lingua, Glossa.
Tu as la langue bien longue ...
La langue Latine, Latina lingua.
La langue Latine est plus riche ... (1539)
membre que Dieu a formé tant en la bouche
...
de l'homme pour parler, chanter, gouster
que aussi en la gueule des bestes brutes ...
Lingua ... Mais par metonymie signifie ores le
parler & langage particulier de chaque pays, comme
quand on dit langue Hebraïque, Grecque, Latine,
Françoise ... Lingua Hebraïca, Graeca, Latina,
Gallica ... Et ores la gent ou nation mesme qui
vse d'vn parler & langage particulier à elle ...
Il a la langue bien pendue ...
Il a si bien ioué du plat de la langue ...
La langue Latine est plus riche ... (1606)
b) il développe ou il modifie le premier alinéa:
BANDE, ou BANDES.
Aucuns escriuent Bende, ou Bendes,
& c.
Sodalitium, id est conuictorum conuentus.
B. ex. Cic.
(1549)prononcé par a obscur, selon la regle de
...
& signifie proprement vne piece de quelque estoffe que ce
soit ... Et en fait d'armoiries ... Et en cas
d'embattage de roües ... Et entre Chirurgiens ...
Et ... en fait militaire, la compagnie de soldats
assemblée & marchant sous vne telle bandiere ... Et
par translation on appelle Bande, quelque compagnie que ce
soit d'hommes ou de femmes, ou d'eux deux ensemble, quand ils
vont en trouppe ... (1606) [325]
c) il construit un alinéa liminaire original:
Fort aagé, ou Qui est de grand aage ... (1539)
Fort aagé, ou Qui est de grand aage ...
tout aage, comme il est aagé de neuf, de douze, de
...
vingt, de trente, de quarante, de cinquante ans
Tantost signifie de grand aage, comme ... Et
tantost vn qui attainct, ou est reputé auoir attainct
l'aage par le droict prefini, pour vallablement gerer
exercer & administrer ses affaires ... Selon ce
on dit, que tout homme noble tenant fief, est reputé
aagé a l'aage de ...(1573 s.v. Aagé) [326]
d) il développe ou il modifie un des autres alinéas:
[Brunir de la vaiselle d'argent, Polire. (1564)
e) il ajoute un alinéa non liminaire:
dict brunir la vaisselle d'argent,
Polire. Et le
Cerf brunist sa teste, quand il l'esclarcit & polist, és
charbonnieres ou en l'argille, apres l'auoir frayee &
espluchée des lambeaulx. (1573 s.v. Brunir, 2e
alinéa) [327]
¶ Bourse aussi se prent pour vne place
d'un collegié en
Les deux premiers procédés sont, dans N 1606, les plus
caractéristiques, tandis que les deux derniers sont typiques de la
démarche de ND 1573. En 1573, Dupuys fait un emploi fréquent ou
de la séparation en alinéas distincts des acceptions
nouvellement traitées ou ajoutées, ou du maintien en
alinéas des items développés. Ainsi, A se voit
mériter huit nouveaux alinéas, les alinéas 2 et 3 de
ABANDONNER sont modifiés et amplifiés,
TAILLE acquiert un nouvel alinéa 6 de six
lignes. [329] Pour le
Thresor, Nicot n'est
plus responsable des seuls éléments ajoutés, il se charge
aussi du manuscrit, ce qui lui permet d'effectuer d'importants remaniements.
Par exemple, pour l'article ABBANDONNER il construit un
alinéa liminaire qui incorpore dans un énoncé
articulateur les alinéas-items 1, 2, 4, 5, 6 et 8 de ND 1573. De la
même façon, tous les dix alinéas-items de l'article TAILLE de ND 1573 (22 lignes) sont compris dans un long
alinéa construit de 44 lignes. [330]
Ajoutant à la nomenclature un mot nouveau, Nicot a toute liberté
pour rédiger comme il l'entend. Toutefois, indépendamment de la
provenance de leurs éléments, les articles du Thresor
renferment une formulation et un contenu très variables et donc
largement imprévisibles.
vn college, dont les collegiéz sont appellez
(1573 s.v. Bourse, 2e alinéa) [328]
Boursiers de tel college, & ce par ce qu'ils recepuoient
anciennement leur distribution pecuniaire chacun en vne
bourse à part, comme font les secretaires du roy és
chanceleries
2.2.8.1.1. Informations
Les articles du Thresor peuvent contenir un ou plusieurs des sorties ou
composants informationnels suivants:
Variantes (cf. 2.2.1.2)
Remarque sur l'orthographe de l'adresse (cf. 2.2.1.2.1, et 2.2.1.2 en
général)
Remarque sur la prononciation de l'adresse (cf. 2.2.1.2.2 et 2.2.7.2.1)
Indication accentuelle: place de l'accent ou nombre de syllabes (cf.
