2. Le dictionnaire consultable

Dans ce chapitre nous considérons le dictionnaire du point de vue des items qu'il présente à l'utilisateur selon un ordre convenu, et que l'on a coutume d'appeler la nomenclature. Quelle en est la nature? Nous pouvons dès l'abord la caractériser qualitativement, mais il nous faudra une définition bien plus précise du terme de nomenclature pour être à même de la quantifier. Nos analyses comprennent également le traitement subi par les entrées: quels types d'informations y trouve-t-on, quel statut ont-elles dans l'énoncé lexicographique? Aussi nous efforçons-nous de déterminer les limites de la consultabilité du texte du dictionnaire. [1] Il serait certes intéressant de savoir quelle était la consultabilité du Thresor pour l'utilisateur de 1606, pourtant il nous semble plus profitable de le faire pour nos lecteurs, dont nous constituons un échantillon. C'est aussi plus facilement réalisable. Nous terminons en revoyant du point de vue interne le schéma typique que nous avons dressé dans le premier chapitre pour les différentes éditions.

2.0. Pages spécimens

Début de la lettre A de:

2.1. Nomenclature: étendue qualitative

Nous renonçons tout de suite à vouloir déterminer quel pourcentage du lexique français du seizième siècle ou des unités des différentes classes qu'il comprend est consigné dans les entrées du Thresor, d'autant plus volontiers que son étendue, du moins pour les classes ouvertes (noms, verbes, adjectifs, adverbes), est chose inconnue. Seuls les dépouillements exhaustifs d'un inventaire général de la langue française seraient en mesure de nous renseigner sur la partie du lexique du XVIe siècle qui est venue jusqu'à nous dans des documents écrits. Les seules tentatives qui ont été faites jusqu'à maintenant dans le domaine de la lexicographie française ont porté sur une langue fonctionnelle particulière et ont fait l'objet de thèses. [2] Voilà qui dépasse évidemment les limites de la présente étude. Les dictionnaires, même les plus récents ou les plus ambitieux, sont forcément toujours incomplets faute d'un corpus fermé; ils le sont davantage dans un seizième siècle dont la langue est flottante et la lexicographie asystématique. Adoptons plutôt l'attitude des éditeurs du Dictionnaire de Trévoux parlant de leurs prédecesseurs: "ils sont tous très-louables dans ce qu'ils ont fait, & très-excusables dans ce qui leur a échapé. Il n'est presque pas possible de finir absolument ces sortes d'Ouvrages". [3]

On a souvent commenté les déficiences de la nomenclature du Thresor; [4] nous aurons à notre tour à traiter la question d'un point de vue plus positif dans le troisième chapitre, en comblant quelques lacunes au moyen des découvertes de lecture. Bornons-nous ici à comparer les annonces des éditeurs, telles que nous les avons exposées dans le premier chapitre, avec les entrées consignées dans les différentes éditions, et à voir de quelle façon certaines autres classes de mots sont représentées dans le Dictionaire françois-latin et le Thresor.

2.1.1. Nomenclature annoncée

2.1.1.1. Estienne 1549

La première édition du Dictionaire françois-latin n'annonce rien, n'étant essentiellement que l'inversion du Dictionarium latinogallicum. En revanche, la deuxième, E 1549, fait part au lecteur de quatre types d'additions: a) mots non traduits en latin; b) l'étymologie des mots difficiles (c'est-à-dire: "d'ou pourroyent auoir esté ainsi nommez: ou de quel autre langaige prins & mis en vsage Francois"); c) noms de lieux ("Pais, Isles, Prouinces, & Villes"); d) explications empruntées à Guillaume Budé et signees d'un B. [5]

Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, [6] les mots suivants sont donnés sans traduction latine: [7] a) s'ABONNER, ACHALANDER, ARTIS, BALIVEAU, BALUSTRE, BARATTE, BARRIQUE, BASENNÉ, BRIFAU, BRIFER (s.v. Brifau), BRIGADE, BRIGADER, BRILLER, BRIN, BRISEE, BROCAT, BROSSER (s.v. Brosse), LAIGNE, LAMPAS, LANIER; b) BARBACANE, BARGUIGNER, BARGUIGNEUR, BARRIL, BARRILLET (s.v. Barril), BASENNIER (s.v. Basenné), BAUDRIER (s.v. Baudroyer), BRANDILLER, BRIMBALER, BRINDELLES, BRIOCHE, BROSSE. Les mots de la liste A sont tous qualifiés d'une manière ou d'une autre, soit définis (11 dont s'ABONNER, BALIVEAU, BARRIQUE, BRIGADE, BRIGADER, BRILLER, etc.), soit commentés (usage ou étymologie -- ARTIS, BARRIQUE, BRIFAU, BRIFER, LAIGNE, etc.), soit mis en contexte (BALUSTRE "- de menuysier", BASENNÉ "Visage -", BRIN "Vng - de mariolaine, ou autre", BRISEE "- que font les ueneurs", BROSSER "- du lin"). Dans N 1606 certains de ces articles restent inchangés (ARTIS, etc.), d'autres reçoivent un supplément d'informations (BRIN, etc.; s'ABONNER, BRIGADE et LAMPAS sont traduits), d'autres encore sont transformés (par exemple, BRISEE > BRISEES + article plus détaillé). Les mots de la liste B ne reçoivent aucun traitement, et dans N 1606 on les retrouve pour la plupart tels quels, les autres recevant un traitement variable, allant de la simple traduction (BARGUIGNER, BARGUIGNEUR) à un long article (BAUDRIER).

Seule T 1564 des autres éditions ajoute des mots isolés à la nomenclature: ACCORDABLE, BASQUE/BASQUAYN, BATAILLON, TABOURER, TABOUREMENT, TABOURINET, TANNEUR, TANNERIE seront ensuite traités par Nicot; BRANDILLEMENT et BRANDILLOIR (s.v. Brandiller), LABOURIEUSEMENT, LAMBOURDE, LANGOUREUSEMENT, TAMARINDE seront les mêmes dans N 1606. Tout comme E 1549, T 1564 donne également un certain nombre d'entrées en contexte sans définition: ACCOMMODABLE "- à toutes choses", BRAVADE ou BRAVERIE "Faire vne -", BRETELER "Tu ne fais que -", BRETELEUR "Tu n'es qu'un -", BROCHES "les - d'un cheual", LAYER "- vn bois", TAPISSER "- vne sale"; Nicot ne traite que les deux premières. [8]

Dans A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, nous trouvons 65 étymologies ou définitions étymologiques. Ces dernières sont évidemment françaises:

Les étymologies proprement dites sont surtout latines: mais aussi grecques: françaises: ou mixtes: Les étymologies, absentes dans E 1539, vont en se multipliant dans les éditions postérieures. T 1564 en ajoute un certain nombre: surtout grecques (ACCOINT, BAN, BROC, BUREAU, etc.), mais aussi françaises (BRACONNIER), gauloises (ARPENT), latines (LANIER), italiennes (ACCORT), ou anglaises (LANDIER). En 1573, Nicot ajoute à la liste l'hébreu (par exemple, BAIL), l'espagnol (ACQUITER) et l'allemand (BAN, BANNIERE). [9] Dans N 1606, il accorde à l'étymologie une place prépondérante. [10]

Une étymologie peut évoluer d'une édition à l'autre: "dont peut estre vient" (ND 1573 s.v. Bacele) > "dont vient" (N 1606) ou se transformer: ABBATRE "verbum factum à bas, quod significat infra" (E 1549) > ABBATTRE "vient de Abbas, acut. aduerbe local, composé de a & bas. Infrà" (N 1606).

Les noms propres forment une autre catégorie de mots délaissée par E 1539. [11] Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta de E 1549 nous comptons 36 noms géographiques, comprenant non seulement les classes annoncées dans la préface (pays, îles, provinces et villes -- ACARNANIE, ARENO, ARGENTINE, etc.) mais également des eaux (ABACUC "La mer d'-", ARTA "Le goulfe de Larta"). Mentionnons aussi trois dérivés toponymiques dont deux constituent des noms propres (BRABANCONS, TARTARES), le troisième (LATIN "Qui est du pais des Latins, Latinus"), hérité de 1539, ayant un statut ambigu, pouvant être considéré comme adjectif ou nom (propre). À son tour, T 1564 ajoute au même échantillonnage 25 noms de lieux (ADA, ABBEVILLE, ACA, etc.) et 3 dérivés toponymiques (BARROIS, BARSELONOIS, BASQUE). Les deux dernières éditions en ajoutent peu: ND 1573 aucun, N 1606 4 noms de lieux (ABANAT, BACHU, BRETAGNE, VILLE-TANEUSE (s.v. Taneuse)) et 2 dérivés (BRETON, LANGUEDOC).

Une autre catégorie de noms propres est celle des anthroponymes. E 1549 n'en met pas sous les lettres A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, mais on trouve ailleurs, par exemple, BERNARD, prénom. T 1564 ajoute sous ces mêmes lettres ACAIRE et ARTUS, prénoms, et ARGUS, nom de personnage mythique; ailleurs il donne ALFONSE et AMAURY, prénoms. N 1606 rend à ACHILLES, métaphorique depuis 1549, sa désignation propre. En plus des prénoms et des noms de personnages mythiques (cf. également PANDORE (T 1564)), les anthroponymes sont représentés par une troisième sous-classe, celle des noms de personnages historiques. Ainsi on trouve: CLOVIS "nom propre dont plusieurs Roys de France ont esté nommez" (N 1606 cf. HLOVIS, HLOTAIRE, LOUYS, LOYS), MOLINET "aussi est le nom d'ung ancien poete François" (ND 1573).

Les items signés du nom de Budé sont legion. [12] Ils sont de deux sortes. L'initiale B indique les formules juridiques tirées des Forensia de Budé qu'Estienne avait publiés en 1544, y ajoutant un index français-latin l'année suivante. [13] Dans la partie Pr de E 1549 nous comptons, par exemple, 19 occurrences de B s.v. Principal, 6 x B s.v. Prison, 38 x B s.v. Prisonnier, 14 x B s.v. Proceder, 16 x B s.v. Procureur, 13 x B s.v. Produire, 17 x B s.v. Production, et, comme piece de résistance, 244 x B s.v. Proces. On peut se demander pourquoi Estienne a voulu mettre dans son dictionnaire français tant d'éléments visant le latin de la procédure, surtout que cette langue n'avait en principe plus cours dans le domaine de la justice depuis dix ans. Nous pensons trouver une réponse plausible justement en établissant un rapport entre le Dictionaire francoislatin et l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Pour Charles Beaulieux, le DFL de 1539 aurait pu être fait sur l'ordre de François Ier "afin d'aider les gens de justice dont le français n'était pas la langue maternelle, à comprendre les arrêts maintenant rendus en langue vulgaire". [14] Pourtant, la première édition du DFL est manifestement un dictionnaire de thème pour les écoliers latinistes, Estienne le dit lui-même. [15] L'argument de Beaulieux nous semble beaucoup plus convaincant appliqué aux expressions de Budé mises dans l'édition de 1549, dans laquelle le français a un statut propre.

Le deuxième type d'éléments dus à Budé concerne les exemples signés B. ex Cic. etc., et, comme nous le verrons, quelques autres. Dans un compte rendu à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1894, [16] Georges Picot fait part d'un mémoire d'Eugène de Budé [17] concernant les Adversaria de son illustre ancêtre, sept cahiers manuscrits conservés dans les archives de famille. Il s'agit, en fait, d'une partie des inédits que la famille de Guillaume Budé confia à Robert Estienne après la mort du grand savant. [18] Dans sa biographie de Budé, [19] Louis Delaruelle (D) donne en appendice un extrait des Adversaria (A) qui nous permet de les confirmer comme source d'un bon nombre des items du Dictionaire françois-latin. Nous en citons ici quelques exemples contrôlés dans E 1549 (E2):

Si nous voulons une démonstration plus convaincante de l'origine budéenne des items anonymes, la voici:

2.1.1.2. Thierry 1564

Jacques Dupuys parle de deux catégories d'éléments en tête de l'édition de 1564: a) "infinies dictions & manieres de parler de la langue Françoyse adioustees par M. Iehan Thierri & plusieurs aultres sçauants personnages, lesquelles ay voulu marquer de telles notes & marques [" [21] ; b) les mots des sciences, arts et métiers déjà appréciés dans le dictionnaire d'Estienne et cause partielle du désir de Dupuys de le rééditer. [22]

Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, nous comptons 202 mots ajoutés à la nomenclature et précédés d'un [, plus 110 éléments d'article (acceptions nouvelles, définitions, étymologies, un commentaire encyclopédique (s.v. Arpent), mais surtout exemples d'emploi et renvois orthographiques). [23] La nomenclature nouvelle est en grande partie biologique:

Ces classes sont déjà représentées dans E 1539 (ARAIGNEE, BACILLE, TAISSON, etc.) et surtout dans E 1549 (ABLE, ARGILIER, BARBEAU, BUTOR, LAMPROYE, TAMARIS, etc. [25] ND 1573 et N 1606 ne semblent pas en ajouter. Pourtant, il ne faut pas croire que toutes les augmentations de T 1564 soient signalées d'un crochet. [26] Dans la partie A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, 34 entrées nouvelles (dont 21 vedettes ou sous-vedettes) ne le sont pas. Comme elles sont 'invisibles', nous pensons utile d'en donner la liste complète: Sur les 34, 28 se trouvent immédiatement à la suite d'entrées signalées dont le crochet aurait ainsi une valeur globale. Les six autres constituent soit des oublis de la part de l'imprimeur soit des additions antérieures à celles de Thierry et donc probablement le fait d'Estienne. Pour ce qui est du vocabulaire plus ou moins technique [27] concernant les arts, sciences et métiers, nous trouvons déjà dans E 1539: et dans E 1549: T 1564 apporte, entre autres: ND 1573 en fournira quelques autres: Pourtant ce seront la marine, la fauconnerie et la vénerie qui intéresseront Nicot et Dupuys en 1573. Dans N 1606, on rencontrera, par exemple: 2.1.1.3. Nicot-Dupuys 1573

L'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta de ND 1573 introduit les mots de marine suivants:

E 1549 donne ARDANS et ARTIMON "petit uoile de nauire"; T 1564 ajoute BANDEROLLE, BARQUETTE, BARQUEROTS "ceuls qui meinent vne barque" et BUXOLLE "Quadran de mer"; N 1606 offrira ARRUMER "merquer les Rums des vents en vne carte de nauigation" et BATRE LES EAUX. [28]

La vénerie y est représentée, d'une part par:

qui viennent tous avec un certain nombre de modifications de traitement de l'Appendice I de E 1549, [29] et d'autre part par: qui sont des entrées nouvelles. Dans E 1549, on trouve déjà BRACONNIER, et BRISEE "que font les ueneurs". T 1564 offre BRACHET "chien de chasse", BRAQUE "chien de chasse" et BROSSER "mot de venerie". N 1606 ajoutera BASSET "Le Fouilloux ...". [30] La fauconnerie trouve son compte dans ND 1573 avec ABBECHER, ACHARNER "en faict de faulconnerie", BAUDIR "- vn faulcon" et BREULET "engin à prendre oyseaulx" -- de E 1549 Appendice II, [31] et BRANCHIER "les faulconniers ...", contribution originale. E 1539 avait LANIERES "a tenir les oiseaulx sur le poing", E 1549 LANIER "oyseau de proye", et T 1564 BRUTHIER "oiseau de proye" et LANERET "tiercelet du Lanier". Nous ne trouvons rien pour N 1606. [32]

La "telle addition de mots ... en plusieurs & diuerses autres matieres" qu'annonce également Dupuys dans sa préface se traduit par, entre autres:

2.1.1.4. Nicot 1606

L'édition que publie Douceur en 1606 ne signale aucune addition à la nomenclature. Au lieu de cela, le libraire entretient son lecteur de l'utilité que possède son livre pour celui qui cherche l'intelligence de l'ancienne langue. De son côté, l'auteur prétend que son oeuvre mérite d'être considérée comme le baume de la langue française et, dans cette intention, il lui donne le titre développé de Commentaires & Thresor de la langue françoyse tant ancienne que moderne. [34]

En effet, Nicot s'occupe relativement peu d'augmenter la nomenclature. Le dictionnaire qu'il reçoit d'Estienne et de Thierry par l'intermédiaire de Dupuys n'est en fait guère plus qu'une nomenclature traitée en latin. Les informations françaises sont rares et minimes. Il y rémédie en donnant à un grand nombre d'entrées un traitement fonctionnel et historique. La section 2.2 le démontrera à tout moment. Contentons-nous ici de faire état de quelques-uns des domaines compris dans les articles du Thresor: orthographe et prononciation, fonctions grammaticales, délimitation et filiation sémantiques, fonctionnement syntagmatique, fréquence ou spécialisation d'emploi, correction d'emploi, distinction français/non-français, historique d'un terme, étymologie comparative, règles de formation, invocation d'autorités et commentaires encyclopédiques. [35]

Détaillons pourtant la classe qui concerne les mots et sens anciens. Nicot introduit dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, soit en 1573 soit en 1606, les (sous-)vedettes suivantes:

et, entre autres, les emplois suivants: Un autre procédé employé par Nicot est l'explicitation du statut archaïque d'un mot déjà enregistré, par exemple: ou l'addition de la dimension historique à l'emploi d'un terme, par exemple: Une façon de rendre compte de la dimension historique ajoutée à l'emploi du lexique est de relever dans le discours proprement lexicographique, c'est-a-dire métalinguistique, à l'exclusion donc des items autonymes, les occurrences de marques diachroniques. Le discours non marqué étant au présent, il s'agira d'une part des temps verbaux passés (le futur n'est théoriquement pas exclu) et des lexèmes de temps passé, d'autre part des marques du présent entrant en opposition avec celles du passé. Les passés composé et simple et le plus-que-parfait étant surtout employés pour marquer les événements historiques plutôt que les habitudes linguistiques, nous n'avons retenu que l'imparfait (sauf précédé par si) plus les lexèmes de temps dans notre dépouillement de l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta. Dans E 1549, nous rencontrons trois occurrences concernant la toponymie (anciennement s.v. Arta et Basilissa, et aujourdhuy s.v. Bray), dans T 1564 trois concernant la nomenclature mythologique (imparfait s.v. Argus et Bacchanales, anciens s.v. Bacchanales).

La liste suivante contient les occurrences des marques ajoutées par Nicot. Celles qui datent de 1573 sont distinguées. Les références sont au texte du Thresor.

Restent quelques occurrences dont le contexte a un statut sémiotique ambigu. Deux cas se présentent. Dans E 1539, un bon nombre des séquences phraséologiques présentées comme ce qu'il est convenu d'appeler exemples d'emploi, qui ont normalement statut d'items autonymes, font partie en fait de la métalangue définitionnelle traitant non le français mais le latin; par exemple: Le deuxième cas est celui des citations encyclopédiques du Thresor, introduites souvent pour venir en aide à la métalangue de traitement, orientée cette fois vers le français et donc à ne pas rejeter. Ainsi on trouve, par exemple, s.v. Artillerie: En fait, toutes les citations, autonymes ou mixtes, ainsi que les appels faits à l'autorité d'un auteur et l'évocation d'événements historiques fournissent autant de repères temporels tant pour l'histoire des mots que pour celle des choses. [37]

2.1.2. Classes représentées [38]

Le classement pragmatique ci-dessous nous fournit un cadre pour tester la représentativité du Thresor et de ses prédécesseurs vis-à-vis des divers aspects du lexique. Nous employons expressément le terme de représentativité puisque aucune classe n'est enregistrée exhaustivement. Les classes ouvertes ne le peuvent être par définition, les morphèmes ne le sont pas dans le Dictionaire françois-latin et le Thresor.

voir Wooldridge, <i>Les Débuts de la lexicographie française</i>, 1977: 83

2.1.2.1. Mots outils, affixes

Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, les mots outils sont représentés par A (prép. 1539) "preposition" (1573), LA "article feminin" (1573), LAQUELLE (1539). Ailleurs on trouve, par exemple:

Quant aux affixes, seuls les préfixes, ou éléments de composition, sont consignés dans la nomenclature; par exemple:

2.1.2.2. Composés, dérivés

Les composés sont enregistrés de deux façons: a) comme entrées, b) comme exemples d'emploi d'un élément de composition -- ce qui crée tout de suite une nomenclature virtuelle quoique restreinte. Ainsi, s.v. Mes, on trouve comme exemples de construction: mesaise, mesfaire, mesdire, mesadvenir, mescomte, meschoir, mesprendre, mes-user, mesdonner, mesmarcher, mesmarchure. Les entrées en MES..., qui occupent les pages 404-7, ne comprennent pas mes-user et mesdonner. En plus de composés formés des éléments cités dans le paragraphe précédent, on trouve les types suivants présentés comme composés:

Du composé au syntagme libre la pente est glissante. Ainsi on trouve classés alphabétiquement selon l'ordre des lettres: A BON ESCIENT et A BRIDE AVALLEE, tous deux "par forme d'aduerbe" (1573 -- on dirait aujourd'hui "locution adverbiale"); ou encore AVOIR A FEMME "maniere de parler" (1606), A CE PROPOS "maniere d'entrer au propos" (1573), A CHEVAL "sont deux mots" (1573). Nicot offre parfois deux analyses: Pour étudier les différentes classes de dérivés il faut aller de l'espèce-entrée au paradigme, procédé aléatoire. Ici, la nomenclature virtuelle est plus nombreuse. Par exemple, s.v. Beuvailler (1606), sont donnés comme exemples de verbes en -ailler: chamailler, ravitailler, criailler, riailler. Les trois derniers manquent aux entrées. Ou encore, s.v. Harpaille (1606), on trouve canaille, villenaille, goujetaille, marmaille, maraudaille. Même remarque. On trouve une autre liste en -aille s.v. Varletaille (1606); en -ailleur s.v. Rimailleur (1606); en -art/-arde s.v. Rimarde (1606); en -age s.v. Appenage et Brigandage (1606); en -ier s.v. Lancier (1606); en -erie s.v. Briganderie (1606); en -esse s.v. Asnesse (1606); en -able s.v. Abordable (1573) et Escoulable (1606); en -astre s.v. Blancheastre (1606); des adverbes en -ment s.v. Fraudulemment (1606). Comme nous le verrons dans la section 2.2.1.1.1, les entrées du Dictionaire françois-latin et du Thresor sont classées secondairement par familles étymologiques ou dérivationnelles. Ainsi, par exemple, E 1539 enregistre ACCUSER, ACCUSÉ, ACCUSATION et ACCUSATEUR sous la vedette Accuser; T 1564 ajoutera ACCUSEMENT et ACCUSATRICE; ND 1573, ACCUSÉE; et N 1606, ACCUSATIF. Pourtant, la famille la plus nombreuse est entièrement due à N 1606 et Marot: RIME, RIMER/RYMER, RYMEUR, RIMEUSE, RIMAILLEUR, RIMAILLEUSE, RIMAILLE, RIMAILLER, RIMANT, RIMANTE, RIMART, RIMARDE, RIMASSER, RIMASSEUR, RIMASSEUSE, RIMETE, RIMONER, RIMOYER, sous la vedette RIME, plus quatre entrées virtuelles: RIMONEUR et RIMONEUSE s.v. Rimoner, et RIMOYEUR et RIMOYEUSE s.v. Rimoyer. [41]

2.1.2.3. Lexique non marqué

Le lexique non marqué, ou neutre, peut être classifié, comme notre schéma le suggère: adverbes de manière, de temps, etc.; adverbes qualifiant le verbe, l'adjectif, la proposition, l'adverbe; adjectifs épithètes, attributs, qualificatifs, de relation, de couleur, etc.; adjectifs suivis ou non d'une préposition; verbes transitifs, intransitifs, d'action, d'état, de mouvement, etc.; noms concrets, abstraits, communs, propres, etc.; etc. Ce serait trop long, et inutile ici.

2.1.2.3.1. Noms propres et dérivés

Notons seulement que la dernière classe mentionnée a 2.1.2.3, celle des noms propres, dont la place dans les dictionnaires de langue, avec celle des dérivés onomastiques, est de tout temps contestée, [42] mérite une mention spéciale dans la préface de E 1549 et dès 1573 une typographie particulière. [43]

2.1.2.4. Spécialisation d'emploi

2.1.2.4.1. Marques temporelles

Le Thresor enregistre la langue "tant ancienne que moderne". C'est la première qui est marquée. En l'absence de toute marque, il s'agit en principe du lexique du temps (du responsable de l'enregistrement d'une entrée donnée, cela va sans dire). [44] Les marques sont en général de deux sortes comme nous l'avons vu à 2.1.1.4. Les auteurs ou textes nommés peuvent appuyer un sens actuel ou passé (quand ils ne servent pas à illustrer autre chose -- cf. 2.2.4.1). Ainsi Budé sera d'actualité dans E 1549, comme Ronsard dans T 1564, Du Fouilloux dans ND 1573, Ragueau à l'époque où Nicot se documente pour le Thresor. À côté de cela, Nicot cite une pléthore d'auteurs anciens; [45] pour ne pas remonter jusqu'à Charlemagne, mentionnons, par exemple, les chroniqueurs du moyen âge ou les anciens romans. Cette dernière espèce appartient plutôt au second type de repères, les lexèmes et morphèmes de temps utilisés par le lexicographe. Un mot ou sens actuel ne sera normalement marqué qu'en opposition à un usage ancien; par exemple: "anciennement ... appelées ... mais à present" (s.v. Bataille), "estoient & sont tousiours couchez en ces mots" (s.v. Accorder), tandis que l'indication d'un emploi passé sera le plus souvent en opposition implicite; par exemple: BACELE "en ancien langage François ...".

2.1.2.4.2. Marques spatio-linguistiques [46]

Cette catégorie renferme deux espèces théoriquement distinctes mais pratiquement jointes. D'une part le français standard s'oppose à ses variantes géographiques, d'autre part la langue française se définit par rapport à d'autres langues. Cependant, le statut des dialectes varie selon que l'on vise le système ou le lexique. Tantôt Nicot met le languedocien et le provençal sur le même pied que le français, l'espagnol et l'italien: "tant le François que l'Espagnol, l'Italien & les languedocs & Prouençaux" (s.v. Brave); l'opposition français/languedocien est frequente: "Mortes, diction commune au François & au Languedoc" (s.v. Aiguesmortes; cf. s.v. Aiguiere, Tail); ou encore celle entre langue d'oc et langue d'oïl: "au pais de Langue d'ouy on appelle communéement Bailly celuy qui és pays de Languedoc & adiacens on appelle Seneschal" (s.v. Bailli). Tantôt ils sont mis sur le même plan que d'autres dialectes: "tant le Picard, que le Prouençal, & le Languedoc, pour Banniere disent Bandiere" (s.v. Banniere). Pour ce qui est du 'français', il est opposé aux dialectes tantôt sans qualification: "le François ... les Dialectes de ce royaume, comme des Picards" (s.v. Burre; cf. s.v. Baster), tantôt caractérisé: "terme Picard ... Le commun François l'appelle Neffle" (s.v. Mesle); ou bien, il peut être global: "A laquelle regle peut auoir quelque faillance, selon la diuersité des dialectes François, mais ie parle du plus fleuri langage" (s.v. Lambeau).

En comprenant les dialectes déjà mentionnés, nous trouvons pour l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta les localisations géographiques d'entrées suivantes:

Ailleurs, on trouve: Ajoutons les localisations multiples du type: Le territoire étranger n'est pas exclu: Dans la classe 'français vs langues étrangères' nous pouvons d'abord mentionner les emprunts. Faits à l'italien ou au latin, ils sont souvent critiqués, surtout les premlers: Faits aux langues exotiques, surtout celles du Levant, ils constituent ce qu'on a appelé depuis des termes de relation: Le latin des noms de plantes populaires pose un problème particulier que nous traiterons à la section 2.2.7.2.2. Mentionnons simplement que ces mots ne sont pas exclus de la nomenclature; par exemple, dès E 1539, on trouve AGNUS CASTUS "Vne sorte d'arbre qu'on appelle Agnus castus, Vitex" (s.v. Agneau); ou en 1564: BAPTISECULA "voiez Bleuetz", "Aucuns l'appellent Baptisecula pource qu'elle nuyt aux faucheurs faisant reboucher le trenchant de leurs faulx ou faucilles, Les anciens nommoient vne faulx ou faucille en latin Secula" (s.v. Bleuet).

La "langue françoyse" du titre du Thresor est donc à prendre dans sa plus grande extension, le "françois" des articles, entrant en opposition avec les dialectes, étant en fait marqué et signifiant 'francais commun', ou à la llmite 'langue d'oïl'.

Et puis, pour finir, il y a les entrées perfides - 'non marquées' mais visiblement non françaises. Par exemple, les deux listes de noms de promontoires, l'une portugaise, s.v. Cabo: CABO DE TRES ARCAS, CABO DE CHIO, CABO DE CARBONERO, etc. (19 noms, depuis 1549); l'autre itallenne, s.v. Cap: CAP BIANCO, CAP CHELIDONI, CAP CONELLO, etc. (20 entrees, depuis 1549; de 1549 à 1573 le premier mot est dans tous les cas CAPO). Il arrive même que le français soit donné en traduction: CABO DE BÕNA SPERANZA "Le cap de bonne esperance, Caput bonae spei"! Pourtant, le cas le plus aberrant est celui du grec: héktikoi "Qui corporis habitudine laborant" (1564 le classe après ETIQUE; 1606 l'intègre à ETIQUE), ôskhophorion "La feste des Rameaux" (entrée depuis 1564 à la suite de l'article PASQUE)!!