2.2.7.2.1)
Étymologie (cf. 2.1.1.1 et 2.2.2.1, note 159)
Dérivés et 'cognates' (cf. 2.2.1.1.3)
Catégorisation grammaticale (cf. 2.2.1.3, 2.2.1.4, 2.2.7.2.1)
Définition (cf. 2.2.2)
Exemples d'emploi: syntagmes lexicalisés ou libres (cf. 2.2.2.2.5,
2.2.3 (surtout 2.2.3.3) et 2.2.4.1.2)
Équivalents latins de l'adresse/d'un exemple (cf. 2.2.2.1)
Équivalents non latins de l'adresse/d'un exemple (cf. 2.2.2.1)
Remarques d'usage: fonctionnement temporel /spatio-linguistique
/socio-professionnel /stylistique /quantitatif (cf. 2.1.2.4 et 2.2.6)
Citations: autonymes, encyclopédiques (cf. 2.2.4)
Commentaires encyclopédiques: métamétalinguistiques
(cf. 2.1.2.2, dernier
paragraphe, et 2.2.5.1),
extra-linguistiques (cf. 2.2.4.1 et 2.2.5.2)
2.2.8.1.2. Structures
La structure des articles du Thresor varie selon le rédacteur,
selon la nature du mot à traiter ou, tout simplement, selon le hasard.
Et les types de composants et l'ordre de ceux-ci sont largement
imprévisibles. L'article minimum comprend la seule adresse: SYMBOLIZER, SYMBOLIZATION, SYMPTOME, SYNCOPE, SYNCOPIZER,
SYNODAL et passim. [331] On rencontre
fréquemment aussi des articles qui, en plus de l'adresse, ne renferment
qu'un composant. Celui-ci sera bien souvent une définition:
NAIADES, sont les nymphes des eauës
IABLE, C'est l'enchasseure des deux bouts de la
douue d'vne piece de fustaille, dans laquelle les fonds sont enchassez, &
enfustez
SYNCERE, Syncerus.
Les OLERIES
SVBSEQVENT, La nuit subsequente
BIZARRE, Ta nature s'est trouuée en moy
fantastique & bizarre. Pasquier
c) adresse + remarque d'usage:
AIGV, voyez Agu
LANDGRAVE, voyez Conte
Adresse (cf. 2.2.1)
Brigader, Compagner
ou, dans le cas d'un article hérité d'Estienne, un ou des
équivalents latins:
CABANE, Casa, Casula, Tugurium
Se rencontrent aussi: a) adresse + exemple:
Syncerité, Synceritas.
Syncerement, Syncerè.
Vne BOBINE
b) adresse + exemple signé:
Naufrageux orage. Ronsard (s.v. Naufrageux)
- ce type d'articles est surtout le fait de T 1564;
VVARLOPPE de menuisier
d) adresse + catégorisation grammaticale:
Blondelete, f.
e) adresse + étymologie:
AGITER, Il vient de Agito, agitas
f) adresse + renvoi:
AGVISER, voyez Agu
- les articles-renvois dérivationnels et graphiques sont
frequents. [332]
Ajoutons à cette liste de
types d'articles réduits la combinaison adresse + catégorisation
grammaticale + accentuation:
KARAT, m.acut.
En principe, tout type de composant peut ne pas apparaître dans un
article sauf l'adresse. Celle-ci est en effet nécessaire à
l'existence de l'article, quoique sa situation et son statut réels en
rendent assez souvent précaire l'autonomie. [333] Plus un article est long,
plus il est susceptible de
contenir de composants comme le montre plus loin le tableau sur la
probabilté d'apparition des composants. Même
les composants les plus fréquents peuvent, néanmoins, faire
défaut à un article développé. Ainsi, l'article
BLASON (57 lignes) n'a ni équivalent latin de
l'adresse, ni catégorisation grammaticale, ni indication accentuelle,
ni étymologie; ORFAVRERIE (26 lignes) est sans
équivalent latin de l'adresse ni exemple; BENNEL
(11 lignes) n'est pas défini -- il est pourtant rare de trouver un
alinéa de plus de dix lignes qui ne contienne pas
d'énoncé définisseur. La plupart des articles ne font pas
de remarque spéciale au sujet de l'orthographe de l'adresse;
celle-là est cependant toujours indiquée du fait de la
présence de celle-ci. Nous donnons trois tableaux, qui montrent
la probabilité d'apparition des composants,
leur
fréquence d'emploi et leur place dans l'article. [334]
Le premier tableau permet de constater que les seuls composants dont la probabilité d'apparition ne soit pas plus grande dans les articles construits que dans les courts articles, sont l'adresse (toujours présente), l'adresse-variante et la séquence équivalentielle latine, informations typiques des courts alinéas d'Estienne.
Le deuxième tableau, dans lequel figure le nombre d'occurrences par article d'un composant, montre que plus l'article est long plus il contient d'acceptions du mot-adresse, donc plus de séquences définitionnelles, d'exemples d'emploi, d'équivalents, et de commentaires et de citations à l'appui. Les étymologies et les dérivés se multiplient aussi, [335] comme, dans une certaine mesure, les catégorisations grammaticales, la forme d'entrée pouvant avoir diverses fonctions.
Du point de vue de la structure de l'article, c'est le troisième tableau, sur la position relative des informations, qui est le plus intéressant. En fait, il faut savoir interpréter les données que l'on y lit. Par exemple, le renvoi, quoiqu'en onzième position dans le tableau, est normalement la dernière information donnée (cf. ABAISSER (1 ligne), ABBAY (6 lignes), LANCE (41 lignes)). Tandis que certains composants ont une place normale, d'autres, comme les commentaires, par exemple, peuvent se trouver à n'importe quel endroit de l'article, puisqu'ils ont pour rôle de circonstancier l'énoncé de base (sujet et prédicat). D'autres, enfin, ont plus d'une place logique. La variante, lorsqu'elle ne suit pas immédiatement l'adresse: "PAIS ou PAYS", "GABES, ou gaberies", est souvent rejetée à la fin du traitement sémantique: "Vn POALE, & estuues, Thermae thermarum, Hypocaustum. On dit aussi Poële, ou Poësle". L'étymologie d'une forme sera donnée le plus souvent avec les informations liminaires: "OCCVRRENT, m.acut. Est imité du Latin Occurrens, Et signifie ... "; celle d'une forme-sens accompagne le traitement d'une acception, précédant celui-ci: "ASSEVRER ... composé ores de Ad, & seur, qui est fait de Securus ... & signifie rendre seur, & stable ... Et ores de Ad, & Seuerus ... & signifie affirmer ... parce que l'homme qui est seuere de vie, moeurs & conuersation, a authorité d'estre creu", ou le suivant (cf. DESBANDER infra).
Si on élimine du tableau 3 les composants qui ont une probabilité d'apparition inférieure à 33% ou dont la place varie beaucoup, on retrouve la structure de base suivante:
1 | DESBANDER | ||
2 | actiu. | Et ores est actif reciproque | |
3 | acut. | ||
4 | Signifie ores alentir vne chose tendue à force, detendre, | & signifie abandonner sa compagnie & sa bande, | Et ores signifie oster le bandeau, bandage, ou la bande de linge, dont les chirurgiens bandent les playes des blessez, |
5 | Remittere rem aliquam intensam. | ||
6 | Ainsi dit-on, Desbander l'arc ne guerist pas la playe. | comme, les soldats se sont desbandez, | |
7 | Arcus remissio vulneris medela non est. | Sparsim ac fine signis errare coeperunt. | |
8 | Et lors est composé de cette preposition Des, qui est destructiue, et du verbe Bander. | Et lors est composé de ladite preposition, & de ce nom Bande en signification gents de guerre, marchants sous capitaine, tabourin & enseigne. | & lors est composé de ladite preposition Des, & du nom Bande en signification de ladite lieure de drapeau. |
9 | voyez Bande. & Enseigne. |
Structure principale | Informations secondaires | ||
---|---|---|---|
1 | AVLNAYE, | ||
2 | ou (& mieux) AVNAYE, sans la lettre l. | ||
3 | -> | Car le François és mots qu'il forme du Latin, change laditte lettre l. en v. quand elle suit & adhere à l'vne de ces voyeles, A. E. O. De sorte que apres laditte mutation faitte, ladite lettre l. y est superflue, comma de Altus, Haut, de Alnus, Aune, de Pellis, Peau, qu'il prononce par diphtongue, de Mollis, Mou. | |
4 | f. | <- | |
5 | penac. | ||
6a | est vne touffe d'aunes. | ||
7a | -> | Tout ainsi que sausaye, chesnaye, ormaye, vne touffe de sauls, chesnes, ormes, | |
6b | ou bien le lieu, où grand nombre d'aunes, est plantée. | <- | |
7b | Alnetum, | ||
8b | -> | à la façon de Quercetum, Salicetum. |
Un très grand nombre d'articles est sous-tendu par le développement historique et spatial du mot. Ainsi, pour BARON, on peut dégager les étapes successives que voici: a) emploi en latin, b) emploi en ancien français, c) emploi en français contemporain, d) emploi en ancien italien, e) emploi en ancien espagnol, f) emploi en espagnol contemporain, g) emploi en picard. [338]
La consultabilité des contributions d'Estienne est surtout compromise par ce qu'il ne dit pas, celle de Nicot par ce qu'il dit de trop. Là où Estienne laissait équivoque le statut des syntagmes et implicite le traitement sémantique du mot-adresse, Nicot noie souvent les informations linguistiques dans une masse de commentaires encyclopédiques, le tout rédigé dans de longs alinéas serrés (cf. BARON, ESTATS, QUEUE, etc.). L'hétérogénéité des items traités (cf. BAR "ville appartenant au Duc de Lorraine ... Bar aussi est vne diction indeclinable [en] composition ..."), la complexité des structures et l'abondance des informations ne sont pas compensées par une typographie variée et différenciatrice. [345]
Cependant, à le lire plutôt qu'à le consulter, Nicot est beaucoup plus clair qu'Estienne par ce qu'il lève nombre des équivoques de celui-ci en fournissant à l'article une structure métalinguistique explicite.