2.1.2.4.3. Marques socio-professionnelles

C'est la classe la plus difficile à traiter. Il s'agit en principe des vocabulaires particuliers, techniques, des différents domaines de l'activité de l'homme - occupations, divertissements, vie en communauté, sustenance, préservation, etc. Les domaines eux-mêmes sont assez faciles à delimiter et à structurer en champs notionnels. Le vocabulaire ne se laisse pas faire de la même façon. Si une activité est commune à tous les sujets d'une communauté linguistique, les termes qu'ils emploieront pour en parler appartiendront nécessairement à la langue commune. Tout le monde s'habille (du moins dans les communautés qui ont des langues techniques), mais tout le monde ne fabrique pas ses vêtements; le vocabulaire de leur confection sera en partie plus ou moins connu et compris de chacun et sera ainsi plus ou moins technique; la partie non comprise des non-fabricants sera la plus technique. C'est donc une question de degré, que chaque lexicographe tranchera à sa façon avec plus ou moins de constance. L'inconséquence n'est pas étrangère aux dictionnaires contemporains, elle le fut encore moins à ceux du XVIe siècle. Comme le démontre B. Quemada, [50] dans les premiers dictionnaires généraux l'emploi des marques fut irrégulier, leur forme instable et leur place imprévisible.

Nous avons eu l'occasion, dans la section 2.1.1.2, de parler d'un certain nombre de mots relevant de domaines speciaux. Jacques Dupuys annonce dans l'épître dédicatoire de T 1564 la présence dans le dictionnaire de mots techniques - les propres et particuliers mots de tous les arts, sciences et métiers. Cependant, comme les listes que nous avons données à cet endroit le montrent, ces mots sont rarement dotés d'une marque spéciale, ce qui rend malaisée la différenciation entre appartenance notionnelle et appartenance fonctionnelle. Ainsi, les noms de métiers, normalement moins techniques que les noms d'outils ou de procédés, seront présentés sur le même plan qu'eux, du moins avant Nicot. Celui-ci ajoute un certain nombre de marques aux entrées dont il hérite, mais à assez peu d'entre elles:

Le contraire peut se produire: Ce sont surtout les mots et emplois ajoutés à la nomenclature par Nicot qui se voient attribuer une étiquette, puisque leur article doit être créé de toutes pièces. Les questions de forme et de place sont liées. D'abord, il y a un certain nombre de variantes qui peuvent toutes être considerées comme représentant des marques: en matiere de -, en fait de -, en cas de -, en langage de -, entre -, mot usité entre -, en usage aux -, mot -, en phrase -, etc., qui fonctionnent le plus souvent comme charnières de traitement de la métalangue définitionnelle. [51] Ensuite, il y a des formules qui s'intègrent beaucoup plus étroitement à l'énoncé définisseur et dont le statut de marque de technicité est discutable: Les commentaires encyclopédlques que Nicot fait sur des sujets plus ou moins techniques sont plus indicatifs de la technicité de la chose que de celle de l'emploi du signe correspondant (cf. par exemple, s.v. Arpent). Pourtant, sur les deux mots suivants on dira que c'est le premier le plus technique à cause de la limitation d'emploi de la chose: La fréquence d'emploi d'une marque est également liée au domaine en question. Ainsi, les mots de marine, de vénerie et de fauconnerie, sujets de choix vantés par les éditeurs, sont clairement signalés dans le texte (cf. 2.1.1.3). De même, le blason, l'art militaire et le droit ont une place importante dans le dictionnaire, bien que l'emploi de marques particulières soit beaucoup moins régulier. Le vaste domaine de la féodalité étant chose d'actualité n'est signalé que par la présence, dans les longs articles que Nicot consacre à son vocabulaire, de mots-clés comme fief, censier, vassaux, seigneur, feudataires, etc. (cf. s.v. Abonner (alinéas 1 et 3), Bacele, Bachelier, Ban, Banniere, Baron, etc.). La grammaire, mal représentée dans la nomenclature, n'a pas de marque spéciale bien que les articles regorgent de declinaison, cas, nom, pronom, participe, syllabe, nominatif, genitif, indeclinable, circonflex, etc. (cf. s.v. Ablatif, Accent, Accentuer, Accusatif). Voici, pour finir, un relevé des marques charnières que nous trouvons dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, pour les vocabulaires du blason, de l'art militaire, du droit, de la musique, de l'église, de la médecine, et du jargon: 2.1.2.4.4. Marques stylistiques

Par cette étiquette nous entendons ce qu'on appelle de nos jours les niveaux de langue: langue écrite, langue parlée, langue littéraire, langue soutenue, langue populaire, etc. -- distinctions occasionnelles plutôt que générales au XVIe siecle -- ainsi que les indications de statut connotatif.

La seule marque courante dans le dictionnaire est celle de vulgaire/populaire: Il s'agit surtout du vocabulaire botanique: [
53] Pourtant, cette marque est rarement donnée aux entrées (SCOLOPENDRE "vulgaire" (1564); mais PASSEVELOURS (1539; 1606 = PASSEVELOUX) présenté sans commentaire stylistique -- cf. AMARANTHE ci-dessus), ou ne l'est qu'indirectement: ACANTHE "voiez Branque Vrsine" (1564 < 1549 App. IV), BRODEUR "cerchez Bord" (1539).

Une autre catégorie marginale est celle des mots tabous, qui le sont beaucoup moins pour la lexicographie du XVIe siècle que pour celle de l'époque moderne, [54] comme tout utilisateur averti peut aisément le constater. On trouve, quand même, certains mots qualifiés d'obscènes:

Dans ce contexte, l'origine d'un terme peut être suggérée plutôt qu'explicitée: D'autres mots de ce type ne se révèlent qu'à la comparaison avec, par exemple, Cotgrave, qui, n'étant pas français, peut les enregistrer sans complexe. C'est sa langue maternelle à lui qui est tabou: CON "A womans & c.". Ce mot etcetera n'a jamais été aussi chargé de sémantisme! De même, il ne donne le sens proscrit de bite que dans la locution PRENDRE DU POTAGE DE LA BITE (s.v. Bite). Nicot les omet tout simplement.

2.1.2.4.5. Marques quantitatives

Cette classe, dont les items dépendent souvent d'un critère relatif et non absolu, s'apparente dans une certaine mesure aux quatre précédentes. Elle concerne la (basse) fréquence d'emploi.

Une aire d'application sera parfois marquée par rapport à une autre:

Le dernier exemple met aussi en regard deux signifiants. On rencontre également de ce dernier type: Le cas marqué d'une entrée peut être indiqué: Certains termes sont marqués absolument:

2.1.3. Conclusion

Nous ne prétendons pas avoir épuisé les domaines du vocabulaire accueilli par le Thresor. Pourtant, il est clair qu'aucun n'est exclu, puisque le but de Nicot est d'expliquer tout le lexique. Il le dit, par exemple, s.v. Trulle:

2.2. Consultabilité

Un texte continu se lit et n'a qu'une entrée, le début, et une sortie, la fin, toute sortie intermédiaire étant en principe provisoire et à faire suivre d'une rentrée. Une série structurée de textes continus forme un texte discontinu, ou macro-texte. Sa lecture devient consultation si la lecture d'un des sous-textes, ou micro-textes, est précédée d'une recherche de localisation. Là où la lecture pure est une entité indépendante, la consultation est subordonnée à une activité plus large, son rôle étant de fournir des réponses à des questions. Comme instrument de consultation, un dictionnaire peut être plus ou moins efficace; c'est-à-dire que moins le temps de recherche et de lecture est long, plus le macro-texte est consultable. La présence ou l'absence dans le dictionnaire de l'information recherchée est une considération indifférente tant que l'interrogateur sait que l'information s'y trouve ou non. Généralement, on accroît la consultabilité par une plus grande fragmentation des items d'information accompagnée nécessairement d'une plus grande structuration, comprise du consulteur, des entrées qui y donnent accès. Dans quelle mesure, donc, peut-on consulter le Dictionaire françois-latin et le Thresor?

2.2.1. Présentation des adresses

2.2.1.1. Alphabet, étymologie et typographie

2.2.1.1.1. Le triple système: alphabet, étymologie et article

Les items du dictionnaire sont organisés selon trois systèmes de classement, établis dans la première édition et respectés de moins en moins dans les éditions non stéphaniennes, surtout le Thresor. Les entrées sont d'abord regroupées étymologiquement par familles dérivationnelles dont une forme de base est mise en vedette, les dérivés de celle-ci étant présentés en sous-vedettes. Les vedettes sont à leur tour classées par ordre alphabétique. Chaque vedette ou sous-vedette est l'objet d'un traitement d'équivalence, d'illustration ou d'explication, l'unité et son traitement constituant un article (ou micro-article). Les trois systèmes sont déterminés et distingués par la typographie. Comme nous l'avons dit, la triple organisation est établie dès la première édition du Dictionaire françois-latin (héritée, en fait, du Thesaurus); dans E 1539, les vedettes et à leur suite les sous-vedettes sont imprimées en tête du macro-article en grands romains; elles sont reprises en petits italiques dans le texte de l'article, une ligne en saillie correspondant généralement au début d'un micro-article. Le modèle nous est fourni par l'extrait suivant:

Le classement alphabétique est représenté ici par ABBREGÉ, ABBREVER, ABECE, ABOLIR, ABOMINATION, ABONDER, ABORDER, ABOUTIR, ABRI; le regroupement dérivationnel par ABONDER, ABONDANT, ABONDANCE, ABONDAMMENT, par exemple. La vedette ABONDER, son traitement et celui de ses dérivés, ABONDANT, ABONDANCE et ABONDAMMENT, représentent un macro-article; Abondant, ses équivalents latins, ses exemples d'emploi et les traductions de ceux-ci consitituent un micro-article.

À partir de E 1549, qui supprime les en-têtes de E 1539, les vedettes sont distinguées des sous-vedettes non seulement par l'ordre de présentation mais également par la typographie. Les éditions postérieures adopteront plus ou moins le même principe. Ainsi les vedettes seront imprimées en tête du macro-article en grands romains, les sous-vedettes en petits italiques. [56] ND 1573 et N 1606 distingueront également les noms propres en vedette en leur réservant des petits romains majuscules. [57] Voici un tableau du bon usage des différents caractères employés pour les vedettes et les sous-vedettes et la forme que nous leur donnons dans la presente étude: [58]

Ajoutons qu'à l'intérieur du micro-article, et la vedette et la sous-vedette sont reprises en petits italiques. Estienne introduit l'ordre alphabétique pour le classement des vedettes dès la premiere édition du Thesaurus (1531) et le respecte presque parfaitement. [59] Sur les cent premiers 'passages' (la position relative des 101 premières vedettes dépend de 100 jointures ou passages) du Thesaurus de 1531, il n'y a que 4 fautes de classement (donc 4%): ABLEGO, ABLECTAE; ABUNDO ("ABVNDO"), ABVERTO; ACATIUM, ACATIA; ACCIO, ACCINGO. Le nombre moyen de lettres pertinentes est 4,34, y compris le nombre respecté dans les passages fautifs. Comme les passages individuels varient entre 2 lettres pertinentes (ex: A, AB) et 7 (ex: ABINTEGRO, ABINTESTATO) et que les erreurs constatées ont lieu aux lettres 5, 4, 6 et 5 respectivement, le nombre moyen de lettres pertinentes observé est non pertinent et virtuellement infini. Dans le Dictionaire francoislatin de 1539, sur les 756 passages de l'échantillonnage A, B, La, Ta, il y a seulement 33 fautes (moins de 4,4%); la longueur moyenne du mot alphabétique est de 4,1 lettres (mais virtuellement infinie), la longueur réelle variant entre 1 et 7. Dans E 1549, le classement est amélioré: sur les 1268 passages de l'échantillonnage A, B, La, Ta, il y a seulement 22 fautes (1,74%). Les éditions postérieures n'atteindront pas ce degré d'exactitude. Voici pour l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, un tableau représentant la correction du classement alphabétique des mots imprimés en vedette dans les différentes éditions du DFL et le Thresor:

Les fautes de classement nuisent plus ou moins à la consultabilité du dictionnaire. Ainsi, pour O. Bloch, [60] EQUITABLE, GUISE et TENABLE manquent à la nomenclature du Thresor, tandis qu'ils se trouvent, le premier à 20 lignes de sa place alphabétique entre EQUINOCCE et EQUIPARER, le deuxième à 19 lignes de sa place entre GUIMAUVES et GUINDER, le troisième déplacé de 17 lignes entre TENANT et TENCER. Plus graves sont les cas de AFFILS (p. 20, col. 2, ligne 36 au lieu de 19.2.69), BOQUE (82.1.39 au lieu de 83.2.32) et BRUTHIER (92.2.51 au lieu de 94.2.44). Il n'est guère possible de dire que toute faute de classement entraîne la perte d'un item de nomenclature; tous les mots cités ci-dessus sont cachés dans une certaine mesure, les premiers à peine, les seconds beaucoup plus. Pourtant, il est parfois difficile de décider quel est (ou quels sont) l'item caché. Par exemple, pour la suite de vedettes LANCELÉE, LANCER, LANCEMAN, LANDE, le 'bon' ordre alphabétique est-il LANCELÉE-LANCEMAN-LANDE ou LANCELÉE-LANCER-LANDE? La seule réponse pratique, c'est que ni LANCER ni LANCEMAN n'est caché, c'est au consulteur de laisser errer un peu son regard.

Le classement alphabétique connaît aussi un certain nombre de variations expliquables; par exemple, lorsque la vedette est considérée comme mot phonétique plutôt que graphique (voir 2.2.1.2.2) ou que les systèmes alphabétique et étymologique sont confondus, la typographie aidant (voir 2.2.1.1.2). Contentons-nous ici de considérer le cas des composés (préfixaux et syntagmes codés). Ceux-cl peuvent s'écrire en éléments séparés et être classés selon l'ordre absolu des lettres: A BON ESCIENT (1549), A BRIDE AVALLEE (1549), A CE (1606), A CHEVAL (1573), AVOIR A FEMME (1606), LA SUS (1573); compte tenu seulement du premier élément: A CAUSE (1539), AU CONTRAIRE (1549); ou suivant l'élément le plus lexical: A L'AUTRE (1606) mis à la suite de AUTRE. Écrits en un mot, avec ou sans trait d'union ou apostrophe, ils sont classés soit comme un mot soit comme deux (classement en deux temps). Ainsi, la série "CONTRE..." est divisée avec quelque arbitraire en deux groupes: CONTR + et CONTRE +, chaque groupe étant classé selon l'ordre absolu des lettres: CONTR'AMONT, CONTR'ANIMEZ, CONTREBASSE, CONTR'ESCARPE, CONTR'ESCHANGER, CONTR'ESCRIRE, CONTR'ESTER, CONTR'IMITER, puis CONTREBALANCE, CONTREBAS, CONTREBONDIR, etc. (voir 1573). En revanche, tous les composés en "ENTRE..." sont classés comme des mots simples: s'ENTR'ACCOINTER, s'ENTR'ACCOLLER, s'ENTR'ACCOMPAIGNER, etc. (voir 1564).

Dans une organisation secondaire, les dérivés d'une vedette sont classés, plus ou moins correctement (c.-à-d. en filiation dérivationnelle), à sa suite, le traitement d'une sous-vedette la séparant de la suivante. [61] Le plan tel que nous l'avons montré pour le macro-article ABONDER (cf. supra) connaît des variantes et beaucoup d'exceptions dès 1539. Une variante nous est fournie par le macro-article ACCOUSTUMER dans lequel les sous-vedettes ACCOUSTUMÉ et ACCOUSTUMANCE sont signalées non par un alignement en saillie mais par un pied-de-mouche (¶). Le non-signalement typographique se produit, cependant, tout comme le faux signalement en saillie. Ainsi, ACCOMPAIGNÉ n'est pas distingué s.v. Accompaigner, ni ACQUIT s.v. Acquicter, et ABBREVÉ s.v. Abbrever. La dernière entrée des articles APPRIVOISER et BARRE est placée en fausse saillie. La forme donnée en tête du macro-article n'est pas toujours la même que celle qui ouvre le micro-article: ainsi ABBREVÉ (s.v. Abbrever) et UNE ATTACHE (s.v. Attacher) non marqués dans l'en-tête deviennent dans leur sous-article ABBREVEE/ABBREVEZ et ATTACHES; ARMURES, marqué en tête de l'article ARMES, prend la forme non marquée ARMURE au début de son article propre. Plus déconcertant est le cas des sous-vedettes qui ne sont données qu'à l'intérieur du macro-article, sans être signalées dans l'en-tête global. Elles sont legion; par exemple: ACCOUSTRÉ et ACCOUSTREMENT (s.v. Accoustrer), AFFINEUR (s.v. Affiner), AGNUS CASTUS (s.v. Agneau), ARGENTER, ARGENTERIE et ARGENTINE (s.v. Argent), BABILLARDE (s.v. Babil), BARBETTE (s.v. Barbe), BELLOT (s.v. Beau), BRAYANT/BRAYART (s.v. Braire), BRUINÉ (s.v. Bruine), etc. Autrement dit, l'absence d'un mot des en-têtes ne veut rien dire. Le contraire peut arriver: ARBREAU donné en tête du macro-article ARBRE n'est pas le sujet d'un article propre et disparaît entièrement de la nomenclature dans E 1549. En revanche, AMIABLE, en tête du macro-article AMI et remplacé dans le texte de l'article par AMIABLEMENT, reçoit un traitement propre en 1549.

E 1549 respecte le classement de E 1539 et garde les distinctions d'alignement (quoique, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, les en-têtes disparaissent et que seule la vedette s'imprime en grands romains). Par exemple, le macro-article AGUILLE, qui en 1539 se présente comme:

devient, en 1549: À partir de 1564, l'alignement en saillie cesse de démarquer le début des sous-articles, ne servant qu'à definir les limites de l'alinéa qui, lui, est ouvert par une entrée quelconque -- vedette, sous-vedette ou exemple.

Les fautes de classement étymologique sont perceptibles très tôt. Pour ne retenir que quelques-unes des plus évidentes, [62] on remarque la présence dans E 1549 s.v. Taciturnité de TACITEMENT, [63] la subordination dans ND 1573 de l'ancienne vedette BAN à la nouvelle BANIR, ou la présence dans la même édition s.v. Las ("Fatigatus") de LASSER ("tendre laqs") et LASSET ("cordon"). Citons aussi COPIEUX (1539) et COPIEUSEMENT (1549) s.v. Copie, et le cas complexe de DOCILE (1539), DOCILITÉ (1549) et DOCUMENT (1549) s.v. Docte. Dès 1539, un petit nombre de dérivés sont signalés en renvoi dans l'ordre alphabétique, mais ces renvois sont dans toutes les éditions l'exception et non la règle. E 1539 met dans l'ordre alphabétique BEUVERIE "cerchez Boire", BONTE v. Bon, BOUQUIN v. Bouc, BOUVIER v. Beuf, BRODEUR v. Bord, etc. À partir de 1549, on utilise dans les renvois ajoutés le mot "voyez" au lieu de "cerchez". [64] Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, nous trouvons 5 renvois de ce type dans E 1539, 12 dans E 1549 et 11 dans T 1564. Il n'y en a presque pas d'ajoutés en 1573 et 1606, Nicot préférant faire d'un renvoi un second article (voir 2.2.1.1.2). Ces chiffres sont infimes en regard du nombre de sous-vedettes qui ne sont pas indiquées dans l'ordre alphabétique. Par exemple, dans T 1564, sur 108 sous-vedettes dont la place alphabétique ne serait pas immédiatement avant ou après celle de leur vedette, seules 17 sont données en renvoi. La situation est à peu près la même en 1606, 14 sous-vedettes y étant indiquées dans l'ordre alphabétique sur un total de 101. Les renvois dérivationnels permettent à la limite de construire un macro-article fragmenté par l'alphabet; par exemple, l'article SEANT renvoie à SIED et vice versa. Un macro-article peut aussi exister en double exemplaire; par exemple, en 1606, Nicot fait précéder l'article hérité:

de celui-ci:

2.2.1.1.2. Neutralisation des systèmes primaire et secondaire

Dès la première édition du DFL, Estienne classe un certain nombre de dérivés dans l'ordre alphabétique. [65] Par exemple, BONNEMENT, caché pour Bloch, [66] est donné en vedette alphabétique et non s.v. Bon. De même, LAQS et LASSÉ sont classés à part, ce qui entraîne une certaine redondance: TENU EN LAQS "Laqueatus" (s.v. Laqs), LASSÉ "& tenu a ung laqs, Laqueatus" (s.v. Lassé). Le Thresor, préférant souvent le classement alphabétique au dérivationnel lorsqu'il respecte un système quelconque, met, par exemple, TAILLANDIER comme vedette plutôt que subordonné à TAILLE. Les hésitations atteignent les composés: PORT'AUBAN, PORTECIEL, PORTECOLE, PORTEGUIDON, PORTEMANTEAU, PORTEPEINE, PORTEQUEUE sont donnés en vedette, PORTE-DIEU, PORT'ENSEIGNE, PORTEFAIX, PORTEPANIER, PORTEPOCHE et PORTESAC en sous-vedette s.v. Porter; PORTECHAPPE(S) est vedette et sous-vedette (s.v. Porter). [67] E 1539 met BOUTEFEU dans l'ordre alphabétique, E 1549 range BOUTEHORS s.v. Bouter. Sans se soucier de l'unité de l'oeuvre, Nicot, en 1573 ou 1606, introduit volontiers un article-vedette qui double, en lui ajoutant un certain nombre d'informations en français, un sous-article existant. Par exemple, 'ARCHER' (1606), 'BAIL' (mal classé apres BAILLET en 1573), 'LAVANDIERE' (= femme, 1606), et 'TAILLABLE' (1606) font double emploi avec 'Archer' (s.v. Arc, 1539), 'Bail' (s.v. Bailler, 1549), 'Lauandiere' (s.v. Laveur, 1564) et 'Taillable' (s.v. Taille, 1539). BANS, dans l'ordre alphabétique dès 1549, reçoit un deuxième traitement s.v. Ban en 1573. CREATEUR a droit à une triple existence, une fois en tête d'un article-vedette, une deuxième fois en renvoi et une troisième fois comme sous-vedette s.v. Creer. Sa double apparition alphabétique est le résultat de la répétition presque mot à mot d'une suite de trois articles-vedettes:

C'est en quelque sorte le contraire qui se produit dans le cas de CHEVAUCHER et CHEVAUCHEUR donnés en sous-vedettes s.v. Cheval et en fausses sous-vedettes s.v. Chevance (1606).

Le dernier exemple introduit un autre type d'aberration, l'impression en italique de vedettes. Si l'ordre alphabétique est respecté, il s'agit seulement d'une faute de caractères; comme exemples de fausses sous-vedettes de cette première espèce nous trouvons: BERNER (1549, corrigé en 1564), PORT'ENSEIGNE, PORT'ESPEE, PORTEFAIX (tous trois vedettes en 1564, fausses sous-vedettes en 1606), BANC (vedette en 1539, fausse sous-vedette en 1564, recorrigé en 1573), ADJANCER (vedette en 1564, mis en italique en 1573, recorrigé en 1606), LANTERNE (vedette en 1573, fausse sous-vedette en 1606), etc. Lorsque l'ordre alphabétique est violé, la consultation est compromise. Par exemple, N 1606 range LANGAYER (fausse sous-vedette) et LANGAYEUR (sous-vedette) entre 'LANGRES' et 'LANGUE'. Si le premier était imprimé en grands romains et orthographié "languayer", les deux mots seraient bien classés; écrits "langa...", ils devraient suivre 'LANGAGE'; sous-vedettes tous deux, il faudrait les placer dans l'article 'LANGUE'. La série 'LANIER', 'Laneret', correctement classée en 1573, devient en 1606 avec l'addition de LANICE: 'Laneret', 'Lanice', 'Lanier' au lieu de 'LANICE', 'LANIER', 'Laneret'. La séquence 'TABOURET', 'TABOURIN', 'Tabourineur', 'Tabourineresse', correctement organisée en 1549, se voit légèrement disjointe au niveau alphabétique en 1564: 'TABOURER', 'Tabourement', 'TABOURET', 'TABOUR/TABOURIN', 'Tabouriner', 'Tabourinet', 'Tabourineur', 'Tabourineresse' (TABOUR est l'élément perturbateur), et tout à fait disloquée en 1606: 'Tabourer', 'Tabour', 'Tabourin', 'Tabouriner', 'Tabourinet', 'Tabourineur', 'Tabourineuse', 'Tabourement', 'Tabouret' -- il n'y a aucune vedette typographique, TABOURER et TABOUREMENT sont separés; l'ordre et la présentation devraient être: 'TABOUR', 'Tabourin', 'Tabourinet', 'Tabouriner', 'Tabourineur', 'Tabourineuse', 'TABOURER', 'Tabourement', 'TABOURET' [comme il y a bifurcation apres 'Tabourin', 'Tabourinet' pourrait se mettre après 'Tabourineuse'].

La contrepartie de la faute précédente est la présentation en grands romains de sous-vedettes, ce qui a le plus souvent pour résultat de fausser superficiellement l'ordre alphabétique. Ainsi, ASSAUT (s.v. Assaillir), ASSIETTE (s.v. Asseoir) et BONTÉ (s.v. Bon), sous-vedettes jusqu'en 1573, sont imprimés en grands romains dans N 1606. BLASMER, BLASMÉ et BLASMÉE, tous subordonnés à BLASME auparavant, sont donnés en fausse vedette par N 1606, ce qui met BLASMABLE comme sous-vedette de BLASMEE. NONPRIX, NONPOURTANT et NONCHALANT se présentent tous les trois comme des vedettes, mais seul le troisième est dans le bon ordre alphabétique, les deux autres étant en réalité des sous-vedettes de NON. Voici des exemples de familles entières mises en vedette dans N 1606:

L'addition, en 1564, de LAVEUR en grands romains au milieu de l'article LAVER, quoique ne dérangeant pas l'ordre alphabétique superficiel, lui donne comme sous-vedettes apparentes LAVANDIERE, LAVEMENT et LAVOIR. Dans la même édition, l'enregistrement en grands romains de BROSSER ("courir à trauers le bois") en même temps que celui en petits italiques de BROSSE ("lieu reuestu de bois") s.v. Brosse (BROSSE, BROSSER DU LIN), scinde l'article potentiel -- 'BROSSE', 'Brosser' -- en deux dès le départ.

Une autre espèce de complexité vient s'ajouter à celles déjà analysées lorsqu'une vedette réelle est placée au milieu d'une famille étymologique étrangère à un endroit ressemblant plus ou moins à l'ordre alphabétique. Par exemple, ARTEMON (1573), BADELADRE (1606) et LARMIER (1606) dans les séries suivantes:

Les additions de T 1564 sont souvent mal placées. Ainsi, y sont données dans le mauvais ordre les entrées suivantes marquées d'un crochet: Tandis que ND 1573 corrige le classement de la deuxième série, la même édition éloigne encore davantage 'Archerot' de sa famille en le rejetant apres 'ARCHE', cinq macro-articles plus loin.

Terminons la discussion des interférences alphabético-étymologiques par l'examen de quelques cas complexes.

1) ND 1573 subordonne la vedette existante BAN à l'addition BANIR, et les fait précéder d'un renvoi BANIER (répété plus loin dans le bon ordre alphabétique), qu'accompagne une fausse sous-vedette, ou, si on veut, sous-vedette déplacée, BANIES:

2) Le macro-article 'BVLLES', 'Bulette/Bulletin', 'Bulletins' est gardé tel quel par N 1606, mais s'y voit totalement doublé (et analysé) par les articles-vedettes développés 'BVLLE', 'BVLLETTE/Bulletin', 'BVLLETIN', ce qui donne: 3) La page 97 du Thresor présente une situation analogue quoique asymétrique: pouvant se réduire a: CAILLEBOTEUX étant à rattacher plus loin à la fausse vedette CAILLOEUX.