En fait, la consultabilité du dictionnaire est compromise dès sa première édition en vertu de ses origines latines. Les auteurs du FEW l'ont compris qui se servent, pour la datation des mots, du Dictionarium latinogallicum de 1538 plutôt que du Dictionaire francoislatin de 1539. [346] Les entrées françaises de E 1539 ne sont que la clé du latin. [347] Le fait que la seconde édition se veut explicitement francisante n'améliore pas les choses, puisqu'elle garde presque tout de la première. De cette sorte, le Thresor représente le cumul de toutes les éditions qui le précèdent: le français y est tantôt la clé du latin (français < latin), tantôt traduit (français > latin), tantôt défini (français > français). C'est pourquoi Lanusse regrettera que Nicot ait tant gardé d'Estienne. [348]
Ainsi, il est nécessaire que l'utilisateur du Thresor sache la provenance des articles et des informations qu'il lit; que pour situer l'entrée qu'il cherche il parcoure plusieurs colonnes et connaisse les graphies variantes typiques du seizième siècle.
En 1951, K. Baldinger avertissait les usagers du FEW des particularités des dictionnaires cités dans l'ouvrage de Wartburg; [349] en 1971, A. Rey passe en revue les difficultés de lecture que recèle le texte du FEW lui-même. [350] Il n'est pas déraisonnable de penser que le Thresor de la langue françoyse de Nicot constitue le texte le plus hétéroclite de la lexicographie française.
Il est d'usage, dans le monde de l'édition, de parler du nombre de 'mots' que renferme un dictionnaire. Le terme de 'mot', cependant, est, dans ce contexte, ambigu puisqu'il recouvre deux réalites différentes: le mot linguistique et le mot lexicographique. Le lexicographe, pour découper la langue qu'il s'est donnée à décrire, doit résoudre, d'une manière ou d'une autre et suivant son point de vue (historique ou synchronique, par exemple), le problème de la définition de 'l'unité lexicale'; mais une fois son choix arrêté, les termes qu'il traite cessent de fonctionner en langue pour s'imbriquer dans un discours métalinguistique. Ce sont dorénavant des unités lexicographiques. Donc, les mots que compte l'éditeur sont des mots de dictionnaire. Il s'agit évidemment, pour nous aussi, de nous en tenir aux seuls termes que le dictionnaire présente comme des unités de traitement.
Viennent ensuite deux autres questions: puisque les dictionnaires traitent non seulement les 'mots' de la langue, mais aussi les formes fléchies, les syntagmes et les sens, quels types d'unités veut-on retenir et comment peut-on les identifier? Dans le cas des dictionnaires modernes, les questions ont déjà été tranchées par le lexicographe, qui a choisi de mettre certaines formes ou syntagmes en tête d'article et d'autres à l'intérieur de l'article de la forme de base; qui, devant un signifiant à plusieurs signifiés, a opté pour une interprétation d'homonymie ou de polysémie. On n'a plus, en principe, qu'à compter les têtes d'article, imprimées en gras, les adresses. Si le dictionnaire fait des regroupements dérivationnels à l'intérieur du classement alphabétique des formes de base, les adresses sont tantôt des vedettes de macro-article (dans le classement alphabétique), tantôt des sous-vedettes de sous-article (dans le classement secondaire).