4) Deux pages plus loin, la séquence CANAL-CANELLE contient piusieurs anomalies. CANE et CANETE sont donnés en fausses vedettes, le dernier réapparaissant plus loin en sous-vedette déplacée avec CANETER. CANCEL(L)ER a droit à deux articles-vedettes successifs. CANELÉ et CANELEURE sont attribués typographiquement en sous-vedettes à CANDIE. 'CANELE[= canelé ou canelle?]/CANELVRE' renvoie inutilement à CANAL. CANELLE "Cinnamum" et "Robinet", classé à part, pourrait être utilement rattaché à CANAL. Voici à gauche la séquence telle qu'elle apparaît dans le Thresor, et à droite un classement conforme au système:

2.2.1.1.3. Neutralisation des systèmes secondaire et tertiaire [70]

Lorsqu'un dérivé est donné à l'intérieur d'un article-vedette ou même d'un sous-article, non seulement il est moins visible mais en même temps son statut dans l'énoncé lexicographique est compromis. Dans le système, les sous-vedettes sont placées en tête d'un article dont le début coïncide avec celui d'un alinéa. Nous considérerons donc comme sous-vedette cachée tout dérivé présenté comme unité de traitement à l'intérieur d'un article à la suite du traitement d'un autre membre de la même famille, et comme simples éléments de la métalangue de traitement ceux qui n'y jouissent d'aucune indépendance. Ainsi, dans l'article

dandiner est clairement unité de traitement; en revanche, dans assassiné n'est qu'un élément de définition. [71] Lorsqu'une sous-vedette est répétée en début d'alinéa dans le classement dérivationnel, le système est observé et le mot fait partie de la nomenclature. La deuxième occurrence peut être un simple renvoi à la première (cf. ARGOTÉ 1606), un article avec renvoi (cf. ARRIERE-BOUTIQUE 1606), ou un article sans renvoi, ce qui scinde le traitement du mot en deux (cf. BOURRER 1606). Tout mot engagé dans un article, sauf le mot-vedette, fait partie de la métalangue de traitement de celui-ci; quand il est à son tour l'objet d'un traitement propre, il a un statut double, métalinguistique et autonyme à la fois dans des proportions variables. Par exemple, dandiner dans l'article cité ci-dessus est surtout autonyme (lié à ce qui precede par "&"); dans "Betlerlin, pour vn Belitreau, c. petit belitre" (s.v. Belitre 1606), belitreau est en même temps définisseur et défini; assassin n'est qu'implicitement autonyme dans "Assassinat ... Est le forfait executé par l'Assassin, Grassatio" (1606), puisqu'il y fait écho à l'article précédent ASSASSIN (dans lequel il n'est pourtant qu'adjectif). Lorsqu'un dérivé a valeur d'unité de traitement, même implicite (un mot est toujours un élément de nomenclature virtuel dans un article consacré à un autre membre de la même famille étymologique), il commence le plus souvent par une lettre majuscule quelle que soit sa position dans la phrase (cf. les exemples donnés plus haut). Il y a, comme toujours, des exceptions, comme, par exemple, bricole dans "BRICOLER, mot du ieu de paulme, vne bricole." (1564). [72]

Le contexte étymologique dans lequel toute sous-vedette se trouve engagée est le plus souvent explicite lorsque celle-ci est traitée à l'intérieur d'un article. Par exemple:

Dans le Dictionaire françois-latin (1549-) et le Thresor, les rattachements étymologiques sont de deux sortes. Il y a toujours d'abord une étymologie simple d'ascendance, une remontée à l'etymon, c'est l'étymologie pratiquée depuis par les dictionnaires historiques généraux; mais quelquefois, celle-ci est suivie d'une ramification de descendance, modèle adopté par les dictionnaires étymologiques. Les dérivés 'engagés' appartiennent évidemment au deuxième type. Dans le Thresor, ce dernier schéma sert le plus souvent à établir une filiation des sens du mot-vedette en même temps qu'à enregistrer et à expliquer un certain nombre d'autres formes issues de la même source (cf. la plupart des exemples donnés ci-dessus dans cette section). Dans E 1549 et T 1564, les ramifications de descendance, moins nombreuses que chez Nicot, s'occupent avant tout de l'aspect formel et incluent plus volontiers les composés. Par exemple: ou simplement: où le grec est en fait plus en vedette que le français. La subordination du français à une autre langue est surtout le fait de la première édition, dans laquelle les entrees françaises ne sont souvent que la métalangue de définition du latin retournée. Par exemple, dans "Boursette de cuir mol, ou ung bourseron, Pasceolus" (s.v. Bourse), bourseron est davantage équivalent de pasceolus qu'autre chose. [74] E 1549 n'est pas exempt du même type d'entrées; la deuxième édition du DFL ajoute, par exemple: "Petit bateau, Nauigiolum" que T 1564 complétera: "Petit bateau, ou batelet, Nauigiolum" (s.v. Bateau); et "Petit ami, Amiot, Amiculus" (s.v. Ami). [75]

Les items bilingues présentent un autre problème de consultation. Dans le dictionnaire avant Nicot, les articles sont formés d'une suite d'items-alinéas illustrant différentes valeurs d'emploi ou acceptions du mot-vedette qui est avant tout une forme (cf. 2.2.1.3). Dans les éditions d'Estienne, l'unité de l'article est garantie par la typographie (première ligne en saillie -- cf. supra 2.2.1.1.1), mais a partir de 1564 l'oeil doit parcourir une liste uniforme pour déterminer d'abord quelles sont les sous-vedettes enregistrées et ensuite quelles sont les frontières de leurs articles. Le macro-article ARRESTER en 1549 est clairement subdivisé en ARRESTER (131 lignes), ARRESTANS (2 lignes), ARRESTÉ (7 lignes) et ARREST (65 lignes). Cependant, ESTIENNE a ajouté à la fin de l'article (c.-à-d. dans le microarticle ARREST) l'entrée: "Vng homme arresté & posé ...". D'après la typographie, cette occurrence de arresté n'est pas observable. À partir de 1564, la situation est changée puisque l'oeil peut aussi bien rencontrer arresté (adj.) qu'autre chose dans l'article, et en fait ce mot jouit d'une position privilegiée, à savoir finale; si le regard saute, dans le Thresor, de "Arresté, Retentus, Coercitus, Status" à "Vn homme arresté & posé ...", on peut penser que tout ce qui est entre ces deux a trait à ARRESTÉ. De 1549 a 1573, le macro-article ALLER se termine par trois entrées pour le mot ALLURE. La dernière, "Aller de plus grande allure ...", devenant en 1606 "Aller de plus grande singlée, ou singleure ..." (Nicot aussi peut prêter plus d'attention au latin qu'au français), le seul élément formel qui se rattache alors à l'article global est aller, de sorte que les sous-vedettes ALLEE et ALLURE sont dans une certaine mesure masquées. Quant à BOUGE/BOUGETTE, sa physionomie change d'édition en édition:

Jusque là pas de probleme; en 1564, des additions mal placées: ND 1573 réarrange les entrées sans en améliorer l'ordre: N 1606 réunit les différentes entrées de BOUGE dans un long article développé mais garde séparées les deux occurrences de BOUGETTE: Cependant, les dimensions réduites du macro-article de 1539 à 1573, et son organisation typographique en 1606 rendent aisée la découverte des différents items sauf, peut-être, dans T 1564 la première entrée ("Le bouge d'un bouclier"), qui précède la vedette typographique.

2.2.1.1.4. Conséquences du classement étymologique latin

Lorsque, dans E 1549, on lit pour l'article ARBITRE la séquence d'entrées suivante:

la raison de l'ordre est à chercher plutôt du côté du latin que de celui du français. Les équivalents latins sont donnés grosso modo dans l'ordre suivant: arbiter, arbitrari, arbitrarium, arbitrium. Dans E 1539 cet ordre est encore plus clair et plus strict: De même, ACQUERIR, ACQUESTER, ACQUIS et ACQUISITION, réunis en un macro-article depuis 1539, ont des liens de ressemblance plus marqués en latin qu'en français; à partir de 1564 on y trouve, par exemple: "ACQVERIR, Acquirere, Parere, Quaerere // Acquester & amosser, Quaerere // Acquereur, ou Acquesteur ... Partor // Acquis, Partus, Quaesitus, Acquisitus // Acquisition, Acquisitio". L'article DECERNER s'attribue DECRET à travers la conjugaison latine: "DECERNER, Decernere // Decerné, Decretus // Qui decernera, Decreturus // Decret, Decretum" (1549); de même, DISCRETION "Discrimen" (1539) se rattache à la vedette DISCERNER "Discriminare" avant tout par la voie du latin. Plus troublant encore, à cause de la plus grande disparité alphabétique, est le cas de DILATION "Dilatio" [< differo] classé dans le macro-article DIFFERER (1549).

On est frappé dans toutes les éditions du dictionnaire par le grand nombre d'entrées, données dans l'article d'un verbe, qui commencent par la formule "Qui ..." ou "Celuy qui ...", et ne servant qu'à definir un nom latin. Elles sont toutes à faire remonter à E 1539 [77] où, bien que n'offrant aucun élément formel nouveau du côté français, elles sont très souvent données en sous-vedettes (ligne en saillie ou pied-de-mouche). Par exemple, "Celuy qui abandonne ... Proscriptor" (s.v. Abandonner), "Qui appelle & huche, Euocans" et "Qui ua appeler & ... Accersitor" (s.v. Appeler), etc. Le plus souvent, les éditions postérieures laissent ces items 'latins' tels quels; quelques-uns sont quand même 'francisés': ainsi T 1564 change "Qui allaicte, Lactans" (s.v. Allaicter) en "Enfant qui allaicte, Lacteus puer // Mere allectant son enfant, Mater lactans filium"; dans le commentaire que N 1606 consacre à l'entrée "Celuy qui abbandonne ...", le mot abbandonneur est employé; "Qui abbaye, Latrator" (s.v. Abbay), enfin, se transforme graduellement -- en "Qui abbaye, ou Abbayeur, Latrator" (1549) puis "Abbayeur, Latrator" (1573). [78]

2.2.1.2. Variantes: orthographe, phonétique, morphologie et lexique

2.2.1.2.0. Problèmes généraux

Le problème des variantes, c'est toute la langue du seizième siècle. Il ne nous intéresse ici que dans la mesure où il agit sur le classement et la présentation des adresses. Les principaux niveaux linguistiques en cause sont ceux des graphèmes, des phonèmes, des morphèmes et des lexèmes (les variantes étant respectivement des allographes, allophones, allomorphes, et allolexes ou synonymes). La realité de la langue ne permet pas d'en distribuer les items aussi facilement qu'on le ferait dans une description du français d'aujourd'hui, puisque non seulement la langue elle-même est fluide, mais, ce qui est plus important, la conscience linguistique des sujets parlants est floue elle aussi. Vouloir distinguer variantes graphématiques, phonématiques, morphématiques et lexématiques c'est, au mieux, faire des approximations.

Dans le domaine des variantes, c'est surtout l'orthographe qui préoccupait les grammairiens du seizième siècle [79] et qui continue à retenir encore aujourd'hui l'attention des historiens de la langue. [80] Au départ, toutes les variantes possèdent un intérêt pour celui qui étudie l'ancienne langue. [81] Par exemple, les variantes individuelles, c'est-à-dire employées par un même individu, peuvent revêtir un caractère esthétique: "il semble que, lorsqu'elles /./ sont [signifiantes] elles relèvent d'un choix d'ordre artistique que nous ne reconnaissons pas plus aujourd'hui à cette partie de la grammaire qu'à la morphologie". [82] Nombre de formes doivent leur existence aux rattachements étymologiques. [83] La typographie est aussi un facteur déterminant, puisqu'il y a des variantes "dues à la justification des lignes, c'est-à-dire la nécessité (esthétique) de respecter des marges régulières, nécessité qui passe, à l'époque, avant la nécessité orthographique". [84] Les graphies qui changent d'une édition à l'autre d'un même livre peuvent simplement refléter l'évolution de l'usage; lorsqu'il y a également un changement d'éditeur ou d'imprimeur, d'autres facteurs peuvent intervenir, tels que l'attitude linguistique ou les origines de l'éditeur ou de l'imprimeur, les habitudes typographiques de ce dernier, etc. [85] Pourtant, du point de vue du fonctionnement du système, comment voir clair entre "faits de langue et faits de graphie"? [86] Tant qu'il subsiste dans la langue un usage orthographique variable, "la frontière entre variante graphique et hétérogénéité lexicale est imprécise". [87] Les rapports entre orthographe et prononciation sont eux aussi incertains, comme l'indique L. Terreaux: "L'orthographe peut offrir un aspect purement graphique évident. /./ En revanche, il y a des cas où l'orthographe est en rapport avec la phonétique et la prononciation. Les problèmes sont alors d'une grande complexité". [88] Nous verrons que la prononciation est un facteur important dans le classement des adresses et dans les fautes observées dans l'ordre alphabétique. Au niveau du morphème, "le développement d'une forme ou d'un tour s'explique très souvent par un fait de prononciation qui a atteint une syllabe, une désinence par exemple". [89] La variation formelle peut atteindre le radical du mot ou le mot tout entier, de sorte que seul le signifié relie deux ou plusieurs formes différentes. Au niveau des synonymes, ou des dénominations multiples, les variantes sont moins un problème pour l'historien de la langue que pour celui des nomenclatures lexicographiques.

Notre intention n'est donc nullement d'essayer de résoudre les problèmes de catégorisation, [90] mais d'observer les variantes selon les différents types de présentation et les déclarations du lexicographe. En fait, l'optique dans laquelle nous nous sommes placé dans cette étude nous permet de distinguer entre les variantes presentées dans la nomenclature et celles qui ne se révèlent que lors d'un dépouillement du texte. [91] Les premières (qui sont celles qui nous intéressent dans ce chapitre), quand elles se trouvent en présence dans un même article, donnent lieu souvent à un commentaire de la part du lexicographe; mises dans le classement alphabetique, elles se trouvent dispersées du fait de leurs formes divergentes et dans de nombreux cas coexistent les unes à l'insu des autres, surtout si elles sont entrées dans le dictionnaire à des époques différentes. Enfin, la substitution d'une forme à une autre est assez fréquente.

Les catégories que nous avons été amené à dégager (variantes graphiques, morphologiques et lexicales) n'ont donc qu'une valeur pragmatique, ne relevant pas d'une doctrine, et peuvent même entrer en conflit avec les rares déclarations du lexicographe du temps. Ainsi, Nicot appelle synonymes les trois mots auberge, heberge et esberge, [92] là où suivant d'autres indications fournies par le Thresor nous traiterions les deux derniers comme variantes graphiques à prononciation identique (h et s étant lettres facultatives -- cf. 2.2.1.2.1 et 2.2.1.2.2) et auberge comme une variante morphologique des deux autres (cf. 2.2.1.2.3).

2.2.1.2.1. Variantes graphiques dans l'ordre alphabétique et dans l'article [93]

La plupart des renvois mis dans le classement alphabétique concernent les variantes graphiques. Ainsi, dans l'échantlllonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, E 1539 leur consacre 6 renvois sur 11 (ABAISSER "cerchez Abbaisser", etc.), E 1549 26 sur les 48 ajoutés (ABILE "uoyez Habile", etc.), T 1564 24 sur 42 (ABISME "voyez Abysme"). [94] Pourtant, il n'est pas possible de calculer combien n'y sont pas. D'une part, de nombreuses variantes données dans un article ne sont pas répétées en vedette (par exemple, la forme bruy se trouve s.v. Brouy (T 1564): "BROVY, ou BRVY, c'est à dire Bruslé", mais non dans l'ordre alphabétique); d'autre part, la majeure partie des formes données en renvoi dans l'ordre alphabétique ne sont pas reprises dans l'article auquel l'utilisateur est renvoyé (par exemple, abaisser manque s.v. Abbaisser (E 1539), abile manque s.v. Habile (E 1549), abisme ne se retrouve pas s.v. Abysme (T 1564) -- cf. supra). [95] Parmi les différents types d'irrégularités qui peuvent se produire, mentionnons ici le cas du renvoi qui renvoie à un autre renvoi; par exemple: PAOUVRE "cherchez Pauure", PAUVRE "voyez Poure" (T 1564).

Comme nous l'avons déjà noté pour les dérivés, [96] les entrées multiples entraînent bien souvent des redites, ainsi que la fragmentation des informations. L'article BRANQUARS "d'une lictiere, Brachia lecticae" (T 1564) se voit doublé en 1573 d'un autre, BRANCAR, qui répète le contexte français ("le bras d'vne littiere") sans donner l'équivalent latin. Il peut y avoir ou non renvoi d'un article à l'autre. Ainsi, dans l'exemple donné ci-dessus, les deux articles sont indépendants; en revanche, BRANCHE URSINE ("espece d'herbe, Acanthus vel Acanthe. Les Apothicaires l'ont nommée Branche vrsine pour la semblance que ses fueilles ont auec les pieds de deuant d'vn ours, voiez Branque vrsine.") et BRANQUE URSINE ("est vne herbe ainsi nommée par les herbiers, Patte d'ours par les iardiniers, Acanthus. Les architectes la nomment vulgairement Acanthe. voiez Branche vrsine") se répétant et se complétant, à partir de 1564 se renvoient mutuellement. Enfin, AUBER ("se mouuoir d'vn lieu en l'autre") renvoie sans réciprocation à HOBER ("Bouger"). On pourrait multiplier les exemples de chaque type.

Il ne faut pas voir dans ce procédé un désir d'étoffer l'ouvrage. [97] On n'avait simplement pas l'habitude de la révision systématique, à tel point que la fragmentation des données tourne parfois à la contradiction. Ainsi, pour citer l'exemple le plus notoire, [98] on rencontre s.v. Soldat, Soudard, Souldoyer et Souldart (N 1606) non seulement huit variantes -- soldad/soldat, soudard/souldard/souldart/souldat, soudoyer/souldoyer -- des trois formes de base correspondant au sémème "guerrier de pied" (s.v. Soudard), mais aussi deux affirmations contradictoires: "Il est mieux escrit & prononcé Soudard, que ni souldard, ni soldat" (s.v. Soudard); "Ceux qui parlent bien dient, Vn soldat" (s.v. Souldart). [99] Plus intéressants que les précédents sont les cas où le lexicographe confronte des variantes de façon explicite dans un même article. De la sorte, a) il en sanctionne la coexistence fonctionnelle, ou, dans un commentaire, il peut b) qualifier ou c) même condamner l'usage d'une des formes. Par exemple:

Il est pourtant assez rare que Nicot condamne une graphie, préférant réunir pour les confronter les différentes formes employées ainsi que les opinions des autres: Une deuxième sorte de confrontation, implicite, se produit lorsqu'une forme différente de celle de l'adresse est employée dans les exemples d'emploi ou les commentaires métalinguistiques. Ainsi, le premier exemple de l'article "AVTOM, ou AVTOMNE" emploie la graphie auton (ND 1573); BACQUETER est suivi de deux occurrences de baqueter (N 1606); [100] les six exemples d'emploi de DESMELLER utilisent la forme desmesler (ND 1573); l'article "SOVBS, ou SOVB", en plus de deux occurrences de soubs, renferme six exemples de soubz (N 1606). [101] Après les confrontations synchroniques, il convient de mentionner les variations diachroniques, c'est-à-dire les changements de graphie d'une édition à l'autre. Ces changements, qui ne touchent souvent que les vedettes, expliquent en majeure partie les divergences notées au dernier paragraphe. Ils sont aussi cause de plusieurs fautes et corrections du classement alphabétique des vedettes. [102] Par exemple: ARAISONNER, ARBALESTE (1549) > ARRAISONNER, ARBALESTE (1564) = faute; BETTE, BETOESNE (1539) > BETOESNE, BETES (1549) = double faute; DESMENTIR, DESMESLER (1564) > DESMENTIR, DESMELLER (1573) = faute; LAY, LAICT (1564) > LAI, LAICT (1573) = correction; SOUBTRAIRE, SOUBZ (1573) > SOUBTRAIRE, SOUBS (1606) = faute. Une bonne illustration nous est fournie par le sort, dans ND 1573 et N 1606, des adresses en Aba... et Abba...: La modification de AB(B)ANDONNER (ses dérivés ne changent pas) est accompagnée du reclassement correct de ABBAISSER mais non de celui de ABASTARDIR.

2.2.l.2.2. Orthographe et phonétique

À moins d'un commentaire explicite de la part du lexicographe, on ne peut pas toujours savoir si une différence de graphie correspond ou non à une différence de prononciation. Il y a, cependant, certains indices.

Si, par exemple, un mot auquel on est renvoyé figure, dans le renvoi, sous une forme différente de celle donnée dans l'ordre alphabétique, on peut être amené à conclure à une prononciation identique. Ainsi, des trois articles "EPELER, Cerchez Espeler, ou Eppeler, ou Appeler", "ESPELLER ... corrompu de la mignardise de la prononciation du vulgaire, pour Appeller, & le conuiendroit escrire Eppeller" et "Appeler ... que aucuns dient Eppeller" (N 1606), on peut inférer que epeler, espeler, eppeler, espeller et eppeller sont censés avoir une même prononciation, différente de celle de appeler/appeller. Les changements faits, d'une édition à l'autre, à la graphie des vedettes (cf. 2.2.1.2.1), et qui le plus souvent perturbent l'ordre alphabétique, ne seraient pas des changements phonétiques. Entre autres, on peut remarquer les allographies suivantes:

Les déclarations faites dans les articles renseignent souvent sur le statut phonétique des variantes, confirmant à l'occasion des conclusions tirées du classement alphabétique. Ainsi, s.v. Bande, on lit: La prononciation sera donc tantôt une: tantôt multiple: Mentionnons ici, enfin, les variantes dialectales dont la forme différente correspond seulement à une différence de prononciation. [104] On note, par exemple:

2.2.1.2.3. Variantes morphologiques, variantes lexicales

Vu leur importance dans la nomenclature, nous trouvons nécessaire de considérer à part les variantes morphologiques, qui se distinguent par leurs affixes, et les variantes lexicales, qui sont unies par le seul signifié ou référent. Dans le cas des variantes morphologiques, c'est surtout le suffixe qui varie:

Parfois, il s'agit d'une expansion analytique: On trouve aussi quelques variantes préfixales: Voisins des précédents sont les composés à formant lexématique: Il y a, enfin, le cas limite où c'est le radical qui est touché: Du côté des variantes lexicales, on remarque le nombre de dénominations multiples: Certaines formes sont régionales ou particulières à une profession:

2.2.1.2.4. Statut des variantes: unités de traitement ou définisseurs?

Les deux articles CREDIBLE servent à poser le problème:

Tandis que, dans le second, la copulative ou confère aux trois variantes un rang d'équivalence non seulement du point de vue sémique mais aussi de celui de leur fonction dans l'énoncé lexicographique (elles sont toutes unités de traitement -- cf. les exemples avec ou donnés ci-dessus a 2.2.1.2.1-3), dans le premier, les informations grammaticale et prosodique, le point devant le mot croyable et l'initiale majuscule de celui-ci concourent à rejeter "Croyable, & creable" dans la métalangue définitionnelle à la manière de "CREATEVR, m.acut. Celuy qui crée, ou a creé ... Creator", par exemple. Pourtant, les deux aires se confondent vite. Lorsque les termes reliés à la forme d'entrée par ou ne sont pas de simples variantes graphiques ou morphologiques, ils sont sentis comme un traitement sémantique du premier terme aussi bien que comme des entrées-variantes; [105] autrement dit, ils sont à la fois entrées et sorties. Par exemple: Il est évident, d'après ces exemples, que plus le deuxième terme est analytique plus il constitue du premier une définition proprement dite. L'équivoque apparaît aussi quand le passage de l'autonymie à la métalangue de définition est moins marqué que dans l'exemple (CREDIBLE) donné plus haut, se réduisant souvent à la virgule plus initiale majuscule sinon à la seule virgule. Comparez les exemples suivants: Le fait que l'article "Brouyr, Bruser" (T 1564) est précédé de "BROVY, ou BRVY, c'est à dire Bruslé" renforce la fonction métalinguistique de bruser [sic, = brusler]. La copulative & fonctionne la plupart du temps au niveau de l'articulation des composants de l'énoncé lexicographique, et, comme tel, sert à relier des termes synonymiques tout comme ou. Cependant, là où ou coordonne normalement des adresses-variantes, &, quoique pouvant faire de même ("BABOIN, & BABOVIN, m.acut. ... Nugator" (N 1606)), tend à être reservé à un rôle définitionnel. &, ainsi que ou, peuvent, à l'occasion, fonctionner comme conjonctions à l'interieur de l'unité de traitement en reliant entre eux les constituants de celle-ci. [106]

2.2.1.3. Forme, fonction et sens

2.2.1.3.1. Classement fonctionnel et classement sémantique

Comme nous l'avons vu plus haut, [107] la nomenclature est organisée à partir du classement alphabétique ou étymologique de ses items. Cependant, d'autres facteurs peuvent venir en modifier la présentation. Ainsi, la fonction grammaticale, normalement subordonnée à la forme, peut devenir une considération principale. Par exemple, E 1539 distinguant, dans le macro-article 'BAISER', deux micro-articles BAISER (verbe) et UNG BAISER (nom), T 1564, ajoutant le verbe BAISOTER, le place entre les deux. De même, s.v. Boire, E 1539 distingue BOIRE (verbe) et LE BOIRE (nom). L'adverbe bien et le nom bien/biens méritent chacun un macro-article à part, du moins de 1539 à 1573. [108] La fréquence fonctionnelle de A BON ESCIENT et de A BRIDE AVALLEE serait cause de leur enregistrement, en 1549, dans la nomenclature alphabétique; en effet, ND 1573 leur ajoute la qualification grammaticale "par forme d'aduerbe".

Parfois ce sont des distinctions sémantiques qui viennent modifier la présentation des items. Par exemple, s.v. Assommer, E 1539 sépare, dans l'en-tête comme dans le corps de l'article (lignes en saillie), ASSOMMER AUCUNG de ASSOMMER UNE SOMME. De même, les deux signifiés de BIERE (E 1539) sont distingués à la fois typographiquement (un macro-article chacun) et syntagmatiquement (UNE BIERE / DE LA BIERE). La structure du macro-article CHASSER est fondée sur la distinction "pulsion/vénerie", de sorte que la forme CHASSER est traitée deux fois, une fois au début (= "Abigere, Arcere, Excludere, Fugare, Pellere" etc.), et une deuxième fois ("Chasser aux bestes sauuages") apres CHASSE (= "Venatus"). L'alternance des formes peut être axée sur un sémantisme moins nettement démarqué que dans l'exemple précédent. Par exemple, dans le macro-article FARCE (E 1539), la séquence des sept entrées commençant par "Farceur, Hister" et comprenant les formes farceur, farceurs et farces semble être ordonnée à partir des sèmes "exécutant - auteur - directeur - costume - pantomime":

Cet ordre n'est pas sans rappeler le classement étymologique latin étudié plus haut. [109]

2.2.1.3.2. Primauté de la forme

Il est pourtant rare que la fonction ou le sens prime la forme. Seul Estienne, en 1539, était libre de choisir les critères de classement et d'en doser les proportions (les exemples notés ci-dessus à 2.2.1.3.1 sont de 1539). En fait, ses dictionnaires latins l'astreignaient aux ordres alphabétique et étymologique. Une fois le principe d'un classement formel admis dans la première édition, il n'est que consolidé dans les éditions postérieures. Les remaniements autres que formels étant rares, les additions viennent se greffer sur la nomenclature aux endroits les plus propices. Pour l'augmentateur, celle-ci n'est le plus souvent qu'une liste de signifiants purs.

Les distinctions fonctionnelles observées en 1539 pour BAISER / UNG BAISER et BOIRE / LE BOIRE (voir ci-dessus 2.2.1.3.1) sont respectees jusqu'en 1606; mais, déjà dans E 1549, les regroupements formels commencent. Ainsi, dans le macro-article ASSOMMER, la distinction ASSOMMER AUCUNG / ASSOMMER UNE SOMME est affaiblie au profit de celle entre ASSOMMER et ASSOMMÉ:

Ce sont pourtant les éditions de Nicot qui cultivent le plus la forme. Tantôt les sens et les fonctions sont réunis sous une même forme et dans un même alinea:

Tantôt on garde les adresses distinctes des éditions antérieures en ajoutant à l'une d'elles les propriétés fonctionnelles ou sémantiques de l'autre: Du même type, on trouve aussi: "DROICT, m. Directus ... Droict aussi est, Raison ... Ius" et "DROICT & raison, Ius" (ND 1573). Dans l'exemple suivant: l'adjectif fin est donné une première fois à la suite de fin, substantif, et une deuxième fois comme adresse autonome. [
111]

Si un item lexical nouveau est ajouté à la nomenclature en 1573 ou en 1606 et que son signifiant coïncide avec une forme déjà enregistrée, il y a toutes les chances pour qu'il soit traité sous celle-ci:

Un article entièrement nouveau ajouté en 1573 ou 1606 peut utiliser ce même procédé:

Il arrive, même, à deux formes différentes d'être considérées comme de simples variantes graphiques: Lorsqu'une forme flexionnelle coïncide avec le signifiant d'un autre membre de la même famille étymologique, elle peut être traitée dans l'article de celui-ci: En règle générale, les formes marquées, lorsqu'elles apparaissent dans la nomenclature, sont données à la suite de la forme canonique, soit dans les exemples d'emploi illustrant celle-ci, soit comme sous-vedettes. Parfois, cependant, elles peuvent faire l'objet d'un traitement particulier. Ainsi, dans le macro-article COMMUN (E 1549), la forme commun regroupe les fonctions adjective et substantive au masculin, et commune les mêmes fonctions au féminin. L'ordre des entrées est la suivante: a) COMMUN: (i) adj. (ii) n.m.; b) COMMUNE: (i) n.f., (ii) adj. De la même sorte, FINS "Regiones, Fines" a droit à un macro-article, quoique le macro-article FIN "Meta, Finis, Terminus" renferme des exemples du pluriel (E 1549).

La forme qui est consignée dans la nomenclature peut comprendre l'entourage syntagmatique de l'item visé. C'est à dire que l'analyse grammaticale préalable, la réduction à une forme neutre, n'a pas été faite. Par exemple, dans T 1564, le syntagme la patience n'est pas classé sous la lettre P, mais sous L, bien que s.v. Patience on trouve le même item lexical que s.v. La patience. [114]

Terminons la discussion de la primauté de la forme comme principe de classement par l'analyse de deux cas particulierement complexes. Comme nous l'avons mentionné plus haut, DROICT fait l'objet de deux macro-articles basés au départ sur la distinction adjectif/nom. Cependant, dans un premier alinéa, il est rattaché à DROICT (adj.), dans N 1606, une première acception substantive, une deuxième acception adjective, deux autres acceptions substantives et une répétition de sa première acception adjective. Suivent vingt-quatre alinéas-exemples dans lesquels droict apparaît indifféremment comme substantif, adjectif ou adverbe; ensuite, le pluriel est analysé en deux acceptions substantives avec exemples à l'appui. Cela donne:

En revanche, ESCRIT (subst.) ne jouit d'aucune indépendance vis-à-vis de ESCRIRE. Dans le macro-article ESCRIRE, qui consiste en alinéas-items, la première occurrence de ESCRIT (subst.) est signalée par un pied-de-mouche (¶), mais dans les trente et un alinéas-exemples qui la suivent, la forme escrit est tantôt substantif (N) tantôt verbe (V), et alterne avec d'autres formes du verbe (escrivent, etc.). On peut résumer l'article ESCRIRE-ESCRIT ainsi (nous citons N 1606):

2.2.1.3.3. Appartenance grammaticale ambiguë

"Si nous étudions les écrivains du XVIe siècle, nous sommes frappés tout d'abord de ce fait, que les limites entre les diverses parties du discours étaient loin d'être aussi nettement fixées dans ce temps-là qu'elles le sont aujourd'hui, qu'on substituait facilement un mot à un autre, et qu'ils échangeaient souvent leurs fonctions entre eux." [115] La nomenclature du Thresor recèle, elle aussi, des ambiguïtés de cet ordre. Quoique la terminologie grammaticale de Nicot soit assez complète -- par exemple, nous trouvons des adresses qualifiées dans N 1606 de

-- elle ne correspond pas toujours aux catégories d'aujourd'hui. Ainsi, "aduerbe", s.v. Avant, recouvre nos adverbe et préposition: De même, "pronom" signifie tantôt pronom (s.v. Il, Vous), tantôt adjectif (s.v. Mon, Son), tantôt les deux: Une indication de genre grammatical en tête d'article n'est pas toujours garantie du genre de l'item enregistré. Dans N 1606, la vedette MESLANGE est suivie de l'indication "m." (= genre masculin), ce qui n'empêche pas les six sous-entrées qui la suivent de la donner comme substantif féminin ("Vne meslange de ..."). De même, NAVIRE est "Ores ... masculin, & signifie vn vaisseau de mer ... Nauis ... ores ... feminin, & signifie vne armée de mer ... Classis" (N 1606); pourtant la deuxième sous-entrée donne: "Nauires assemblées ou amassées, Coactae naues". Notons également dans le Thresor, AAGE "m.substantif" employé au féminin ("Aage rassise & posée ..." etc.) aux lignes 50, 52, 53, 64 et 86 de son article; AFFAIRE "n." (= neutre) ou masculin dans les 72 premières lignes de son article, mais féminin aux lignes 73, 86, 102 et 131; ARBRE "m.", féminin aux lignes 44 et 48.

2.2.1.3.4. Participes

L'appartenance grammaticale des participes est généralement considérée comme un problème insoluble, même pour le français moderne. [118] Chez Nicot, le participe est présenté sous différentes étiquettes qui témoignent non seulement de sa polyvalence mais aussi de la confusion terminologique. D'abord, certaines étiquettes sont partagées avec d'autres formes non participiales. Par exemple, l'indication de genre s'emploie tout aussi bien pour les participes (GISANT "m. ... participe" (N 1606), CHAUSSÉ "m. ... participe" (ND 1573), CHAUSSÉE "f. ... participe" (ND 1573), etc.) que pour les adjectifs (BLANC, NOIR, etc.) et substantifs (BLANC, NOIR, HOMME, etc.). De même, la terminaison -us est souvent commune à la traduction latine des noms, adjectifs et participes passés français, ce qui, en l'absence d'autres marques, peut maintenir l'ambiguïté fonctionnelle entière. Par exemple, BASTARD ("Nothus, Adulterinus" E 1539) peut être adjectif ou substantif; CONFEDEREZ ("Foedere iuncti, Foederati" T 1564) est participe, adjectif ou substantif. LAISARDIN "Lacertinus" (T 1564) semble à première vue pouvoir être nom ou adjectif, quoique le suffixe -inus ne soit normalement utilisé, dans le cas d'animaux, que pour les adjectifs dérivés, [119] et que le Grand dictionaire françois-latin de 1603 y ajoute l'expansion analytique "De laisard". [120] Pour ce qui est des indications de fonction grammaticale, celle de nom/nom substantif/substantif est clairement délimitée:

De même, celle de gerondif/gerundif: Entre ces deux extrêmes, la terminologie et les fonctions sont plus difficlles à analyser. Pour la forme du participe présent, nous trouvons quelques exemples de l'étiquette participe: L'utilisation du même terme pour le participe passé ne traduit pas une même fonction: Le participe présent, en tant qu'unité de traitement, n'est généralement admis à la nomenclature qu'à titre d'adjectif après le traitement du verbe: Cependant, ABHORRANT "m.acut. Celuy qui abhorre & deteste quelque chose, Abhorrens, Abominans. // Ie ne suis trop abhorrant de ceste opinion" se présente, dans N 1606, plutôt comme une forme verbale opposée à abhorrente ("lon dit vne chose estre abhorrente, quand elle est outre la commune & vsitée facon de faire" caché s.v. Abhorrir), tandis que, dans ND 1573, l'article ABHORRANT de 1606 était "Abhorrent. m. Celuy qui abhorre & deteste quelque chose. Abhorrens, Abominans. // Ie ne suis trop abhorrent de c'este opinion". Pour sa part, l'article RIMANT cache un emploi substantif: Plus fréquent, dans le classement dérivationnel et même dans l'ordre alphabétique, est le participe passé dont l'appartenance grammaticale est aussi plus ambiguë. Il est parfois qualifié de preterit: - emplois actifs et passlf. L'étiquette la plus usuelle, lorsqu'il en porte une, est celle d'adjectif/nom participial adjectif/adjectif de signification passive/passive signification: Plusieurs facteurs concourent à faire du participe passé avant tout une forme. Il peut être classé avant l'infinitif: Suivant l'infinitif, il peut mériter dans le macro-article la même attention: ou y jouir d'une indépendance totale: Le plus souvent, le statut d'unité de traitement coïncide avec la première occurrence, dans une entrée de macro-article, de la forme du participe passé (cf. ACHETÉ, ASSEMBLÉ, BLASMÉ, COMMIS, etc.). Cela a parfois pour conséquence de faire interposer entre le verbe et l'emploi actif du participe un emploi passif de celui-ci: Lorsque le participe-passif-adresse ne coïncide pas avec la première occurrence du participe-forme, il peut toujours être suivi d'un emploi actif (ACHEVÉ 1606), être précédé d'un emploi passif (ACCOURCI et ACCOURCIE 1573, ACCUSÉ 1549), ou, enfin, constituer le passage de l'emploi actif à l'emploi passif (ABANDONNÉ 1606). C'est uniquement dans le dernier cas qu'il est situé d'après sa fonction.

2.2.1.4. Formes flexionnelles [124]

Les formes marquées, qui dans les dictionnaires modernes ne constituent des adresses autonomes que quand elles se distinguent sémantiquement de la forme canonique, sont représentées parmi les vedettes et les sous-vedettes du Thresor et du Dictionaire françois-latin, le plus souvent sans acception particulière.

2.2.1.4.1. En vedette

Le classement alphabétique renferme un certain nombre de substantifs pluriels et de formes verbales marquées. Le substantif peut s'employer au singulier et au pluriel et avoir deux signifiés distincts:

ou qui se recoupent: Le pluriel peut masquer le singulier: "ARRIERAGES, Reliqua" (E 1549) est suivi des deux sous-entrées "Demeurer en arrierage, ou en reste, Reliquari // Celuy qui est en reste & arrierage, Reliquator", tandis que, s.v. Arrerage, le singulier ne sert qu'à introduire le pluriel: "Arrerage singul. & arrerages plur. m.penac. Sont restats ... Reliqua" (N 1606). Le singulier peut ne pas être nominal: ou peut ne pas s'employer: Pour ce qui est du verbe, on rencontre des formes de l'indicatif: ainsi que des formes participiales: ARS, AYANT, BATANT, GISANT. [128]

Mentionnons, enfin, un type de "flexion préfixale" [129] formée a l'aide du mot tres:

Suivent 47 vedettes (vedettes et fausses sous-vedettes typographiques) commençant par TRES- (superlatif): TRESACERTES, TRESBIEN, TRESCHER, etc.

2.2.1.4.2. En sous-vedette

Le féminin de l'adjectif est parfois donné en sous-vedette à la suite du masculin:

ou en fausse vedette: Les pronoms et déterminatifs, lorsqu'ils sont donnés dans la nomenclature, sont souvent regroupés pour un traitement d'ensemble, explicitement comparatif chez Nicot. CELLE-LA et CEUX sont donnés en début d'alinéa s.v. Celuy; CETE, CETE CI, CETE LA, CETUY, CESTUY CY, CESTUY LA, CESTE...LA, CESTUY-CI, CESTUY-LA sont tous en début d'alinéa s.v. Cet, la plupart suivis d'une marque métalinguistique et ayant donc le statut de sous-vedette plutôt que celui de simple forme flexionnelle. Un item polymorphe peut être classé soit comme sous-vedette (CELLE-LA s.v. Celuy) soit dans l'ordre alphabétique (CELLE). L'habitude de Nicot de construire des articles développés a pour résultat d'y engager bon nombre de termes subordonnés qui, de ce fait, sont perdus pour le classement dérivationnel. Si, dans le cas des mots outils polymorphes, on considère les différents termes d'un paradigme comme autant de formes flexionnelles, on peut admettre que SA (s.v. Son) et DE L' (s.v. Du), par exemple, appartiennent à la nomenclature. Parfois, un terme est à chercher à deux endroits differents: LE (s.v. La) et TOY (s.v. Moy) sont donnés également dans l'ordre alphabétique; CETTE / CETE est donné s.v. Ce et Cet. Cependant, au niveau du classement dérivationnel, ce sont les formes participiales qui sont données en assez grand nombre depuis la première édition du dictionnaire. En effet, E 1539 les annonce dans l'en-tête aussi bien que par la typographie dans le corps du macro-article: Parfois le seul en-tête leur donne statut de sous-vedette (ABBREVÉ, ACCOMPAIGNÉ, ACCOURCI, ANIMÉ) ou, au contraire, la seule typographie (ACCORDANT, ACCOUSTRÉ, AFFOIBLI, ASSEMBLÉ en saillie; ACCOSTÉ signalé d'un pied-de-mouche). La suppression, dans E 1549, des en-têtes, suivie de celle, dans T 1564, des distinctions typographiques a pour résultat de faire perdre à un certain nombre de participes leur statut d'unité de traitement. Ainsi, ACCOURCI n'est plus sous-vedette dans E 1549; en revanche, en plaçant la sous-entrée "Tout abbreué ..." en saillie, Estienne compense en 1549 la perte de l'en-tête ABBREVÉ. Dans le macro-article, la première occurrence du participe-sous-vedette est ou autonyme ("Abandonné, Desertus", "Absouls, Absolutus", etc.) ou engagée dans un item autonyme plus large (les exemples d'emploi: ABBREVÉ dans "La terre n'est point abbreuee de pluyes, ou mouillee ...", ACCABLÉ dans "Estre accablé de quelque chose qui chet sur nous ...", etc.). Dans le premier cas, la perte, dans T 1564, des distinctions typographiques n'entraîne pas celle du statut de sous-vedette; en revanche, dans le second cas, rien ne distingue ces items des sous-entrées de la forme canonique, et, de la sorte, le participe devient un simple exemple d'emploi de celle-ci. Ainsi, sont exclus de la nomenclature dérivationnelle de T 1564, entre autres, les participes suivants: abbrevé, accablé, accompli, accosté, affermi, etc. Abbrevé, accompli, accosté et affermi le seront encore en 1606. Cependant, ND 1573 et N 1606, en extrayant bon nombre de vedettes et de sous-vedettes des sous-entrées dans lesquelles elles se trouvaient imbriquées, refont de plusieurs participes des unités de traitement et en créent d'autres nouvelles, surtout les féminins; ainsi, on trouve dans le Thresor: "Accablé, m.acut. Obrutus // Accablée, f.penac.", etc.

2.2.1.5. Situation et statut dans le texte

La suppression, dans E 1549, des en-têtes de E 1539 [130] compromet dans une certaine mesure la consultabilité du dictionnaire, et du point de vue de l'accès aux articles et de celui des informations que l'on peut en dégager.

2.2.1.5.1. Situation

Trois cas peuvent se présenter:

a) l'en-tête de E 1539 disparaît à l'exception de l'entrée-vedette, qui est imprimée en grands romains et placée devant la première sous-entrée:

b) on garde la vedette de l'en-tête et on la fait suivre d'un commentaire étymologique: c) l'en-tête disparaît complètement et la première occurrence du mot-vedette est imprimée en grands romains:

C'est le dernier cas ("Vng homme Lay") qui nuit à la consultation de la nomenclature, puisque la vedette n'est plus en début de ligne. Ce type se rencontre 99 fois pour les 1269 vedettes typographiques des lettres A, B, La et Ta de E 1549. T 1564 ajoute un certain nombre d'exemples (pour un total de 131 sur 1689 vedettes typographiques), tandis que ND 1573 (109 sur 1745) et N 1606 (87 sur 1822) en suppriment quelques-uns. L'antécédent [
131] est le plus souvent un déterminatif: "Vng Lac" (1549), "Le Talon" (1549), "De la Laine" (1549), "nos Antecesseurs" (1564) -- ou un pronom: "s'Annonchalir" (1549), "il Appert" (1549). Un adjectif peut être précédé d'un nom: "Homme Adestre" (1564) -- d'une relative: "Qui est Tard" (1549) -- ou d'un adverbe: "Si Adueillé" (1564). Outre un déterminatif, l'antécédent d'un nom peut être une préposition: "En Bloc" (1564) -- ou une séquence métalinguistique: "Vne herbe qu'on appelle du Laceron" (1549), "Vne beste qu'on appelle Taisson" (1549). Le jeu des caractères romains et italiques et des lettres majuscules et minuscules permet trois types de présentation conformes au système: et deux types non conformes: De la sorte, l'antécédent peut, lorsqu'il est imprimé en caractères romains, faire partie de l'adresse typographique. C'est la pratique la plus fréquente dans E 1549 et T 1564, quoique rare dans ND 1573 et N 1606. Voici un tableau du nombre d'exemples, dans les lettres A, B, La et Ta de chaque édition, des différents types de présentation des entrées-vedettes à antécédent: Lorsque l'antécédent est imprimé en italique, le début de la phrase lexicographique semble être senti comme coïncidant tantôt avec l'antécédent ("Antécédent"), tantôt avec la vedette ("antécédent"). [133]

Les sous-vedettes et les exemples d'emploi, ne bénéficiant pas d'une retention des en-têtes de E 1539, se voient bien plus souvent accompagnés d'un antécédent dans toutes les éditions. Cependant, comme pour les vedettes, N 1606 en ramène parfois la présentation à une forme plus abstraite. Ainsi, dans l'échantillonnage 'ABLT', sur les 44 sous-entrées commençant par un article défini ou indéfini pour lesquelles une réduction serait possible, N 1606 en traite 11 ("L'aage qui de iour en iour s'appesantit ..." > "Aage qui de iour en iour s'appesantit ...", "Vne table faicte en forme de croissant ..." > "TabIe faite en forme de croissant ...", etc.).

2.2.1.5.2. Statut

La vedette fonctionne sur trois plans. Sur celui de l'ordre alphabétique, elle signifie "item de nomenclature", au niveau du classement dérivationnel, elle signifie "chef de famille" et à celui du micro-article, "sujet d'énoncé lexicographique". Dans les trois cas, elle jouit d'un statut d'autonymie et constitue un type. Dans les sous-entrées de son micro-article, elle apparaîtra normalement comme un cas particulier (ex: "Aire // L'aire d'une granche ... // Longues aires es iardins ..." (E 1539)). Dans E 1539, le type est clairement séparé des cas particuliers, [134] mais, dès la suppression, dans la deuxième édition, des en-têtes, la vedette est souvent à la fois item autonyme et typique, et élément de sous-entrée. Lorsque la première sous-entrée du micro-article de E 1539 coïncide avec la vedette, la suppression, dans E 1549, de l'en-tête ne crée pas d'équivoque. Par exemple, quand "Ais // Ais, Asser, Axis" devient "Ais, Asser, Axis", la virgule après AIS sert de marque métalinguistique de séparation. [135] Mais, dans le cas contraire, il y a ambivalence. Par exemple, lorsque "Auantage. Auantagé. // D'auantage, Ad hoc ..." devient "d'Auantage, Ad hoc ...", il faut interpréter la nouvelle présentation comme: a) vedette: AVANTAGE; b) premier exemple d'emploi de AVANTAGE: D'AVANTAGE (suivi plus loin dans l'article de L'AVANTAGE, SON AVANTAGE, etc.). L'énoncé lexicographique explicite serait: "Le mot AVANTAGE s'emploie dans le syntagme d'avantage qui se dit en latin ad hoc". [136] Il reste à mentionner un type de contexte trompeur dans lequel le mot-vedette ne peut guère être considéré comme le sujet autonome de la phrase. Il s'agit des items bilingues retournés du Dictionarium latinogallicum dans lesquels le français sert de métalangue définitionnelle du latin. Ainsi, dans "La Tasche ordinaire que par chasque iour ou doibt faire, Iusta", tasche n'est en fait qu'un élément de définition d'un mot latin. [137]

2.2.1.6. Accidents

Puisque les accidents sont légion (par exemple: la double existence de "Accouteur, m.acut. Auscultator" (N 1606), le classement de ALFONSE sous Alo... (T 1564), le changement, dans ND 1573 s.v. Approprier, de "Approprier à soy ..." en "Approché à soy ...", la disposition en retrait de la vedette DARTRE, etc), contentons-nous d'en signaler les plus graves.

A. Erreurs de classement. Dans N 1606, le texte compris entre "Instrumentum" et "Tradere" s.v. Baillet appartient à l'article BAIL; [138] "Toutesfois ... nouitiorum" s.v. Besant appartient à l'article BERNAGE.

B. Omissions. L'oubli, dans ND 1573, du premier paragraphe de l'article ARROY subordonne "Sans arroy, Nullo ordine" à la vedette ARROUTER. [139] Cependant, une omission bien plus sérieuse est celle, dans T 1564, de tous les items de DISPENSE à DISSIMULER, qui, présents dans E 1539 et E 1549, sont absents non seulement de T 1564 mais encore de ND 1573 et de N 1606.

Il s'agit très probablement de fautes d'imprimerie.

2.2.2. Délimitation sémantique

Après s'être préoccupé dès 1531 de l'interprétation juste du latin classique, [140] Estienne donne son attention, en 1549, à la question de l'établissement de "certaines reigles ... pour l'intelligence des mots" français. [141] Ainsi, on voit apparaître dans la deuxième édition du Dictionaire françois-latin un certain nombre de définitions dérivationnelles. [142] Cependant, il faut attendre que Nicot prenne l'affaire en main pour voir les premières véritables analyses de sens.

Cela n'empêche pas que les adresses subissent, d'une façon ou d'une autre, un traitement sémantique dès la première édition de 1539. Celui-ci peut être implicite: par exemple, dans la subordination de dérivés au mot de base, ou dans l'équivalence conceptuelle du latin, ou encore dans les listes d'exemples d'emploi. Il est explicite dans le cas de synonymes et de définitions en français. Puisque le latin renferme, outre des équivalents, un certain nombre de définitions de l'adresse française et que la distinction 'synonyme/définition' est a priori arbitraire, [143] nous trouvons plus utile de distinguer entre un traitement simple et un traitement composé (ou analytique). Le traitement simple comprend la plupart des synonymes et des équivalents; le traitement composé comprend, en plus des définitions, certains synonymes (ex: "Quadran de mer" s.v. Buxolle, N 1606) et équivalents (ex: "Tranquillitatem facere" s.v. Accoiser, E 1539). Comme le traitement en français, isomorphe à l'adresse, fonctionne de façon radicalement différente du traitement latin, nous les considérons séparément. Un mot-adresse peut, bien entendu, recevoir un traitement mixte: dans "FEMELLE, Foemina, Et en fait de nauires, femelles sont les anneaux qui portent le gouuernail", la première acception est représentée par un équivalent latin, la seconde par une définition en français.

Rappelons ici l'introduction, en 1549 et de nouveau en 1564, d'adresses dépourues de tout traitement. [144] Les mots dont d'autres membres de la même famille dérivationnelle reçoivent un traitement sémantique partagent implicitement celui-ci; c'est le cas, dans E 1549, de BAUDRIER (dans le même macro-article que BAUDROYER, BAUDROYEUR, BAUDROYRIE), BRINDELLES (à la suite de BRIN), BROSSE (précédant BROSSER DU LIN); et, dans T 1564, de ACCORDABLE (après ACCORDER, ACCORDANT, ACCORDÉ, ACCORD et avant ACCORDANCE, ACCORDAILLES), BATAILLON (après BATAILLER et BATAILLE), LABOURIEUSEMENT (à la suite de LABEUR et LABORIEUX), LANGOUREUSEMENT (après LANGUEUR, LANGUIR, LANGOUREUX), TABOURINET (après TABOUR, TABOURINER et avant TABOURINEUR, TABOURINERESSE), TANNEUR et TANNERIE (à la suite de TAN). BRINDELLES, BROSSE, LABOURIEUSEMENT et LANGOUREUSEMENT restent les mêmes jusque dans le Thresor. Dans le cas des composés, le traitement implicite peut fonctionner au niveau du classement alphabétique. Ainsi, la valeur d'élément de composition avec "energie de reciprocation" (N 1606) ayant été notée pour le mot ENTRE, seules 34 sur les 70 vedettes commençant par S'ENTR(E)... reçoivent, dans leur article, un traitement quelconque, les autres (S'ENTR'ACCOINTER, S'ENTR'ACCOLER, S'ENTR'ACCOMPAGNER, etc.) n'étant suivies de rien. [145] Les mots suivants n'ont même pas le traitement implicite des précédents et sont, dans la nomenclature, des formes sans plus: BARBACANE*, BARGUIGNER, BARGUIGNEUR, BARRIL*, BARRILLET* (s.v. Barril), BASENNIER* (s.v. Basenné), BRANDILLER*, BRIMBALER, BRIOCHE* -- introduits en 1549; BASQUE/BASQUAYN, BRANDILLEMENT* et BRANDILLOIR* (s.v. Brandiller), LAMBOURDE*, TABOURER, TABOUREMENT, TAMARINDE* -- introduits en 1564. Les mots ci-dessus marqués d'un astérisque restent, dans le Thresor, sans traitement aucun. La nature du rapport dérivationnel, implicite lors du premier enregistrement d'un mot, peut être explicitée dans une édition ultérieure. Par exemple, TABOURINET, sans traitement explicite dans T 1564, est doté, dans N 1606, en plus d'une définition analytique, de la qualification "diminutif vsité de Tabourin". [146]

2.2.2.1. Traitement en latin

Le traitement d'un mot par une langue seconde ne constitue pas une véritable opération sémantique, puisque seul le concept peut être commun aux deux. Lanusse et Brunot ont fait remarquer l'insuffisance dans le Thresor des équivalents latins. Le premier déplore que Nicot ait laissé entrer dans son dictionnaire tant de mots reçus d'Estienne ayant pour seule explication des séries d'équivalents latins, équivalents non différenciés entre eux. Il cite les articles ALLUMER ("Accendere, incendere, succendere, inflammare, animare"), APPAISER ET ADDOUCIR AUCUN (plus 17 équivalents), DESROBBER (+ 12 équivalents) et TUER AUCUN (+ 33 équivalents). Quelle en est l'utilité, se demande-t-il, pour le lecteur qui ne comprendrait pas le latin? [147] Brunot reprend la question au sujet de Nicot et de Monet: "Les dictionnaires comme le Thresor de Nicot ou le Parallele de Monet, qui sont vraiment les premiers inventaires de la langue française, ont encore l'inconvénient de définir les sens en donnant la traduction latine, ce qui est un moyen commode, et à l'usage de tous les hommes instruits, quelle que soit leur langue maternelle, mais ce qui est aussi un procédé un peu vague et trompeur". [148]

Les séries d'équivalents dont parle Lanusse sont le fait d'Estienne inversant en 1539 son Dictionarium latinogallicum de l'année précédente. [149] Chaque mot latin duquel, dans le DLG, un mot français est l'équivalent devient, dans le DFL, l'équivalent de celui-ci. Comparons, à titre d'exemple, le premier item de l'article LAID dans E 1539 à ses occurrences dans DLG 1538:

On notera que difforme ne se rencontre en 1538 que dans deux articles sur six et que laid s.v. Perturpis (et implicitement s.v. Perhorridus) est précéde de fort. Espovantable et difforme, respectivement s.v. Horridus et Turpis, sont seuls des équivalents de ceux-ci à ne pas être repris par les formes intensives PERHORRIDUS et PERTURPIS. Dans quelle mesure donc ces séries d'équivalents, français en 1538, latins en 1539, représentent-elles des listes arbitraires? Il est certain que les séries d'équivalents français du DLG sont plus réflechies que les séries latines de 1539, résultat d'une opération largement mécanique.

Le peu d'utilité des équivalents latins pour la compréhension du français est particulièrement bien démontré par les macro-articles dans lesquels la vedette et les sous-vedettes ont pour toute suite leurs équivalents étymologiques latins, ce qui est, en fait, simplement dresser deux listes formellement symétriques. Par exemple:

A. Rey parle de l'ambiguïté du latin de la Renaissance, de sa fonction double: "langue modèle ou langue de passage, le latin est pris comme véhicule des signifiés, instrument analytique et intemporel". [151] Dans les dictionnaires latins d'Estienne et dans la première édition de son Dictionaire francoislatin, le latin sert de langue modèle et est le latin classique. [152] À partir de 1549, le latin du dernier ouvrage est subordonné au français et doit tant bien que mal y repondre. [153] Son rôle de langue de passage devient évident dans la troisième édition, lorsque Dupuys y parle de l'utilité que le dictionnaire apporte aux étrangers apprenant le français. [154] Enfin, qu'il soit classique ou non, le latin ne constitue pas toujours une traduction littérale du français. Quand c'est pour mieux rendre le sens d'une locution métaphorique, comme c'est le cas, par exemple, du français traduisant le latin du Dictionarium latinogallicum de 1546, [155] l'utilisateur y gagne; mais lorsque GRESLE est rendu par "Obesus", il est plutôt mal servi. J. Darbelnet résume le problème: "Dans le passé, les dictionnaires [bilingues] se sont surtout attachés à réunir des équivalents, c'est-à-dire à traduire des mots par d'autres sans trop se préoccuper des limites de leur équivalence. [156]

Les choses étant ainsi, comment décider si un mot, suivi dans la nomenclature d'équivalents latins, peut être considéré comme y ayant tel ou tel sens? Bloch [157] estime que aigu "pris au sens grammatical; accent aigu" n'est pas donné dans la nomenclature du Thresor. AGU y est traduit "Acuminatus, Acutus, Exacutus" (les exemples excluent l'emploi grammatical). N'est-il pas permis de penser que "Acutus" comprenne, implicitement, ce sens? On ne peut, évidemment, demander l'avis du lexicographe. Tout ce dont on peut être sûr, c'est que le syntagme accent aigu, c'est-à-dire le contexte formel qui réalise la valeur du mot, manque s.v. Agu. De même, tenu "sens grammatical de consonne ténue" peut-il ou non être compris dans "TENVE ... Tenuis"? [158] Hésitant à repondre oui ou non à ces questions, on admettra tout de suite l'intérêt des contextes fournis par l'article ACCENT à aigu et par AIGUILLE à tenue. Parfois une acception que l'on peut estimer implicite dans une des éditions d'Estienne est explicitée ultérieurement, surtout dans les éditions de Nicot. Par exemple, en 1606, Nicot ajoute à AAGE: "& quelquefois signifie vn traict & peloton d'années. AEuum, seculum, selon ce lon dit, les Aages du monde estre six", acception que l'on pouvait voir dans "AEtas" dès 1539. De même, "BACHELIER ... est le premier degré que prennent ceux qui estudient en theologie, en droit, ou en medecine. Qui è tyronibus excessit" (N 1606), précise l'interprétation de "BACHELIERS, Qui è tyronibus excesserunt" (E 1549). Le sens figuré de TACHE, absent des exemples d'emploi du Dictionaire françois-latin, pourrait être entendu dans le latin traduisant l'adresse ("Macula, Labes"); N 1606 ajoute: "& par metaphore, Blasme, comme, Ce luy est vne grande tache à son honneur, Existimationi ingens macula atque labes est".

Quelles sont les limites de l'influence du latin? ARTICLE est qualifie "il uient de Articulus" (E 1549) traitement explicitement étymologique mais non d'équivalence. [159] Il faut donc chercher le sémantisme de article dans les exemples d'emploi; ceux-ci excluent le sens grammatical (en latin articulus). Lorsqu'une adresse est définie en français avant d'être traduite en latin, il faut considérer que le latin équivaut à l'aire d'emploi ainsi délimitée. Le sens de arbre "mât" (en latin arbor) n'est donc pas à chercher dans: "ARBRE ... Signifie en general toute plante de grosses racines, gros tronc escorçu, esleuée en feuillu & escorçu branchage, Arbor" (N 1606).

Il n'est pas rare de rencontrer dans le Thresor des phrases bilingues, c'est-à-dire des phrases appartenant au discours lexicographique qui commencent dans une langue et se terminent dans une autre. À cet égard, Lanusse [160] cite les articles BOUTEILLE ("Les Hebrieux appellent vne bouteille Bacbuc, & semble que Bacbuc & bouteille soient nomina ficta à sono quem edit lagena quando depletur inuersa" -- depuis 1549) et BASTELEUR (dep. 1564). On ne s'étonne donc pas de lire de temps à autre une définition donnée en latin: "AISCEAV, Ascia. Instrumentum est incuruum quo dolantur ligna vna manu" (E 1549); [161] "ALBRENT ... Pullus est anatis, nondum iustam magnitudinem adeptus vt anas dicatur, Canet sauuage. C'est aussi vne cane ou canard sauuage qui a mué, Anas deplumis" (T 1564); "ARQVEBVSE. Polydorus en son liure de inuentoribus dit ainsi: Bombarda vocatur à Bombo, id est sonitu ... Eius nunc plura fiunt genera ..." (T 1564 -- les 17 lignes de commentaire latin datent en majeure partie de l'appendice IV de E 1549). [162]

La langue de traduction n'est pas toujours le latin. Par exemple, s.v. Chace (N 1606), les locutions ALLER A LA CHACE, FAIRE UNE CHACE, ENVOYER A LA CHACE et ESTRE A LA CHACE sont toutes traduites seulement en grec. Les cas sont légion dans lesquels, en plus d'une traduction latine, Nicot donne des équivalents italien et espagnol: "CHASSEVR ... Caçadous en Espaignol, Cacciatore en Italien, Venator" (ND 1573 s.v. Chac...).