Lorsqu'on se tourne vers le pour voir comment se réalise le signalement des adresses, on est amené à constater une présentation extrêmement variée et troublante. Somme d'un dictionnaire de thème français-latin et de quatre rééditions essentiellement francisantes dont les articles sant tantôt bilingues, tantôt monolingues, tantôt mixtes, [351] le Thresor n'a plus de système unique et clair pour le classement des unités qu'il traite. Le plan relativement simple du Dictionaire francoislatin de 1539 a subi maintes transformations, presque toujours partielles. Les en-têtes de 1539 et le double alignement des alinéas de 1539-49 [352] ont été complètement abandonnés. Les fautes de classement alphabétique, la neutralisation des classements alphabétique et dérivationnel, [353] le regroupement des homonymes, [354] celui des courts items bilingues en longs alinéas articulés, [355] la virtualisation des adresses engagées d'Estienne, [356] les indications d'appartenance grammaticale [357] ou de statut syntagmatique, [358] sont tous des phénomènes occasionnels.
Regardons le plan 'relativement simple' de E 1539. Les en-têtes de macro-article énumèrent la vedette et les sous-vedettes (ABSENT, ABSENCE; ABSOULDRE, ABSOULS, ABSOLUTION; ABSTENIR, ABSTINENCE; etc.). Pour la lettre A, qui occupe 48,33 pages, nous comptons 764 adresses de ce type. Retenons les 762 adresses des 48 premières pages et multiplions par le nombre de pages pour A-Z sur 48: 762 x 525/48 = *8334 adresses dans le dictionnaire. [359] Il ne suffit pas, cependant, de s'en tenir aux seuls en-têtes. La comparaison avec le texte des articles révèle mainte contradiction: une sous-vedette dans l'en-tête qui manque au traitement de l'article (ARBREAU s.v. Arbre, AMIABLE s.v. Ami), ou, cas bien plus fréquent, une sous-vedette donnée en adresse dans le corps de l'article qui manque à l'en-tête (ACCORDANT s.v. Accorder, AFFINEUR s.v. Affiner, AMIABLEMENT s.v. Ami, ARGENTER et ARGENTINE s.v. Argent, etc.). [360] À son tour, le texte de l'article introduit d'autres problèmes. Estienne y a l'habitude de mettre les adresses en saillie par rapport aux séquences phraséologiques, exemples d'emploi. Les items ainsi distingués ne sont pas toujours des adresses françaises, pourtant; au contraire, il s'agit souvent d'adresses latines: "Qui abbaye, Latrator" (s.v. Abbay), "Qui appelle & huche, Euocans" (s.v. Appeler), etc. [361] Parfois, le pied-de-mouche sert à signaler, dans le macro-article, les sous-vedettes -- par exemple, ACCOUSTUMÉ et ACCOUSTUMANCE s.v. Accoustumer. Cependant, les pieds-de-mouche ont pour rôle normal d'indiquer différents acceptions ou emplois d'un mot: "¶ Accord & conuenance ... // ¶ Accord, paction, conuention ... // ¶ Accord, composition, appoinctement ... // ¶ N'estre point d'accord & de l'opinion d'ung autre ... // ¶ Tout d'ung accord ... // ¶ Faire accord ..." (s.v. Accord). [362] Ce n'est pas tout. Certains mots ne sont que virtuellement des adresses: agnus castus (s.v. Agneau) et argenterie (s.v. Argent) ne sont ni signalés dans l'en-tête ni par la typographie dans l'article; arbitrage (s.v. Arbitre) doit son existence, dans l'item où il est donné, au mot arbitre: "Chose qui est soubiecte a l'arbitrage de l'arbitre, Arbitrarium". Ces trois mots sont (difficilement) trouvables. Il est possible de conclure dans le cas des deux premiers à une erreur typographique -- ils auraient, dans l'esprit du lexicographe, appartenu à la nomenclature. Quant à arbitrage, il ne s'y trouverait que fortuitement.