2.2.2.2. Traitement en français [163]

2.2.2.2.1. Statut de la séquence définitionnelle: langue, métalangue et monde

L'analyse contemporaine du texte lexicographique s'occupe des niveaux de fonctionnement de ses composants. On fait une distinction, d'abord, entre, d'une part, le mot-adresse de l'article et son traitement implicite par les exemples d'emploi, qui relèvent de la langue, et d'autre part, le traitement explicite du mot-adresse par les énoncés définisseurs et les informations orthographiques, phonétiques, étymologiques, grammaticales, stylistiques, etc., qui appartient à la métalangue. [164] Lors de l'examen des séquences définitionnelles, on essaie de séparer celles qui peuvent sortir du dictionnaire pour s'employer également en langue de celles qui ne fonctionnent qu'en métalangue. [165] Dans une autre approche, on distingue le synonyme de la définition, le premier étant une variante de l'adresse et appartenant toujours à la langue. [166]

Un moyen de décider si une définition peut fonctionner normalement en langue est de juger de sa probabilité d'y apparaître. Ainsi, on dira que "Administrer ses affaires" (DFC 1967 s.v. Gérer) a l'air moins marqué que "Science qui a pour objet la description de la Terre" (DFC 1967 s.v. Géographie), qui ressemble toujours à une definition. [167] Une épreuve plus objective est celle de la commutation, dans laquelle, dans un contexte donné, on essaie de substituer le définisseur au défini. Les deux exemples cités ci-dessus donnent alors des résultats différents des premiers. "Science qui a pour objet la description de la Terre" a des chances de pouvoir se substituer à géographie ("étudier la -"), tandis que "Administrer ses affaires" ne peut jamais remplacer gérer transitif ("- son capital"). L'utilisateur à la recherche d'un synonyme saura normalement interpréter la définition, bien qu'il fût bien mieux servi par une présentation comme "Administrer (ses affaires)". [168] La distinction entre synonyme et définition est fondée sur la notion de lexicalisation, puisque seuls des items lexicaux ou lexicalisés peuvent fonctionner comme synonymes. Les synonymes sont le plus souvent simples (BOURRASQUE "syn.: TOURMENTE" (DFC 1967)), mais peuvent être analytiques (BOURRADE "syn.: COUP DE COUDE" (DFC 1967)).

Ce sont toujours les dictionnaires de la langue contemporaine qui fournissent le champ d'investigation à ces méthodes, et cela pour deux raisons. Ce sont les plus systématiques, et la langue qu'ils décrivent et qu'ils utilisent comme métalangue relève de la compétence linguistique de l'analyste. Comment, cependant, aborder un dictionnaire ancien, qui en plus de son manque de normalisation, renferme la description d'un état de langue passé? On ne peut encore rien dire du degré de lexicalisation des unités. Dans E 1549 s.v. Babillard, on lit: "Vng babillard, Vng rapporte nouuelle, Vng deceleur de secrets, Aius locutius". D'après sa construction, rapporte nouvelle semblerait être un composé, donc un item lexicalisé; effectivement, dans la nomenclature s.v. Rapporter, on trouve: "Vng rapportenouuelle, Rapporteurs de nouuelles, Rumorum expectores". Quant à deceleur de secrets, sa construction ne laisse rien déduire; la nomenclature donne bien "Deceleur de secret, Proditor arcani, Index" (comme aussi "Decelement de secret, Arcanorum proditio, Indicium"), mais rien ne permet de dire que la séquence française n'a pas été créée en fonction du latin. Les mots simples, non plus, ne sont pas toujours assurés d'un statut linguistique: dans E 1549 (et encore dans le Thresor), le mot BRIGADER est défini "Compaigner". Compaigner n'est pas donné dans la nomenclature, ce qui ne signifie évidemment rien; pourtant, dans N 1606, on lit s.v. Accompagner: "Composé de ad & compagner inusité". On est amené à conclure que du temps d'Estienne le mot s'employait mais qu'à la fin du siècle il était sorti de l'usage. [169] Dans l'impossibilité de statuer sur l'appartenance linguistique des définisseurs, il est donc plus utile de les considérer tous comme fonctionnant en métalangue.

La justesse du terme de métalangue appliqué à toutes les séquences définitionnelles peut encore être mise en doute dans le cas des définitions encyclopédiques. Si l'on admet que la définition d'un signe linguistique relève de la métalangue, on ne peut guère pretendre la même chose pour celle d'un objet (non linguistique). Comment distinguer une définition encyclopédique d'une définition linguistique? Pour J. Rey-Debove, la première peut être caractérisée comme "excédant les traits sémiques pertinents dans une analyse componentielle du sémème de plusieurs mots". [170] Puisque cette analyse n'a jamais été faite de façon suivie par les lexicographes, tout dictionnaire de langue renferme un très grand nombre de définitions encyclopédiques. [171] Et cela pour une raison pratique: "la définition /./ doit dans de nombreux cas excéder l'analyse sémique, car si les définitions n'étaient ni redondantes ni encyclopédiques, elles se transformeraient en énigmes ou en devinettes". [172] La définition encyclopédique pouvant donc qualifier un mot ou une chose, c'est la nature de l'entrée qui devra décider du statut de la définition.

L'énoncé lexicographique qu'est l'article de dictionnaire contient un certain nombre de composants (adresse, catégorie grammaticale, prononciation, définition(s), exemples d'emploi, etc.) -- semblables aux mots lexicaux de la phrase linguistlque -- articulés au moyen de copules, copulatives, circonstants, etc., (les mots outils du discours linguistique). La plupart de ces connecteurs sont, dans les dictionnaires modernes, des signes symboliques (signes de ponctuation), d'où parfois une certaine ambiguïté d'interprétation. "POULAIN. Petit du cheval", discours sur le mot, est à lire: "Le mot poulain signifie 'petit du cheval'"; comme discours sur la chose: "Le poulain est le petit du cheval". "La définition est une définition de chose avec la copule être, mais elle n'est qu'une propriété du signe avec la copule signifier." [173] Chez Nicot, les choses ne se passaient pas exactement de la même façon, puisque même dans le cas, fréquent, de l'explicitation (linguistique) de la copule, on ne peut toujours dire pour certain s'il envisageait l'adresse comme un mot ou comme une chose, ou s'il ne faisait tout simplement pas la différence. Pour nous en tenir aux noms communs (lieu de rencontre du mot et de la chose), nous remarquons que la copule la plus fréquente est être:

souvent c'est: On rencontre également signifier: se prendre pour: ou pour: Cependant, signifier, se prendre pour et pour sont souvent suivis de l'article: et être peut s'employer sans article: Les différents termes s'interchangent à l'intérieur d'un même article suivant les exigences de la syntaxe ou du style: La copule reliant l'adresse à l'indication de sa classe grammaticale est généralement implicite chez Nicot, n'étant exprimée que par une virgule. Lorsque l'adresse est une forme ayant dans la langue plusieurs fonctions grammaticales, [174] cette copule est souvent explicitée par le verbe être, celle introduisant la définition étant alors le plus souvent signifier: Au niveau de la définition, comme à celui de l'article en général, la frontière entre le mot et le monde est donc floue. [175]

2.2.2.2.2. Définition, unité de traitement et élément d'entrée

Les copulatives '&', 'ou' et ',' peuvent se placer entre des variantes-adresses, tout comme elles peuvent séparer le mot-adresse de son traitement définitionnel. [176] Des trois, c'est & qui est le plus souvent appelé à introduire une précision de sens. Ainsi, destorse au sens de "pliement ou flechissement" se traduit en latin "Flexus", tandis qu'au sens de "fouruoyement" il se dit "Aberratio":

Notons tout de suite que ce procédé, que B. Quemada appelle "la coordination traductive", [177] n'est utilisé, dans le DFL-Thresor, que par Estienne et a son origine dans le dictionnaire latin-français; [178] de ce fait, son utilité traductive n'est, dans le dictionnaire français-latin, que fortuite. Pour Livet, les deux mots français étaient nécessaires à l'analyse du latin, [179] argument réfuté par Brandon qui n'y voit que des synonymes, le deuxième indiquant le sens du premier; [180] avis partagé par B. Quemada. [181] Il est possible, dans un certain nombre de cas, d'appuyer cette seconde opinion par l'épreuve de la commutation. Par exemple, dans E 1539, "Flexus" est donné comme traduction non seulement de "Destorse & pliement ou flechissement", mais également de PLIEMENT et de FLECHISSEMENT. De même, "Aberratio" sert a traduire, d'une part "Destorse & fouruoyement", et d'autre part FOURVOYEMENT. Voici d'autres exemples tirés de E 1539: L'évolution d'un article permet parfois d'établir la synonymie de deux termes: Les éditions 'françaises' du dictionnaire, traitant explicitement les entrées françaises, peuvent, dans la définition, utiliser & entre deux synonymes: La vérification n'est pas toujours possible: "Tournoyemens & destorses, Flexiones & diuerticula" est identique s.v. Destorse et s.v. Tournoiement (E 1539); la traduction 'Malacissare" n'est pas donnée pour PESTRIR s.v. Pestrir, alors que s.v. Amollir on lit: "Amollir & pestrir, Malacissare" (E 1539). Il y a des cas pour lesquels on hésite à parler de synonymie: Dans d'autres cas la synonymie est évidemment impossible: La synonymie n'est, bien entendu, fonctionnelle qu'au niveau du discours, et dans la langue une indication de synonymie n'est guère plus significative qu'une équivalence bilingue. L'intersection des aires sémantiques de deux mots synonymes occupe une proportion variable de l'aire totale de chacun et cette proportion ne peut être montrée que par l'analyse des possibilités d'emploi ou des sèmes. Parfois Nicot le fait en nuançant les indications schématiques fournies par Estienne. Ainsi: devient dans N 1606: Lorsque les termes reliés par la copulative sont des mots simples, la séparation est absolue. Quand un au moins des termes est composé, le statut de la coupure est ambigu, celle-ci pouvant être absolue ou relative. Généralement, le rétablissement des formes de base n'est pas difficile: "Adenerer, & apprecier a argent, Adaerare" (E 1539 s.v. Adenerer) = "Adenerer, Adaerare; Apprecier a argent, Adaerare" (cf. s.v. Apprecier: "Apprecier a argent, Adenerer, Adaerare"); "Flocon de poil ou de l'aine, Floccus" (T 1564 s.v. Flocon) = "Flocon de poil, Floccus; Flocon de laine, Floccus". La virgule n'a pas toujours un rôle distinctif: "vn FLOC, & bouton ou hupe de laine, Floccus" (ND 1573 s.v. Floc) et "Vng floc & bouton de laine, Floccus" (E 1539 s.v. Bouton) seraient, selon le modèle de FLOCON, à reconstituer comme: "Vn floc de laine, Floccus; Vn bouton de laine, Floccus; Vne hupe de laine, Floccus". En fait, dans ce dernier exemple, comme ailleurs, la virgule semble représenter la démarcation explicite entre l'autonymie et la métalangue (cf. "BRANDON, m. ..." (ND 1573), "BRANSLER, c'est balancer ... " (ND 1573), "BRAQVEMAR, Semble qu'il soit composé de ..." (N 1606) [la virgule du dernier exemple est un point de 1549 à 1573]), tandis que & indique le rapport de synonymie. Dans la séquence définitionnelle, la virgule est surtout employée pour délimiter les termes synonymes du mot. Ceux-ci, plutôt que d'être synonymes entre eux, représentent différentes acceptions de l'entrée, [184] bien que tout soit relatif. Par exemple, dans N 1606, APERTISE est défini "Est dexterité, addresse, prouësse, haut fait militaire, fait d'armes" (plus équivalent latin et précisions d'emploi données en français); les articles DEXTERITÉ et ADRESSE ne contiennent aucune information permettant d'établir un rapport sémantique avec apertise ou les autres termes de la série; en revanche, les articles PROUESSES, FAIT et ARMES mettent en relation les trois dernières expressions: sans toutefois faire appel à apertise. Parmi d'autres séries, notons: Dans l'exemple suivant, il y a un certain parallélisme entre le latin et le français définisseur: L'article RUDE inclut l'item "Rude en ses escriptz, & qui n'est point poli, Ferus scriptor" et ne donne pas "Praeceps"; l'article HASTIF ne donne des deux mots latins que celui-ci: "Hastif & soubdain, Trepidus, Praeceps, Festinus". Enfin, il y a des cas où la copulative & est manifestement un mot de la langue et fait partie d'une locution:

2.2.2.2.3. Paraphrases de décodage & paraphrases d'encodage

La section précédente contient beaucoup d'exemples dans lesquels une lexie française peut être considérée à la fois comme synonyme de l'adresse (décodage) et, au même titre que l'adresse, équivalent du latin subséquent (encodage) -- par exemple, desplanter dans "Arracher & desplanter, Explantare" (E 1539). Dans le dictionnaire latin-français, les deux mots français étaient les équivalents de l'entrée latine (décodage): "EXPLANTO ... Arracher & desplanter".

Lorsque, dans le Dictionarium latinogallicum, le mot latin n'avait pas d'équivalent simple en français, Estienne donnait souvent une paraphrase:

Passant dans le Dictionaire francoislatin, ces trois items sont rangés s.v. Bruvage, parmi les exemples d'emploi. En fait, ces "exemples" sont des définitions d'encodage dans lesquelles le "mot-adresse" bruvage est le genre prochain et le reste de l'item français ("de moust, & de miel", "(faict) d'Enule campane", "(faict) de pommes de bois seiches broyees auec du sel & du uin") la différence spécifique. Dans ces entrées, le mot-adresse n'a donc pas de statut propre et ne reçoit pas de traitement d'équivalence: melitites, nectorites et saprum ne sont que des espèces de "bruvage". Le lecteur n'est pas toujours conscient de la fonction compromise du français, comme l'illustre si bien K. Baldinger: "Estienne, comme d'ailleurs tous les auteurs de dictionnaires lat.-fr. du 16e siècle, se proposait de définir les termes latins. Même les éditions fr.-lat. visaient le même but. Il faut donc les lire à l'envers, en commençant par le mot latin qui est à la fin de chaque article. Prenons l'article brodequin dans Estienne 1539: "brodequin, une manière de brodequin ancien, de quoy usoyent hommes et femmes, Soccus. -- Une façon de brodequin à veneur qui empoigne le gras de la jambe, Cothurnus." Cothurnus et soccus, des chaussures assez différentes, sont définis tous les deux par 'une façon de brodequin', 'une manière de brodequin'. Ce sont cothurnus et soccus qui sont définis et non pas brodequin. En méconnaissant cet état d'esprit /./ on fait fausse route. C'est ce qui est arrivé à Sainéan qui, dans la meilleure édition critique de Rabelais, définit brodequin par 'une chausse montant jusqu'à la mi-jambe adoptée par les veneurs', en se fondant sur Estienne." [185]

Il est relativement aisé de déceler ces entrées dans le Dictionaire françois-latin; elles comprennent une très grande partie des items bilingues, dont la plupart sont gardés dans toutes les éditions et dans le Thresor. Il arrive, pourtant, de temps à autre, que Nicot s'y attaque. Voici cinq entrées consécutives de l'article TABLE dans E 1539 toutes héritées de DLG 1538:

En 1606, Nicot généralise la première: "Table de quelque metail que ce soit, Lamina"; supprime les deux suivantes et garde plus ou moins telles quelles les deux dernières, sans doute parce qu'elles contiennent alors un sémème du mot seul (table = "calculus", table = "index"). Comme le montrent les items de l'article TABLE cités ici, il est parfois difficile de distinguer formellement, dans la séquence française, un segment 'genre prochain' d'un segment 'sémème'. Dans le premier cas, le complément définitionnel est nécessaire à l'équation sémique; dans le deuxième cas, il peut être sous-entendu. Ainsi, lamina pourrait être interprété soit "Table de quelque metail que ce soit", soit "Table (de quelque metail que ce soit)". [186]

Quelquefois, à la place d'une différence spécifique, Estienne donne une dénomination française:

Dans ces deux cas, c'est la dénomination française qui coïncide avec l'adresse de l'article du dictionnaire français-latin, et non le terme générique. Dans l'exemple suivant, il y a en même temps une différence spécifique et une dénomination, de sorte que celle-ci est définie par ce qui la précède. Classée sous le mot correspondant au terme générique, l'entrée commence par une définition d'encodage double -- encodage monolingue et bilingue: Enfin, s.v. Taute (E 1539), on trouve une entrée encore plus complexe qui combine les deux types précédents:

2.2.2.2.4. Définitions générales et définitions particulières

Les synonymes simples ne sont pas des définitions au sens strict du terme, [189] et, dans l'énoncé définisseur, ne peuvent cerner l'aire sémantique de l'adresse que de façon très générale et vague, quoique le degré de généralité soit en rapport inverse avec le nombre de synonymes donnés. Ainsi, APPERT est bien mieux défini dans N 1606 ("C'est viste, isnel & habile") que dans E 1549-ND 1573 ("- & habile") et mieux défini que ACCROISSANCE ("accroissement" ND 1573), d'autant plus que ACCROISSEMENT est défini à la ligne suivante "Accroissance". [190] Autrement générales sont les séquences définitionnelles qui ne contiennent, en français, que le genre prochain:

La définition "Ce où il y a bien du burre" (N 1606 s.v. Burré, adj. m.) est plus générale (abstraite) que "La viande en laquelle on a mis beaucoup de burre" (N 1606 s.v. Burrée, adj. f.). Une paraphrase qui cherche à être explicitement compréhensive sera, elle aussi, un type de définition générale: La définition de ACCOLLER ("signifie proprement embrasser quelqu'vn, luy iettant les bras autour du col, mais on en vse aussi generalement pour embrasser" N 1606) comprend son emploi figuré (cf. "le trauersin qui croise accollant le mast de misaine" ND 1573 s.v. Barreaux), tandis que celle de ARBRE ("Signifie en general toute plante de grosses racines, gros tronc escorçu, esleuée en fueillu & escorçu branchage" N 1606) l'exclut (cf. "arbres d'un nauire" T 1564 s.v. Banderolle). [191] Lorsqu'une paraphrase renferme au moins un sème qui n'est pas partagé par le sémème du mot imbriqué dans un contexte donné, on peut parler de définition (relativement) particulière. À cet égard, la définition donnée ci-dessus de ARBRE est beaucoup moins particulière que celle de CYLINDRE ("est une piece de bois ronde & longue, ayant ..." E 1549) qui exclut toute autre matière que le bois (cf. "le Cylindre estoit de pierre" ND 1573 s.v. Bate). Parmi d'autres définitions exclusives, notons:

2.2.2.2.5. Traitement par le contexte

Outre qu'il reçoit un traitement explicite dans la ou les séquences définitionnelles éventuelles, le sémantisme du mot-adresse est en jeu dans les items phraséologiques.

Suivant une définition (simple ou composée), les exemples peuvent ou bien y ajouter des valeurs d'emploi:

ou des acceptions: En l'absence d'une définition en français, les exemples d'emploi peuvent expliciter, dans une certaine mesure, les acceptions potentiellement contenues dans le ou les équivalents latins liminaires. Par exemple, dans E 1539, les sens "idiome" et "organe", contenus dans "La langue Latine" et "Couper la langue a aucun", sont virtuels dans l'entrée-vedette "Langue, Lingua, Glossa" (N 1606 définit les deux). D'autre part, des acceptions exclues du premier item bilingue sont souvent consignées dans les séquences phraséologiques. Par exemple, "Bois, Lignum" (E 1539) ne comprend pas le sens de "lieu" ("Vng bois de plaisance"), ni "Bruit, Sonitus, Tumultus, Tumultuatio" (E 1539) celui de "rumeur" ("Bruit de quelque chose nouuelle").

À la place d'une entrée principale générique (adresse définie en français ou traduite en latin), les trois premières éditions du Dictionaire françois-latin mettent souvent en tête d'article une entrée spécifique (adresse imbriquée dans son premier exemple d'emploi): "Assister a la guerre" (E 1539 s.v. Assister). Dans ce cas, chaque nouvel exemple risque d'introduire une extension d'emploi sinon une acception différente. Ainsi, la deuxième entrée pour ASSISTER est "Assister en quelque lieu", plus générale que la première et englobant la troisième, "Assister, & estre present es assemblees du peuple". La quatrième introduit une deuxième acception: "Assister a aucung & luy aider". Ce genre de présentation exclut, en principe, tout complément ou déterminant qui ne soit pas donné, explicitement ou génériquement, dans la liste d'exemples. De la sorte, l'article CAUSER ("Causer vn endormissement // C'est vne des choses qui cause crainte") ne comprend pas l'emploi des compléments tremeur et esmotion ("tremeur causée ... de peur" s.v. Abhorrir, "esmotion de vague & flots, causée de tourbillon de vent" s.v. Birrasque).

Un procédé que la lexicographie contemporaine a remis en honneur [193] est celui qui consiste en la définition du mot en contexte. En plus de l'exemple donné plus haut ("Assister a aucung & luy aider" ), citons:

2.2.2.2.6. Statut synonymique de l'énoncé définisseur: l'identité des fonctions

Que la séquence définitionnelle soit purement métalinguistique ou qu'elle puisse fonctionner aussi en langue (cf. 2.2.2.2.1), le consulteur moderne s'attend à ce qu'elle ait la même fonction grammaticale que le défini. [195] C'est une condition nécessaire à l'équation sémantique.

Dans les items monolingues du Thresor, la règle de l'identité des fonctions est respectée dans la plupart des cas:

  1. Nom

    Courtisane ... la Dame, Damoiselle ou chapperonniere suyuant la court d'vn Prince (N 1606)

    GORGIAS ... cette piece d'habillement ... dont les femmes ... bandoient le bas de leur poitrine (N 1606)

    Hardes ... vn amas de menu equipage seruant à l'vsage de la personne (N 1606)

    FOVLE ... presse de gens allans tumultuairement ensemble (ND 1573)

    COVRTISAN ... celuy qui suit la court d'vn Prince (N 1606)

    Filles Penitentes ... celles qui laissants la vie lubrique se rendent au monastere (N 1606)

  2. Adjectif

    GOVLARD ... goulu, gourmant (ND 1573)

    GROSSIER ... lourd d'esprit (N 1606)

    GORGIAS ... proprement & mignonnement habillé (N 1606)

    MARTIAL ... qui appartient à Mars presidant au fait des armes, ou digne de Mars, ou qui resemble à Mars (N 1606)

    FORCENÉ ... hors du sens ... ayant le sens troublé au moyen de quelque vision (ND 1573)

  3. Adverbe

    BIEN ... positiuement ... superlatiuement (N 1606)

    Fraudulemment ... par ou auec fraude, tromperie & deception (N 1606)

  4. Verbe

    DESCOGNOISTRE ... n'auoir plus cognoissance de ce qu'autrefois on a cogneu ... nier, desauoüer (N 1606)

    GREVER ... Porter dommage à aulcun (ND 1573)

    Courtiser ... faire la court par suyte & offices d'obedience & respect à vn plus grand (N 1606)

  5. Préposition

    DE ... par (N 1606)

    A ... selon ... en ... pour ... De ... Auec (ND 1573)

En cas de difficulté ou simplement par facilité, Nicot a parfois recours à un définisseur latin ayant même fonction grammaticale que le défini français: Les exceptions à la règle sont de plusieurs sortes. D'abord, à l'époque de Nicot, le nom substantif et le nom adjectif étaient moins clairement distingués qu'aujourd'hui. Cela donne des propositions relatives définissant des noms, et des pronoms démonstratifs, voire des noms, pour définir des adjectifs: On peut noter que les propositions relatives traduisant un nom latin sont très fréquentes dans les items bilingues d'Estienne (cf. 2.2.1.1.4): "Qui prend gage d'aucung, Pignerator" (E 1539 s.v. Gage). Un deuxième type d'exceptions concerne l'emploi, dans la définition, d'une proposition circonstancielle introduite par quand. Cette construction constitue une sorte de définition naturelle qui se rencontre dans l'usage ordinaire de la langue ("(Un) X c'est quand ..."), mais qui est proscrite par la lexicographie moderne puisqu'elle est sentie comme inexacte et agrammaticale. Le procédé est utilisé par Nicot, quoique rarement: Il est fréquent dans les items bilingues d'Estienne: "Quand une fumee & uapeur sort de quelque chose, Vaporatio" E 1539 s.v. Fumée; "Quand les deux parties qui plaident s'entr'entendent ensemble pour tromper ung tiers, Colludere" E 1539 s.v. Partie. Un troisième cas concerne les mots grammaticaux. Les solutions apportées au problème du traitement sémantique de ces mots à contenu sémique pauvre sont variables. En plus des équations monolingues ou bilingues à fonction identique des deux termes (cf. ci-dessus A et DE), il est possible de rencontrer chez Nicot des nominalisations: On est proche de la deuxième métalangue, qui traite le signe total (cf. "DE ... preposition locale"). En fait, comme dans les dictionnaires modernes, c'est la deuxième métalangue qui se substitue souvent à la première dans le traitement des mots outils: Il est bien entendu que de nombreux mots ne reçoivent, dans le Thresor, aucun traitement sémantique explicite.

2.2.2.3. Analyse et classement des sens

L'essentiel a déjà été dit à propos de l'analyse et du classement des sens dans le Dictionaire françois-latin et le Thresor: celui-ci "nous propose un aperçu complet des deux principaux types de rubriques. Suivant la tradition des vocabulaires bilingues, les items traductifs /./ procèdent par énumération des emplois (sens principaux et acceptions), sans qu'une volonté d'organisation soit perceptible. Dans les cas les plus simples, celui des mots concrets par exemple, le sens usuel, qui se confond souvent avec le sens étymologique ou propre, est placé en tête. Mais, dès que la polysémie devient plus riche, les séries semblent composées au hasard. /./ La forme des articles rédigés, dans lesquels dominent les développements français, s'oppose à celle des précédents par la place essentielle accordée aux considérations étymologiques et diachroniques en général /./. Elle fait des filiations sémantiques la trame des articles, et les rapports étymologiques clairement énoncés apporteront même, dans les cas difficiles, plus de précision à la description des signifiés". En partant des déclarations de B. Quemada, [196] on peut faire un certain nombre de remarques de détail.

2.2.2.3.1. Estienne: acception et item, classement sémantique et classement formel

Retournant, en 1539, son Dictionarium latinogallicum pour en faire un dictionnaire de thème, Estienne n'eut pas toujours comme premier souci la signification des items français qu'il réunissait dans la nomenclature. Ainsi, comme nous l'avons déjà vu, il lui arrivait, dans l'organisation de ses articles, d'être guidé davantage par le latin que par le français (cf. 2.2.1.1.4). De courts articles comme AFFERMER et AFFERMIR énumèrent les différentes acceptions du mot-vedette en les distinguant au moyen de la coordination traductive ou d'adjonctions syntagmatiques, chaque contexte nouveau appelant un mot ou expression latin différent:

Parfois, un effort d'interprétation permet de conclure à une volonté de classement sémantique de la part du lexicographe. Ainsi, l'article APPUY donne d'abord les emplois concrets et ensuite les emplois abstraits, quoique la première entrée soit ambiguë: En revanche, l'article AMAS confond compléments de choses et compléments de personnes, groupant les derniers, qui sont tous donnés en complément à faire amas de, à l'intérieur des premiers: De même, l'article AILE mêle les deux sens "- d'un oiseau" et "- d'une armée".

L'emploi du pied-de-mouche (¶) [197] varie. Dans l'article ARC, il sert à signaler les sens météorologique ("arc au ciel") et architectural qui sont donnés à la suite de l'acception "Arc a fleisches". Dans l'article BANDE, le premier pied-de-mouche suit 26 alinéas concernant l'acception "bande de gens" et sert à signaler le premier de sept exemples du syntagme PAR BANDES; viennent ensuite un pied-de-mouche pour BANDE ET LIGUE et un troisième pour marquer le premier de trois items traitant BANDE = "objet". Cependant, dans le traitement du verbe BANDER, les memes aires sémantiques ne méritent pas de distinction typographique et, en fait, sont confondues. Le classement des adresses étant surtout basé sur des critères formels, [198] APPETIT ("sorte d'aulx") se trouve s.v. Appetit, et BRANCHE URSINE ("sorte d'herbe") s.v. Branche, mais les deux sont signalés par un pied-de-mouche. Souvent, ce sont des items dont le seul intérêt réside dans le latin qui sont précédés d'un pied-de-mouche. Par exemple, s.v. Banquet, "Qui est conuié ou inuité au banquet, Conuiuia, Epulo" et "Qui fait banquet, Conuiuiator" le sont. À cet égard, la mise en saillie du texte peut se substituer au pied-de-mouche; par exemple, s.v. Art, "Qui use d'art, Artificiosus" et "Faict d'art, Artificialis" sont imprimés en saillie.

Certains mots français, fréquents dans le texte du Dictionarium latinogallicum, ont, par conséquent, droit à un long article dans le Dictionaire francoislatin. Il s'agit surtout de noms et de verbes. Ici, l'organisation des items dépend davantage de considérations formelles (syntagmatiques) que de facteurs purement sémantiques. Ainsi, les emplois pronominaux du verbe seront souvent réunis et tantôt signales d'un pied-de-mouche (ACCROISTRE), tantôt non (ASSEOIR). De même, s.v. Ainsi, les exemples de TOUT AINSI QUE, signalés, sont mis à la suite de ceux, non signalés, illustrant AINSI QUE. Les regroupements syntaxiques sont souvent accompagnés, à l'intérieur de chacun, d'un classement alphabétique approximatif des séquences suivant, ou précédant, le mot-adresse. Par exemple, après une douzaine d'items liminaires quelconques, l'article ALLER est divisé grosso modo en trois parties: ALLER + préposition, ALLER + adverbe, ALLER + verbe. Voici l'essentiel de ce classement, tel qu'il peut être dégagé:

De même, les compléments de BAILLER (a... /contrepois /couleur /coup /courage /dons /doz, etc.), les épithètes de AFFAIRE (hasté /meslé /nets /(de) nulle (valeur) /particuliers /privez, etc.) et les verbes régissant celui-ci (avoir /brassé /brouiller /charger /communiquer /conduire /delaisser, etc.) sont classés alphabétiquement. Les exemples d'un mot comme METTRE, qui n'a pas d'acceptions, mais seulement des valeurs d'emploi, sont tous rangés par ordre alphabétique: METTRE + (x 151), SE METTRE + (x 14), ESTRE MIS + (x 2). [199] La division de l'article BRANCHE en a) BRANCHE + déterminant, b) verbe + BRANCHE, lui fait subordonner la distinction lexicale "branche d'un arbre" / BRANCHE URSINE "herbe", BRANCHE URSINE étant classé à la fin du premier groupe syntaxique, quoique marqué d'un pied-de-mouche. La deuxième édition du Dictionaire françois-latin, plus formelle que la première, réunit souvent sous une même adresse les homonymes autonomes de 1539, les distinguant seulement au moyen d'un pied-de-mouche. Ainsi, les deux articles AIRE sont confondus en 1549, de même que ceux traitant TABLIER et ceux consacrés à la forme ASSOMMER. [200] En général pourtant, E 1549 ne fait qu'ajouter d'autres items bilingues aux articles établis par la première édition, respectant plus ou moins heureusement l'organisation de ceux-ci quand il en existe une. [201] L'emploi du pied-de-mouche est étendu: ajouté à des items (isolés ou groupés) herités, ou joint à des nouveaux; par exemple, s.v. Taille: "Vne taille de bois", "Vne taille qu'on ... leue", "Pour sa taille" et "Frapper de taille", tous déjà dans E 1539, sont précédés en 1549 d'un pied-de-mouche, ainsi que "La Taille en musique", entrée nouvelle.

L'usage du pied-de-mouche, jamais systématique ni sûr (Estienne ne l'explique pas), diminue d'importance après Estienne, pour se voir souvent remplacer dans le Thresor par l'explicitation verbale des distinctions sémantiques et syntaxiques. [202]

2.2.2.3.2. Nicot: analyse explicite et classement logique

Les préoccupations étymologiques d'Estienne, soucieux en 1549 d'illustrer la langue française, l'amenèrent maintes fois à valoriser le sens propre des mots-vedettes, [203] ceci pouvant à l'occasion s'exprimer au moyen d'un connecteur linguistique; ainsi, BLASON "Proprement est ...". Thierry 1564, ajoutant à l'article BLASON une deuxième acception, introduit celle-ci: "signifie aucunesfois ...". Estienne, en 1549, avait déjà pu trouver aux sens un rapport de causalité: "ASNE, Asinus. Et pource que l'asne est de soy beste tardiue & mal ingenieuse, nous appelons ... ung homme de lourd esprit ... ung asne". Pourtant, il faut attendre la quatrième édition du dictionnaire et la collaboration de Nicot pour voir se créer un véritable effort d'analyse et de filiation sémantiques explicites et suivies, travail qui, développé par la suite, caractérisera le Thresor. Dans les éditions de Nicot, les sens peuvent être présentés en série énumérative:

ce qui dote déjà l'article d'une formulation d'ensemble. Autre procédé unificateur, la synthèse peut venir se joindre à l'analyse. Ainsi l'article O se présente en partie comme suit: Plus caractéristiques, cependant, sont les filiations: Lorsque le mot ainsi traité figurait déjà dans la nomenclature des éditions antérieures, Nicot-Dupuys 1573 et Nicot 1606 mettent souvent les items existants à la suite d'un alinéa nouveau. Aussi celui-ci reprendra-t-il souvent ceux-là, au moins en partie: vient s'ajouter à: Parfois, les items hérités sont intégrés à l'analyse (par exemple, s.v. Taille dans N 1606). [205]

Les analyses sémantiques, cadre organisateur des articles de Nicot (cf. 2.2.8.1), sont articulées à trois niveaux fondamentaux: le classement des sens, l'identification sémique et les exemples. Le classement des sens s'opère au moyen de connecteurs, que nous appelons ordonnateurs sémantiques (OS); dans le cas des listages énumératifs, ceux-ci seront de simples copulatives (OSE) -- et, aussi, tantost, etc.; dans celui des filiations, les ordonnateurs indiqueront la dépendance des sens (OSD) -- par metaphore, etc. L'identification sémique (I) comprend en premier lieu les énoncés définisseurs (IDF) -- définitions analytiques ou simples -- et leurs compléments éventuels. Elle peut aussi, par une démarche onomasiologique, comprendre des dénominations (IDN). Les exemples d'emploi (Ex) relèvent le plus souvent de l'usage standard de l'époque et sont forgés par le lexicographe; ils peuvent aussi être marqués (ExM) -- jadis, citations signées, etc. Le traitement sémantique du premier alinéa des articles ACCOUCHER (N 1606) et BATAILLE (ND 1573) se présente donc ainsi: [206]

Le tableau suivant dégage l'essentiel de ce traitement sémantique.

ACCOUCHER (N 1606)
  OSE OSD IDN IDF Ex
1   proprement   se mettre en la couche pour plus d'vne nuict  
Alliter Il s'est accouché malade
2   par metaphore   Deliurer d'enfant La Royne est accouchée d'vn fils
>     les couches d'vne femme    
  Et   vne femme estre en couche quand apres son enfantement elle tient la couche & le lict  

BATAILLE (ND 1573)
  OSE OSD IDF Ex ExM
1 tantost   la meslee & combat de deux armees rengees iour de bataille (iadis) La bataille corps à corps est arrestee
bataille assignee
Bataille gaignee
Bataille perdue
Bataille sanglante
2 Tantost   chasque bataillon ou esquadron d'vne armee   "le Roy ordonna neuf batailles"
3   Selon laquelle signification anciennement & l'auant & l'arriere garde    
4   mais à present seul esquadron ou bataillon auquel le roy ou son lieutenant est renge    
5 aussi   l'armee entiere bataille rengee "Estans doncques les deux batailles rengées"

Les ordonnateurs de dépendance sémantique offrant un intérêt particulier, puisqu'ils sont chez Nicot si variés et centraux à l'analyse des sens, notons-en quelques-uns des plus caractéristiques:

2.2.2.4. Renvois

Outre les renvois graphiques [208] et dérivationnels, [209] il y a un troisième type de renvois que l'on peut qualifier de sémantiques. L'article destinataire peut contenir tout le traitement du mot-adresse de l'article destinateur. C'est le cas, par exemple, de BARONIE, sous-vedette de BARON (ND 1573). Dans la nomenclature, le lecteur est renvoyé à BARON ("voyez Baron"), où, dans un article dense de 88 lignes, baronie (en fait Baronnie) se rencontre deux fois: une première fois (ligne 11) comme unité de traitement ("Baronnie, pour toute la noblesse & assemblee des vassaulx, & gendarmerie d'un Prince") et une seconde fois (ligne 39), dans un sens territorial, comme élément du traitement de BARON ("la marque plus commune dudict Baron est auoir trois Chastellenies ... dedans sa Baronnie"). L'article destinateur, traitant le mot-adresse, peut renvoyer ailleurs pour un complément d'information. Ainsi, s.v. Escu: "A cause dequoy, & Escu, pour Blason, Blason pour Escu se trouuent maintesfois vsurpez, voyez Blason" (ND 1573). Ce genre de renvois est souvent réciproque: AGUILLE et ESGUILLON se renvoient l'un à l'autre (E 1549), ainsi que HEUR et HEUREUX (N 1606), INTRODUIRE et INTRODUCTION (N 1606). L'article destinataire peut ne contenir aucune information sur le mot qui est l'objet du renvoi: BADAUT (N 1606) renvoie à ABBAIER; pourtant, s.v. Abbayer, on ne trouve rien de pertinent.

Les composés sont souvent l'objet d'un renvoi, ceux en re- de façon assez systématique. Le préfixe RE ayant droit à un article analytique (E 1549), les composés qui le suivent dans la nomenclature sont traités tantôt dans leurs propres articles, tantôt dans celui du radical, du moins en intention. Ainsi, REBAISER, REBANNIR et REBANQUETER renvoient respectivement à BAISER, BANIR/BANNIR et BANQUETER, qui ne donnent pas les formes des composés. REBAISER (etc.) est donc traité par la confrontation des articles RE et BAISER (etc.). [210]

2.2.2.5. Interprétation diachronique

En l'absence d'une analyse sémique, le sens d'un item de nomenclature est souvent confus pour le consulteur moderne, quand il ne l'était pas pour l'usager du seizième siècle. Lors de l'élaboration de son Thesaurus, Estienne fit montre d'une préférence marquée pour les exemples d'emploi comme procédé de délimitation sémantique du latin classique, plutôt que de se servir d'interprétations. [211] Il faisait ainsi preuve d'une sage prudence, ayant bien conscience des dangers de l'interprétation diachronique. Par une ironie du sort, la premiere édition du Dictionaire françois-latin, présentant de fait une nomenclature sans presque aucune interprétation mais illustrée par une abondance de contextes phraséologiques largement trompeurs, [212] incite le consulteur moderne à une interprétation subjective et suspecte. Après les erreurs de consultation déjà notées, [213] mentionnons encore un ou deux cas informateurs.

L'article TABLE dans E 1539, mal connu des historiens de la langue et déjà commenté ailleurs, [214] nous fournit un cas type. Le FEW donne pour table ronde la définition "pétrin", qui serait attestée pour la première fois dans Estienne 1549. [215] Or, l'entrée textuelle, qui remonte en fait à E 1539, et, au-delà, au dictionnaire latin-français, est la suivante: "Table ronde, ou ung rondeau de patissier, Magis". S.v. Rondeau, on lit: "Vng rondeau de patissier, Magis", ce qui ne nous éclaire pas davantage. L'article MAGIS dans DLG 1538 est plus utile: "Vng may a pestrir pain. C'est aussi une table ronde, ou ung rondeau de patissier ... Vng plat de patissier". Donc, TABLE RONDE semblerait être un synonyme au moins partiel de "rondeau de patissier", comme on pouvait déjà le penser dans E 1539, mais ne signifie pas "may a pestrir pain", ne veut donc pas dire "pétrin". De retour dans le Dictionaire francoislatin, UNG PLAT DE PATISSIER (s.v. Plat) donne simplement "Magis". Cotgrave 1611 pour TABLE RONDE dit: "a little round boord wheron the Pastissiers carrie their Pies, and Tarts from place to place" sens qui diffère de celui de RONDEAU DE PASTISSIER: "A round and flat boord whereon Pastissiers doe raise their Past and Pies", les deux différant encore de l'acception donnée pour PLAT DE PATISSIER: "A round, and flat footlesse Panne of tinne, wherin pies are kept warme at the ouens mouth, after they be fully baked" . Sainliens 1593 n'avait sur ces trois entrées que la deuxième, à laquelle il trouvait pourtant un sens bien différent: RONDEAU DE PATISSIER "Cookes rolling-pinne". Monet 1635 ne répertorie pas table ronde mais il fait figurer magis parmi les équivalents latins traduisant les entrées suivantes: "Table ... à seruir patisserie" (s.v. Table), "Rondeau, ais rond, tablete, ecofraie ronde de patissier, à tenir, & porter la patisserie" (s.v. Rondeau), "Mai ... à faire la pâte" (s.v. Mai). Comme le fait remarquer R.-L. Wagner, "chaque lexicographe (sauf lorsqu'il plagie un devancier) découpe la réalité d'une manière qui lui est propre". [216] Le lecteur moderne, à la merci du lexicographe qu'il choisit de consulter, a l'embarras du choix des interprétations lorsqu'il confronte les différentes opinions exprimées. Dans le cas présent, le choix du sens "petrin" pour TABLE RONDE semble exclu, compte tenu des articles de DLG 1538 et de Cotgrave (celui-ci étant le seul à en faire une analyse detaillée).

Brandon, dans son étude sur le Dictionaire françois-latin, a l'occasion de dire, à propos de LAISSER: "Cet article /./ illustre dix usages différents du verbe. La division en paragraphes n'indique pas toujours les nuances de signification dont il est donné exemple. Ainsi pour laisser, tandis que les locutions représentent dix nuances, il n'y a que quatre paragraphes". [217] L'affirmation de Brandon reste sans valeur puisqu'il ne dit pas quelles sont les dix nuances représentées par les 49 locutions de l'article LAISSER. Nicot n'y touche pas; Cotgrave ne retient aucune des locutions d'Estienne et, pour LAISSER, donne douze équivalents: "To leaue, relinquish, lay apart, set aside, put off, let alone, forgoe, let goe, forsake, abandon, giue ouer, omit". Ch. Muller met en garde l'analyste quand il dit: "on voit les difficultés croître quand on quitte le domaine relativement clair des substantifs pour pénétrer dans la forêt des verbes courants, riches en associations variées: prendre, faire, rendre, donner, etc.". [218]

Mentionnons, enfin, les modifications qui peuvent se produire dans le traitement d'une adresse, d'une édition à l'autre du dictionnaire. Par exemple, LAICTAGES chez Estienne:

Ou encore s.v. Fan; E 1539 donne: ce qui devient dans N 1606: Outre une évolution sémantique du mot fan/faon, faisons la part également du rôle métalinguistique des items d'Estienne et de la tendance généralisante de leur premier terme nucléaire (ici fan/faon). [220]

2.2.3. Délimitation syntagmatique

Complément de l'analyse sémantique, la description du fonctionnement syntagmatique est nécessaire à un traitement complet du statut linguistique de l'adresse. Les deux plans sont, en fait, intimement liés, le sémantisme du mot se dégageant en partie des contextes les plus fréquents de celui-ci: La fréquence d'un terme dans le discours est un facteur determinant pour le type de fonctionnement que le dictionnaire sera amené à décrire. Un mot rare, un terme tres technique, par exemple, méritera une définition détaillée, sans plus. Mais plus le mot est courant, plus sa définition sera accompagnée de précisions syntaxiques et d'exemples d'emploi, jusqu'au point ou les mots les plus usités, les mots outils, seront décrits exclusivement d'après leur fonctionnement dans la phrase.

2.2.3.1. Fonctionnement syntaxique

Comme nous l'avons déjà fait remarquer, [221] un certain nombre des adresses introduites par les trois premières éditions du Dictionaire françois-latin sont données en contexte.

Dans le cas des substantifs, ce contexte est le plus souvent un syntagme nominal composé du nom et d'un déterminatif "le plus habituel": [222]

ou une locution adverbiale: Estienne se sert à l'occasion des déterminatifs pour fonder des macro-articles distincts pour des homonymes; ainsi, en 1539, biere a droit à deux en-têtes: BIERE (l'unique exemple d'emploi commence: "Vne biere & coffret ...") et DE LA BIERE. [223]

Les verbes impersonnels peuvent être donnés au présent de l'indicatif: "Il appert" (E 1539), "Il auesprit" (E 1539); le pronom réfléchi des verbes pronominaux ajoutés par toutes les éditions est donné systématiquement dans l'adresse: "S'annonchalir" (E 1539), "S'AVOYER" (E 1549), "se ADOLORER" (T 1564), "Se ALOVSER" (ND 1573), "Se ALLASCHIR" (N 1606). Les différents types de compléments de verbe avec la nature animée ou inanimée, humaine ou non humaine, sont souvent indiqués:

Le comportement constructionnel des verbes est fréquemment l'objet de commentaires métalinguistiques chez Nicot: Estienne pouvait à l'occasion marquer moins directement les possibilités constructionnelles d'un verbe: La discussion du comportement syntaxique des autres parties du discours est avant tout l'affaire de Nicot:
  1. Adjectifs -- Nicot distingue généralement entre humains et autres au moyen de "celuy/celle" et "ce" et leurs variantes:

    TAILLABLE ... Celuy ou celle qui ... (N 1606; cf. E 1539: qui ...")

    ACARIASTRE ... Cil ou celle qui ... (N 1606; cf. ND 1573: "C'est vn qui ...")

    BARLONG ... Est dit ce dont ... (N 1606)

    AAGÉ ... terme general à prefinir tout aage d'homme ou de beste (N 1606)

    Abordable ... chose qui ... (ND 1573)

    BEAV ... Est dit qui par ... aucuns ... attribuent ceste epithete à toute personne qui ... Mais l'vsage dudit epithete és autres animaux & choses inanimées ... Bel ... quand le substantif ensuyuant commence par voyele ... là où on vse de l'autre quand ledit substantif commence par consonante (N 1606)

    FORT ... Est celuy qui ... // Fort s'applique aussi aux choses inanimées (N 1606)

    De France, est vne addition qui se fait à certains officiers (N 1606 s.v. France)

  2. Pronoms ("indeclinable"):

    MOY ... sert en tous cas comme indeclinable. Au nominatif: Est-ce moy qui ... Au genitif: L'amour de moy ... Au datif: Donnez moy ... A l'accusatif: Laissez moy ... Au vocatif: O moy miserable! ... Et en l'ablatif: Il a tiré de moy ... Le semblable est de ce vocable Toy ... Mais à present on vse de Me & Te au datif & accusatif, quand on les prepose au verbe qui les regit ... Il supplée le defaut des cas obliques au singulier de cet anomale Ie ... Car Moy au nominatif ne se trouue, si n'est en respondant au propos d'vn autre, comme, Qui a fait cela? Moy ... Là où on ne respondra pas Ie, ou bien quand il est precedé d'autre diction, comme, C'est moy qui propose ... où aussi l'on ne dira pas, c'est Ie: ains simplement, Ie propose ... Aucunesfois il est mis par exuberance, comme, Grauez moy cela ... (N 1606)

  3. Déterminatifs ("article, pronom demonstratif"):

    LA ... article feminin ... Comme la femme, la matiere: & denote les dictions ausquelles il est preposé estre feminin, tout ainsi que, Le, les masculins (ND 1573)

    CE ... aussi est pronom demonstratif masculin dont on vse deuant les dictions commenceans par consonante tout ainsi que de Cet ... deuant celles qui commencent par voielle, Comme, Ce cheual & Cet homme ... Là où Cete, qui est le feminin de cet, sert deuant toutes dictions, comme Cete femme, cete Auellaine (ND 1573)

  4. Prépositions ("article du genitif, diction indeclinable, particule conionctiue"):

    A aussi estant auec les noms propres est vn article du genitif ... & estant auec les noms appellatifs, prent article apparent auec elle ... comme ... à la ville // A prenant auec soy larticle du nom qu'elle precede, signifie ... // A aussi est vne diction indeclinable qui est differemment employee auec autres declinables & indeclinables (ND 1573)

    AVEC ... C'est vne particule conionctiue, qui couple & accompagne deux choses ensemble, comme, ie veins auec luy (N 1606)

  5. particule conditionale:

    Si, Est particule conditionale ... Si vous estes cheualier, vous ... Elle a en maints lieux energie, renforçeant le verbe qui la suyt, comme Si l'abandonnerez vous ... Quand elle precede ce mot, faut, elle a ... Expletiue est elle quand les deux parties sont negatiues ... Elle se met aussi au commencement d'vn propos ... où elle est aussi expletiue ... Aucunesfois est illatiue ... Elle est aussi employée és partitions, comme la premiere raison: Si est ... (N 1606)

  6. Mélange ("nom interrogatif, nom relatif, conionction, aduerbe"):

    QVE, quelquesfois est nom, & ores interrogatif, comme, Que veut-il? ... Ores relatif, de tout genre, comme, Le liure que ... Et quelquesfois conionction, comme, Ie sçay que ... Et par fois aduerbe ... Et prindrent ... huit vingts, que citez, que villes murées (N 1606)

    cf. AVANT (E 1539): Bien auant // ¶ ... en auant // ¶ Auant le temps // ¶ ... ung auant que proceder // ¶ D'icy en auant // ¶ Auant que

Un mot peut ne pas fonctionner en dehors de certains syntagmes:

Les articles essentiellement métamétalinguistiques sont souvent informateurs du point de vue syntaxique:

2.2.3.2. L'unité lexicale: fractionnaire, simple ou composée

Nicot a une terminologie variée, quoique manquant de cohérence et de stabilité, pour décrire les différentes sortes d'unités lexicales. "Partie" est parfois employé pour les préfixes:

"Diction" s'emploie pour les éléments des composés -- préfixes et radicaux -- comme pour les mots simples et composés: "Mot" est utilisé pour l'unité simple et composée: "Terme" se trouve qualifier le mot simple: Les composés sont différemment écrits et caractérisés: Les trois entrées successives suivantes illustrent les trois formes possibles du mot composé: Les articles AIRE, BONNAIRE et DEBONNAIRE renferment trois formes d'un même terme: "de bon aire" (E 1539 s.v. De bon aire -- classé sous Aire), "de bonnaire" (E 1539 s.v. Bonnaire) > "debonnaire" (ND 1573), "Homme DEBONNAIRE, quasi de bon aire Voiez Bonnaire & Aire" (T 1564). [225]

L'unité syntagmatique reçoit différents qualificatifs. Vers le début de la lettre A, quatre syntagmes de la nomenclature A BON ESCIENT, D'ABONDANT, EN ABONDANCE et A BRIDE AVALLEE sont suivis dès ND 1573 de l'indication "par forme d'aduerbe" (nous dirions aujourd'hui "locution adverbiale"). Il y a diverses "manieres":

"maniere de parler":

"maniere de dire": "maniere d'entrer au propos": "Phrase" s'emploie couramment chez Nicot pour des expressions diversement construites: "locution" se rencontre s.v. Barbe (ND 1573): Mentionnons également "prouerbe": Les étiquettes peuvent être combinées, comme dans "maniere prouerbiale de parler" (s.v. Aulne quarree -- cf. ci-dessus la rubrique "maniere de parler").

2.2.3.3. Les exemples: syntagmes codés ou libres

Dans un dictionnaire bilingue, tout exemple d'emploi est en même temps unité de traitement puisqu'il est toujours censé être traduit. Il est théoriquement possible de distinguer parmi les unités de traitement celles qui appartiennent au lexique et celles qui relèvent du discours, puisque les premières sont susceptibles d'être également traitées dans la langue d'entrée, [226] tandis que les secondes ne seront que traduites. [227]

Le problème ne se pose évidemment qu'au niveau de l'unité syntagmatique. Nous avons vu, dans la section précédente, que Nicot qualifie un certain nombre d'items lexicalisés de "maniere de parler", etc. Plus fréquentes sont les seules définitions:

La différence entre syntagme codé et syntagme libre est relative; la possibilité d'analyser les éléments d'une séquence fait montre d'une certaine liberté de construction: "BRANCHER vn larron, c'est le pendre à la branche d'un arbre" (T 1564). L'équivalence monolingue est trompeuse lorsqu'elle concerne les items traductifs d'Estienne: dans "Petit bateau, ou batelet" (T 1564 s.v. Bateau), c'est petit bateau qui définit batelet et non l'inverse. [228] Dans ses articles construits, Nicot introduit généralement les séquences libres par le mot comme, ou une expression équivalente, ou par la ponctuation; par exemple, s.v. Abastardir (N 1606): Il s'agit, en fait, d'exemples d'emploi. Lorsque Nicot se contente d'ajouter des syntagmes aux listes d'items bilingues d'Estienne, il devient bien plus difficile de statuer sur leur degré de lexicalisation: "Ioüer la premiere table, ou Ioüer le premier" (N 1606 s.v. Table) et "Faire bruit" (N 1606 s.v. Bruit p. 93, col. 2, ligne 33 -- répétition de 92.2.74 < Estienne) ont l'air plus lexicalisés que "Bailler les noms des tesmoins" (N 1606 s.v Bailler) sans que l'on soit autorisé d'en dire plus. Les syntagmes de Nicot sont presque toujours donnés en fonction du français, aussi sont-ils généralement plus sûrs que ceux (ambigus) d'Estienne, et plus lexicalisés. [229] Le statut lexical des items traductifs d'Estienne est ambigu pour deux raisons: a) ils sont donnés en fonction du latin; b) aucun indice formel ne distingue les syntagmes codés des syntagmes libres, puisqu'une métalangue française pour le français fait presque entièrement défaut aux premières éditions du Dictionaire françois-latin. Leur valeur intrinsèque compromise est reconnue par Brandon, [230] qui, ailleurs, note que le nombre en est multiplié du fait de leur répétition dans l'article de différents membres importants de la séquence; ainsi, "La ligne ou (le) cordeau du charpentier" est donné, dans E 1539, s.v. Ligne et Cordeau. [231] Dans sa deuxième édition, Estienne continue à repeter ses items syntagmatiques; par exemple, "Alleguer & produire sa clericature, ou sa tonsure, & demander son renuoy par deuant son iuge d'eglise" figure, avec variations, s.v. Alleguer, Clericature, Renvoy et Tonsure. Là où Estienne réitère ses items, Nicot se sert assez souvent de renvois; par exemple: "Bau de bite, voyez Bite" (ND 1573). Lorsque la répétition se fait dans un même article, elle marque davantage l'intention traductive des syntagmes français: Pourtant, le témoignage le plus frappant de la préoccupation latiniste du Dictionaire françois-latin à ses débuts est fourni par les items dans lesquels le mot-adresse fait défaut; ainsi, dès 1539, on lit: Une entrée manifestement traductive lors de sa première apparition peut, par suite de modifications apportées par les éditions postérieures, acquérir un caractère équivoque; dans E 1539, on lit les deux items successifs que voici: T 1564 met le premier tablette au pluriel et omet "Tabula.", reliant les deux items au moyen de la virgule. ND 1573, enfin, rompt l'unité des deux alinéas en remplaçant la virgule par un point: Les syntagmes d'un article entier ne seront souvent que l'analyse du latin; ainsi s.v. Arain (E 1539): En revanche, Estienne confère parfois un statut constructionnel à un item en le terminant par "& c.". Par exemple, dans E 1539, on lit s.v. Advis: "Il est d'aduis que, & c. // Son aduis est de, & c.", ou s.v. Bruit: "Le bruit est que, & c.". Le français peut même gagner en couleur par rapport au latin; la même édition donne s.v. Assembler: "Tant de choses uraisemblables s'assemblent ensemble, Tot concurrunt verisimilia".

Parlant des ensembles syntagmatiques dans les dictionnaires français en général, B. Quemada dit que "La reconnaissance de leur autonomie lexicale a toujours été extrêmement floue, car les auteurs ont longtemps négligé de distinguer -- mais le pouvaient-ils? -- /./ les suites de mots des syntagmes figés". [234] Nous avons vu que seul Nicot (dans ses articles construits) des auteurs du DFL-Thresor donne des précisions à ce sujet. Pour pouvoir tenter de décider du statut lexical des syntagmes d'un état de langue passé, on a deux possibilités: l'opinion des grammairiens et des lexicographes du temps, [235] ou des dépouillements exhaustifs de textes. [236] Dans le cas qui nous préoccupe, nous devons nous contenter des décisions de Nicot.

2.2.4. Citations et sources nommées [237]

Les citations doivent être considérées séparément. Relevant tantôt du traitement du mot, tantôt de celui de la chose, elles ne sont identifiables comme telles que lorsqu'elles sont signées. [238] Dans le cas de la seule référence, elles sont virtuelles. Plusieurs problèmes sont à résoudre: en plus de la fonction de la citation ou de la référence dans l'énoncé lexicographique, il s'agit de déterminer quelles sont les sources d'expression française et quelles sont les limites de la citation (les guillemets n'existent pas encore).

2.2.4.1. Fonctions

Le Thresor, dictionnaire encyclopédique, traite du mot mais aussi du monde, s'occupe du français et, en même temps, d'autres langues. Rien d'étonnant, alors, à ce que les nombreux noms d'auteurs et textes cités [239] aient un rôle tantôt linguistique tantôt encyclopédique, concernant tantôt l'entrée tantôt l'étymon, voire les équivalents.

2.2.4.1.1. Domaine non français

Quoique Estienne et Thierry invoquent, à l'occasion, l'autorité de textes non français, c'est Nicot qui, dans la trame étymo-sémantique de ses articles construits, s'y réfère le plus. La citation ou la mention d'auteur peut jouer plusieurs rôles. Pour ce qui est du traitement de la langue, on peut observer, entre autres, les fonctions suivantes:

  1. Source d'un équivalent

    i) latin: "Archifs ... AErarium Sanctius, Bud." (1606); "Laict de femme, Humanum lac. Plin. Muliebre lac. Celsus." (1549 s.v. Laict) [240]

    ii) grec: "TALVT ... Lucian appelle cela propous" (1606)

    iii) hébreu: "Nettier ou nettoyer au balay ... Rabbi Scelonoh ben Gabirol en vn sien poëme l'a dit ainsi, mâ'as malkh+ut nevâyôt" (1606 s.v. Balay)

    iv) espagnol: "BRVMBAY ... signifie vne espece de couleur, qui est rouge obscure: Et comme dit le Commandeur Chacon, au liure des signes d'vn bon cheual, Verdadera color de castena" (1606) -- l'équivalent, analytique, est en fait intégré dans le traitement sémantique isomorphe; "ACHEMINER ... Espagnol, Encaminar. Nebrisse" (1606)

    v) italien: "ACHEMINER ... Italien Inuiar. Petrar. au Sonet, Si trauiato" (1606)

    vi) florentin: "BARBVTE ... le Florentin en vsoit iadis en ceste mesme signification, disant Barbuté en pluriel, huomini arme: voyez Landin, en son commentaire, Sur le paradis de Dante" (1573)

  2. Emploi d'un équivalent

    "se lit aux Annales de Rome, Luc. Sicinius Dentatus auoir esté appelé Achilles Romanus, A. Gell. liu. 2. ch. 11." (1606 s.v. Achilles) [241]

  3. Traitement sémantique d'un équivalent

    "BVRGVE ESPINE, Burga spina, Ruellius putat vnum genus esse Rhamni" (1564) [242]

  4. Traduction d'un équivalent

    i) hébreu -> grec: "ACHILLES ... Par la mesme raison que Dauid Ps. 71. ver. 3. appelle Dieu sa forteresse, que les Septante rendent par éis théon hupéraspi[stên]" (1606)

    ii) latin -> gaulois: "ARPENT ... Columel. lib. 5. cap. 1, Galli semipigerum [sic, = semiiugerum] Arepennem vocant" (1564)

  5. Emploi d'un étymon

    i) latin: "Laberius ancien Poëte Latin ... a ... appelé Lauandria, ce qui est baillé à lauer" (1606 s.v. Lavandiere) -- l'étymologie est implicite

    ii) grec: "BRAIRE ... Aucuns le veulent tirer de ce verbe Grec brakhô, qui signifie resonner, en ayant Hesiode vsé en cette signification. Et Homere mesmes du preterit ébrakhé" (1606) [243]

  6. Traitement sémantique d'un étymon

    i) latin: "LAMBEAV ... La descente de ce mot semble estre de lamberare vieux verbe Latin, qui signifie comme dit Festus scindere, & laniare" (1606) [244]

    ii) grec: "Archifs ... Autres le tirent de ce mot Grec Arkhéion ... Hesychius & Suidas disent, Archeia estre le lieu où les chartres publiques sont gardez" (1606) [245]

  7. Traduction d'un étymon

    "Archifs ... Autres le tirent de ce mot Grec Arkhéion ... qui signifie aussi ce que Ciceron ... appelle Tabularium, Et Virgile ... en pluriel populi tabularia" (1606)

  8. Emploi de cognates

    "ce n'est pas pourtant que les Latins n'ayent vsé de ce mot Barones, mais ce a esté comme de mot Espaignol, & à la façon espaignole, disant Hircius Pansa, au premier liure de guerre Alexandrine ... semper enim Barones complurésque ..." (1573 s.v. Baron) [246]

Quant aux contextes extra-linguistiques du domaine non français, on a affaire à la réalité qu'évoquent soit un étymon ou un équivalent, soit une entrée française, soit les deux. Dans tous les cas, il s'agit d'un auteur d'expression non française. Ainsi, on trouve Pline parlant d'Achilles soignant Télèphe (1606 s.v. Achilles); Méla décrivant les enseignes peintes des Agathyrses (1606 s.v. Armes); Dioscoride, Justin, Pline, Strabon et Théophraste décrivant le baume (1606 s.v. Basme); Matthieu de Westmonstier rapportant des lettres de Charlemagne dans lesquelles il est fait mention d'un baudrier (1606 s.v. Baudrier); Giorgi parlant du dressage du lanier (1606 s.v. Lanier); Domenichi signalé comme biographe de la soeur Scholiastique Bectone [247] (1606 s.v. Tarascon). Nous avons discuté plus haut [248] le statut ambigu de la séquence définitionnelle, celle-ci pouvant se référer à la chose désignée aussi bien qu'au mot; les informations encyclopédiques, ou extra-linguistiques, ne sont jamais divorcées tout à fait du traitement sémique, le nombre de sèmes nécessaires à l'identification du défini étant toujours fonction des besoins de chaque utilisateur particulier, et donc imprévisible.