Ainsi, il est déjà impossible, dans E 1539, en suivant les conventions typographiques, de ramasser toutes les adresses et seulement les adresses. Chaque édition successive présentera des problèmes nouveaux; un mot appartenant à la nomenclature d'une édition disparaîtra de celle de la suivante, ou vice versa. La suppression des en-têtes simplifie, dans E 1549, le système de repérage. ARGENTER appartient dorénavant sans équivoque à la nomenclature; ARGENTERIE, mis en saillie, est aussi explicitement une adresse. En revanche, ARGENTINE ("herbe") est subordonné à ARGENTIN et n'y est signalé que d'un pied-de-mouche; il doit attendre T 1564 et la suppression du double alignement pour mériter un statut égal à celui de ARGENTIN, ARGENTÉ, ARGENTER, ARGENTEUX, ARGENTIER, ARGENTERIE. Les items en "Qui ..." (cf. paragraphe précédent) cessent, dès 1564, d'être distingués par la typographie des autres séquences phraséologiques. AAGÉ, donné en tête du macro-article AAGE dans E 1539, mais entouré d'exemples d'AAGE dans le texte de l'article, disparaît, dans E 1549, de la nomenclature consultable; l'addition, en fin de macro-article, en 1564, de l'entrée HOMME AAGÉ l'y rétablit. En 1606, il est imprimé en vedette. Le statut des participes varie. L'en-tête fait de ACCOURCI une sous-vedette en 1539; dans E 1549, il n'est qu'un exemple d'emploi du verbe ACCOURCIR ("Oraisons accourcies"). ACCOMPLI, en saillie dans E 1539 et E 1549, n'est plus distingué des emplois verbaux à partir de 1564 ("Tout est accompli"). Nicot, enfin, donne souvent à une forme marquée, exemple auparavant, statut d'adresse: "Abolie. f. C'est mise hors d'vsage" (1573; cf. 1539-64: "Opinions abolies"). [363]
Le traitement, et donc le statut lexicographique, des syntagmes [364] varie beaucoup. Le premier alinéa du dictionnaire de E 1539 est un en-tête-renvoi. Le consulteur est renvoyé, pour le traitement de A CAUSE, A DROICT, A L'ADVENTURE, A LOISIR, A PROPOS, A RAISON et A TORT, à CAUSE, DROICT, ADVENTURE, etc. Dans ces derniers articles, les syntagmes cités n'ont pas nécessairement un statut distinct de celui d'autres entrées non données ailleurs en vedette. Ainsi, s.v. Cause, sont signalés d'un pied-de-mouche: "A cause // Dire la cause // C'est une des choses qui cause crainte // Pour quelle cause? // Sans cause // Auoir cause & occasion // Vne cause & procez". Dans ND 1573, A LOISIR, A PROPOS et A TORT, seuls des syntagmes de E 1539 à rester s.v. A (A CAUSE > A CESTE CAUSE), sont donnés comme exemples d'emploi de A. L'article MAIN est intéressant du point de vue du traitement des syntagmes. Dans le Thresor, on trouve, par exemple:
Un procédé utilisé par Nicot en 1606, qui réduit les dimensions de la nomenclature, du moins typographiquement, est le regroupement des homonymes: [367] BIERE ("coffret") et DE LA BIERE (boisson), vedettes depuis 1539, sont traités en un alinéa dans le Thresor: "BIERE ... Signifie ores ce coffret ... Ores ... signifie cette maniere de boisson ...". L'article-alinéa BAR, "ville" depuis T 1564, renferme, en 1606, l'emploi préfixal de cette forme.
Le chiffre que nous avons donné plus haut pour le nombre d'adresses sous la lettre A de E 1539 comprenait des renvois. Ceux-ci sont de deux sortes: ceux qui signalent dans le classement alphabétique des dérivés, composés ou syntagmes traités dans l'article de la forme de base [368] et ceux qui représentent des variantes. [369] Sont-ils à compter avec les adresses? Comme nous l'avons indiqué plus haut, certaines des unités syntagmatiques n'ont pas, dans l'article de la forme de base, statut d'adresses, mais plutôt de sous-adresses (cf. A LOISIR s.v. A et s.v. Loisir dans E 1539 et ND 1573). En revanche, BEUVERIE est donné deux fois comme adresse (une fois en renvoi dans le classement alphabétique, et encore dans le macro-article BOIRE), si on considère BEUVERIE et BUVERIE (la forme donnée s.v. Boire) comme deux variantes d'une même forme; dans le cas contraire, on compte deux mots.