2.2.4.1.2. Domaine du français

Les sources encyclopédiques, mentionnées dans le dernier paragraphe de la section précédente, ne se rattachent, quant à leur fonction, à aucune langue particulière, le langage servant, comme dans le discours linguistique normal, simplement de véhicule: d'informations techniques, historiques, etc. Il n'est donc pas surprenant que les ouvrages techniques de l'antiquité aient constitué un terrain de choix pour les traducteurs du XVIe siècle. [249]

Tout texte traduit pouvait remplir, dans le dictionnaire, plusieurs fonctions. Il pouvait, d'abord et indépendamment du fait de sa traduction, fournir des renseignements encyclopédiques ou des équivalents; [250] il pouvait fournir une équivalence de termes (par exemple "ANCHOIS ... Rondeletius dicit esse Encrasicholos" 1564 s.v. Anchois); [251] il pouvait, enfin, sous sa forme traduite, fournir un exemple d'emploi du français:

La Bible, texte historique et littéraire, du fait de sa notoriété en plusieurs langues, fournit des contextes qui, tout en concernant l'usage lexical, n'appartiennent à aucune langue en particulier. Par exemple, en parlant des emplois métaphoriques du mot Achilles, Nicot fait allusion à une image utilisée dans les Psaumes: "Dauid Ps. 71 ver. 3. appelle Dieu sa forteresse" (1606 s.v. Achilles). [252] Même des textes non traduits en français peuvent appuyer de façon explicite le traitement du français. Par exemple, s.v. Achilles: Ayant examiné ce qui est aux frontières du domaine du français, passons aux auteurs et aux textes d'expression purement française. Ici encore, la fonction de la référence peut être extra-linguistique: quoique l'encyclopédisme des citations françaises entretienne avec la langue française un rapport qui fait défaut à celui des sources non françaises. Les citations ou références d'auteur françaises à valeur linguistique servent à illustrer d'une manière ou d'une autre une unité de la nomenclature, [253] la citation fournissant un exemple d'emploi qui dans une certaine mesure éclaire le fonctionnement sémantique et syntagmatique de l'unité, la mention d'auteur ou de texte sanctionnant l'usage d'un terme. À l'interieur de ces fonctions générales, on peut observer des propriétés particulières dépendant de la situation de la citation ou mention dans l'énoncé lexicographique. [254]
  1. Entrée + définition + citation = la citation illustre la définition:

    A aussi signifie pour ... au 3. liure Damad. chap. 6. Toutesfois il estoit lors peu cogneu à fils de roy (1573) [255]

    ACCVSER ... se prend aussi pour deceler, descouurir quelque secret: Gaguin au traicté des Herauts: Ne aussi reueler n'accuser emprinses de guerres, ne autres embusches de son party (1606) [256]

    - Le rôle autorisateur de la citation peut être explicité par le lexicographe:

    Laneret ... Est le diminutif de lanier, & signifie comme aucuns estiment le tiercelet du lasnier. Iehan de Franchieres donne à entendre qu'il est ainsi, quand ... il escrit en ces mots, De ce faulcon pouuez voler pour riuiere, tant du lasneret comme du lasnier, car ils y sont bons (1606)

  2. Entrée + définition + citation-définition = la citation précise le sens en même temps qu'elle illustre la définition:

    Arsacide ... assassin ... Nicole Gilles en la vie du Roy Saint Loys, se deffait dudit mot Arsacide en ces termes. L'an mil deux cents trente six, le Roy des Arsacides ... enuoya en France aucuns de ses Arsacides, qui sont gents nourris & introduits pour tuer ceux que leur Roy leur commande, ayants charge de tuer le Roy Saint Loys (1606) [257]

  3. Entrée + définition + citation + définition = la citation illustre la définition et introduit une sous-acception qui est définie à son tour:

    Taille aussi est la facture du corps en grosseur & haulteur, soit de l'homme, soit de beste, disant le François ... vn cheual de legiere taille, en Amadis au premier liure, Vn cheual qui ha le corps & les iambes allegres (1573) [258]

  4. Entrée + citation + définition = la citation permet à l'entrée d'être définie en discours:

    BAILLIE. Ie ne veul estre en ta baillie & gouuernement. Berinus, Ils seront en vostre baillie. Guy de Waruich, c'est à dire puissance seigneurie & domination (1564) [259]

  5. Entrée-citation + définition = la citation fonctionne comme dans D:

    Acquiter vne terre. Berinus. C'est la mettre en paix & quietude en la deliurant des vsurpateurs (1564 s.v. Acquiter)

  6. Entrée-citation = la citation doit suppléer à la définition:

    Bullette d'or pendant sur le front, en laquelle estoient enchassées trois riches escarboucles de prix inestimable. Iean le Maire lib. I. chap. 40. des Illustrations (1606 s.v. Bullette)

  7. Entrée + définition + référence / entrée + référence + définition = la référence sanctionne l'item. Deux cas peuvent se présenter: (i) la référence accompagne l'unique acception d'un mot -- c'est le mot qui est autorisé; (ii) la référence concerne une de plusieurs acceptions -- c'est l'acception qui est autorisée:

    i) sanctionnement du signe:

    Actournée, f.penac. Est la procuration passée à un actourné, comme il se void aux ordonnances de l'Eschiquier tenu à Rouen le terme de Pasques 1462 (1606)

    LAMBRVNCHÉ, Labrusca. c'est vigne sauuage. Ronsard en vse (1564; 1573 = "LAMBRVNCHE ...")

    ii) sanctionnement du sens:

    Baffray aussi se prend pour vne bastille faite de charpente, de laquelle les assiegeans battent les assiegez, comme d'vn petit fort, se retrayans en icelle aux saillies qu'on fait sur eux. Ainsi en vse Eng. de Monstrelet (1606 s.v. Baffroy)

    Abonner aussi, selon maistre Fr. Ragueau, signifie aliener, changer, quand le vassal aliene ses rentes & debuoirs, hommages, ou change l'hommage à deuoir (1606) [260]

  8. Variante + référence = la référence sanctionne la forme:

    LAMBEAV ... Feron le nomme tousiours Lambel au singulier (1606) [261]

  9. Dénomination + référence = la référence sanctionne la forme:

    Breuiarium ... compilation en bref ... les anciens Latins mieux parlans disoient Summarium au lieu de Breuiarium, Nous disons Abbregé, & ainsi est intitulé l'Epitome des Chroniques de France, laissans le latinisé Breuiaire en vsage aux gens d'Eglise (1606 s.v. Breviaire)

2.2.4.2. Limites de la citation

La ponctuation et l'ordre des informations dans l'article de dictionnaire sont loin d'être standardisés au XVIe siècle. [262] Les distinctions typographiques sont relativement peu nombreuses et imparfaitement normalisées. [263] On ne connaît pas encore les guillemets. Aussi n'est-il pas surprenant d'observer chez Nicot, premier lexicographe français à citer un grand nombre de textes, un maniement variable des citations et mentions d'auteurs.

Quelles marques peut-on observer aux frontières de la citation et du discours lexicographique dans lequel elle est placée? La première lettre peut être une majuscule et être précédée d'une virgule:

d'un deux-points: ou, plus rarement, d'un point: ou d'un point-virgule: La fin est normalement marquée d'un point: d'une virgule: ou du signe de continuation & c.: Cependant, il peut y avoir insuffisance de marques: dans une lecture superficielle fait de Nicole Gilles le sujet de voulut & ordonna à cause de l'initiale minuscule de semblablement. Il peut même y avoir absence de marque: dans Et est un ordonnateur et vn le premier mot de la citation; dans france est le dernier mot de la citation.

L'identification de la citation ne s'arrête pourtant pas à la détermination de ses points limites. Il faut aussi se demander, lorsqu'on n'a pas affaire à une citation directe, dans quelle mesure un texte cité a été intégré au discours lexicographique. Les formes canoniques peuvent l'être dans le texte d'origine ou avoir été normalisées par le lexicographe: "Acquiter vne terre" (< Berinus s.v. Acquiter 1564), "la Bastille S. Antoine" (< Gilles s.v. Bastille 1606), "vn cheual de legiere taille" (< Amadis s.v. Taille 1573) ont-ils subi de la part du lexicographe un traitement autre que celui de l'extraction du contexte plus grand? Ce sont surtout les textes techniques qui sont assimilés aux déclarations de Nicot pour étoffer les définitions et commentaires encyclopédiques; textes français:

ou textes traduits: Enfin, la citation peut être réduite à la simple mention d'auteur, celle-ci servant à sanctionner un usage lexical ("LAMRVNCHÉ ... Ronsard en vse" 1564) ou une information encyclopédique. Parfois, elle est donnée explicitement sous forme de renvoi: La citation est généralement considérée comme un extrait d'idiolecte. Ces extraits, quand l'idiolecte n'est pas celui du lexicographe, sont, de nos jours, généralement mis entre guillemets et signés, à la différence des extraits de discours typique. Cette distinction n'existe pas dans le Thresor, et la marge entre source individuelle et source générique est petite, surtout dans le domaine des documents juridiques. On conclura, quand même, que "escritures des Aduocats, & arrests des Cours souueraines" (1606 s.v. Arrester), "notaires au pays de Normandie" (1606 s.v. Barres) et "le Roy" (1606 s.v. Accorder et 1573 s.v. Baron) constituent des marques de spécialisation d'emploi, [266] alors que "coustumes de Par." (1573 s.v. Brandon) et "ordonnances de l'Eschiquier tenu à Rouen le terme de Pasques 1462" (1606 s.v. Actournée) sont des textes idiolectaux. De même, dans le domaine de la littérature, "anciens autheurs" (1573 s.v. Baron), "anciens Romans" (1573 s.v. Tard) et "Romans et histoires Françoises" (1606 s.v. Table) sont génériques là où "anciens escrits monastiques en l'Abbaye S. Riquier" (1606 s.v. Lay) et "Chroniques de France" (1606 s.v. Breviaire) sont plus individuels.

Enfin, l'ambivalence de la mention d'auteur placée avant ou après une citation peut parfois rendre difficile la consultation d'un article. Qui, de Ronsard et de Pasquier, est censé être l'auteur de la citation donnée s.v. Alembiquer: "Alembiquer, faire distiller. Ronsard. Mon pauure esprit se consomme & alembique en desmesurées passions. Pasquier." (1564)? La citation qui accompagne la mention "Sicile Heraut du Roy d'Aragon, en son traité d'armoiries" (1606 s.v. Armes) est-ce la liste d'items bilingues qui précède celle-ci ou la phrase qui la suit? L'étude comparative des éditions du dictionnaire peut quelquefois être de quelque utilité. Ainsi, dans:

l'impression que le nom de Du Tillet se rattache au commentaire qui le précède plutôt qu'au latin, se voit confirmée par le fait que seuls l'entrée et l'équivalent latin étaient consignés dans l'édition précédente (1573).

2.2.4.3. Sources nommées

Nous remplaçons l'échantillonnage de la première édition par le relevé exhaustif de Wooldridge 1989 (voir aussi Wooldridge 2002).

2.2.5. Commentaires

À la page 1, le Thresor porte comme sous-titre "LES COMMENTAIRES DE LA LANGVE FRANCOISE". [279] Ce sont, en effet, les commentaires qui, dès 1573, [280] marquent la contribution apportée au dictionnaire par Nicot. Élaborant un discours lexicographique dans lequel s'insèrent non seulement des informations sur le mot, adresse d'article, mais souvent aussi des propos sur la métalangue ou sur la chose nommée, Nicot construit de nombreux longs articles qui demandent à être lus plutôt que consultés. [281] Ainsi, tout en levant, par l'explicitation du discours métalinguistique, l'équivoque de maints contextes sémantiques et syntagmatiques hérités d'Estienne, Nicot peut, dans beaucoup de cas, rendre malaisé le repérage des informations linguistiques en les faisant accompagner de longs développements encyclopédiques, le tout rédigé en un alinéa serré. L'uniformité typographique rend encore plus difficile que chez Littré, par exemple, le repérage du traitement des différents sens d'un mot. [282]

Le traitement du mot-adresse ayant déjà été étudié tout au long de ce chapitre, [283] nous limitons nos remarques ici aux commentaires faits sur la métalangue et sur le monde.

2.2.5.1. Métamétalangue

Lorsqu'il traite de la forme des mots, Nicot passe très facilement du plan de la métalangue à celui de la métamétalangue. Commentant une étymologie, il énonce constamment des lois d'évolution phonétique et graphique:

Expliquant un dérivé ou un composé, il fournit volontiers des listes de mots formés sur un même affixe. [285] À l'occasion, Nicot donne aussi des informations sur le fonctionnement des formes: Lorsque le mot-entrée lui-même relève de la métalangue, l'essentiel de son article appartient à la métamétalangue: "Accusatif ... Est le quatriesme des six cas, par lesquels les noms, pronoms & participes sont declinez" (1606 s.v. Accusatif). [286]

2.2.5.2. Monde

Le passage du traitement du mot au traitement de la chose est graduel. [287] Il a normalement lieu dans la séquence définitionnelle, en théorie à l'endroit ou le nombre de sèmes suffisant pour distinguer le mot-entrée de tous les autres mots de la langue est atteint, mais en fait à aucun endroit précis. Comment, par exemple, analyser la paraphrase suivante:

Il est évidemment plus utile d'admettre l'aspect encyclopédique de la séquence entière et de reconnaître que l'encyclopédisme d'un article est déterminé en premier lieu par la nature du mot-entrée. [288] Les noms propres constituent un domaine de choix pour les informations encyclopédiques: L'article ADDE n'est pas entièrement encyclopédique, cependant, car il indique aussi la fonction grammaticale du mot ("f."), son accentuation ("penac.") et ses équivalents italien ("Adda") et latins ("Addua, ou Abdua"). La plupart des articles mêlent, dans des proportions variables, informations linguistiques et encyclopédiques. [289]

Dans certains cas, la structure de l'énoncé lexicographique permet d'observer une rupture entre ce qui revient à la séquence définitionnelle proprement dite et les compléments encyclopédiques de celle-ci; ainsi, après le deux-points de l'exemple suivant:

De même, s.v. Tarascon, l'équivalent latin marque la fin du traitement sémantique: Quand le complément de définition se manifeste sous la forme d'un exemple [292] ou d'une citation, [293] la rupture est encore plus nette. Parmi les mots susceptibles de faire l'objet d'importants commentaires encyclopédiques, outre les noms propres et les termes techniques en général, il faut mentionner ceux qui relèvent des domaines favorisés du XVIe siècle: l'art militaire, le blason, la feodalité, le droit, la marine, la vénerie, la fauconnerie. [294] Nous avons déjà noté plus haut la place dans les commentaires encyclopédiques des citations de textes techniques. [295]

2.2.6. Remarques d'usage

Rappelons brièvement ici, du point de vue de la consultabilité, les remarques d'usage dont nous avons déjà eu à parler dans la discussion des classes lexicales représentées dans le Thresor. [
296] Comme elles sont rarement utilisées de façon systématique, leur absence d'un article n'indique pas forcément qu'un mot est non marqué. Au sujet des mots archaïques renfermés dans la nomenclature du Thresor, Lanusse note que nombre d'entre eux ne sont observables que par rapport aux affirmations d'autres commentateurs de la langue. [297]

La probabilité d'apparition d'une marque dépend, d'une part, du type de marque en question, et d'autre part, de la classe lexicale dont relève le mot-entrée. Ainsi, en ce qui concerne les marques de spécialisation socio-professionnelle, les termes de marine, de vénerie et de fauconnerie sont systematiquement signalés, les termes d'autres domaines le sont de façon moins suivie. [298]

Enfin, comme nous l'avons montré à 2.2.4.2, la marque de spécialisation d'emploi en vient parfois à avoisiner l'indication d'usage idiolectal.

2.2.7. Le français et le non-français

Nous avons évoqué plus haut [299] l'imprécision dans le Thresor de la notion de 'langue française'. En étendant l'examen à l'article en général, on est amené à constater certains facteurs qui, faisant montre d'incertitudes à cet égard, nuisent à la consultabilité du dictionnaire.

2.2.7.1. Mots 'fantômes'

Il arrive à Estienne et à Nicot, lexicographes étymologisants cherchant à expliquer le sens des mots, d'utiliser -- le dernier surtout -- des formes fictives, c'est-à-dire qui sont présentées comme telles:

Jusque-là, il n'y a pas de problème. Cependant, un mot dit inusité peut avoir existé en français auparavant, sinon du temps de Nicot. Par exemple, *arroyer et *desroyer "pas vsité" (N 1606 s.v. Arroy) sont attestés par Huguet avant Nicot; [300] *compagner, "inusité" (N 1606 s.v. Accompagner), avait fonctionné au moins jusqu'en 1573 [301] et fut donné comme synonyme de brigader dans E 1549 ("Brigader, Compaigner"; l'article subsiste dans N 1606); de même, le mot tail, qualifié dans l'ordre alphabétique de languedocien et "inusité au François" (N 1606), est attesté comme français en 1390 et 1598 par le FEW. [302] En revanche, le mot chartrier ("gardes des chartres, ou gardes des Archifs, comme si vous disiez, Chartriers" N 1606 s.v. Archifs) est supposé devoir attendre près d'un siècle pour se voir répéter (FEW: Furetière 1690 - Acad 1878). [303]

Lorsque l'enregistrement postérieur est dû à Cotgrave, on s'en méfie, car celui-ci a tendance à recopier, quelquefois assez naïvement, une bonne partie de ce qu'il trouve chez Nicot. Ainsi, "Parler bref, ou plustost Bret, c'est bretonner" (N 1606 s.v. Bref) donne lieu chez Cotgrave à "BRET. Estre, ou parler, bret. To stammer, stut, or speake indistinctly"; "BROV de noix, fortè rectius, Brouil, car il brouille les doigts" (N 1606) produit en 1611 "BROVIL: m. as Brou". Cotgrave consigne également dans la nomenclature arroyer et desroyer mentionnés ci-dessus.

Il faut, pourtant, si on veut critiquer les variantes proposées par Estienne et Nicot, agir avec prudence. S'attaquant, en 1881, à la deuxième édition du Dictionaire françois-latin, Charles Thurot dit que "R. Estienne, comme un grand nombre de ses contemporains, est disposé à faire violence à l'usage pour le rapprocher de l'étymologie. Il invente même des formes, ainsi: "venredi, voyez vendredi," "graver quasi grafer," "dragee quasi tragee, il vient de Tragema," "orme ou oulme," turturelle, "falot pour phanot a phanos."" [304] Or, venredi est attesté deux fois au XIIIe s. par Littré et de 1200 jusqu'au début du XVIIe s. par le FEW; [305] graffee ("lame -") et graphe (< grapher) sont donnés, l'un en 1489, l'autre chez Marot, par Godefroy; Littré trouve oulme chez Saint-Gelais; phanot s'emploie en 1580; [306] on observe turturelle chez Charles d'Orléans (Littré) et encore en 1567. [307]

2.2.7.2. L'italique et le romain

Le système, établi par Estienne en 1532, [308] de la distinction typographique du français (italique) et du latin (romain), se voit modifié dans le Dictionaire françois-latin, avec l'introduction d'autres langues, et surtout dans le Thresor comparatiste, pour opposer le français à tout ce qui n'est pas français. [309] Ainsi, en plus du latin, l'allemand, l'anglais, l'espagnol, le flamand, l'italien, etc., seront traités en romain ... sauf exception:

Comme nous l'avons déjà vu, [311] la langue d'oc a, dans le Thresor, un statut ambigu, pouvant figurer dans la nomenclature mais s'opposant généralement au français: Ici, l'usage des caractères est plus flottant: tantôt l'italique (cf. N 1606 s.v. Bacler), tantôt le romain (cf. N 1606 s.v. Bouffer, Brave, Sonnet). En l'absence d'une indication d'appartenance linguistique, le changement de caractères rend toute tentative d'identification hasardeuse. Par exemple, "Astorgios Pausanias ponit, quos Italici Astores dicunt. Astures alij vocant" (T 1564 s.v. Autour) passant dans ND 1573 devient "Astorgios Pausanias ponit, quos Italici Astores dicunt, Astures alii vocant".

Néanmoins, c'est au niveau de l'opposition fondamentale -- entre le français et le latin -- que l'équivoque est la plus fréquente et la plus gênante. Certains cas ne sont que momentanément troublants: ainsi, dans T 1564, "Brouyr, Bruser" est à interpréter comme 'adresse française + synonyme français' et non 'adresse française + équivalent latin' -- ND 1573 corrige la typographie; [312] de même, on admettra que la formule latine ad nutum est mise en usage français dans la séquence suivante: "Benefices reuocables ad nutum, Sacerdotia precaria" (E 1549 s.v. Benefice). Deux contextes méritent notre attention: les indications grammaticales et accentuelles mises à la suite de l'adresse et le latin populaire de la nomenclature botanique.

2.2.7.2.1. Indications grammaticales et accentuelles

En règle générale, les indications grammaticales et accentuelles sont imprimées en romain. Dans la grande majorité des cas, cependant, il est impossible de statuer sur leur appartenance linguistique, à cause des formes abregées et de l'emploi du point -- autant pour séparer les mots que pour marquer l'abrègement. Ainsi, "m./masc./masculin." sont tous également ambigus. "ac./acu./acut." et "p./pen./penac./penacu./penacut.", quoique ayant l'air plus latins que français, ne le sont pas forcément puisqu'on lit, s.v. Accent "Accent acut, ou esleué, Accentus acutus " (N 1606 ) et, s.v. Aiseement "par traynee de l'accent penacute" (ND 1573 -- cf. "la diction ... dite penacuta" N 1606 s.v. Accent). Parfois, un terme ne peut qu'être latin:

ou français: Parfois, la forme française est engagée dans un contexte français imprimé en italique: Le mot "pluriel" se trouvait déjà dans ND 1573 où il était normalement en italique: N 1606 utilise l'italique à l'occasion aussi: Ceci à côté de: Vocabulaire mixte donc, mi-latin, mi-français. "Quadrisyll." est-ce latin ou français? -- le FEW [315] donne la date 1647 pour la première apparition du français quadrisyllabe, lequel pourtant se trouve déjà, et en italique, dans E 1549 s.v. Vendenge (Ø N. 1606).

2.2.7.2.2. Nomenclature botanique

Le latin vulgaire des noms de plantes, fonctionnant indifféremment en latin ou en français, comme dans toutes les langues vulgaires, a, dans le DFL-Thresor, un statut mal déterminé, lui aussi. La nomenclature renferme, entre autres:

AcantheFEW] a l'air français s.v. Acanthe et Branque ursine, latin s.v. Branche ursine: De même, baptiseculaFEW] est enregistré dans l'ordre alphabétique, bien qu'il soit traité en mot non français s.v. Bleuet: En général, on oppose au latin populaire (en usage vulgaire) un latin classique. En plus des exemples notés ci-dessus et qui apparaissent dans la nomenclature, ajoutons: Pourtant, s.v. Aulnée, helenium et inula perdent leur allure classique: Le latin classique peut, bien entendu, faire défaut: S.v. Tabouret, bursa pastoris est imprimé en italique en 1564 et en 1573:

2.2.8. L'article [321]

Tout composant du texte lexicographique est une sortie virtuelle; un certain nombre de composants -- ceux qui ouvrent un alinéa -- sont également des entrées. C'est au niveau du micro-article que l'on retrouve les sorties pures et que la consultation du dictionnaire tourne à la lecture. Un article dont la structure peut être prévue par l'usager est en principe consultable quelle qu'en soit la longueur. Dans la pratique, sa structure n'est jamais totalement prévisible et la consultabilité variera en raison inverse de la longueur. Les articles détaillés d'Estienne -- listages peu cohérents d'items bilingues -- en exigeant que l'usager supplée tout le discours lexicographique, défaillant, sont difficilement consultables de par leur ambiguïté. [322] En revanche, les articles construits de Nicot, quoique levant l'équivoque par l'explicitation des énoncés métalinguistiques, sont parfois d'une consultation difficile du fait de leur prolixité. [323] La forme et le contenu des articles d'Estienne ayant déjà été traités dans les sections 2.2.1, 2.2.2 et 2.2.3, ce sont les articles et alinéas construits de Nicot qui fournissent encore matière à réflexion.

2.2.8.1. Les articles de Nicot

La nature des articles de Nicot est en partie fonction de leur origine. Touchant à ceux qu'il hérite, il peut procéder de plusieurs façons:

a) il construit un alinéa liminaire dans lequel il inclut les items existants:

ou une partie d'entre eux: b) il développe ou il modifie le premier alinéa: c) il construit un alinéa liminaire original: d) il développe ou il modifie un des autres alinéas: e) il ajoute un alinéa non liminaire: Les deux premiers procédés sont, dans N 1606, les plus caractéristiques, tandis que les deux derniers sont typiques de la démarche de ND 1573. En 1573, Dupuys fait un emploi fréquent ou de la séparation en alinéas distincts des acceptions nouvellement traitées ou ajoutées, ou du maintien en alinéas des items développés. Ainsi, A se voit mériter huit nouveaux alinéas, les alinéas 2 et 3 de ABANDONNER sont modifiés et amplifiés, TAILLE acquiert un nouvel alinéa 6 de six lignes. [329] Pour le Thresor, Nicot n'est plus responsable des seuls éléments ajoutés, il se charge aussi du manuscrit, ce qui lui permet d'effectuer d'importants remaniements. Par exemple, pour l'article ABBANDONNER il construit un alinéa liminaire qui incorpore dans un énoncé articulateur les alinéas-items 1, 2, 4, 5, 6 et 8 de ND 1573. De la même façon, tous les dix alinéas-items de l'article TAILLE de ND 1573 (22 lignes) sont compris dans un long alinéa construit de 44 lignes. [330] Ajoutant à la nomenclature un mot nouveau, Nicot a toute liberté pour rédiger comme il l'entend. Toutefois, indépendamment de la provenance de leurs éléments, les articles du Thresor renferment une formulation et un contenu très variables et donc largement imprévisibles.

2.2.8.1.1. Informations

Les articles du Thresor peuvent contenir un ou plusieurs des sorties ou composants informationnels suivants:

2.2.8.1.2. Structures

La structure des articles du Thresor varie selon le rédacteur, selon la nature du mot à traiter ou, tout simplement, selon le hasard. Et les types de composants et l'ordre de ceux-ci sont largement imprévisibles. L'article minimum comprend la seule adresse: SYMBOLIZER, SYMBOLIZATION, SYMPTOME, SYNCOPE, SYNCOPIZER, SYNODAL et passim. [331] On rencontre fréquemment aussi des articles qui, en plus de l'adresse, ne renferment qu'un composant. Celui-ci sera bien souvent une définition:

ou, dans le cas d'un article hérité d'Estienne, un ou des équivalents latins: Se rencontrent aussi: a) adresse + exemple: b) adresse + exemple signé: - ce type d'articles est surtout le fait de T 1564;

c) adresse + remarque d'usage:

d) adresse + catégorisation grammaticale: e) adresse + étymologie: f) adresse + renvoi: - les articles-renvois dérivationnels et graphiques sont frequents. [332] Ajoutons à cette liste de types d'articles réduits la combinaison adresse + catégorisation grammaticale + accentuation: En principe, tout type de composant peut ne pas apparaître dans un article sauf l'adresse. Celle-ci est en effet nécessaire à l'existence de l'article, quoique sa situation et son statut réels en rendent assez souvent précaire l'autonomie. [333] Plus un article est long, plus il est susceptible de contenir de composants comme le montre plus loin le tableau sur la probabilté d'apparition des composants. Même les composants les plus fréquents peuvent, néanmoins, faire défaut à un article développé. Ainsi, l'article BLASON (57 lignes) n'a ni équivalent latin de l'adresse, ni catégorisation grammaticale, ni indication accentuelle, ni étymologie; ORFAVRERIE (26 lignes) est sans équivalent latin de l'adresse ni exemple; BENNEL (11 lignes) n'est pas défini -- il est pourtant rare de trouver un alinéa de plus de dix lignes qui ne contienne pas d'énoncé définisseur. La plupart des articles ne font pas de remarque spéciale au sujet de l'orthographe de l'adresse; celle-là est cependant toujours indiquée du fait de la présence de celle-ci. Nous donnons trois tableaux, qui montrent la probabilité d'apparition des composants, leur fréquence d'emploi et leur place dans l'article. [334]

Le premier tableau permet de constater que les seuls composants dont la probabilité d'apparition ne soit pas plus grande dans les articles construits que dans les courts articles, sont l'adresse (toujours présente), l'adresse-variante et la séquence équivalentielle latine, informations typiques des courts alinéas d'Estienne.

Le deuxième tableau, dans lequel figure le nombre d'occurrences par article d'un composant, montre que plus l'article est long plus il contient d'acceptions du mot-adresse, donc plus de séquences définitionnelles, d'exemples d'emploi, d'équivalents, et de commentaires et de citations à l'appui. Les étymologies et les dérivés se multiplient aussi, [335] comme, dans une certaine mesure, les catégorisations grammaticales, la forme d'entrée pouvant avoir diverses fonctions.

Du point de vue de la structure de l'article, c'est le troisième tableau, sur la position relative des informations, qui est le plus intéressant. En fait, il faut savoir interpréter les données que l'on y lit. Par exemple, le renvoi, quoiqu'en onzième position dans le tableau, est normalement la dernière information donnée (cf. ABAISSER (1 ligne), ABBAY (6 lignes), LANCE (41 lignes)). Tandis que certains composants ont une place normale, d'autres, comme les commentaires, par exemple, peuvent se trouver à n'importe quel endroit de l'article, puisqu'ils ont pour rôle de circonstancier l'énoncé de base (sujet et prédicat). D'autres, enfin, ont plus d'une place logique. La variante, lorsqu'elle ne suit pas immédiatement l'adresse: "PAIS ou PAYS", "GABES, ou gaberies", est souvent rejetée à la fin du traitement sémantique: "Vn POALE, & estuues, Thermae thermarum, Hypocaustum. On dit aussi Poële, ou Poësle". L'étymologie d'une forme sera donnée le plus souvent avec les informations liminaires: "OCCVRRENT, m.acut. Est imité du Latin Occurrens, Et signifie ... "; celle d'une forme-sens accompagne le traitement d'une acception, précédant celui-ci: "ASSEVRER ... composé ores de Ad, & seur, qui est fait de Securus ... & signifie rendre seur, & stable ... Et ores de Ad, & Seuerus ... & signifie affirmer ... parce que l'homme qui est seuere de vie, moeurs & conuersation, a authorité d'estre creu", ou le suivant (cf. DESBANDER infra).

Si on élimine du tableau 3 les composants qui ont une probabilité d'apparition inférieure à 33% ou dont la place varie beaucoup, on retrouve la structure de base suivante:

Citons, pour illustrer ce schéma, l'article DESBANDER, qui, en plus des composants 'fixes', donne l'étymologie des formes-sens et un renvoi: Une variante assez courante du schéma de base inverse l'ordre de la définition et de l'emploi syntagmatique: Les composants secondaires peuvent venir se placer à différents endroits de la structure fondamentale; citons, à titre d'exemple, l'article AULNAYE: Lorsque l'adresse recouvre plusieurs fonctions grammaticales, ce seront celles-ci qui constitueront l'articulation principale de l'article: "FAILLE, penac. Ores est verbe de maniere subiunctiue en premiere personne singuliere, comme ... Et en tierce, comme ... Et ores est nom substantif qui signifie ...". [337] Exceptionnellement, la catégorisation grammaticale est subordonnée à son tour à la prononciation de l'adresse: "Guerrier, de trois syllabes, Est vn verbe actif. acut. qui vaut autant que ... Mais Guerrier de deux syllabes est vn nom adiectif, signifiant ... ". Le fonctionnement syntagmatique du mot peut également être le critère de division: "MAINT, m. Est vne diction qui signifie aussi au nombre singulier, multitude de ce qui est signifié par le nom auquel elle est adioustée. Comme maint cheual ... Et ne laisse pourtant d'estre vsée au pluriel, comme, maints hommes ... Elle est quelquefois mise seule, comme, Il y a maints qui en seront marris ... Mais il est sousentendu hommes".

Un très grand nombre d'articles est sous-tendu par le développement historique et spatial du mot. Ainsi, pour BARON, on peut dégager les étapes successives que voici: a) emploi en latin, b) emploi en ancien français, c) emploi en français contemporain, d) emploi en ancien italien, e) emploi en ancien espagnol, f) emploi en espagnol contemporain, g) emploi en picard. [338]

2.2.9. Conclusion

"Le texte du dictionnaire le plus simple offre déjà une extrême complexité sémiotique." [339] Les frontières entre les niveaux sémiotiques sont particulièrement floues dans le Thresor. Dans les parties dues à Estienne, sont ambigus ou instables la situation et le statut de l'adresse, [340] le statut des variantes, [341] et celui de la séquence définitionnelle. [342] Chez Nicot, le passage d'un plan à l'autre est souvent graduel ou non marqué: autonymie > métalangue: "Il l'a fait brimbaler du sommet de la roche au profond de la vallée par onomatopoée" (1606 s.v. Brimbaler); première métalangue > deuxième métalangue: "Arrousé ... Est dit le lieu, herbe ou arbre de genre masculin, sur lequel on a respandu de l'eau pour l'arrouser" (1606); première métalangue > référence; [343] deuxième métalangue > métamétalangue. [344]

La consultabilité des contributions d'Estienne est surtout compromise par ce qu'il ne dit pas, celle de Nicot par ce qu'il dit de trop. Là où Estienne laissait équivoque le statut des syntagmes et implicite le traitement sémantique du mot-adresse, Nicot noie souvent les informations linguistiques dans une masse de commentaires encyclopédiques, le tout rédigé dans de longs alinéas serrés (cf. BARON, ESTATS, QUEUE, etc.). L'hétérogénéité des items traités (cf. BAR "ville appartenant au Duc de Lorraine ... Bar aussi est vne diction indeclinable [en] composition ..."), la complexité des structures et l'abondance des informations ne sont pas compensées par une typographie variée et différenciatrice. [345]

Cependant, à le lire plutôt qu'à le consulter, Nicot est beaucoup plus clair qu'Estienne par ce qu'il lève nombre des équivoques de celui-ci en fournissant à l'article une structure métalinguistique explicite.

En fait, la consultabilité du dictionnaire est compromise dès sa première édition en vertu de ses origines latines. Les auteurs du FEW l'ont compris qui se servent, pour la datation des mots, du Dictionarium latinogallicum de 1538 plutôt que du Dictionaire francoislatin de 1539. [346] Les entrées françaises de E 1539 ne sont que la clé du latin. [347] Le fait que la seconde édition se veut explicitement francisante n'améliore pas les choses, puisqu'elle garde presque tout de la première. De cette sorte, le Thresor représente le cumul de toutes les éditions qui le précèdent: le français y est tantôt la clé du latin (français < latin), tantôt traduit (français > latin), tantôt défini (français > français). C'est pourquoi Lanusse regrettera que Nicot ait tant gardé d'Estienne. [348]

Ainsi, il est nécessaire que l'utilisateur du Thresor sache la provenance des articles et des informations qu'il lit; que pour situer l'entrée qu'il cherche il parcoure plusieurs colonnes et connaisse les graphies variantes typiques du seizième siècle.

En 1951, K. Baldinger avertissait les usagers du FEW des particularités des dictionnaires cités dans l'ouvrage de Wartburg; [349] en 1971, A. Rey passe en revue les difficultés de lecture que recèle le texte du FEW lui-même. [350] Il n'est pas déraisonnable de penser que le Thresor de la langue françoyse de Nicot constitue le texte le plus hétéroclite de la lexicographie française.

2.3. Nomenclature: étendue quantitative

Que quantifier? Peut-on le faire? La nécessité de poser ces deux questions, pressentie dès l'abord, se montre, au terme de l'examen de la consultabilité du dictionnaire impérieuse.

Il est d'usage, dans le monde de l'édition, de parler du nombre de 'mots' que renferme un dictionnaire. Le terme de 'mot', cependant, est, dans ce contexte, ambigu puisqu'il recouvre deux réalites différentes: le mot linguistique et le mot lexicographique. Le lexicographe, pour découper la langue qu'il s'est donnée à décrire, doit résoudre, d'une manière ou d'une autre et suivant son point de vue (historique ou synchronique, par exemple), le problème de la définition de 'l'unité lexicale'; mais une fois son choix arrêté, les termes qu'il traite cessent de fonctionner en langue pour s'imbriquer dans un discours métalinguistique. Ce sont dorénavant des unités lexicographiques. Donc, les mots que compte l'éditeur sont des mots de dictionnaire. Il s'agit évidemment, pour nous aussi, de nous en tenir aux seuls termes que le dictionnaire présente comme des unités de traitement.

Viennent ensuite deux autres questions: puisque les dictionnaires traitent non seulement les 'mots' de la langue, mais aussi les formes fléchies, les syntagmes et les sens, quels types d'unités veut-on retenir et comment peut-on les identifier? Dans le cas des dictionnaires modernes, les questions ont déjà été tranchées par le lexicographe, qui a choisi de mettre certaines formes ou syntagmes en tête d'article et d'autres à l'intérieur de l'article de la forme de base; qui, devant un signifiant à plusieurs signifiés, a opté pour une interprétation d'homonymie ou de polysémie. On n'a plus, en principe, qu'à compter les têtes d'article, imprimées en gras, les adresses. Si le dictionnaire fait des regroupements dérivationnels à l'intérieur du classement alphabétique des formes de base, les adresses sont tantôt des vedettes de macro-article (dans le classement alphabétique), tantôt des sous-vedettes de sous-article (dans le classement secondaire).

Lorsqu'on se tourne vers le pour voir comment se réalise le signalement des adresses, on est amené à constater une présentation extrêmement variée et troublante. Somme d'un dictionnaire de thème français-latin et de quatre rééditions essentiellement francisantes dont les articles sant tantôt bilingues, tantôt monolingues, tantôt mixtes, [351] le Thresor n'a plus de système unique et clair pour le classement des unités qu'il traite. Le plan relativement simple du Dictionaire francoislatin de 1539 a subi maintes transformations, presque toujours partielles. Les en-têtes de 1539 et le double alignement des alinéas de 1539-49 [352] ont été complètement abandonnés. Les fautes de classement alphabétique, la neutralisation des classements alphabétique et dérivationnel, [353] le regroupement des homonymes, [354] celui des courts items bilingues en longs alinéas articulés, [355] la virtualisation des adresses engagées d'Estienne, [356] les indications d'appartenance grammaticale [357] ou de statut syntagmatique, [358] sont tous des phénomènes occasionnels.

Regardons le plan 'relativement simple' de E 1539. Les en-têtes de macro-article énumèrent la vedette et les sous-vedettes (ABSENT, ABSENCE; ABSOULDRE, ABSOULS, ABSOLUTION; ABSTENIR, ABSTINENCE; etc.). Pour la lettre A, qui occupe 48,33 pages, nous comptons 764 adresses de ce type. Retenons les 762 adresses des 48 premières pages et multiplions par le nombre de pages pour A-Z sur 48: 762 x 525/48 = *8334 adresses dans le dictionnaire. [359] Il ne suffit pas, cependant, de s'en tenir aux seuls en-têtes. La comparaison avec le texte des articles révèle mainte contradiction: une sous-vedette dans l'en-tête qui manque au traitement de l'article (ARBREAU s.v. Arbre, AMIABLE s.v. Ami), ou, cas bien plus fréquent, une sous-vedette donnée en adresse dans le corps de l'article qui manque à l'en-tête (ACCORDANT s.v. Accorder, AFFINEUR s.v. Affiner, AMIABLEMENT s.v. Ami, ARGENTER et ARGENTINE s.v. Argent, etc.). [360] À son tour, le texte de l'article introduit d'autres problèmes. Estienne y a l'habitude de mettre les adresses en saillie par rapport aux séquences phraséologiques, exemples d'emploi. Les items ainsi distingués ne sont pas toujours des adresses françaises, pourtant; au contraire, il s'agit souvent d'adresses latines: "Qui abbaye, Latrator" (s.v. Abbay), "Qui appelle & huche, Euocans" (s.v. Appeler), etc. [361] Parfois, le pied-de-mouche sert à signaler, dans le macro-article, les sous-vedettes -- par exemple, ACCOUSTUMÉ et ACCOUSTUMANCE s.v. Accoustumer. Cependant, les pieds-de-mouche ont pour rôle normal d'indiquer différents acceptions ou emplois d'un mot: "¶ Accord & conuenance ... // ¶ Accord, paction, conuention ... // ¶ Accord, composition, appoinctement ... // ¶ N'estre point d'accord & de l'opinion d'ung autre ... // ¶ Tout d'ung accord ... // ¶ Faire accord ..." (s.v. Accord). [362] Ce n'est pas tout. Certains mots ne sont que virtuellement des adresses: agnus castus (s.v. Agneau) et argenterie (s.v. Argent) ne sont ni signalés dans l'en-tête ni par la typographie dans l'article; arbitrage (s.v. Arbitre) doit son existence, dans l'item où il est donné, au mot arbitre: "Chose qui est soubiecte a l'arbitrage de l'arbitre, Arbitrarium". Ces trois mots sont (difficilement) trouvables. Il est possible de conclure dans le cas des deux premiers à une erreur typographique -- ils auraient, dans l'esprit du lexicographe, appartenu à la nomenclature. Quant à arbitrage, il ne s'y trouverait que fortuitement.

Ainsi, il est déjà impossible, dans E 1539, en suivant les conventions typographiques, de ramasser toutes les adresses et seulement les adresses. Chaque édition successive présentera des problèmes nouveaux; un mot appartenant à la nomenclature d'une édition disparaîtra de celle de la suivante, ou vice versa. La suppression des en-têtes simplifie, dans E 1549, le système de repérage. ARGENTER appartient dorénavant sans équivoque à la nomenclature; ARGENTERIE, mis en saillie, est aussi explicitement une adresse. En revanche, ARGENTINE ("herbe") est subordonné à ARGENTIN et n'y est signalé que d'un pied-de-mouche; il doit attendre T 1564 et la suppression du double alignement pour mériter un statut égal à celui de ARGENTIN, ARGENTÉ, ARGENTER, ARGENTEUX, ARGENTIER, ARGENTERIE. Les items en "Qui ..." (cf. paragraphe précédent) cessent, dès 1564, d'être distingués par la typographie des autres séquences phraséologiques. AAGÉ, donné en tête du macro-article AAGE dans E 1539, mais entouré d'exemples d'AAGE dans le texte de l'article, disparaît, dans E 1549, de la nomenclature consultable; l'addition, en fin de macro-article, en 1564, de l'entrée HOMME AAGÉ l'y rétablit. En 1606, il est imprimé en vedette. Le statut des participes varie. L'en-tête fait de ACCOURCI une sous-vedette en 1539; dans E 1549, il n'est qu'un exemple d'emploi du verbe ACCOURCIR ("Oraisons accourcies"). ACCOMPLI, en saillie dans E 1539 et E 1549, n'est plus distingué des emplois verbaux à partir de 1564 ("Tout est accompli"). Nicot, enfin, donne souvent à une forme marquée, exemple auparavant, statut d'adresse: "Abolie. f. C'est mise hors d'vsage" (1573; cf. 1539-64: "Opinions abolies"). [363]

Le traitement, et donc le statut lexicographique, des syntagmes [364] varie beaucoup. Le premier alinéa du dictionnaire de E 1539 est un en-tête-renvoi. Le consulteur est renvoyé, pour le traitement de A CAUSE, A DROICT, A L'ADVENTURE, A LOISIR, A PROPOS, A RAISON et A TORT, à CAUSE, DROICT, ADVENTURE, etc. Dans ces derniers articles, les syntagmes cités n'ont pas nécessairement un statut distinct de celui d'autres entrées non données ailleurs en vedette. Ainsi, s.v. Cause, sont signalés d'un pied-de-mouche: "A cause // Dire la cause // C'est une des choses qui cause crainte // Pour quelle cause? // Sans cause // Auoir cause & occasion // Vne cause & procez". Dans ND 1573, A LOISIR, A PROPOS et A TORT, seuls des syntagmes de E 1539 à rester s.v. A (A CAUSE > A CESTE CAUSE), sont donnés comme exemples d'emploi de A. L'article MAIN est intéressant du point de vue du traitement des syntagmes. Dans le Thresor, on trouve, par exemple:

ensuite, vient, imprime en vedette: suivi d'autres exemples de MAIN: Qu'en retient-on comme adresses? MAINMORTE serait une fausse vedette; [365] MAIN MISE serait une sous-vedette aussi, à cause des indications "f." et "vn seul mot"; CHANGER DE MAIN, ASSEMBLER MAIN A MAIN, BAILLER LA MAIN, MAIN FERME, MAIN LEVEE et MAIN SOUVERAINE seraient des sous-adresses. [366]

Un procédé utilisé par Nicot en 1606, qui réduit les dimensions de la nomenclature, du moins typographiquement, est le regroupement des homonymes: [367] BIERE ("coffret") et DE LA BIERE (boisson), vedettes depuis 1539, sont traités en un alinéa dans le Thresor: "BIERE ... Signifie ores ce coffret ... Ores ... signifie cette maniere de boisson ...". L'article-alinéa BAR, "ville" depuis T 1564, renferme, en 1606, l'emploi préfixal de cette forme.

Le chiffre que nous avons donné plus haut pour le nombre d'adresses sous la lettre A de E 1539 comprenait des renvois. Ceux-ci sont de deux sortes: ceux qui signalent dans le classement alphabétique des dérivés, composés ou syntagmes traités dans l'article de la forme de base [368] et ceux qui représentent des variantes. [369] Sont-ils à compter avec les adresses? Comme nous l'avons indiqué plus haut, certaines des unités syntagmatiques n'ont pas, dans l'article de la forme de base, statut d'adresses, mais plutôt de sous-adresses (cf. A LOISIR s.v. A et s.v. Loisir dans E 1539 et ND 1573). En revanche, BEUVERIE est donné deux fois comme adresse (une fois en renvoi dans le classement alphabétique, et encore dans le macro-article BOIRE), si on considère BEUVERIE et BUVERIE (la forme donnée s.v. Boire) comme deux variantes d'une même forme; dans le cas contraire, on compte deux mots.

Il semble donc impossible de déterminer objectivement ce qu'est la nomenclature du Thresor ou des dictionnaires dont il est issu. Ne compter que des têtes de micro-article (ce qui implique la définition préalable de ce dernier) serait éliminer, surtout du Thresor, nombre de mots qui sont pourtant accessibles au consulteur. Pénétrer à l'intérieur des micro-articles serait ouvrir la porte aux interprétations périlleuses. Vouloir chiffrer la nomenclature, c'est vouloir la comparer à celle d'autres dictionnaires, entreprise futile, puisque les autres dictionnaires, antérieurs, contemporains ou postérieurs, ont des buts différents et emploient des méthodes variées. [370] Cotgrave, par exemple, enregistre beaucoup de formes, surtout des variantes. Donc, quand Barré dit "le volume de Cotgrave est presque double de celui de Nicot", [371] il parle du nombre d'adresses typographiques, [372] non du nombre ou du volume des informations, supérieurs chez Nicot. Dupuys, en prétendant que ND 1573 "est augmenté d'un tiers" par rapport à T 1564, [373] et Douceur, en affirmant le Thresor être "REVEV ET AVGMENTÉ ... DE PLVS DE LA MOITIE" relativement à ND 1573, [374] penseraient plutôt au volume physique des augmentations qu'aux adresses ajoutées. [375] On a avancé le chiffre de 20.000 pour le nombre d'items dans la nomenclature du Thresor. [376] Les calculs que fait Smalley pour arriver à ce total sont assez bizarres. Ayant compté elle-même 1925 mots et expressions ("words and expressions") sous la lettre A, elle se sent obligée d'accepter une affirmation, erronée, de Brunot concernant la proportion du dictionnaire occupée par la lettre A: 62 pages sur 666 selon Brunot, ce qui devient chez Smalley 66 pages sur 666! Smalley n'avait qu'à ouvrir le Thresor pour y trouver 62 pages pour la lettre A sur un total de 674, [377] ce qui fait un rapport de presque 1 a 11, et non celui de 1 à 10 qu'elle utilise pour arriver au nombre théorique de 20.000 mots (1925 x 10 = 20.000!). Calcul plus précis, 1925 multiplié par 674/62 donne 20.927. Le nombre de mots ajoutés à la nomenclature sous la lettre A, par rapport a ND 1573, serait, selon Smalley, de l'ordre de 144. [378] La lettre A occupant, dans ND 1573, 69 pages sur 771, le nombre total d'items de nomenclature pour la quatrième édition du Dictionaire françois-latin serait, toujours selon les critères de selection de Smalley, 19.901. On arrive, de façon semblable, à un total de 19.028 mots pour T 1564 et de 15.025 pour E 1549. [379] Ce dernier nombre contraste avec les 13.000 mots que Brandon trouve dans E 1549, [380] chiffre qu'accepte Smalley elle-même. [381] Donc, calculs inexacts et contradictoires faits à partir de critères subjectifs ou peu significatifs.

Un autre chiffrage de la nomenclature du Thresor, dérivé cette fois non d'estimations grossières mais d'un comptage exhaustif fondé sur les critères énoncés dans la présente étude, [382] nous est fourni par l'édition électronique de ce dictionnaire, établie dans les années 1980. [383] Cette base de données contient un total de 18.123 adresses (vedettes et sous-vedettes, mais non sous-adresses).

En fait, le Thresor n'a pas une nomenclature, il en a plusieurs. [384]

2.4. Synthèse typologique et diachronique

Dans le premier chapitre, l'examen des pièces liminaires des différentes éditions du DFL-Thresor a révélé pour toutes un caractère bilingue, bien qu'à partir de la deuxième la langue visée soit le français et que dans le Thresor on ne parle que de cette langue. [385] Ayant étudié le contenu du texte du dictlonnaire, on doit maintenant qualifier ces affirmations.

Estienne 1539 est purement bilingue en ce que tous ses items sont établis dans le but de donner pour un mot ou syntagme français un ou des équivalents latins. Les paraphrases françaises ("Accusation & blasme, Crimen", "Aboli & hors d'usage, Abolitus", "L'aristologie, sorte d'herbe dont en y a de quatre sortes, entre lesquelles sont comprinses les coques de leuant, Malum terrae, Aristolochia") sont contingentes, produits secondaires de l'inversion du Dictionarium latinogallicum. À partir de 1549, cependant, le dictionnaire est intentionnellement à double sortie. Dans Estienne 1549, [386] tandis que les nombreuses séquences phraséologiques, tirées en très grande partie des écrits de Budé, ne sont toutes que traduites, le mot-vedette fait souvent l'objet d'un traitement d'équivalence en français, parfois à l'exclusion du latin, ou d'un essai d'étymologie. Un grand nombre des items ajoutés dans Thierry 1564 sont à la fois définis en français et traduits en latin: "AVGVRE, pour signe ou presage, Augurium", "se AVIANDER, c'est se repaistre Pascere se". [387]

Les informations concernant l'adresse française ne sont pas nécessairement rédigées en français, pourtant. Le latin est encore la langue de communication des érudits, qu'il s'agisse d'un Français parlant à un autre Français ou d'un Français parlant à un étranger. Ainsi, les discussions étymologiques de E 1549 et de T 1564, où il est question de signifiants et de signifiés français, latins, grecs ou hébraïques, se font fréquemment en latin. [388] Ici, il faut faire la distinction entre les termes de l'équation sémique, d'une part, et le discours lexicographique de base. Seuls les premiers - mot-adresse, exemple, paraphrase, équivalent - intéressent les traits de monolinguisme et de bilinguisme; l'origine linguistique de la métalangue de base est indifférente. Le fait que celle-ci est souvent le latin a dû, cependant, favoriser la diffusion du dictionnaire hors du territoire français, poussant Dupuys, en 1564, à faire état de son utilité pour l'étude du français à l'étranger. [389]

Autre conséquence de l'addition, en 1549, de remarques liminaires étymologiques, plusieurs articles du Dictionaire françois-latin sont dorénavant à double entrée: 1) adresse + étymologie, 2) adresse + équivalent(s) latin(s). Par exemple: "ABBAY. Semble que ce mot & sa suite soyent deriuez de ... // Abbay, Latratus". [390]

Il faut attendre la collaboration de Nicot, d'abord en 1573, ensuite et surtout en 1606 dans le Thresor, pour voir s'affermir le côté monolingue du dictionnaire. Non seulement le discours lexicographique de base (tout juste ébauché par Estienne en 1549, développé et étendu pour encadrer l'article par Nicot) est systématiquement rédigé en français, [391] mais aussi la majeure partie des nombreuses informations ajoutées aux articles existants ou fournies aux adresses nouvelles - indications grammaticales, définitions, remarques d'usage, exemples, mentions d'auteurs, étymologies, dérivés, remarques d'orthographe ou de prononciation, commentaires métamétalinguistiques - concernent les entrées. Les équivalents latins, lorsqu'ils existent, sont, pour la première fois, nettement subordonnés au français. [392] En fait, d'autres langues viennent souvent concurrencer le latin dans la séquence équivalentielle, surtout l'espagnol et l'italien. [393] Les traductions en plusieurs langues et dialectes, les étymologies comparatives, la recherche des 'cognates' et le traitement sémantique de ces derniers et des étymons, font du Thresor - en plus d'un dictionnaire monolingue (français) et d'un dictionnaire bilingue (français-latin) - un dictionnaire multilingue (français-latin-espagnol-italien-languedocien-grec-allemand...) et un dictionnaire comparatif. [394]

Le tableau suivant indique pour chaque édition du dictionnaire les traits qui déterminent son caractère essentiellement bilingue ou monolingue. Les données secondaires sont mises entre parenthèses: [395]

La langue visée est choisie par le lexicographe, la langue de sortie par le consulteur. E 1539, dans laquelle la langue visée est le latin, est essentiellement un dictionnaire bilingue de thème. Pourtant, la même édition sera, lorsque le consulteur voudra savoir si un mot-adresse y a telle forme graphique ou tel fonctionnement syntaxique, un dictionnaire monolingue. L'étudiant étranger, se servant de E 1539 pour se renseigner sur le sens d'un mot français, fera de l'ouvrage un dictionnaire de version. E 1549 et T 1564 prouvent leur utilité comme dictionnaires de version pour les étrangers étudiant le français, et fournissent un certain nombre d'informations - variantes, étymologies, définitions, remarques d'usage - à l'usager unilingue. Les informations ayant trait au français allant en croissant en 1573 et 1606, le Thresor, monolingue dans l'esprit de son auteur, l'est aussi pour la plupart de ses sorties.

Dictionnaire de langue dans sa première édition, le Dictionaire françois-latin ouvre la porte, avec l'addition en 1549 de noms propres, à l'encyclopédisme linguistique qui distinguera le Thresor, précurseur du Dictionnaire universel de Furetière. La langue enregistrée par Estienne en 1539 est le français de son temps et le latin classique; le latin des humanistes Estienne et Budé continue, dans E 1549, à se rattacher à la période classique, tandis que le français acquiert une dimension diachronique par l'addition d'un certain nombre d'étymologies. Cependant, ce sont les articles de Nicot, en 1573 et surtout en 1606, qui cherchent explicitement à établir la filiation historique de sens et de formes français (ou, à l'occasion, non français), d'enregistrer "la langue françoyse, tant ancienne que moderne". [396]

Dictionnaire restreint, en 1539, aux limites du contenu du Dictionarium latinogallicum de 1538, et restrictif en 1549, [397] le Dictionaire françois-latin est ouvert en 1564 à "tous mots, mesmes les plus fascheus de [la] langue Francoyse & esloingnez de l'vsage commun". [398] Toutes les classes lexicales sont représentées dans le Thresor. [399] Chez Nicot, l'extension va jusqu'à embrasser des mots dont l'identité française est suspecte ou refusée. Il recueille certains mots pour les critiquer: "TRVLLE ... N'est pas mot François, ains Grec corrompu & ConstantinopoIitain ... Et n'est cedit mot mis en ce dictionaire, si n'est pourautant qu'il se trouue en aucuns anciens liures François". Il arrive parfois aux critiques fournies par Nicot d'entrer en contradiction avec ce qu'on peut lire dans un autre endroit du Thresor. Ainsi, à la page 603, on lit: "SOVDARD ... Le François l'appelle aussi soudoyer ... le François ne peut bonnement dire soldat, sans Italienniser ou Espagnoliser, dequoy il n'a aucune contrainte, veu qu'il a les deux dessusdits, & plus beaux & plus seants à luy, que ledit Soldad", tandis que deux pages plus loin on rencontre: "Souldart ... Ceux qui parlent bien dient, Vn soldat"; l'article SALADE condamne la graphie celade qui se trouve consignée deux fois s.v. Bassinet. L'explication en est simple: les remarques des articles SOUDARD et SALADE datent de 1606, celles de SOULDART et de BASSINET remontent respectivement à 1549 (Appendice "Aucuns mots omis") et à 1573.

Les contradictions, les complexités, les inégalités du Thresor sont le résultat de l'accumulation d'informations et de méthodes de toutes sortes. L'oeuvre de 1606 est la somme de cinq éditions d'un dictionnaire qui marque les étapes conduisant de la lexicographie latinisante à une véritable lexicographie française.