Il semble donc impossible de déterminer objectivement ce qu'est la nomenclature du Thresor ou des dictionnaires dont il est issu. Ne compter que des têtes de micro-article (ce qui implique la définition préalable de ce dernier) serait éliminer, surtout du Thresor, nombre de mots qui sont pourtant accessibles au consulteur. Pénétrer à l'intérieur des micro-articles serait ouvrir la porte aux interprétations périlleuses. Vouloir chiffrer la nomenclature, c'est vouloir la comparer à celle d'autres dictionnaires, entreprise futile, puisque les autres dictionnaires, antérieurs, contemporains ou postérieurs, ont des buts différents et emploient des méthodes variées. [370] Cotgrave, par exemple, enregistre beaucoup de formes, surtout des variantes. Donc, quand Barré dit "le volume de Cotgrave est presque double de celui de Nicot", [371] il parle du nombre d'adresses typographiques, [372] non du nombre ou du volume des informations, supérieurs chez Nicot. Dupuys, en prétendant que ND 1573 "est augmenté d'un tiers" par rapport à T 1564, [373] et Douceur, en affirmant le Thresor être "REVEV ET AVGMENTÉ ... DE PLVS DE LA MOITIE" relativement à ND 1573, [374] penseraient plutôt au volume physique des augmentations qu'aux adresses ajoutées. [375] On a avancé le chiffre de 20.000 pour le nombre d'items dans la nomenclature du Thresor. [376] Les calculs que fait Smalley pour arriver à ce total sont assez bizarres. Ayant compté elle-même 1925 mots et expressions ("words and expressions") sous la lettre A, elle se sent obligée d'accepter une affirmation, erronée, de Brunot concernant la proportion du dictionnaire occupée par la lettre A: 62 pages sur 666 selon Brunot, ce qui devient chez Smalley 66 pages sur 666! Smalley n'avait qu'à ouvrir le Thresor pour y trouver 62 pages pour la lettre A sur un total de 674, [377] ce qui fait un rapport de presque 1 a 11, et non celui de 1 à 10 qu'elle utilise pour arriver au nombre théorique de 20.000 mots (1925 x 10 = 20.000!). Calcul plus précis, 1925 multiplié par 674/62 donne 20.927. Le nombre de mots ajoutés à la nomenclature sous la lettre A, par rapport a ND 1573, serait, selon Smalley, de l'ordre de 144. [378] La lettre A occupant, dans ND 1573, 69 pages sur 771, le nombre total d'items de nomenclature pour la quatrième édition du Dictionaire françois-latin serait, toujours selon les critères de selection de Smalley, 19.901. On arrive, de façon semblable, à un total de 19.028 mots pour T 1564 et de 15.025 pour E 1549. [379] Ce dernier nombre contraste avec les 13.000 mots que Brandon trouve dans E 1549, [380] chiffre qu'accepte Smalley elle-même. [381] Donc, calculs inexacts et contradictoires faits à partir de critères subjectifs ou peu significatifs.
Un autre chiffrage de la nomenclature du Thresor, dérivé cette fois non d'estimations grossières mais d'un comptage exhaustif fondé sur les critères énoncés dans la présente étude, [382] nous est fourni par l'édition électronique de ce dictionnaire, établie dans les années 1980. [383] Cette base de données contient un total de 18.123 adresses (vedettes et sous-vedettes, mais non sous-adresses).
En fait, le Thresor n'a pas une nomenclature, il en a plusieurs. [384]
Estienne 1539 est purement bilingue en ce que tous ses items sont établis dans le but de donner pour un mot ou syntagme français un ou des équivalents latins. Les paraphrases françaises ("Accusation & blasme, Crimen", "Aboli & hors d'usage, Abolitus", "L'aristologie, sorte d'herbe dont en y a de quatre sortes, entre lesquelles sont comprinses les coques de leuant, Malum terrae, Aristolochia") sont contingentes, produits secondaires de l'inversion du Dictionarium latinogallicum. À partir de 1549, cependant, le dictionnaire est intentionnellement à double sortie. Dans Estienne 1549, [386] tandis que les nombreuses séquences phraséologiques, tirées en très grande partie des écrits de Budé, ne sont toutes que traduites, le mot-vedette fait souvent l'objet d'un traitement d'équivalence en français, parfois à l'exclusion du latin, ou d'un essai d'étymologie. Un grand nombre des items ajoutés dans Thierry 1564 sont à la fois définis en français et traduits en latin: "AVGVRE, pour signe ou presage, Augurium", "se AVIANDER, c'est se repaistre Pascere se". [387]
Les informations concernant l'adresse française ne sont pas nécessairement rédigées en français, pourtant. Le latin est encore la langue de communication des érudits, qu'il s'agisse d'un Français parlant à un autre Français ou d'un Français parlant à un étranger. Ainsi, les discussions étymologiques de E 1549 et de T 1564, où il est question de signifiants et de signifiés français, latins, grecs ou hébraïques, se font fréquemment en latin. [388] Ici, il faut faire la distinction entre les termes de l'équation sémique, d'une part, et le discours lexicographique de base. Seuls les premiers - mot-adresse, exemple, paraphrase, équivalent - intéressent les traits de monolinguisme et de bilinguisme; l'origine linguistique de la métalangue de base est indifférente. Le fait que celle-ci est souvent le latin a dû, cependant, favoriser la diffusion du dictionnaire hors du territoire français, poussant Dupuys, en 1564, à faire état de son utilité pour l'étude du français à l'étranger. [389]
Autre conséquence de l'addition, en 1549, de remarques liminaires étymologiques, plusieurs articles du Dictionaire françois-latin sont dorénavant à double entrée: 1) adresse + étymologie, 2) adresse + équivalent(s) latin(s). Par exemple: "ABBAY. Semble que ce mot & sa suite soyent deriuez de ... // Abbay, Latratus". [390]
Il faut attendre la collaboration de Nicot, d'abord en 1573, ensuite et surtout en 1606 dans le Thresor, pour voir s'affermir le côté monolingue du dictionnaire. Non seulement le discours lexicographique de base (tout juste ébauché par Estienne en 1549, développé et étendu pour encadrer l'article par Nicot) est systématiquement rédigé en français, [391] mais aussi la majeure partie des nombreuses informations ajoutées aux articles existants ou fournies aux adresses nouvelles - indications grammaticales, définitions, remarques d'usage, exemples, mentions d'auteurs, étymologies, dérivés, remarques d'orthographe ou de prononciation, commentaires métamétalinguistiques - concernent les entrées. Les équivalents latins, lorsqu'ils existent, sont, pour la première fois, nettement subordonnés au français. [392] En fait, d'autres langues viennent souvent concurrencer le latin dans la séquence équivalentielle, surtout l'espagnol et l'italien. [393] Les traductions en plusieurs langues et dialectes, les étymologies comparatives, la recherche des 'cognates' et le traitement sémantique de ces derniers et des étymons, font du Thresor - en plus d'un dictionnaire monolingue (français) et d'un dictionnaire bilingue (français-latin) - un dictionnaire multilingue (français-latin-espagnol-italien-languedocien-grec-allemand...) et un dictionnaire comparatif. [394]
Le tableau suivant indique pour chaque édition du dictionnaire les traits qui déterminent son caractère essentiellement bilingue ou monolingue. Les données secondaires sont mises entre parenthèses: [395]
langue d'entrée | langue visée | langue de sortie | |
---|---|---|---|
E 1539 | F | L | L (F) |
E 1549 | F | F (L) | F / L |
T 1564 | F | F | F / L |
ND 1573 | F | F | F (L) |
N 1606 | F | F | F (L ou autre) |
Dictionnaire de langue dans sa première édition, le Dictionaire françois-latin ouvre la porte, avec l'addition en 1549 de noms propres, à l'encyclopédisme linguistique qui distinguera le Thresor, précurseur du Dictionnaire universel de Furetière. La langue enregistrée par Estienne en 1539 est le français de son temps et le latin classique; le latin des humanistes Estienne et Budé continue, dans E 1549, à se rattacher à la période classique, tandis que le français acquiert une dimension diachronique par l'addition d'un certain nombre d'étymologies. Cependant, ce sont les articles de Nicot, en 1573 et surtout en 1606, qui cherchent explicitement à établir la filiation historique de sens et de formes français (ou, à l'occasion, non français), d'enregistrer "la langue françoyse, tant ancienne que moderne". [396]
Dictionnaire restreint, en 1539, aux limites du contenu du Dictionarium latinogallicum de 1538, et restrictif en 1549, [397] le Dictionaire françois-latin est ouvert en 1564 à "tous mots, mesmes les plus fascheus de [la] langue Francoyse & esloingnez de l'vsage commun". [398] Toutes les classes lexicales sont représentées dans le Thresor. [399] Chez Nicot, l'extension va jusqu'à embrasser des mots dont l'identité française est suspecte ou refusée. Il recueille certains mots pour les critiquer: "TRVLLE ... N'est pas mot François, ains Grec corrompu & ConstantinopoIitain ... Et n'est cedit mot mis en ce dictionaire, si n'est pourautant qu'il se trouue en aucuns anciens liures François". Il arrive parfois aux critiques fournies par Nicot d'entrer en contradiction avec ce qu'on peut lire dans un autre endroit du Thresor. Ainsi, à la page 603, on lit: "SOVDARD ... Le François l'appelle aussi soudoyer ... le François ne peut bonnement dire soldat, sans Italienniser ou Espagnoliser, dequoy il n'a aucune contrainte, veu qu'il a les deux dessusdits, & plus beaux & plus seants à luy, que ledit Soldad", tandis que deux pages plus loin on rencontre: "Souldart ... Ceux qui parlent bien dient, Vn soldat"; l'article SALADE condamne la graphie celade qui se trouve consignée deux fois s.v. Bassinet. L'explication en est simple: les remarques des articles SOUDARD et SALADE datent de 1606, celles de SOULDART et de BASSINET remontent respectivement à 1549 (Appendice "Aucuns mots omis") et à 1573.
Les contradictions, les complexités, les inégalités du Thresor sont le résultat de l'accumulation d'informations et de méthodes de toutes sortes. L'oeuvre de 1606 est la somme de cinq éditions d'un dictionnaire qui marque les étapes conduisant de la lexicographie latinisante à une véritable lexicographie française.